La mémoire comme un film

Non, pas une salle de cinéma, non, pas le rôle d’un spectateur ayant acheté son billet. Juste le hasard des choses, je crois que l’on dit ainsi. Se retrouver ici ou là, je ne sais jamais quel mot choisir entre ces celui-ci ou celui-là. Être soudain avec cet homme qui ouvre les boites en fer blanc numérotées, dans sa cabine. Le titre du film, peu importe. Le simple fait d’être passé de l’autre côté du miroir même si je garde les mains enfoncées dans les poches, dans une attente. Ainsi. J’aurais pu dire à la Clark Gable. Un tantinet désabusé. Ou plutôt Humphrey Bogart. Pas Clint Eastwood non. Cliché trop facile. Enfin oui, désabusé. C’est le mot que je cherchais. Avoir l’air désabusé surtout. Comme un acteur. Un acteur qui tient le rôle d’un jeune type arrivé ici ou là, par hasard, dans la cabine de projection d’un cinéma de quartier, ici ou là dans cette ville. Un bruit de motorisation. Une odeur âcre de tabac, et la fumée qui flotte dans l’air. On est avant 1979. C’est une pièce aveugle, seule ouverture la petite fenêtre par laquelle passe la lumière du projecteur. Blancs les murs. Il vient de faire du café, derniers soupirs de la cafetière crachant sa flotte dans le filtre. Dessous un pot en verre, un huit tasses, presque arrivé à sa limite. Pas surpris de me voir, le type ne s’occupe pas de moi. Il attrape une revue et tire de profondes bouffées de sa gitane. Parfois, il sort de sa poche de veste un briquet qu’il bat pour la rallumer. Enfin, il se lève, attrape deux tasses qu’il remplit à moitié et m’en tend une. De plus, je comprends que l’on doit se connaître depuis longtemps, on n’éprouve pas le besoin de parler. Les minutes s’égrènent. Une gitane après l’autre. Le voyant de la cafetière s’éteint. Curieux, je regarde par l’ouverture, mon regard suit le faisceau de lumière jusqu’au bout de la grande salle en bas. C’est à cet instant que j’aperçois la tache brune qui envahit l’écran. Une odeur entêtante de brûlé, le type se lève et fait un certain nombre de gestes rapidement. Mais, son visage est tranquille. Il fait avancer la bobine un peu plus avant et l’on entend des murmures de soulagement. Tu es toujours aussi en retrait qu’avant. Avant l’accident. C’était pourtant l’occasion. Ainsi, tu n’as pas su en profiter. Par ailleurs, il me lance ça sans même me regarder. Son ton est neutre, je n’y lis aucun reproche, pas d’émotion particulière. Juste le ton d’un simple constat. Comme on dirait, il pleut, il fait un peu plus frais, je vais acheter des cigarettes. J’entends mon silence en guise de répartie. Toujours cette obligation d’imaginer une répartie, fut-elle silencieuse. Je comprends de quel accident il me parle. Alors, je sens bien que quelque chose de ce genre s’est produit. Difficilement identifiable. Il y a juste eu cet accident sur lequel je n’ai jamais pu poser le moindre mot. Des centaines de fois la même scène. Cette cabine de projection et ce projectionniste, ce jeune type mains dans les poches qui paraît être dans un désœuvrement chronique. La même suite de micro événements. Le déchirement que produit sur ma poitrine le râle ultime de la cafetière. Le bouton rouge qui s’éteint. Puis cette attirance pour aller jeter un coup d’œil en contrebas. Cette obscurité qui entoure l’écran et soudain cette tâche qui apparaît et qui envahit tout. Et ces mots prononcés d’un ton neutre. Cette dernière, ce constat. Tu es toujours aussi en retrait qu’avant. Est-ce la même sorte d’émotion qui me traverse à la réception de ce message  ? Au début, je crois me souvenir qu’elle était une forme de révolte. Puis je suis passé à autre chose, une forme de fatalisme. Puis à une indifférence étrange. La force des répétitions probablement, la camisole chimique des habitudes. Dans cet enfermement dans lequel nous résidons, nous les différents personnages de cette petite scène, il me semble qu’une réplique neuve est parfois attendue. Ou peut-être une action particulière qui soudain mettrait un terme à cette répétition. Un rebondissement soudain qui nous libérerait enfin. Qui ferait progresser l’action ? Mais, j’ai beau me creuser la cervelle, rien ne vient d’autre que ce silence. Alors, j’essaie de me concentrer sur tous les détails, de ralentir le temps. De me déplacer dans cette pièce durant cette paralysie du temps. De temps en temps je regarde la tache sur l’écran et je tente d’y découvrir autre chose qu’une tache. Cela peut être un visage, un paysage ou une tache qui ne soit pas toute à fait la même tache tout simplement. J’étudie différents points de vue. Une fois je me suis même retrouvé à la place du projectionniste. je me suis entendu prononcer les mêmes mots à ce jeune type mains dans les poches qui tente d’imiter Bogart. Mais qui de toute évidence devrait plutôt mimer Clint Eastwood. Je vois la tache aussi et je fais à avancer le film pour un meilleur confort utilisateur. Ça ne va jamais bien au-delà. Je veux dire que c’est notre prison. Même la cafetière, le bouton rouge, la cendre de la gitane qui tombe systématiquement au même endroit sur le sol. Un disque rayé. Ce que nous attendons est soigneusement ignoré. Tellement. Attendons-nous quelque chose  ? c’est aussi à se demander. Toujours autant en retrait qu’avant. Avant l’accident. Cela veut dire aussi que l’accident n’a rien changé à l’habitude. Que quel que soit l’événement qui surgit, on ne perd pas une habitude à cause ou grâce à cela. Certains dans d’autres films y parviennent peut-être, ou alors, ils inventent un changement quelconque. Ensuite, ils mettent ça sur le dos d’un événement. Un accident, une rencontre, un coup de pot ou un coup de chien. Enfin, ils ont besoin d’un levier, d’un élément déclencheur pour inventer leur film. Suis-je envieux de ne pas posséder cette inventivité, la question n’est pas ici ou là. Cela n’empêcherait pas la mémoire de tourner à vide jusqu’à ce que la tache revienne. Qu’elle envahisse tout l’écran. Que le projectionniste se lève à nouveau et que tout recommence à jamais.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre