Exorcisme moderne

Saul déboucha la bouteille de coke avec ses dents à la grande joie de Betty qui lui tendit aussitôt le gobelet blanc en plastique. Puis elle étendit sur le carton un napperon de dentelle, quelques pièces de Lego, la coquille vide d’un escargot et l’obligatoire bouquet de fleurs artificielles qu’ils avaient fauché plusieurs jours auparavant sur la tombe d’un chien crevé dans le jardin de madame Tronchu, elle même enterrée dans le cimetière du village.
— Tu es sure que tu veux vraiment le faire ? demanda Saul encore une fois à la petite fille.
— Oui grand-père ! Trop c’est trop il faut que ça cesse.
À huit ans Betty possédait déjà l’essentiel qui ferait d’elle une femme au caractère bien trempé pensa Saul. Elle n’avait pas froid aux yeux, ne croyait plus au Père Noël depuis deux ans, et connaissait une quantité phénoménale de vocabulaire, notamment dans le domaine des gros mots, des invectives et des insultes.
Saul avait raccroché depuis des années, il ne consultait plus qu’en cas d’extrême urgence, et encore la plupart du temps il bottait poliment en touche et envoyait désormais les personnes qui venaient le trouver soit chez une confrère un peu plus jeune, soit à l’hôpital le plus proche, soit il se contentait tout bonnement d’un signe de tête qui indiquait un refus sans autre.
— Raconte moi encore une fois, et surtout avec le plus de détails possibles, c’est très important, demanda Saul à la petite fille
— Et bien ça arrive quand je suis endormie, je me réveille et j’ai cette putain de sensation bizarre d’être complètement paralysée, et là je dois faire des efforts incroyables pour ouvrir les yeux et je la vois. Elle se tient assise sur ma poitrine et elle pèse super lourd. Sa robe bleue pue la naphtaline et le moisi. Son auréole dorée brille comme un néon de troquet glauque. De plus son haleine a une odeur dégueulasse comme si elle s’était enfilée toute une boîte de cachous Lajaunie. Puis elle commence à me siphonner, sitôt que j’ai peur et que je me souviens d’être paralysée elle en profite. Au début j’ai cru que c’était la Vierge Marie, évidemment, mais vu son comportement j’ai tout de suite eut du mal à avalé ce bobard.
— Bien sur Betty tu as raison, rien à voir avec la Vierge je connais bien ce genre d’histoire. Beaucoup se sont déjà fait avoir que j’ai du remettre sur les rails. Je suis fier de toi vraiment, quelle sagacité pour ton âge ! Puis il ouvrit un paquet de cookies au chocolat, versa le coke dans les gobelets.
—Il faut que toi et moi ingérions ces saletés pour démarrer le rituel dit-il.
Ils le firent en silence. Puis une fois l’affaire achevée Saul leva une main et elle se transforma en oiseau qui virevolta devant le regard de la petite fille. Puis il entonna sa chanson fétiche, un vieux tube des années 70, mister tambourine man de Bob Dylan.
Betty dodelina un instant de la tête puis ce fut bon, elle était en état de transe comme Saul. Ils allaient pouvoir cheminer tous les deux ensemble dans le monde invisible.
— Rappelle toi surtout que c’est toi qui doit la repousser, moi je ne peux rien faire d’autre que t’accompagner ajouta t’il à la fillette.
Quelques minutes plus tard la fausse sainte Vierge surgit dans la pièce. Betty respirait difficilement et Saul l’aida de son mieux en élevant peu à peu la voix tandis qu’il chantait
Hey, Mr. Tambourine Man, play a song for me
I’m not sleepy and there is no place I’m going to
Hey, Mr. Tambourine Man, play a song for me
In the jingle jangle morning I’ll come following you
Betty mobilisa toute sa force pour repousser la fausse sainte vierge. Une fois découverte cette dernière émit un cri affreux, c’était un vrai déluge d’ultra sons qui durant un tout petit instant déstabilisa la petite fille.
Mais la chanson de Dylan l’aida à retrouver son chemin dans la confusion. Et pour se donner du cœur au ventre elle se mis à fredonner aussi tout en donnant de toutes ses forces des coups de pied imaginaires car elle était paralysée comme d’habitude.
Puis il y eut cette chose étrange, le décor changea , elle se retrouva seule devant l’entrée d’une grotte et Betty ne portait plus le même prénom, elle savait qu’elle se prénommait désormais Bernadette.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux c’était le crépuscule d’un soir d’été, et il y avait près d’elle un seau vide , il devait être tard et elle se souvînt qu’elle avait rendez vous avec ce jeune type- Paul ou Saul, elle ne savait plus vraiment- qui lui avait fait du gringue à la foire de Lourdes. Son cœur se remit à battre la chamade, elle se releva comme libérée d’un poids puis elle s’élança légère vers la rivière où ils devaient se retrouver.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}