De profundis
Photo de Nicolas Postiglioni sur Pexels.com
—Lorsqu’on chute il n’y a rien de pire que de vouloir s’accrocher à quoique ce soit pour ne pas chuter. Je vous parle d’expérience, vous ne trouverez guère d’information dans les livres à ce sujet. Sauf peut-être dans la Bible, car tout absolument tout est dans celle-ci pour ceux qui ont des yeux pour voir évidemment.
Il était accoudé au zinc et nous avions engagé la conversation comme c’est l’ordinaire dans ce genre d’endroit entre naufragés lorsque toutefois ils sont bien conscients de leur état de naufragés.
C’est à dire que nous allions droit à l’essentiel, sans ambages. Et sa façon de boire m’en avait déjà appris sur lui plus que tous les longs discours que nous aurions pu échanger. C’est l’avantage que produit au fur et à mesure des mois, des années, la fréquentation des bars de tout acabit et de la population interlope qu’on y croise.
Il était enseignant à la Sorbonne, et son domaine était les humanités, enfin c’est ce qui m’en est resté. Chaque semaine nous nous retrouvions dans ce café dont le nom désormais m’échappe. J’ai tenté de retrouver son nom sur internet, mais cela fait désormais tellement de temps que tout a changé. Et puis ma mémoire aussi n’est sans doute plus digne de toute la confiance que je voudrais. Disons donc " ce bar à l’angle de deux rues dans le quartier Saint-Germain", et où j’avais coutume d’échouer après avoir écumé tous les autres.
Nous étions lui et moi sur la même longueur d’onde et sans avoir commis le moindre effort pour y parvenir. Une basse fréquence du monde dans laquelle nous voyions tout en noir non sans plaisir et soulagement - oserais je dire avec délectation ?
— Je ne croyais pas au diable quand j’avais votre âge, vous êtes donc en avance sur moi si je puis dire car vous, vous savez qu’il est présent. Si j’avais eu votre audace...
— Mais de quelle audace parlez-vous donc demandai-je. Est-ce audacieux tant que ça de croire au diable ? ou est ce que ce n’est pas plutôt de la stupidité ? en ce qui me concerne j’ai encore quelques doutes qui subsistent.
Sauf qu’à la vérité je mentais, j’avais de moins en moins de doutes déjà à cette époque de ma vie. Mais ce type était en train de se réveiller et je ne voulais rien brusquer.
— Des années à étudier la philosophie, la logique, et tout un tas de choses très sérieuses pour en arriver là, à ce qu’hier encore j’appelais l’obscurantisme ... et voici qu’un jeune homme de vingt ans à peine en est arrivé aux mêmes conclusions que moi sans être passé par ce parcours aussi ennuyeux qu’inutile...
— L’important c’est le résultat dis-je pour tenter de le calmer car visiblement il avait l’air désespéré. Il fallait boire de toute urgence, seul remède que je connaissais à l’époque pour soigner un grand nombre de maux et donc je fis signe au serveur pour qu’il nous recharge en munitions. Des Carlsberg bien fraiches dans mon souvenir.
— Connaissez vous le numéro 130 des psaumes pénitentiels jeune homme ? celui qui commence par "De profundis" ... ?
— Je connais la chanson paillarde dans laquelle on ajoute morpionibus dis je pour essayer de l’entrainer vers la légèreté car je voyais que l’état d’accablement de mon interlocuteur s’aggravait de plus en plus malgré le verre rempli d’un joli liquide ambré que le serveur venait de déposer devant lui. Et donc voyant sa tête de cocker, in extrémiste j’évoquais aussi Bach et Messiaen ( mais ce dernier surtout pour faire le malin car discuter avec un universitaire demande un peu d’habileté pour ne pas perdre le fil )
Nous parlâmes ainsi de la valeur du temps pour apprendre des évidences, et puis soudain nous abordâmes le sujet des femmes, cela finit souvent ainsi ai-je observé.
Le professeur avait été amoureux d’une jeune femme qui je le compris à mi mot était une de ses étudiantes. Quand il l’évoqua son regard changea du tout au tout, et je vis cette flamme s’allumer que je connaissais par cœur, la flamme du désir qui vacille toujours derrière la confusion embuée des regrets et des pseudo sentiments.
— Vous ne pouvez savoir ce que c’est que de redevenir un jeune homme puisque vous l’êtes déjà me dit-il.
— Donc ce que vous regrettez ce n’est pas cette jeune fille mais votre jeunesse retrouvée et perdue à nouveau dis-je en lui souriant effrontément, œil pour œil, dent pour dent !
— Tous les prétextes sont bons pour s’engager dans la chute dit-il alors, comme s’il ne se parlait plus qu’à lui-même.
Et je dois vous remercier jeune homme car vous m’ouvrez encore un peu plus en grand les yeux décidemment. Du fond de l’abime il ne reste plus d’autre solution que de regarder bien en face une réalité qui d’ordinaire nous échappe. Il ne sert à rien d’atermoyer dans ce processus, de se trouver des raisons, des excuses ou je ne sais quoi d’autre encore. L’ivresse de la chute voilà vers quoi il faut se rendre de toute urgence !
Et il recommanda une nouvelle tournée à ma plus grande joie car je n’avais plus un kopeck et j’avais encore grand soif.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}