Essai sur la fatigue
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Carnets | août 2024
26 août 2024
Il faut compter une heure et trente minutes depuis chez nous pour arriver à Mars, en Ardèche, par la route. S. nous a réservé des places rien que pour nous deux, M. et moi. L. étant à Lyon avec sa marraine. Je remarque clairement la satisfaction de M. qui, pour la toute première fois, est autorisé à s’asseoir à l’avant de la Dacia. Je ne me souviens pas de ce grand événement me concernant, comme je perds la mémoire, c’est fou. Mais la solution existe : il faut que j’arrive à trouver de l’essence de romarin. Un sniff le matin, un sniff le soir et hop — paraît-il — la mémoire revient comme par miracle. Une histoire de neurotransmission. Épatant, si ça marche — encore que si je me pose la question vraiment, je ne suis pas certain de vouloir recouvrer la mémoire. En tout cas, j’imagine qu’on ne peut pas choisir ce dont on veut se souvenir ou pas. Tout reviendrait en bloc, ça me flanquerait au sol pendant je ne sais combien de jours. Bref. Finalement, pas une si bonne idée cette affaire de romarin. Gardons ça seulement comme condiment pour la cuisine. La soirée fait partie du programme établi depuis je ne sais combien de semaines. Bref, nous sommes partis bien en avance et arrivés de même, ce qui fait qu’il nous reste une bonne heure pour aller marcher autour de l’observatoire. Cependant, le ciel se charge de nuages, c’est râpé pour l’observation des étoiles. Il y a une salle communale juxtant le bâtiment surmonté d’une coupole. Un anniversaire, beaucoup de monde, des enfants en pagaille. M. n’hésite pas longtemps pour se faire des copains. Je le regarde courir, s’amuser, se rouler par terre, rire à gorge déployée, s’égosiller, et je m’assois un peu à l’écart pour reprendre la lecture de Portrait d’un inconnu de Sarraute. Cette fois, comme cela m’arrive presque toujours quand c’est allé un peu trop loin, j’ai eu l’impression d’avoir « touché le fond » — c’est une expression dont je me sers assez souvent, j’en ai ainsi un certain nombre, des points de repère comme en ont probablement tous ceux qui errent comme moi, craintifs, dans la pénombre de ce qu’on nomme poétiquement « le paysage intérieur ». « J’ai touché le fond », cela m’apaise toujours un peu sur le moment, me force à me redresser, il me semble toujours, quand je me suis dit cela, que maintenant je repousse des deux pieds ce fond avec ce qui me reste de forces et remonte… Cela me rappelle comment j’utilise encore beaucoup l’expression « dans le fond » à la moindre occasion. Et aussi comment, prenant conscience de ces clichés, de ces lieux communs très tôt, je m’en étais méfié, puis les avais ensuite collectionnés, en filigrane toujours cette interrogation sur le langage familier, que l’on considère comme familier. Lieu commun comme transport en commun, ce qui n’empêche pas la solitude, la tête appuyée contre la vitre à voir défiler le paysage. Écrire au présent, je m’y efforce, cependant parfois le passé ressurgit sans que j’y prenne garde. Dès que je veux raconter une histoire, l’imparfait, le passé, de façon scolaire, ressurgissent. Cette soirée n’est agréable au bout du compte que parce que nous sommes tous les deux, l’enfant et le vieux. Les explications techniques sur le télescope n’ont pas du tout fasciné M. Il s’assoit par terre et, bien sûr, de temps à autre, jette un coup d’œil à son portable. Bien qu’il vienne d’avoir 11 ans, pas grand-chose ne l’intéresse hormis ses jeux vidéo. La couche nuageuse persistant, l’astronome nous invite à contempler le ciel sur un écran de télévision. Une femme est venue avec sa petite fille et se plaint : « Mais si, regardez, quand on a ouvert les panneaux de la coupole, on voit deux ou trois étoiles… Avec tous les virages qu’on s’est tapé, ce serait dommage de ne pas braquer l’engin dessus. » Le type s’excuse platement pour le contretemps, ajoutant que l’astronomie est dépendante du climat, que ce n’est pas de sa faute. Il explique qu’en parallèle, il lui faudrait trois quarts d’heure pour mettre en route son biniou, avec le risque que les nuages cachent à nouveau… On passe au plan B. En même temps, cela nous permet de nous asseoir, car nous avons subi les explications techniques durant un peu plus d’une heure debout. Au retour, la pluie nous accompagne, il y a beaucoup de virages, le GPS bugue, et nous arrivons à 1h30 du matin. S. nous attendait, elle était inquiète malgré le SMS que j’avais envoyé en quittant l’observatoire. Ce matin, je regarde mon carnet, j’ai pris la précaution d’écrire le nom du logiciel dont se sert l’astronome pour regarder les étoiles. Il y a une version de « Stellarium » pour Linux. Surprise d’entendre le mot paréidolie prononcé. En effet, ces constellations prenant la forme d’une ourse, d’un dragon, d’un bélier doivent tout à cette capacité de notre cerveau à vouloir toujours voir quelque chose, que ce soit sur un vieux mur, dans les nuages, ou dans les étoiles. Nouvel itinéraire de promenade, à partir des canoés, le premier parking après le pont. On peut longer la rivière pendant presque une demie-heure puis emprunter une passerelle pour revenir par l’autre rive. Nous testons avec les enfants dimanche en fin d’après-midi. Trouvé des buissons de romarin, en avons coeuilli quelques brins que l’on plantera dans des pots.|couper{180}
Carnets | août 2024
25 août 2024
L’idée que toute violence puisse être nommée, qualifiée comme une maladie ou un mal-être, cette volonté de précision dans les termes, de distinction, avec une échelle d’intensité ou de notation — en un mot, cet effort perpétuel de classement en bien ou en mal — quelle fatigue. Le classement n’a jamais rien résolu de la violence, qu’elle soit spécifique ou générale. De même, les hiérarchies sont fabriquées pour et par le pouvoir. Quand le pouvoir change, la hiérarchie change aussi, mais la violence demeure. Nous pensons être toujours les mêmes à l’intérieur de ce corps, ce vaisseau, et nous disons « mon corps, ma tête, mes pieds, mes yeux », même si nous ne le formulons pas toujours à voix haute. Nous le pensons, nous le croyons, nous l’espérons. Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas tout à fait exact. Hier, dans le rétroviseur, le regard de L. n’était pas son regard habituel. C’est comme si, fortuitement, j’avais surpris en elle une présence hostile qui transforma ses ricanements en quelque chose d’insupportable. À ce moment-là, j’avais envie de me garer sur le bas-côté, de sortir du véhicule, de prendre une grande respiration et de dire : « Sors de là, va-t’en, fiche-nous la paix », ou quelque chose dans ce genre. Et, tandis que le véhicule continuait évidemment tout droit sur la nationale 7, je voyais clairement cette seconde scène dans le rétroviseur, au-delà du regard maléfique de L., puis de la vitre arrière, comme un effet de dissociation du réel ou de la fiction. Ce déploiement de plusieurs possibles au même moment n’est pas exceptionnel, mais il l’est de l’écrire. C’est surtout cela qui importe : le fait que cela s’écrive au moment où je m’y attends le moins. C’est un effet de cette lassitude, de cette persistance, cette continuité de vouloir encore maintenir en soi cet aspect rationnel, normal. À cet instant, quelque chose s’insinue en moi, dans ce corps, et me fait voir d’autres versions de cette prétendue réalité. Me voici spectateur impuissant, horrifié par toutes les sensations, les sentiments, et toutes les possibilités d’effectuer des actes effroyables. Comme si cette part maléfique profitait de la fatigue d’une autre (bénéfique ?) pour prendre le pouvoir sur les pensées, sur le corps, sans toutefois aller jusqu’à passer à l’acte. Encore que cela soit mal exprimé, mal dit, pas assez creusé — car pas suffisamment clair. Trop binaire. Plus audacieux, plus foutraque, serait de dire que plusieurs personnages, chacun avec toute une galaxie de nuances, tentent à cet instant de prendre la parole, la pensée, le pouvoir — un chaos, une confusion s’installe, et ce que je nomme la raison profite de cette confusion pour neutraliser l’ensemble. Ce que je nomme la raison, il lui suffit de reculer, d’effectuer quelques pas en arrière par rapport à cette scène, de la voir dans son ensemble, de s’en détacher, de ne pas rester lié à elle, d’estimer que cette scène appartient à l’imagination seulement et ainsi de la renvoyer à celle-ci. Puis tout ce raisonnement s’écroule quand je tombe sur ce paradoxe : il y a toujours ce foutu « je », celui du narrateur. À ce moment-là, l’énergie vitale s’échappe, quelque chose se dégongle, un ballon de baudruche virevolte pour aller heurter le plafond du bureau et retombe, enveloppe fripée, sur le sol. Il faut alors de toute urgence recourir à une position horizontale, fermer les yeux, se concentrer sur le fait de respirer, tout oublier, s’évanouir, disparaître, s’anéantir. Il s’agit d’un paroxysme de la fatigue, et rien d’autre n’est possible que d’y céder. Exactement comme lorsque l’enfant est battu comme plâtre par le père, exactement comme quand la bête du Gévaudan s’amène sur des patins à roulettes pour dévorer chaque nuit le potentiel de fragilité, de naïveté qu’il cherche encore à retenir. Au bout de cet épuisement, l’idée d’une libération. En relisant ce passage, je réalise une maladresse : le manque de clarté concernant la manière dont la fatigue affaiblit peu à peu les barrières mentales ou émotionnelles, permettant ainsi à cette violence intérieure de prendre forme. C’est le premier point que je relève, me sentant fautif d’avoir laissé trop d’implicite dans cette description. Et aussitôt, je suis envahi par la conscience du travail colossal qu’il reste à accomplir pour rendre ce texte plus clair, plus compréhensible. À cet instant précis, je ressens une sorte de lassitude intense. Mais ce n’est pas tant l’effort à produire qui m’effraie ou m’épuise, c’est le doute qui surgit simultanément, ce doute profond sur l’utilité réelle de cet effort. Cette question lancinante : pourquoi s’efforcer de clarifier, d’améliorer, alors que le résultat final reste toujours incertain ? C’est un doute qui érode peu à peu la volonté, amplifié par la fatigue accumulée, et qui transforme chaque tentative d’avancer en un acte de résistance contre cette tendance naturelle à céder. Concernant le « je » du narrateur, il semble maintenir une unité de ton à travers tous les textes déjà écrits dans cet essai. Cependant, c’est le thème même de la fatigue qui produit ce « je ». Et plus la lassitude met en question la stabilité du narrateur, plus elle cherche à la désintégrer dans ce qu’elle contient de temporaire et d’anecdotique, et plus elle renforce paradoxalement sa présence et une certaine cohérence à travers tous les textes. Il est intéressant de constater que cette fatigue agit sur la construction narrative et identitaire de cet essai. Persiste cependant le manque à relire le tout premier paragraphe. Mais est-ce vraiment relire que de se replacer dans ce qui l’a fait naître, dans ce lieu où les mots sortent en désordre pour tenter d’accompagner non pas encore une pensée, mais des bribes de sensations ? Ce thème de la violence, ce qui crée la fatigue immédiate à l’évoquer, c’est bien plus tout le passé qui s’y associe, tout cet implicite qui devient une masse informe, l’incarnation même de l’épuisement d’avoir si souvent croisé cette violence sous d’autres noms. Je cherche le livre de Jean-Louis Chrétien, De la fatigue, sans le retrouver. L’idée alors d’aller fouiller dans la mythologie à la recherche d’une incarnation divine de la fatigue, mais aucun dieu n’incarne jamais celle-ci, car elle est réservée aux hommes. Aux dieux l’infatigable, à l’humanité la lassitude. Puis une intuition me pousse à chercher aussi chez les présocratiques ces passages concernant la nuit, la nuit primordiale, présente avant toute chose et dans laquelle toute chose revient. Mais là encore, ne trouve rien. Je m’aperçois alors du grand désordre dans lequel j’ai laissé ma bibliothèque. Je m’assois face à elle, tentant d’estimer le temps qu’il faudrait pour en faire l’inventaire, la ranger. Une torpeur m’envahit aussitôt, m’accable. Pénétrer dans la parole, cette parole qui existe bien avant nous, voilà aussi une source de fatigue obligée. Traverser le tacite, l’implicite que cette parole contient, qui n’appartient à personne mais à tous. C’est cette présence de la parole qui attire et repousse tout à la fois, on ne peut que venir vers elle, s’en approcher, on ne peut désirer se l’accaparer qu’elle nous tient déjà avant même que ce désir soit conscient. Soudain, chercher la fatigue dans la peinture classique et ne rien trouver d’autre que le sommeil. A notre époque non plus, peu d’oeuvres traite de ce thème, alors que la fatigue est sans doute ce qui caractérisera le plus notre temps. Pour illustrer ce billet choisi une peinture de Ramón Casas|couper{180}
Carnets | août 2024
24 août 2024
Lecture cette nuit – ou plutôt survol, car même mon mode de lecture change – du premier volume de la biographie de Kafka, Le Temps des décisions de Reiner Stach aux éditions du Cherche Midi. Sur quoi se base-t-on pour dire qu’une vie est bien vécue, remplie, ou au contraire ratée ? Dans l’introduction, Reiner Stach réduit la vie de Kafka à des chiffres : 40 ans et 11 mois, 45 jours à l’étranger, 3 fois la mer, 3 fiançailles, 6 mois vécus avec une femme, et 350 pages d’écrits jugées dignes d’intérêt, contre 3400 pages de journaux et autres fragments littéraires, dont 3 romans inachevés. « Comment ça va ? » – toi à 64 ans, et que penses-tu de ta vie ? Le bilan ne te paraît-il pas encore plus accablant ? Tu n’as pas l’excuse de n’avoir pas eu assez de temps. Voici le sous-texte de ce survol, en gros. Et je serais bien en peine de réduire ma vie à des chiffres, même si m’y risquais. Le fait d’avoir déjà écrit bien plus que 3400 pages me procure déjà des sueurs froides, car je doute d’être capable d’en trier le bon grain de l’ivraie. L’échec serait donc le point commun, la sensation de l’échec, d’avoir vécu « pour rien », en vain. Toujours cette tendance à pénétrer dans cette drôle de compétition que représente l’élan vers le pire, toujours plus pire. Peut-être suis-je parvenu à ce point de fatigue où tout cela ne m’intéresse plus, où la notion de comparaison n’est plus qu’une sorte de passe-temps inoffensif. Ce qui n’empêche pas la méditation concernant les critères de réussite ou d’échec qui nous cernent sans relâche, surtout sur un plan inconscient. Et, sans transition, je me souviens enfant à quel point l’effroi me saisissait quand je plongeais dans la lecture – et là je lisais vraiment, de façon linéaire – dans les contes et légendes, ce que l’on résume par l’expression « contes de fées », puis « contes à dormir debout » une fois une certaine aigreur ou désabusement atteints. Cette idée que le merveilleux est une sorte de champignon, de moisissure, qui doit sa raison d’être aux rêves en putréfaction, elle est quasi immédiate dès les toutes premières pages tournées. Instinctivement, il est évident que quelque chose ne va pas, que le plaisir éprouvé provient de la perversion produite par le texte. Que la peur est un élément indispensable sans lequel le plaisir deviendrait fade. J’ai lu autrefois Bettelheim et Propp pour tenter de comprendre ce qui m’avait tant attiré dans cette littérature lorsque j’étais enfant. Peut-être que ces lectures m’aident à rebours plus de cinquante ans plus tard à m’interroger aujourd’hui une fois encore sur cet engouement. Ce fut une activité que l’on qualifie de compulsive désormais. Lire alors était une fonction liée à la fois à l’évasion et à une quête de sens, comme aussi à la traversée de ces plaisirs troubles. Avec le recul, la lecture de récits érotiques par la suite, durant l’adolescence, conserve cet intérêt pour l’évasion et la recherche du trouble, mais ce qui diffère, c’est le sous-texte, la manipulation n’a pas le même but. Si les contes de fées nous formatent dans un imaginaire commun de ce que peut être la vie, les récits érotiques nous formatent pareillement dans notre relation à l’imaginaire de l’autre, et plus spécifiquement celui du sexe opposé qui n’est jamais si différent qu’on le croit du nôtre. Ensuite vient l’imaginaire de ce que peut être ou pas la littérature. Cependant, le point commun est bien cette notion de fonction du récit. Tout texte publié possède une fonction, au même titre que les fonctions qu’utilise Vladimir Propp pour classifier les héros de contes de fées russes. Un autre point commun qui surgit presque aussitôt est une image d’emballage, aussi nette que tout ce qui emballe, confère une allure, du désir à un produit en rayon dans un supermarché. Toute l’industrie du livre à laquelle il est rare de penser au moment même où l’on s’enfonce dans une forêt en accompagnant le Petit Poucet, ou encore dans Madame Bovary, et même dans cette biographie de Kafka. Et sans doute la lecture conserve-t-elle sa vigueur de n’en rien savoir. Que l’intérêt, quel qu’il soit, la finalité de tout ça, est à la fois l’argent et la vanité. Voilà tout à fait l’ennui qui pointe et qui, la plupart du temps, abîme l’élan. Il en va désormais de la lecture comme de l’aspiration au merveilleux, qu’il tiennent de la magie ou de l’érotisme, une fatigue. Peut-être est-ce une fatigue généralisée, peut-être ne suis-je pas le seul à la ressentir, et ce n’est pas seulement une question d’âge mais de siècle, d’époque. Quand Svevo écrit Une vie en 1892, Eiffel dessine les plans de la tour Eiffel, on prépare la grande Exposition de 1900, l’euphorie capitaliste bat son plein avec la révolution industrielle. Aujourd’hui, les progrès de la médecine nous informent d’une longévité pouvant « normalement » atteindre 80 ans chez les hommes, un peu plus chez les femmes. Une vie réussie est déjà une vie vécue jusqu’à cette limite. Plus, et l’on en est ébloui, il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous parle de la profusion de centenaires dans nos campagnes, dans nos villes désormais. Comme si le simple fait de vivre le plus longtemps possible était le principal critère de réussite d’une vie. Or, la plupart des écrivains qui comptent pour le même laps de temps – mettons depuis la fin du 19ᵉ siècle – sont morts jeunes. 40 ans, c’est jeune lorsqu’on se souvient qu’on a atteint 64 ans. Probable aussi qu’on n’est pas loin d’éprouver le syndrome du survivant. Si, dans notre imagination, on possède un statut d’écrivain forgé à partir de tout cet imaginaire que propose l’industrie de la culture, et plus spécifiquement de la littérature. Je me souviens que pour la peinture, c’est aussi la même chose. Inutile d’espérer une reconnaissance passée la cinquantaine, la plupart des collectionneurs estimant qu’on est déjà vieux, que l’investissement sera inutile. D’ailleurs, on estime qu’un peintre de talent qui meurt jeune ne peut produire qu’un nombre limité d’œuvres, ce qui rend chaque acquisition d’autant plus précieuse et rentable surtout, au contraire de ces vieux peintres dont l’œuvre déborde de tous côtés et qui généralement finit dans une brocante de quartier, dans des vide-greniers. Éprouver de l’amertume face à cette situation ne serait que se rallier à la vision que nous impose le marché en général, sa vision binaire de la réussite et de l’échec. Le fait est qu’on peut résister par tous les moyens qu’on invente, cette vision s’insinue en nous et nous mine. Le fait d’avoir acquis une certaine lucidité sur un tel état de fait, notamment depuis 2019 et l’effondrement produit par la pandémie, notamment l’impression de manipulation générale qui a suivi, l’apparition des termes complot, conspiration, n’est que la continuité d’une progression qui prend sa source à mon avis, en 2001. Ce basculement, je m’en souviens parfaitement. Je suis en Suisse, à Yverdon-les-Bains, je rentre du travail, c’est la fin d’une journée assez ensoleillée, la télévision est allumée dans le salon, et ma première impression est qu’il s’agit d’un film catastrophe. Il me faut un certain temps avant d’assimiler le fait que c’est de l’actualité, du réel. C’est à ce moment-là qu’un gouffre s’ouvre sous mes pieds, c’est ce que j’appelle ce basculement. Quand le réel, pour une raison ou une autre, rejoint la fiction, quand on n’est plus en mesure d’établir de frontière entre les deux. Ensuite, on peut rester traumatisé par la précision de ces images, par cette découverte qu’une frontière s’est écroulée, et ce ne sont pas ces images précisément qui sont importantes, mais surtout le fait que cette frontière s’est évanouie. Quand le Covid fait son apparition, on éprouve aussi le même vertige, mais l’habitude, si l’on peut dire, est prise de ne plus savoir faire la différence entre réel et fiction. Quelle sera la prochaine étape ? L’arrivée de vaisseaux extraterrestres ? Les cavaliers de l’apocalypse paradant dans le Quartier Latin ? Jésus-Christ ressuscité lévitant sur les Champs-Élysées ? L’Antéchrist ricanant de notre bêtise, de notre insignifiance ? La prise de pouvoir de l’IA ? Tout est possible. Et c’est cela qui crée ce malaise, car quand tout est possible, comme dans un conte de fées, on sent bien intuitivement que rien ne l’est. L’épuisement d’une civilisation entière surgit alors, de se rendre compte de ce tout et rien, qu’il n’y a plus aucune différence entre tout et rien.|couper{180}
Carnets | août 2024
23 août 2024
Il fait plus frais, ce qui rend les promenades quotidiennes plus agréables. Hier, nous sommes retournés à Saint-Pierre-de-Boeuf avec les enfants. Nous avons relevé dix-huit degrés sur un baromètre accroché à une façade. Eux aussi sont inquiets de la rentrée qui approche. M. entre en sixième, et de plus, dans une nouvelle école à Melun, où il ne connaît encore personne, ce qui représente pour lui un grand changement, une angoisse dont il se défausse. Le ton exagérément fort et haut de sa désapprobation lorsque je lui demande s’il n’a pas un peu peur de cette rentrée en dit long. Pour L., pas de souci en apparence ; elle affiche un visage toujours aussi lisse face aux événements, le visage d’une petite fille de huit ans qui en dit déjà long sur la fabrication des masques. Mais quand ils jouent ensemble, se taquinent, chahutent, les masques tombent, et toute la candeur et la cruauté de l’enfance réapparaissent. Ainsi est la raison des saisons qui reviennent : ce qu’on n’a pas encore tout à fait perçu l’année dernière, on le percevra un peu mieux cette année. Le programme de la journée, de ce jeudi – il faut toujours un programme – est d’occuper M. en vidant quelques inutilités de la maison et de la remise, de les charger dans le véhicule et de les transporter à la déchèterie. J’ai réussi à repousser ce moment en fin de matinée. En attendant, les deux enfants dorment encore à poings fermés. Ensuite, les courses, la préparation du repas, puis le fameux temps mort en début d’après-midi, une vacance instaurée pour toute la maisonnée. Hier soir, je me suis empressé de survoler Penser librement d’Hannah Arendt pour m’engouffrer dans son Walter Benjamin, la version américaine traduite par Agnès Oppenheimer-Faure et Patrick Lévy, Allia Éditions, 2007. Mais il y a eu des parutions antérieures chez Gallimard, dans Vies politiques, en 1971. Le mot « fameux », son étymologie, provient de Fama, la réputation, la renommée. C’est ce tout premier mot, Fama, avec lequel commence le Walter Benjamin d’Arendt, et l’observation que la gloire posthume ne tient pas tant à un coup de dés qu’à la reconnaissance la plus haute de la part de leurs pairs pour un homme ou une femme de leur vivant. Chance donc pour Walter Benjamin d’avoir eu des amis tels que Gershom Scholem et Theodor Wiesengrund Adorno, responsables par la suite de l’édition posthume de ses œuvres et correspondances. J’écris « chance », mais la chance n’a peut-être rien à voir avec la qualité des amitiés, pas plus que la célébrité posthume avec le hasard. La chance ici est ce mot fourre-tout créé par le ressentiment de celui qui pense en être exclu. Sans doute parce qu’il est encore persuadé que l’amitié est due à la magie, au hasard, à la destinée. C’est sans doute un peu vrai, en partie, à l’étape cruciale de la rencontre. L’éblouissement de la rencontre, dont on regrette presque instantanément que son éclat diminue avec ce mauvais point de vue dû à la familiarité, à l’habitude, à la paresse, à un aveuglement finalement, dont on espère que l’éblouissement nous extraira. L’effet flash des œuvres qu’on ne supporte plus de voir au bout d’un jour ou deux accrochées à un mur. La fatigue, surtout celle subie par les fatigués de naissance, aspire à ce genre d’éblouissement, les crée au besoin, puis se hâte de les détruire comme pour mieux renforcer sa position dans la lassitude du monde. De là, tous ces livres, ces vidéos, ces formations, ces programmes coûteux ayant pour but une méthode infaillible pour « se faire » des amis. J’ai toujours méprisé ce genre d’information, à mon sens trop liée à l’idée d’une arnaque, à l’intérêt purement pécuniaire de leurs instigateurs, bougnats, fouchtras et tout leur charabia. Parfois, je me suis dit toutefois que j’exagérais, que je voyais tout en noir, que peut-être ce n’était pas si toxique que je pouvais le penser. N’est-il pas naturel, voire souhaitable, de gagner son pain en apportant aide et compétence aux autres ? Cependant, toujours je rebrousse chemin, je reviens à ma première impression, à cette notion d’abus, de tromperie. Il s’agit là essentiellement d’un rapport personnel à l’argent, j’en suis tout à fait conscient. Cette critique, au bout du compte, n’est qu’une projection à l’extérieur d’un conflit d’intérêt intérieur. L’habitude de penser qu’on doit être rémunéré pour tout, et que le monde étant fait à ma propre image, les autres pensent de même. Et qu’à partir du dépit, de l’agacement que provoque une telle prise de conscience, après la chasse aux responsables possibles d’un tel état de fait, je ne puisse encore que tomber sur moi seul comme source d’erreur, comme pêcheur. Et qu’ensuite l’ennui, la culpabilité, la honte, le remords, les regrets resserrent leur étau, me pressent comme un fruit mûr afin de faire jaillir la fatigue d’un tel apitoiement sur soi-même. Le fait d’avoir toujours bien voulu considérer l’amitié comme une grâce la dispense instantanément des critères habituels de la durée, comme d’un entretien à mes yeux toujours coûteux. Les efforts qu’il faut désormais produire pour entretenir les relations, faire signe notamment afin qu’on ne nous oublie pas, que l’on fasse comprendre à l’autre qu’on ne l’oublie pas non plus, ne rentrent pas dans l’image que je me suis toujours fabriquée des grâces et des affinités. Quelque chose d’impérieux me rappelle à chaque instant que la grâce est éphémère, qu’elle n’a pas vocation à durer, ni même à nous offrir une raison d’être. La grâce et la violence ont ceci en commun qu’elles sont sans raison. Elles surgissent, interviennent pour des raisons obscures qu’il ne sert à rien de vouloir disséquer, puis elles passent. L’erreur de tout un courant New Age est de vouloir s’accaparer l’idée d’une durée. Un éveil, une illumination, un nirvana sur lequel on pourrait enfin souffler, respirer tout son saoul, et ce pour une éternité, est à mon sens totalement ridicule, inepte. J’y vois un prolongement du profit hors de sa sphère habituelle. Le capitalisme étant une pieuvre s’emparant de tout, y compris de nos affects, des religions, de la spiritualité désormais. C’est une inversion de valeurs comme tant se propagent aujourd’hui. Et de voir qu’il suffit de bien placer quelques symboles, inversés eux aussi, de réinventer des histoires pour frapper de plein fouet le cerveau droit de l’opinion publique… L’acuité avec laquelle il m’arrive de repérer ces processus m’épuise ou me révolte, me révolte et m’épuise. 1940 : au moment le plus sombre de la guerre, la disparition de Walter Benjamin, première vraie perte qu’Hitler aura fait subir à la littérature allemande, dit Bertolt Brecht. La mort de ce qu’on nomme un génie par ceux qui ne se reconnaissent pas génétiquement du même bord. L’idée d’une déchéance personnelle éclairée parfois par les lueurs attribuées aux génies, aux Djinns, aux anges. Une autre sorte d’éblouissement dont on ne sort pas plus indemne que de l’autre, dû à l’affinité, à l’amour, à l’amitié. Une petite voix qui ne cesse plus de nous seriner intérieurement que nous n’en sommes pas dignes, que ce n’est pas pour nous déchus… Comment donc s’en sortir sinon par l’effondrement, par le retournement des valeurs, par une révolution ? Pas de société sans classe, sans classement, sans génies et dégénérés, sans élus et déchus. L’idée d’une race pure, d’une race originelle, que l’on attribue à Hitler, on ne s’en est pas débarrassé avec sa disparition. Il me semble que cette idée est là de tout temps et que de temps à autre, elle refait surface. Elle est à nouveau là, ici même, dans le pays aujourd’hui. Elle nous arrive de toutes parts, de l’étranger, de l’inconnu, elle fait de nous des inconnus et elle nous rend plus que jamais, par cette ignorance, malléables à volonté. Quelle fatigue d’y voir clair ainsi, aussi profondément parfois que, pour m’en débarrasser, il me faille sombrer dans l’idiotie crasse, régresser par réflexe dans l’ironie douloureuse, le calembour douteux, m’évader dans des fantasmes de dimensions parallèles, des trous de ver, dans des forêts peuplées de fées et de lutins au chapeau vert.|couper{180}
Carnets | août 2024
22 août 2024
Il semble que je me sois éloigné à des années-lumière de l’atelier d’écriture de F. en pénétrant dans ce long texte sur la fatigue. Étrangeté de cette impression de distance. Cela paraît à la fois très proche et très lointain. Une immobilité. Déjà plus de deux ans que j’ai publié mon premier billet sur la plateforme du T.L. J’ai beaucoup de mal à y revenir. C’est presque intolérable de relire ces premiers textes. Et pourtant, j’ai l’impression d’y voir un peu plus clair. Encore que cette lucidité soit intermittente, comme ces moments d’éveil dont on sait déjà par avance qu’on ne peut y résider longtemps, que le but n’est pas de résider dans la lucidité ou l’éveil. Mais plutôt de retourner sans cesse dans la boue, dans la merde. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas faire autrement afin de se pardonner à soi-même et de pardonner au monde dans sa totalité. Comme si le passage obligé était l’égout. Aller le plus loin possible dans le dégoût, jusqu’à atteindre les limites humaines de l’épuisement. C’est placer la barre haut, c’est orgueilleux, peut-être. C’est se battre – y compris contre des moulins à vent – même si l’on sait que tout est déjà perdu d’avance. Et n’est-ce pas parce que l’on est profondément déçu de naissance qu’on veut imaginer l’espérance ? Une volonté qui prend son origine dans un non-vouloir, si paradoxal que cela puisse paraître. En fait, je ne me suis peut-être pas tant éloigné que je le pense. J’ai utilisé le document formaté envoyé pour réunir ces textes écrits, cet essai sur la fatigue. Évidemment, la première chose qui me saute aux yeux, c’est l’ordre dans lequel ils apparaissent. Ainsi, je me fie à un ordre chronologique. Il suffit pour cela d’effectuer une recherche dans le back-office du site, de rechercher l’étiquette « essai sur la fatigue » et de voir la liste. Ce qui fait que j’ai totalement fait l’impasse sur les vingt-neuf textes écrits dans le cadre de l’atelier d’écriture. À la place, je me retrouve avec des textes écrits « en creux ». Pourtant, il y a certainement un lien entre ces deux mouvements, sauf que je ne parviens pas encore à comprendre lequel. En attendant, le temps file, je suis toujours en dehors du groupe, je ne participe plus – ou plutôt je participe d’une façon différente de ce qui est attendu, si toutefois quelque chose est véritablement attendu, ce qui aussitôt écrit est sujet à caution. Cette idée qu’on attende quelque chose de ma part n’est-elle pas récurrente depuis toujours ? Et aussi ma révolte en m’opposant systématiquement à toute attente. Selon l’expression consacrée, je suis toujours là où l’on ne m’attend pas. S. résume bien les choses par un « tu n’es jamais là » lorsqu’elle estime que la limite est atteinte. Le sous-entendu « quand on a besoin de toi » n’est-il pas assez clair ? Dans ce cas, la locution surgit complète : « tu n’es jamais là quand on a besoin de toi ». Et bien sûr, la culpabilité, la honte, la fatigue s’ensuivent instantanément. Une résistance très forte à la demande, s’y contraindre pour pouvoir éprouver toute la mécanique de la fatigue, l’examiner encore et encore à la loupe. L’érosion du couple tient autant à l’idée de durée qu’à celle de la distance. Le « pour toujours », si intenable qu’il soit rationnellement, on s’y accroche justement parce qu’on sait, on sent qu’il est intenable. De même que le fantasme d’unité, de fusion abolissant toute singularité ou différence, tient un rôle semblable. Le couple est aussi le lieu par excellence de l’irrespect d’autrui comme de soi. Tellement nous sommes pollués par l’utile, l’indispensable, l’essentiel, les règles, les preuves, les faits, les usages, en fin de compte un cadre tentant comme il le peut de cerner un vide. Parfois, je pense que ce n’est pas l’affection qui maintient le couple, mais nos lâchetés. Et nous passons là-dessus en nous souvenant que nous avons trop pris l’habitude de voir les choses en noir. On refuse d’y croire, on se trouve des projets, des occupations, on donne le change. Alors que ce serait tellement plus simple d’accepter le fait que même en couple nous sommes irrémédiablement seuls. Et, à partir de ce constat, une autre forme de respect, qui ne soit pas uniquement de convention, petite-bourgeoise, pourrait alors prendre le relais. On se voit tant et tout le temps qu’on ne se voit plus. Fantasme encore d’une abolition du temps et des distances, une éternité d’immobilité que l’on brise de temps à autre en créant artificiellement l’événement. La fatigue du couple tient au fait que celui-ci manque régulièrement sa cible. On croit se connaître, on s’invente. De là les drames et les tragédies quand la réalité ne colle plus aux rêves. N’en est-il pas de même avec toute association humaine ? S’agréger à un atelier d’écriture, de peinture, dans quel but, pour quelles raisons, quels espoirs et quelles craintes ? La déception étant la chose la plus habituelle que nous risquons de rencontrer, on s’y prépare déjà en amont, bien avant d’y avoir pénétré. C’est la fatigue liée à tous les reliquats d’espoirs qui cherche une issue dans la déception. Sauf que la déception ne résout rien. On est déçu, la belle affaire, rien de plus. Cette binarité, quand elle parvient à la conscience, provoque une secousse, un séisme. On n’est pas loin de se traiter d’andouille en se frappant le front. Et vite ensuite de se réfugier n’importe où, dans n’importe quoi, afin d’oublier l’éclair aveuglant dont on vient d’être la victime. Peut-être que la lecture, l’écriture ne sont que cela finalement, des palliatifs, une nuit pour oublier l’ardeur du soleil.|couper{180}
Carnets | août 2024
21 août 2024
Penser librement, confinements, paix au sein des catastrophes, creuser, action et contemplation, nettoyer son colon, le taureau ennui, une cause possible de la maladie d’Alhzeimer, travail et abondance Lecture de Penser librement d’Hannah Arendt cette nuit et matin, notamment l’essai sur Nathalie Sarraute et travail, l’oeuvre, l’action. Ce qui me ramène à la lecture très ancienne de Dostoievsky- notamment à partir d’un livre de René Girard ( peut-être critique dans un souterrain ) et bien sûr de Kafka, le Journal puis, sans enchaînement à 2019, à la pandémie de Covid. Le fait est que je commence vraiment à reprendre l’écriture quotidienne régulièrement à partir de ce moment-(octobre 2019 ?) Le résultat sera la publication de Propos sur la peinture, un ensemble de textes mis bout à bout rédigés sur peinture chamanique entre 2018 et 2019. Ouvrage mal fagoté, qu’il faudrait reprendre et améliorer ou bien complètement oublier. L’isolement social obligeant à « faire » absolument quelque chose de soi pour ne pas sombrer. Il y a aussi eu les vidéos sur la chaîne YouTube, plusieurs fois par semaine parfois. Une sorte de fébrilité, d’euphorie. Surtout lors du tout premier confinement. Dès le second, la lassitude, l’angoisse, notamment liée au fonctionnement de l’atelier, aux charges, me tombent dessus. Au troisième confinement, j’ai arrêté de publier des vidéos, me suis retiré des réseaux sociaux. Je ne me souviens pas de ce que je lisais durant ces divers confinements. Il faudrait revenir dans les textes de 2019, rechercher les divers auteurs auxquels je fais référence, je ne me souviens pas d’avoir cité Arendt, pas plus que Sarraute. Peut-être que j’avais aussi écarté toute lecture à certains moments. Volonté farouche, renforcée, de penser par soi-même, et c’est aussi à partir de là que s’est le mieux exprimée ma capacité à douter. Douter de toute vérité sur quoi s’appuyer afin de conserver à ses propres yeux une illusion d’importance notamment. La nuit, il m’arrive d’assister à des cataclysmes au cours desquels je suis emporté comme un fétu de paille. À ces instants, je n’offre pas vraiment de résistance, me laisse emporter et c’est presque un soulagement, une libération. La même importance qu’un brin d’herbe, l’éprouver physiquement, ou d’un cachalot, mammouth, fourmi, la même, comme c’est apaisant. Au centre de l’effroi, éprouver soudain cet apaisement est proche d’une grâce. Encore que je réinvente un peu en l’écrivant, il s’agit bien plus d’une sensation qu’on éprouve le matin au réveil. Celle de n’avoir pas plus ni moins d’importance que n’importe quelle créature ou chose. D’une certaine façon, découvrir ou sentir que l’on est tout à fait à sa place, qu’il ne peut y en avoir une autre, au sein même des catastrophes. La fatigue y est sûrement pour quelque chose. Avec celle-ci, l’examen de sa propre idée d’importance se relativise. On découvre qu’on n’est pas tenu de supporter ce poids, qu’on peut baisser la garde, atteindre une légèreté, comme une apesanteur. C’est une erreur cependant de penser qu’on peut résider longtemps dans cet état, de s’y réfugier, d’en faire une forteresse ou une sinécure. Rien ne dure que le changement d’état, le défilement des images, des pensées, des rêves ; l’infini tire son origine de ce changement. L’enfant le sait de manière naturelle, il ne sert pas la main quand on lui donne, il ne veut pas saisir, il n’en comprend pas l’utilité, la raison ; il n’exerce pas de pression, sa main glisse de l’autre main, d’une main à l’autre, sans réfléchir. Il en est de même du regard des nouveaux-nés et des animaux, à la fois candide et sage, il ne se fixe jamais bien longtemps dans un autre regard. F. parle souvent de creusement. Écrire et creuser, creuser et écrire. De mon point de vue, souvent l’impression de ne pas creuser suffisamment, de rester trop à la surface, dans une superficialité. Il en ressort des sensations désagréables, liées à toute une partie de ma scolarité, avec les notations en rouge dans la marge. Le fameux « peut mieux faire ». Ou encore « élève moyen, ne travaille pas suffisamment, dissipé ». Possible qu’à un moment, fatigué d’entendre ce jugement, je me sois mis à creuser sans le savoir, et surtout à creuser ce que nul ne désire qu’on creuse. Tous ces ressorts ignorés, ceux qu’on ne veut surtout pas voir : l’avidité, la concupiscence, l’ambition, la vanité, le pouvoir, la vulnérabilité des espoirs, l’orgueil lié à la désillusion. Ce que j’en ai fait, un trou immense, mais je ne me suis pas jeté complètement dedans, suis resté sur le côté à contempler le remblai, hypnotisé, sidéré par la tâche effectuée. La fatigue provient aussi de voir toute la capacité mal utilisée, ou qu’on n’utilise pas. La fatigue vient du fait de se heurter toujours au même mur, que l’on pourrait facilement confondre avec celui des Lamentations. Mais il me semble que j’ai dépassé le cap de me lamenter depuis un bon moment. Celui qui est derrière ce « je », il ne se lamente plus, ils liront cela et ils ne le comprendront pas bien sûr. Ils diront que la fatigue l’a terrassé, qu’il n’a pas su ou voulu remonter la pente, qu’il ne sait pas rebondir. Ils diront tout ce qu’ils disent dans ces cas-là bien sûr et qui les fonde. Et certainement je continue à creuser à ma façon sans trop les entendre, ils sont comme un bruit de fond nécessaire. L’épuisement mène probablement à une forme de contemplation. Peut-être que toute vie active trouve sa finalité dans la contemplation. Ce qui n’est évidemment pas toujours le cas. On peut vivre une vie active et en mourir tout simplement, comme on peut exercer des travaux subalternes, seulement alimentaires, et se mépriser soi-même de n’avoir rien produit d’autre pour la communauté qui la modifie voire l’améliore. Et ainsi passer loin de l’étape contemplative. Ou fausser cette contemplation en l’entâchant de ressentiment, ne plus contempler qu’un désastre personnel. Ce qui n’est pas loin de la définition de l’ennui selon Alberto Moravia : une relation figée avec le monde sans comprendre que le monde est ici soi-même. Dans l’autre sens il paraît impensable qu’on puisse vivre uniquement dans un état contemplatif. Ce serait contreproductif. Il semble intéressant de poser le concept de fatigue comme intermédiaire entre la vita activa et la vita contemplativa. La fatigue permet de gommer toute distinction de tâches, d’en réduire leur singularité, leur vilainie ou leur noblesse, peu à peu- et ce quelque soient leurs différences , leurs hiérarchies ou leurs formes- cette illusion qu’il peut y y avoir des activités plus nobles que d’autres, plus profitables, intéressantes etc. la fatigue le gomme. Par la fatigue du monde, du siècle on peut ainsi pénétrer dans une forme de dégoût proche de la contemplation, bien loin de l’ébaubissement. Le dégoût permet ce genre de considération au sens étymologique du terme. Voir le pot aux roses plus que l’ensemble des constellations. Et on peut parvenir à cette considération sans en être sidéré, tout dépend du degré de lassitude atteint, de ce qu’elle nous fait perdre d’égoïsme, d’égocentrisme, de vanité, d’illusion. Il faudrait encore de nombreux paragraphes pour tenter d’élucider- si tant est que ce soit à la fois possible sinon nécessaire, les diverses qualités de contemplation ; au même titre que les divers qualités de fatigue. Au final ce n’est que coup d’épée dans l’eau, ça ne sert pas à grand chose, c’est inutile, d’autres s’en sont probablement chargé et mieux que je ne peux le faire. La fatigue mène à la non préférence, à une forme de détachement qui n’est pas pour autant de l’indifférence véritable . La fatigue nous éjecte d’une fréquence, nous transporte vers une autre, rien d’exceptionnel vraiment de le savoir, c’est même parfaitement complètement inutile de disserter sur ce sujet, bien trop fatiguant. Encore une hypothèse. La paresse du côlon qui n’en peut plus de conserver les détritus d’une vie de bâton de chaise. On croit qu’on est tout esprit, on se trompe, les intestins ont aussi leur coup de mou. Ce que l’on absorbe et digère mal reste coincé dans les parois, diverticules et diverticulites ; pas étonnant que la merde nous monte au ciboulot à ce train-là, la merde et la fatigue évidemment. Un peu de gingembre dans un verre d’eau bouillante, touiller, ajouter un peu de citron (jaune ou vert, c’est sans importance) et boire le matin avant le café. En quelques jours, si la fatigue ne disparaît pas avec ce traitement, regardez votre bulletin de naissance, calculez votre âge ; la magie a aussi ses limites, ses lassitudes. 2h54. le 21 août. Les petits reviennent aujourd’hui. S va les chercher au train de 14h à Lyon Pardieu. Ils restent une semaine. Le programme est déjà fait pour les occuper, qu’ils ne s’ennuient pas trop. Cette peur de S. qu’ils s’ennuient n’est pas la mienne. Au contraire il faut s’ennuyer surtout enfant, c’est mon avis, prendre dès le plus jeune âge ce taureau par les cornes et apprendre à sauter par-dessus, à s’en amuser. Fatigue d’une certaine vision du travail, qui se présente souvent comme une forme de torture. Torture que l’on s’inglige à soi-même d’abord pour pouvoir subvenir à ses besoins essentiels. Il faut apprendre à gagner sa vie ainsi, si possible sans se singulariser du groupe, respecter autant qu’on le peut qu’on le supporte cet héritage constituer de mots d’ordre. Rentrer dans le rang, se faire discret, , que rien ne dépasse. Ne pas se faire remarquer. Rester modeste. Ce qui finit chez certaines natures à produire une rêverie négative. On fomente des projets que l’on reporte toujours à plus tard, quand ce sera le bon moment. Ensuite on reporte ce moment idéal en fin de carrière, quand on sera en retraite. Or souvent quand arrive cette fameuse retraite, on se rend compte de la véritable nature de ces rêves, ils ne sont présent qu’à l’état de ruines, d’une impossibilité ou impuissance mise à jour. On regrette de n’avoir pas été capable de plus, de s’être soumis à l’ordre des contingences sans rechigner autrement que classiquement, en ronchonnant mais en courbant l’échine ce faisant. Bien sûr si l’on construit un foyer, une famille, il est aussi dans l’ordre des choses de s’en trouver plus ou moins satisfait. D’y puiser la raison principale d’un tel oubli de soi. Espérer s’en contenter. Tout dépend aussi de ce que l’on a investi comme quantité de frustrations, d’espérances dans la perpétuation de l’espèce. La déception ici encore nous en apprend sur ces espérances, comme autant de gants retournés de notre propre paresse, impossibilité, impuissance. Beaucoup de vieillards aigris, voilà ce que produit cette société qui promet monts et merveilles via des réclames, des mondes virtuels, des jeux vidéos ou olympiques. La fatigue se mue en récrimination, en colère, voire en haine. La haine de l’autre n’est rien d’autre que de la haine de soi que produit le fait de s’être laissé berner depuis la communale jusqu’à l’EHPAD. Si l’on veut trouver un remède à la maladie d’Alzheimer, peut-être qu’il faut commencer par saisir ce mouvement imposé par toute une société et dont la seule issue est de se réfugier dans l’oubli. Constate que c’est un véritable roman-fleuve, sans doute ce flot provenant de l’euphorie d’avoir trouvé un sujet. Et ainsi je m’en prends à ce sujet comme un patron à son ouvrier, le pressant comme un citron. Honte à moi, une fois de plus. Et bien sûr fatigue en retour, une telle fatigue que je n’arrive pas à dormir. Pourtant, même si les trois quarts de ce qui s’écrit ne vaut pas grand chose au regard de la littérature- telle que je porte au nues, quelque chose me dit qu’il faut en passer par là, ne pas encore me réfugier derrière le prétexte que ce texte ne serait qu’un vulgaire brouillon sans intérêt, par exemple. Ce sont souvent des pensées récurrentes masquant de plus en plus mal désormais ce renoncement à obtenir confiance en soi. D’une certaine manière la confiance est déjà là- sinon je n’oserais rien publier sur ce blog. Et la confiance signifie surtout peu importe que ce soit bien ou mal, littéraire ou pas. La fatigue de se réfugier dans ce manque de confiance, dans ce sabotage permanent, est-elle là à l’origine ou est-elle un produit de ce mécanisme. Bien difficile de le discerner. Autant que de savoir qui en premier de la poule ou de l’oeuf. Ce que je creuse au bout du compte dans le texte d’aujourd’hui il me semble que c’ est aussi une idée toute faite de candeur, de naïveté- ces idées toutes faites qui, en général, font rebrousser chemin parce qu’elles ont tant l’air de clichés, de choses déjà vues et revues, du désagréable en fait. Hannah Arendt dans son essai le travail, l’oeuvre, l’action établit un distinguo entre travail et oeuvre. Le travail appartenant au lien intrinsèque homme-nature, nécessaire biologiquement, et dont le cadre se borne à la répétition, à l’aspect éminemment cyclique. « Le travail produit des biens de consommation et travailler et consommer ne sont que les deux stades du cycle éternel de la vie biologique. Ces deux stades du processus vital se suivent si étroitement qu’ils constituent en somme un seul et même mouvement : à peine terminé, il faut le recommencer du début. Le travail, contrairement à toutes les autres activités humaines, est placé sous le signe de la nécessité, la « nécessité de subsister » dont parlait Locke, ou « l’éternelle nécessité imposée par la nature » dont parlait Marx. En conséquence, le but réel de la révolution chez Marx n’est pas simplement l’émancipation des classes travailleuses ou laborieuses, c’est l’émancipation de l’homme du travail. Car « le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité […] ( Karl Marx, Capital, III, fragment : « En matière de conclusion », traduit par M. Jacob, M. Subel, S. Voute, in Œuvres, t. II : Économie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 1487.) Le fait de persister à écrire de si longs textes tient plus d’une forme d’euphorie lié à un imaginaire du travail plus qu’à un imaginaire de l’Oeuvre. L’abondance associée à cette idée de travail puise sa source directement dans l’abondance de la nature. La nature est généreuse par définition puisque qu’elle incarne le flot, le cours des choses dont on ne sait ni où il prend sa source ni où il s’achève. Le travail perçu de cette façon se rapproche d’un fleuve. Ce qui soudain vient se heurter à cette pensée est le mot « carrière », faire carrière. Il me paraît soudain saugrenu d’associer le mot carrière et le mot oeuvre. « L’œuvre de nos mains, distinguée du travail de notre corps, fabrique l’infinie variété de choses dont la somme totale constitue l’artifice humain, le monde dans lequel nous vivons. Ce ne sont pas des denrées destinées à la consommation, mais des objets dont l’usage ordinaire ne provoque pas la disparition. Ils donnent au monde la stabilité et la solidité sans lesquelles il ne serait pas assez fiable pour héberger cette créature instable et mortelle qu’est l’homme » écrit encore Arendt. Autrement dit, une paire de chaussures n’est pas une baguette de pain. Si je ne m’en sers pas, si je n’en fais pas usage, elle ne s’use pas. Le but se tient dans l’idée d’une durée. N’est-ce pas la même chose pour un texte, un livre, un tableau, une symphonie. De toute évidence la durée de l’oeuvre quelle qu’elle soit ne peut rivaliser avec l’infini, l’éternité. Mais une baguette de pain se fabrique pour être consommée le jour même, elle n’a pas même le temps d’entrer dans l’usage qu’elle n’existe déjà plus.|couper{180}
Carnets | août 2024
20 août 2024
J’essaie d’avoir de la suite dans les idées, mais ce crâne, ce n’est pas le Ritz. Plutôt un taudis. Une piaule d’ado en bordel. Le fait est que c’est un désastre. Le fait est que la douleur de tomber de haut dépend de la hauteur où tu crois te situer. Le fait est que, toi, te tenant à la hauteur des pâquerettes, ça ne peut jamais faire bien mal. Sauf si tu es un insecte, un être insignifiant qui fait un faux pas et dégringole d’une feuille de laurier. Même quand ta carapace en prend un bon coup, se fêle ou éclate. Terre, voilà c’est le mot, te voici à terre, le choc de la réalité encore une fois. Combien de fois te retrouves-tu à terre sans jamais vouloir l’admettre, combien de fois encore le faudra-t-il ? C’est cette question, ce doute, qui t’aide à te relever. Tu ne connais pas la limite de la lassitude de choir. Peut-être que tu es un genre d’Auguste, ton rôle est de te casser la figure dans la sciure, comme pour dire quelque chose de tout à fait sérieux aux gens ici assis sur les gradins. Souriez. Nous sommes en enfer, c’est vrai, mais pas de quoi en faire tout un plat. Tombez, relevez-vous, recommencez. Vous verrez, ce n’est pas loin d’être un sport. Pas de jeux olympiques pour les clowns, pour les losers professionnels. Et ma foi, tant mieux, quelle horreur que ces jeux, insupportable. Mettons que je mette un bémol : c’est encore trop fort l’horreur, l’insupportable, bien trop exagéré… quelle fatigue ! Ça va mille fois mieux. La rentrée approche à pas de loup. Pas retrouvé mon uniforme de petit chaperon rouge. Ma chandelle est morte, plus de plume pour écrire un mot, il n’y a plus qu’un clavier et cette fatigue qui semble être en béton. Et bien sûr, l’illusion des rituels reprend racine : faire les courses, faire la bouffe, le ménage, recoudre un bouton, faire une machine, balayer l’atelier, récurer, ranger. Dans le fond, la même impossibilité se reforme comme une nuit, celle de ne pas avoir le temps comme on a la plus belle fille du lycée, pour en jouir ou on ne sait quoi, tout son temps pour écrire ou lire, pour tenter d’ élucider quelque chose. À chaque fois que l’on croit s’en approcher, jeu de l’oie, quatre cases en arrière, la force de l’ordinaire nous dégomme, l’abjection ici-bas règne en mère maquerelle. Toute résistance amplifie la difficulté, les épines des barbelés pénètrent d’autant plus loin dans les chairs, la lucidité devient la plus grande gêne. La banalité du mal est toujours là, à l’œuvre. Il n’y a qu’à regarder autour de soi et rester bras ballants souvent, impuissant. Ça ne sert à rien de gueuler, à rien de rien. Ça ne sert à rien de faire mille pages non plus sur le sujet. Ça n’intéresse personne. Les œillères collent aux pupilles via les affiches publicitaires. Mais rien que pour soi déjà, effectuer ce nettoyage en profondeur, retrouver tous ces sentiers, traquer les fumets de la fatigue, ça vaut sans doute le coup. Me revient le terme employé par Carlos Castaneda, appris d’un vieil Indien Hopi : récapituler pour dénouer les nœuds où se trouve bloquée l’énergie. Car il est possible qu’il s’agisse de décoincer quelque chose dans le temps, une lassitude qui s’accumule ainsi par strates année après année, une sorte d’hygiène. Revenir au premier contact avec la fatigue demande des efforts et pas sûr qu’ils proviennent de la mémoire. Plutôt tenter de ralentir le défilement des images peu à peu, replanter un décor, chercher des détails, dans le langage essentiellement, car il me semble que le premier sens qu’enfant je cultivais, développais, est celui de l’ouïe. L’horloge qui sonne dans une pièce de la maison ses cinq coups, puis le quart et la demie. Un coq qui s’égosille. Encore qu’ici une confusion s’installe, car pas de coq dans le 15e arrondissement de cette ville. À la place, des sons d’objets métalliques dans un plat métallique. Première opération chirurgicale, une histoire de testicules qui ne sortent pas comme il se doit. Même à la naissance, après l’empressement de sortir plus vite que tout le monde d’un ventre maternel, il faut qu’un obstacle soudain se dresse : pas de couilles, comme un cheval qui refuse l’obstacle et désarçonne son cavalier. La médecine remédie bien à ce genre de fainéantise. Ça y est, c’est un garçon. Déception de la mère qui voulait une fille. C’est pas faute d’avoir tenté, premier échec, on ne se souvient pas à quel point il est cuisant, ni si déjà après l’effort de naître, de survivre à l’engouement, à la hâte d’exister, tout ça ne m’a pas mis à plat derechef. Trop autobiographique, décidément, je ne sais toujours pas faire autrement. Même si en préambule j’essaie de dire que tout est de l’imagination, cette sensation d’impudeur persiste. Repense à ces spectacles, ces affiches, cérémonies d’ouverture, de fermeture des Jeux Olympiques. Quelle fatigue de voir à quel point la mise en scène d’une décadence programmée est évidente. Ridicule, toute cette symbolique satanique, et surtout aucun rapport avec ce qu’est censé être cet événement. Tout cela se réduit à du pain, des jeux, et du délire donc. Du cynisme. Du foutage de gueule. Symptôme d’un ennui profond, d’une fatigue à maintenir un cadre démocratique ou républicain, fantasme de monarchie toute-puissante, voire divinité insectoïde peinte en plaqué or pour évoquer l’ange déchu, le rebelle. En fait, ce petit homme et sa cour, obsédé par le faste de Versailles mais n’arrive pas encore à sa hauteur, n’a pas encore saigné suffisamment la France, les contribuables, résultat beaucoup moins chouette, et même pathétique vraiment. Il faut vraiment être lobotomisé pour ne pas sentir que ça pue la merde au royaume du Danemark. Il donne son opinion l’éreinté, comme c’est rare. Peut-être est-il temps de la donner un peu ton opinion. Peut-être que donner son opinion pose le bonhomme. Peut-être qu’on n’existe vraiment dans le monde qu’à partir de ce fait : donner son opinion. De là, ensuite, à se faire bombarder nuit et jour par des sondages d’opinion pour renforcer la farce. Mais là, ce n’est pas vraiment une opinion, c’est bien plus un cri de fatigue. La mort d’A.D., apprise hier, me laisse assez indifférent. À moins que ce ne soit plutôt tout le battage médiatique autour de la mort d’A.D. Ces charognards. Finalement, l’absence de pudeur des médias n’est pas si éloignée de ce que je pense être la mienne, seule différence : je ne gagne pas d’argent avec. Il est question déjà d’hommage national, on n’est plus à ça près. Le spectacle continue, show must go on. Mais comment en est-on arrivé là, à un tel point de lassitude, ne pas vouloir voir que tout ça n’est que du spectacle, que derrière les masques, les postures, il n’y a que du vide. La dictature est déjà là sous forme d’une démocratie illibérale. C’est-à-dire qu’on s’assoit sur le suffrage universel, les institutions, on ne s’appuie que sur des règles que l’on détourne selon le caprice du moment. Nouvelle panique en vue avec le monkeypox, la variole du singe- nouvelle peste bubonique à l’horizon-et déjà, sans que les médias l’évoquent, des mesures sont prises pour resserrer l’étau sanitaire en prévision d’une future pandémie. Comédie des campagnes de vaccination à prévoir. Mais on ne m’y reprendra pas deux fois, la dernière injection reçue m’a dézingué, j’ai mal aux pieds et aux jambes depuis. Fatigue de la servitude, volontaire ou pas. Peut-être qu’un sursaut parfois, comme se réveiller, rétablit les canaux, débloque l’énergie, redonne la pêche.|couper{180}
Carnets | août 2024
18 août 2024
Depuis Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’à chez nous, en passant par les petites routes, il faut compter environ dix heures de route. En fait un peu plus si l’on s’arrète, mettons douze. Sommes partis de notre champ à huit heures et arrivés vers vingt-trois heures . Les derniers virages dans la nuit, pour rejoindre Bourg l’Argental et ensuite la vallée, la fumée blanche des usines se découpant sur le ciel sombre, le retour au bercail, la sensation d’épuisement total ; ça ne vient pas que de la route. C’est quelque chose qui guette, qui ne cesse de guetter, puis qui au moment où l’on s’y attend le moins, vous saute dessus. Fatigue et déprime. On comprend que les falaises lâchent, qu’elles perdent des pans entiers dans l’océan, la mer. A un moment, il y a toujours ce moment- les falaises n’en peuvent plus de se contenir. La fatigue, un autre nom pour l’entropie, l’usure naturelle du monde dûe au temps qui passe, dont on sait, on sent qu’il ne se rattrape pas. Toujours eu cette sensation de ne pas être abouti, achevé, fini et pour me l’expliquer, me justifier , toujours la référence au fait d’être né prématuré. C’est tout à fait ridicule bien sûr. Pour la plupart des gens que je connais, ça l’est. Et je suis tenté de me rassurer aussi en pensant que c’est tout à fait ridicule. Sauf que ça ne me rassure pas, ça m’éreinte. Ce qui m’éreinte surtout c’est de faire semblant d’adopter ce raisonnement. Alors qu’au fond, des forces obscures ne cessent de chuchoter que ce n’est pas tant ridicule que ça. Il y a toujours cette friction entre ce que pense tout le monde et ce que je pense en premier spontanément, qui semble ne rien devoir au jour mais bien plus à la nuit, au chaos, à la folie- ce que le monde nomme la folie. Mais qu’un fou en traite un autre de fou n’est-ce pas aussi ridicule, fatiguant, épuisant, surtout de tourner en rond ainsi. Je n’arrive pas à écrire de fiction, même avec la meilleure volonté du monde. Parce que la définition de ce qu’est une fiction n’est pas claire. Ainsi, partir du réel, par exemple de ce que l’on veut nous faire passer pour du réel, article dans le journal , un fait divers- pose déjà problème par la façon dont je le lis, comment on me le raconte, comment j’en comprends la raison, la motivation, les ressorts. Aussi loin que je puisse me souvenir, ce hiatus a toujours éxisté. Il y a toujours une rupture, une hésitation, un trouble, entre ce que l’on me raconte, ce que je veux bien en comprendre, ce que j’en pense ensuite. Avec au final cette sensation d’inachèvement, cette culpabilité de n’être pas certain d’avoir tout compris. Ce qui produit à la fois agacement, révolte, portes ouvertes enfoncées, régression dans des colères enfantines, trépignements, mauvaise foi, idiotie, et enfin je tombe de tout mon long, abattu, le monde m’a eu – c’est l’idée- je suis né ainsi pour être abattu. Et tout ce que je peux vouloir d’autre n’y change rien, parfois j’explique ça par cette sorte de croyance nordique en un destin funeste. Ensuite je réfléchis, je temporise, après une nuit de sommeil, les choses ne s’annoncent pas si terribles qu’on ne puisse les modifier, c’est l’illusion du jour et sa kyrielle d’espoirs. La lucidité s’écarte, laisse la place aux croyances ordinaires, l’effort est quasi naturel de maintenir ensemble tous les morceaux en apparence. On ne se rend pas compte comment cette impression de naturel nous crève. Sur la route, pendant que S. conduit, je somnole en écoutant un entretien de Nathalie Quintane datant de 2009 et que partage F. Ce que j’en retiens, sa notion d’abjection, si proche du mot ordinaire.|couper{180}
Carnets | août 2024
16 août 2024
Lu le manuscrit de Départementales (vie de province) envoyé par F. Pas question de donner un avis ; me concernant, ma lanterne s’est éclairée un peu plus sur la notion de protocole. Écrire à partir de faits divers, se réapproprier l’événement avec des mots à soi sans lâcher ou se laisser déborder par l’intime, quelle discipline ça requiert. Calaferte avait fait quelque chose du genre ; lui disait : « que les faits bruts, pas d’affect ». Truman Capote avait écrit De sang-froid, le seul d’ailleurs de lui que je n’ai pas lu. Il est quatre heures du matin, c’est la première chose qui me vient, ces petits textes de F. comme de petites bombes à retardement. Petits par la taille, mais… non, j’ai dit que je ne donne pas d’avis. Lu aussi quelques billets sur des blogs. Quelle importance de savoir ce que j’en pense. Impression qu’on creuse ensemble, que cette tâche requiert déjà suffisamment de force, d’énergie, pour ne pas avoir à en ajouter. Oui, c’est un réseau social, WordPress, c’est exact, moins tapageur cependant que les autres, certainement. La raison vient en premier lieu de notre matière à chacun et chacune, pétrie de silence dans le silence. C’est un autre type de bruit, disons ça, voilà. J’aperçois des changements de braquet chez les uns et les autres, des côtes qui demandent effort et retrait, des pentes sur lesquelles on file sans plus tenir le guidon, poussé par une étrange euphorie, et ce même voire surtout au plus profond de déprimes carabinées. Mais qui suis-je pour en parler, en juger ? Personne, qu’un œil qui s’entrouvre à peine qu’il se referme déjà, refabriquant à partir de ces quelques bribes une réalité, ma réalité – toujours subjective – malgré la fatigue de ces efforts à fournir. Est-ce que bloguer c’est pêcher, dans tous les sens du mot pécher qui est aussi accessoirement une traduction de échec en grec, échec de ne pas parvenir à sa véritable expression personnelle et à préserver la relation qui lui revient avec le reste de l’univers. Parfois, impression de crever quelques instants une surface, comme une baleine remonte pour venir respirer, souffler avant d’y retourner. Une réalité encore plus terrifiante se fait jour à coup de flashs, d’éclairs. Une paranoïa sans doute. Ma paranoïa. En tout cas, le mensonge à cet instant est tout à fait évident. Limpide. Il procure la sensation désagréable, presque intolérable, d’une simulation à très grande échelle. Une entourloupe encore jamais vue de mémoire d’homme. La survie alors doit tout à l’art de la navigation, car un seul faux pas ( on le sent encore plus quand on traîne la patte) , nous jetterait aussitôt dans les abîmes du doute. Un doute insondable cette fois. Étrangement, nous n’avons pas profité de cette journée supplémentaire offerte en compensation. Suis resté allongé à lire presque toute la journée ou à somnoler. S. a préféré le pont, les mots fléchés, le soleil. Une légère tension vers 15 h, puis après 18 h, et donc sommes partis marcher nos deux heures quotidiennes. Déjà, on peut sentir dans l’air les premiers indices de l’automne ; les jours raccourcissent, et il fait même frais la nuit, c’est ce qui m’a réveillé.|couper{180}
Carnets | août 2024
15 août 2024
Malafama, le nom du bateau. S. me le traduit par “mauvaise humeur”. Surtout s’il pleut, ajoute-t-elle. En tout cas, je viens de finir le 347 et déjà envie de commencer le 348, comme si la dose n’était pas suffisante, qu’il fallait encore creuser un peu plus, quoi, un canal carpien. Et puis, au hasard, je lis : “avoir du caractère ne signifie pas avoir mauvais caractère”, et je repense à mon père. Avoir du caractère, pour beaucoup de sa génération, aura signifié cela. Puis, par capillarité, à leur production, leurs rejetons. Souffrir silencieusement toute l’absurdité de ce monde demande autre chose que de la hargne ou de la mauvaise humeur, il faut ce qu’on appelle des nerfs. Ainsi, ces promenades journalières sont-elles un calvaire, mais au cours desquelles on peut merveilleusement comprendre la notion d’humeur, bonne ou mauvaise, selon l’état d’une voûte plantaire, des os, des muscles et des tendons. Toutes ces choses dont on ne tient pas compte lorsqu’on est jeune et insouciant. La douleur, la fatigue qui vient de leur répétition, de ces fatigues ou douleurs, de leur omniprésence, d’une peur naturelle de se sentir vieillir, ou d’une autre insidieuse émanant du déni, tout ça érode le masque des apparences, y compris de façon autoréflexive, surtout de manière narcissique, de ce qu’on croit ou avoir cru être. Le caractère semble lié par héritage au fait qu’il puisse exister une bonne et une mauvaise façon d’aborder, d’affronter la douleur comme la fatigue. Et, rémanence, les expressions qui accompagnent cette volonté ou non-volonté : du nerf, du cran, serre les dents — tant et tant qu’on finit par ne plus en avoir, de dents, sans bien s’en souvenir, savoir, reconnaître l’ancienne utilité. Quelque chose se vide pour laisser place à quelque chose d’autre. Ces deux objets restent indéfinissables un temps, comme sur la crête d’une vague, dans une immobilité tremblante et chancelante, l’ultime d’une vague d’épuisement physique ou nerveux. On sait qu’on ne peut s’attacher à la mauvaise humeur seule pour continuer. Le propriétaire du bateau nous invite à partir plus tôt que prévu, car il avait oublié une maintenance. Soit il nous rembourse l’équivalent de la journée, soit il fera un geste équivalent si on revient. Nous faisons semblant de ne pas comprendre, nous réfugiant derrière la barrière des langues, et proposons de rester une nuit de plus en contrepartie ; nous irons nous promener durant la réparation. Sans trop d’espoir, car nous avons bien saisi le sens du message. En ce qui me concerne, aucun dommage à partir plus vite, le temps maussade aidant et le fait que le nom du bateau me fait écrire sur l’humeur, le caractère. Je suis déjà remboursé. Six heures. Nous avons droit à une nuit de plus en compensation du temps alloué à la maintenance. C’est normal : j’ai trouvé la raison pour laquelle nous avions atterri là. Preuve à l’appui, ce texte. Rien d’extraordinaire en fait, c’en est tellement fatiguant.|couper{180}
Carnets | août 2024
14 août 2024
Écrire c’est prendre le pouvoir. Ce qui fait déja une bonne raison pour ne pas être prophète en son pays, en sa famille. Les familles n’aiment pas les autobiographies. Les archives départementales pas bien non plus. Un texte digne de ce nom doit pouvoir survivre au minimum cinquante ans en milieu hostile. Mourrez, attendez cinquante ans, repassez nous voir disent les archives départementales. Quelle chance de ne pas vouloir écrire une autobiographie ; en serais fatigué d’avance. Et puis rien à revendiquer, pas d’avis si durable qu’il survive à une journée, pas de compte à règler, pas de bénédiction lorgnée, qu’on me reconnaisse, c’est déja fait, mon bulletin de naissance le dit, qu’on m’aime serait risible, alors quoi, pas un seul ressort à compresser ni détendre, rien ne me pousse vers l’autobiographie. L’autofiction serait plus appropriée, toute la difficulté cependant qu’on la confonde avec de l’égotisme n’est pas mince. La fatigue due aussi aux boites aux étiquettes, cette réduction des os que le mort faute de tout se doit d’effectuer seul, jusqu’au scrupule, la poussière, l’oubli. Hier nous discutons de vacances passées, stupeur de n’en trouver aucun souvenir. Seulement de vagues impressions comme lorsqu’on se réveille. Alors que tu as une mémoire d’éléphant la plupart du temps me dit S. Pareil pour le sens de l’orientation ajoute t’elle, je te trouve de plus en plus perdu. Drôle d’effet. J’y repense en écrivant ce matin. La vraie raison qui me pousse à écrire est peut-être du même ordre que celle du Petit Poucet. Vouloir retrouver le chemin de la maison. Puis une fois découvert le pot aux roses, le fantasme, la chimère, c’est qu’on en aura pris l’habitude, l’usage et plus d’autre motivation que celle-ci. Donc ça commence par un désir de ne pas vouloir se perdre, ou de perdre des êtres, des objets, des pensées, des rêveries, puis les voir disparaitre, se voir disparaitre en écrivant justement. Nous allons au Guggenheim aujourdhui. Est-ce possible de plisser les yeux, gommer tout le superflu, percevoir l’essentiel. Mais fatigué aussi énormément par l’idée qu’il puisse exister un essentiel, à part aller ensemble visiter un musée quel qu’il soit. 19h. Il pleut. L’eau s’est engouffrée par une lucarne que nous avons oublié de fermer. Une bonne heure pour tout écoper éponger hier soir. Repas frugal puis au lit. ce matin réveil à cinq heure, il faudrait dire quelque chose de la ville de Bilbao, du Guggenheim, puis je me souviens que n’ecris pas une autobiographie, pas plus qu’un guide touristique. Peux dire tout de même que bien apprécié Yoshitomo Nara, le jambon, le vin blanc verdeto. Pour le reste, et spécialement Martha Jungwirth, il faudra y revenir. Et notamment sur la réflexion Das ist Scheise, c’est de la merde, de la part d’un quincagénaire teuton traversant le lieu d’exposition. ah oui voilà ça revient, les deux verbes vaciller et chanceler, au bout de cette longue journée de marche, après écoper éponger les voici enfin. l’art contemporain propose de vaciller chanceler assez régulièrement, signe sans doute d’une grande fatigue de notre humanité, on chancelle se tenant en funambule entre un c’est de la merde et un c’est génial|couper{180}
Carnets | août 2024
13 août 2024
On ne prend pas l’autoroute, on est fatigué d’engraisser Vinci et autres, surtout que c’est déjà payé et sur plusieurs générations, grassement. Nous, on prend les petites routes. C’est plus long, plus tranquille. Six heures au lieu de quatre, pas grave. On le sait d’avance qu’il ne fait pas beau, dès Bayonne on le sait, le pare-brise et les essuie-glaces le savent. Arrivée dans le port de Getxo vers 13 h. « Vous trouverez les clés du bateau au bar des skippers », dit le message. Merci Google Translate. Puis le gars arrive et nous explique tous les boutons. Il est pressé, on comprend en gros qu’il se dépêche parce qu’il est pressé, un bon gars soit dit en passant, en tout cas pas du tout collant, au poil. Ce qui fait que vers 14 h 30, on joue les skippers. Piqué un roupillon illico, position chien de fusil en grimpant sur le toit, il y faisait frais, petite brise, petit roulis rappelant de lointains souvenirs de fœtus, si ça se peut. Puis grande marche à nouveau, sans souffrance la vie ne vaudrait pas tripette. Où donc est ce foutu super mercado ? Bref, on a doublé le temps prévu par le GPS. On a escaladé une montagne tandis que toute une foule nous croisait, descendant. Les hommes portent ici des vêtements de femmes et même se maquillent. Remarqué aussi que tous portent un petit foulard vichy, mais couleur gris bleu, autour du cou, sans doute un signe de ralliement. La première heure d’ascension s’est plutôt bien passée, une souffrance correcte, pas de paroxysme. Mais au bout de deux heures, impression de marcher sur des moignons. J’avais vu des femmes se traîner à genoux vers un saint quelconque, à Guimarães, Portugal, j’en suis désormais, sauf que pas de saint au bout, juste le bateau de Popeye. J’écris ces quelques lignes sans conviction. Écrire à la sauvette en voyage ne permet pas de palabrer. Réveil à 4 h 26, je relis, bof. Drôle que quand je le fais, c’est toujours avec au départ cette petite euphorie, puis quand je relis, bof. La relecture est fatigante. Pire : décevante, décourageante, écoeurante. De la merde. À moins que ce soit une autobiographie, là pas de risque, elles sont toutes bonnes sinon excellentes, le lecteur fabriquant tous les romans à partir de… Ce n’est pas de moi, c’est de Philippe Lejeune, expert en autobiographies. L’idée d’en rajouter, que ce n’est pas assez, jamais suffisant, provient d’une carence de tout à l’origine — en couveuse — jamais réglée. On a beau faire jusqu’à l’érémitisme le plus loin qu’on peut, les jeûnes, les privations, l’abstinence la plus grotesque, rien n’y fait ni n’y fera. Après avoir commis tout l’inverse dans l’excès, rien n’y fait, n’y a fait, ni ne fera. Seul le vivre, ou accessoirement le mourir, sont des vecteurs, jamais une destination, une maison. À la fin, épuisé, c’est la détestation de tout en bloc, en vrac, et de soi surtout. On se met à comparer les torchons et les serviettes : où donc ai-je fichu mes mouchoirs or, ni, car. Puis on retourne s’allonger sur un traitement de texte, un canapé, l’herbe verte des sempiternelles hypothèses que tout aurait pu se passer autrement si… L’éreintant autrement si|couper{180}