L’écriture se nourrit de l’écriture.

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J’ai retrouvé un vieux carnet. Sa couverture est différente de tous les autres carnets que j’avais l’habitude d’utiliser ,celui-ci est revêtu une couverture noire. Un couverture légèrement plastifiée de couleur noire, avec des motifs bizarres incrustés. Des sortes de vagues. Je crois que c’est cette singularité d’apparence qui lui a permis d’échapper à l’autodafé de 2001. Tous les carnets à couverture verte sont partis en fumée, un dimanche, en Suisse. Sauf celui-là.

Parce qu’écrire m’enfermait m’avait t’on dit alors, ou peut-être me l’étais je dit tout seul. A moins qu’encore une fois j’ai mal interprété une parole, une pensée, un non-dit, cela arrive aussi, plus souvent qu’on le pense. Bref j’ai pensé qu’il fallait choisir entre vivre et écrire pour l’amour d’une femme.

Je ne trouve toujours pas ça bête. J’ai au moins essayé. Et tant pis si ça n’a pas marché. L’expérience valait la peine. Brûler des années de labeur ne peut pas être complètement une sottise. C’est aussi se préparer à une autre étape. Sauf qu’on ignore encore tout de cette étape, il arrive même que l’on imagine des choses qui s’avèrent ensuite totalement différentes de ce que l’on a pu imaginer. C’est très humain.

Donc ce carnet...

Maintenant que je l’ai retrouvé, je retrouve aussi mes toutes premières difficultés à écrire. Ce devait être le tout premier carnet que j’avais acheté, je l’avais trouvé dans une urgence, je n’avais pas réfléchi à la couverture. J’étais entré chez le marchand de journaux dans le quartier de la Gare de l’Est où je travaillais comme receveur dans une petite imprimerie et j’avais dégoté celui-là, sans réfléchir ni à la couleur ni à la reliure. Par une pulsion voilà comment c’est arrivé dans ma poche à l’époque.

Je perdais tellement mon temps, je m’entrainais farouchement à le perdre en ne rien voulant faire de mon esprit que parfois j’avais des montées de panique ou de culpabilité.

ça résistait.

Et, bien que je ne possède pas d’ambition, il m’est venu cette lubie ( les autres parlaient de lubie ça me revient). La lubie d’écrire.

Mais je ne voulais rien écrire de scolaire. Car quand on commence on pense tout de suite à écrire des rédactions, faire un plan, trouver des idées, toutes ces choses là que l’on apprend si péniblement parfois à l’école. Des mauvais souvenirs pour moi.

Alors écrire en partant de ça, ce n’était pas bien possible.

Donc le premier jour j’ai écrit la date sur la première page. Le 17 avril 1985. C’était un mercredi, le jour de Mercure, le 107 ème jour de cette année là, ce qui donne 8 en numérologie. Aujourd’hui j’aurais plein de chose à dire sur cette date et sous cette date si c’était à recommencer. Donc le 8, autant dire un infini qui se redresse, qui se tient droit comme un I. Il me fallait certainement ce toupet là. Redresser l’infini sinon rien.

Et je parle de ne pas avoir d’ambition, et bien mon colon...

Donc j’écris la date. Et puis ce jour là ce fut tout. Un grand espace blanc se tient au dessous.

Mais tout de même un espace rempli de quelque chose. Et je ne sais pas comment qualifier nettement ce quelque chose. Je ne sais pas si c’est une impuissance soudaine qui me saute aux yeux. Je ne sais pas si c’est un espoir que j’ aperçois et que je ne veux pas perdre trop rapidement. Que je désire conserver vierge de toute rature, de toute bêtise dont je suis tout à fait capable.

Je regarde cette page avec cette date et rien d’autre.

Après tout déjà mettre la date, c’est placer un signe, une marque, une pierre blanche. On croit que ça ne demande pas d’effort mais c’est probablement faux. C’est le début de quelque chose, d’un engagement. Et sans doute que ce vide sous la date indique justement à quel point la mesure de cet engagement est soudain envisagée.

S’il faut trouver une raison à tout, et particulièrement à ce dont on ne cherche pas de raison quand on le fait.

C’est là que l’écriture rejoint pour moi la peinture.

Agir avant, réfléchir ensuite.

Parce qu’il y a la force cinétique. Même si à cette époque je n’avais qu’une très vague idée de ce que pouvait être la force cinétique.

Le fait d’impulser un mouvement ce n’est pas rien.

Mettre juste une date sur un carnet ce n’est pas rien. C’est impulser quelque chose, une intention, un mouvement et personne ne sait, ne peut savoir quand ce mouvement s’arrêtera.

La page blanche sous la date c’est aussi l’infini des possibles et bien sur la première confrontation avec l’embarras du choix. Ce n’est pas rien de voir tout ça, comme de ne pas le voir aussi. Sinon sans doute qu’on ne ferait pas grand chose. Peut-être même qu’on ne ferait rien.

Le détachement, ce mot me revient en revoyant cette date et la page laissée vide. Quelle souffrance à l’époque d’avoir un avenir à remplir sans savoir quoi faire vraiment de ses dix doigts. Et la honte aussi qui m’était tombée dessus par bouffées quand je regardais la vie autour. Toutes ces personnes assises dans la rame, lorsque au petit matin je grimpais dans le RER. Quel courage avait le monde et je me disais que je n’en avais pas. Sauf de me lever au moins pour me rendre à ce travail.

Je ne faisais que des travaux d’ouvrier pour éprouver je ne sais quelle idée de dureté de la vie. J’ai toujours entendu ça. Que la vie était dure. Je voulais en avoir le cœur net. Et toutes les qualités dont j’étais doté, les études que j’avais faites et qui allaient m’emmener vers un destin logiquement tracé, j’avais eu un doute, puis j’y avais renoncé. Je ne voulais pas être un bœuf qu’on conduit à l’abattoir. je m’accrochais à cette idée que j’étais un âne.

Bander comme un âne surtout dans mon souvenir. Incarner une certaine bêtise, proche de la sauvagerie naturelle. Une masculinité qui devait m’attirer comme un aimant.

Alors que cette page blanche justement était d’une féminité évidente. Une ouverture en tous les cas, quelque chose en attente et en même temps une offrande. Et je ne l’ai pas vue à cette époque.

L’écriture se débloque sans doute quand on ne trace plus la frontière entre les genres, quand on lâche prise vis à vis de ce cloisonnement. Peut-être qu’une grande partie de ces carnets verts que j’ai brûlés n’était rien d’autre qu’une tentative de rapprochement vers le féminin. Un féminin personnel dont j’ignorais tout et dont la présence m’envahissait d’autant plus que je voulais l’ignorer.

Cette date et rien au dessous c’est surement un première prise de conscience qu’il y a quelque chose qui m’échappe et que j’associe à un détachement à effectuer justement par l’écrit.

Encore que le ridicule n’est pas loin de vouloir se détacher à 25 ans. Se détacher de quoi ? a t’on vécu vraiment suffisamment pour vouloir se détacher comme ça ? Et tout ce parcours autour de mon nombril dans mon souvenir ne parle que de ça. Du fait qu’avant tout il s’agit de vivre pour pouvoir écrire des choses qui ne sont pas des inepties.

Je mettais des sous de côté, j’avais un projet de voyage, ça m’aidait à tenir d’avoir un projet. Dans quelques mois j’aurais suffisamment pour prendre le bus pour Istamboul, puis de là je rejoindrai Téhéran et ensuite le Pakistan, puis l’Afghanistan. Et à la fin j’explorerais l’Inde, je me rendrai à Goa pour me la couler douce. C’était ça en gros le projet. Et faire des photographies en noir et blanc, des photographies artistiques.

Et tous les matins quand je posais mon cul sur la moleskine du RER je pensais à ce projet et çà m’aidait à tenir. Je me disais que j’allais faire des choses de ce genre, des provisions de souvenirs extraordinaires pour plus tard, pour ne pas m’ennuyer de trop quand je serais vieux. Je n’étais jamais dans autre chose que dans une peur de l’avenir à cette époque et c’est ça, cette trouille qui faisait faire tout et n’importe quoi.

Il fallait que je trouve cette féminité en moi, pour m’apaiser. C’est pour ça que j’ai acheté ce carnet à couverture noire, ce n’était pas si bête que j’ai pu toujours plus ou moins le penser. L’écriture se nourrit de l’écriture, comme la féminité se nourrit de la féminité que l’on accepte peu à peu.

Et ce n’est pas une affaire de genre, ni d’état civil. Cette difficulté ne touche pas que les hommes, certainement beaucoup de femmes aussi.

Parce que les définitions les plus intéressantes ne se trouvent que très rarement dans les dictionnaires.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre