déplacé

Vieux cimetière juif de Prague.

Tenir des propos déplacés. Avoir un comportement déplacé. Par exemple un texte comme celui-ci, justifie t’il sa place ici sur ce blog un vendredi matin. Un vendredi de novembre qui plus est. Savoir quand les choses, les êtres sont déplacés nécessiterait de connaître à l’avance leur place, de préférence la bonne, et moi qui ne la connaît pas, qui fait seul mon ménage. Oh bien sur il y a l’école, c’est ici au tout début que l’on choisit une place. Premiers rangs ou bien au fond. Plutôt entre les deux si exact est le souvenir. C’est à dire ni bon élève ni cancre tout à fait. Ce qui ne m’a pas empêché de sauter une classe mais c’était dû à un instituteur qui avait su remarquer à quel point je m’ennuyais déjà à la place que j’avais choisie plus par défaut qu’autre raison. Et puis déplacé cela peut-être une sorte d’héritage. Les propos de mon père sur ma mère, les femmes en général, pas d’autre mot que celui-là qui vient. La configuration mentale de mère composée pour une grande part de mysticisme et pour le reste de honte et de culpabilité. N’était-elle pas déplacée elle aussi en raison d’un passif de gamine huée par ses camarades dans les années 1945 a bien 1955. Autrefois les arabes étaient les russes. On mettait tout dans le même sac, Estonie comprise. Comment une sensation de déplacé se transmet ainsi de mère en fils d’un côté et par l’ouïe et la manière d’apprehender le verbe de l’autre une question qui devient avec le temps un mystère de Polichinelle. Je visionne des entretiens de poètes français sur YouTube, des entretiens avec des écrivains. Antoine Emaz d’une part et Pierre Bergougnoux de l’autre récemment. Le credo — mais peut-être n’ai-je les yeux rivés uniquement sur ce que je cherche à voir— le credo saute à la gorge soudain. Ne pas tenir de propos déplacés, éviter d’évoquer la contingence. Mais sont-ils les instigateurs d’une telle posture. Je ne crois pas. C’est sans doute de l’ordre d’une certaine vision de la littérature de la poésie ressassée, ruminée par un Esprit Français qui remonte à bien loin. En tous cas après Rabelais. Qu’on se prive d’évoquer l’intime sous un certain angle notamment trivial et que toujours on veuille le tenir pour déplacé. Qu’on en face par une politesse encore une fiction D’ailleurs si je tente de me souvenir par où m’est venu ce travers de l’évoquer, ce déplacé, c’est certainement par la lecture d’ouvrages étrangers. Ceux d’outre-Atlantique, ou d’outre-Manche. Le puritanisme Anglo-Saxon aura fait bien plus que la liberté de penser franchouillarde pour faire naître en moi une idée de la littérature souvent associée à une autre de liberté. Une idée sans doute très personnelle mais qui m’aide à trouver cette fameuse place. Ou du moins qui m’aide souvent à comprendre quelle place je refuse. Mais ce que je nomme littérature n’est certes pas la meme chose que ce qu’en disent les maisons d’éditions, les parisiennes surtout. La littérature telle que la conçois avant d’être un jeu d’esprit, un délicieux passe temps pour gens ennuyés de vivre, est avant tout un mode d’emploi pour apprendre à tenir debout. Ce fut là mon plus bel écart, mon hiatus, mon déplacement. Sans doute aussi la volonté de visiter les camps de concentration intérieurs. Car je me souviens très bien de cette effroyable découverte alors que j’avais à peine atteint l’âge de 11 ans. Ce film sur les affres du père Kolb que les sbires polonais en soutane nous assénaient chaque fin d’année aux alentours de Noël. Ainsi donc des hommes avaient été capable d’infliger un tel dédain un tel mépris une telle cruauté à d’autres hommes. Et ensuite il fallait user d’un langage châtié, rester poli en toute circonstance, notamment celle d’écrire, surtout celle d’écrire. Mais de quoi donc parlerait alors ce qu’on nomme littérature si ce n’est pas de l’horreur fondamentale qu’inspire l’être humain quelqu’il soit. Car impossible de rester naïf ou dupe à cet âge tendre. Ce qu’avaient commis les nazis nous étions tous sans la plus petite exception capable de le commettre. Une évidence malgré tous les mots d’ordre pour inciter au pardon, à l’atténuation, à l’oubli. Déplacé donc un peu plus et à jamais après avoir visionné ce film durant trois ans de suite. Après avoir vu aussi que la plupart des curés qui nous éduquaient et qui étaient des survivants de ces camps, possédaient une connaissance de l’âme humaine toute entière orientée vers sa capacité au vice. Le moindre écart à la règle quasi monacale de Saint-Stanislas était immédiatement relevé quoiqu’on puisse s’imaginer vouloir garder secret. Et chose étonnante encore, j’avais pu repérer l’arbitraire avec lequel la punition était décidée. Parfois une chose jugée grave à mes yeux, était moins sanctionnée qu’une peccadille. Ces salauds tenaient compte de l’aléatoire, du hasard, jouaient aux dés pour punir. Ils savaient la vie profondément injuste de toutes façons. Et cela les intéressait peu de superposer sur cette injustice fondamentale une hiérarchie quelconque basée sur la morale, les bonnes manières, la bonne place. Les sanctions étaient donc tout autant déplacées que mon sentiment de vivre pouvait l’être déjà à l’époque. Et sans doute que l’enseignement de cette injustice fut la plus grande leçon de ma vie. Cependant je ne pus l’analyser à cette époque. Ce dont je me souviens en revanche c’est de ce contraste inouï quittant Saint-Stanislas et Osny près de Pontoise pour atterrir au lycée de l’Isle-Adam. Je passais de la jungle la plus féroce à la foire foraine de Pinocchio. Ce qui, je crois, aura mobilisé la plus grande part de ma concentration de mon attention, fut la quantité mirifique de maquillage derrière laquelle la plupart de mes camarades, mes professeurs dissimulaient leur furie ontologique. 1974 et le premier choc pétrolier, mon père perd son boulot et tourne comme un ectoplasme dans son purgatoire, notre maison de Parmain. Le contraste aussi entre ce paternel perpétuellement à vif et la candeur molle , masque du lycée. Détonnant. Pour une grande part de cette population privilégiée, si vous connaissiez un tant soit peu l’Isle-Adam, le choc pétrolier ne fut guère plus qu’un agacement d’insecte. Peu de souvenirs de camaraderie à cette époque. Les enfants de bourgeois et de notables n’avaient comme principale préoccupation que la sortie du dernier King Crimson, du dernier Status quo de s’encanailler comme il se doit en fumant de l’herbe. Ce qui m’a fait rejeter d’emblée ce genre de musique. Mes goûts musicaux, déplacés comme tout le reste. Je crois que je ressentais comme un buvard la souffrance de mon père comme de ma mère quoique différente pour chacun. La souffrance de l’un d’être mal né, fils de marchands de poulets alors qu’il eut espéré une royauté à défaut d’un empire. La souffrance de l’autre liée à la nostalgie d’un pays, d’un ailleurs qu’elle vivait dans sa chair encore que ce ne fut que par procuration. Retrouver par l’écriture ces anciennes souffrances, ces vieilles colères est-ce que cela sert à quelque chose, je ne sais pas. Je suis là face à ma page de traitement de texte comme si je me tenais attaché à un mat à nouveau. Pour regarder les sirènes probablement, les sirènes du passé qui se sont jetées au fond des mers depuis belle lurette. Face à moi il ne reste que le relief d’une cote autrefois habitée, peuplée qui désormais est revenue à son état sauvage. Déplacé ce récit aujourd’hui, comment le savoir. Et est-ce le bon moment vraiment pour s’y intéresser. La bonne place raisonne avec des mots comme dénouement, avec mort aussi. Comme si la mort avait vertu soudain de tout expliquer, que sa raison d’être finalité se confonde avec toutes les finalités imaginées, briguées , espérées ou fuies. Que la mort soit le lieu enfin par excellence celui de la bonne place. Ce lieu où jamais plus on ne sentira déplacé.

Pour continuer

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre