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portes
A quoi sert une porte si on ne la voit pas, si on ne voit jamais autre chose que des murs. Et quand bien même la verrait-on, dans quelle mesure aurait-on envie de l'ouvrir pour regarder derrière celle-ci, de se créer encore l'illusion d'une autre pièce, d'un paysage et qui bien sûr seront différents de cette piece dans laquelle on se tient depuis toujours. J'étais exactement dans cet état d'esprit quand je parvins dans cette chambre, en 90, à Suresnes. L'hotel était propret, et les chambres se trouvaient au rez de jardin. Devant la fenêtre il y avait un cerisier japonais, et j'eus la chance, une fois dans ma vie, d'assister à la chute des fleurs de celui-ci. une réelle magnificence. Je crois que tout compte fait ce fut le seul événement remarquable auquel il me fut donné d'assister durant l'année entière que je passais ici, la plupart du temps allongé sur le lit, et tout rideaux fermés. J'exagère un peu, car bien sûr je travaillais, à deux pas de là j'avais dégotté un emploi de chauffeur livreur ; le job n'était pas fatiguant, il suffisait d'avoir un minimum d'obsessions récurrentes, juste de quoi s'inventer une vie intérieure pour patienter dans les bouchons. Mes relations avec le monde se réduisaient guère plus dans la journée qu'à des bonjours bonsoirs avec les employés des quais de déchargement qui réceptionnent mes colis, De temps à autre j'allais boire quelques verres dans un bistrot tenu par des gens louches à une population louche et je m'y sentais assez à l'aise d'autant qu'on ne me demandait jamais rien sinon le minimum, commander ce que je voulais avaler et le payer ensuite. Sinon tout le reste du temps et il y en avait encore beaucoup, je rentrais à l'hôtel, fermais ma porte à double tour, tirais les rideaux et dans la pénombre cherchais le lit à tâtons pour y rester allongé et méditer sur mon néant personnel. Une fois ou deux je reçus des femmes, mais le lit trop étroit et surtout l'absurdité sur laquelle je tombais systématiquement de ne pas savoir quoi leur dire ou quoi faire avec elles, acheva de me convaincre de ne pas réitérer l'expérience. Au bout de quelques mois, je n'avais plus d'effort à fournir pour trouver l'emplacement du lit, ni pour retrouver le chemin de ma chambre en revenant du bistrot aux trois quart ivre, ni pour connaître sur le bout des doigts toutes les astuces pour éviter les bouchons en journée. L'ennui qui jusque là était resté assez latent me surpris de plein fouet au printemps avec la sempiternelle renaissance du monde, l'apparition des tous premiers bourgeons. Et soudain je me demandai pourquoi. Pourquoi mot magique et qu'on ne prononce jamais suffisamment à haute voix vis à vis de soi-même. Je ne me souviens pas de la réponse que je m'étais donnée cette année là, peut-être d'ailleurs ne m'en étais je pas donnée du tout. Comme souvent ce furent des événements indépendants de ma volonté qui m'entraînèrent à quitter ce travail, à quitter cette chambre, et Suresnes vers une autre chambre à Paris. Une soudaine envie d'ailleurs, en résulta. Mais en changeant de chambre, peu de souvenirs vraiment, sauf peut-être le fait d'avoir testé la literie de ce nouveau lit , de m'y être allongé comme par réflexe puis d'être rester sur celui-ci encore toute une année supplémentaire dans une presque pénombre permanente. Donc ouvrir une porte ou la fermer n'est pas vraiment une difficulté fondamentale, mais savoir pourquoi on l'ouvre ou on la referme, ceci est certainement une toute autre histoire.|couper{180}
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un dieu vaniteux
Je marchais encore des jours et des jours avant de parvenir à une autre Sonora, mais mes espoirs s'étaient considérablement amoindris. J'en étais parvenu à ce point de fatigue où atteindre à n'importe quel but n'apporte qu' une douce tristesse plus que la saine brutalité conférée par le désir sur le point de se satisfaire. Disons que j'étais pour ainsi dire mort, ou quasiment, lorsque je franchis une fois de plus au crépuscule les remparts de cette énième Sonora, sise beaucoup plus à l'est que toutes celles déjà visitées. Il n'y avait personne dans les rues, jusqu'à ce que je tombe sur ce qui devait être la place centrale, entourée de vieux bâtiments assez semblables à ceux déjà rencontrés en Alsace ou du côté de Rouen, demeures patriciennes ou de commerçants, fenêtres étroites, petits carreaux et colombages. Une grande clameur montait vers la nuit, crée par les habitants se tenant les coudes pendant qu'ils étaient en train d'effectuer une danse étrange autour de quelque chose que je ne parvenais pas encore à distinguer. Je m'approchais donc, et soudain certains des danseurs m'attrapèrent le bras et m'entraînèrent dans la danse, trois pas en avant, quatre ,en arrière. C'était comme le flux et le reflux, une marée humaine autour d'un point fixe. C'est alors par l'effet cinétique bien plus que par curiosité que je vis enfin la statue du dieu vaniteux. Il fallut peu de temps avant que je ne surprenne l'essentiel de la cérémonie, et son rituel minimal ; à chaque fois que l'immense foule s'approchait du dieu elle l'insultait et lui crachait dessus. La pierre, une pierre sombre semblable à du granit était souillée d'humeurs qui dégoulinaient sur elle, la rendait resplendissante sous l'éclat écarlate d'une lune rouge. Au bout de quelques allées et venues, emporté moi aussi par la transe, je me mis aussi à pousser force jurons et cracher sur le dieu vaniteux- car j'avais entendu son nom. Mais le ridicule de la situation m'apparut soudain assez nettement et je mis toute ma volonté à m'extraire du mouvement général. Cette nuit là je trouvais un refuge sous un escalier pour tenter de trouver le sommeil mais le spectacle auquel j'avais participé m'encombrait l'esprit. Au bout d'une heure ou deux, le silence m'extirpa de ma somnolence, les habitants avaient du partir se coucher. Je décidais de me lever et de retrouver le chemin de la grand-place. Des silhouettes se mouvaient silencieusement autour de la statue, un véhicule muni d'un gyrophare bleu était garé tout près et depuis son réservoir un long tuyau était porté avec peine par deux des ombres que j'avais peine à distinguer. En m'approchant plus près que découvris qu'il s'agissait de femmes appartenant d'après ce que j'entendis à une religion minoritaire dans la ville. Des chrétiennes, ce qui les plaçait sous ces latitudes encore plus près de terre que n'importe quelle caste d'intouchables. J'allumais une cigarette et observais durant le temps de celle-ci leur labeur qui consistait à nettoyer les exactions commises durant la fête, à redonner une allure à la statue. Puis je m'éloignais de nouveau pour chercher la sortie de la ville, retrouver les grandes étendues désertiques qui m'étaient désormais familières plus que n'importe quelle ville, réelle ou rêvée. Néanmoins, comme il faut toujours un but pour avancer, avec l'éclat froid des étoiles je tentais tant bien que mal de raviver l'espoir de parvenir à une Sonora inconnue ; une ville qui enfin peut-être me surprendrait vraiment par sa totale absence d'étonnement, de surprise. Ce fut suffisant cette nuit là pour retrouver l'espoir avec l'aube naissante. .|couper{180}
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le soulagement qui convient
Il convient en tant que récompense que l'on reçoit, ou que l'on s'octroie d'avoir traversé l'horreur. Mais comme à peu près tout peut ici-bas être transformé en horreur assez mécaniquement, il n'est pas sot d'imaginer qu'il puisse exister en nous de vraies sensations d'effroi comme d'autres qui seraient artificielles ; artificielles uniquement d'ailleurs afin d'éprouver un soulagement au rabais de les avoir soi- disant traversées en restant indemne. La lecture de Lovecraft confère un type de soulagement étonnant mais que je ne parviens pas à classer dans une de ces deux catégories précitées. Sur un plan on pourrait se dire c'est une fiction, un divertissement, et l'angoisse, souvent tentée d'humour, est du même ordre, c'est à dire un passe-temps, mais la sensation de soulagement que j'éprouve à cette lecture semble avoir une autre source que cet inquiétude ludique si je puis dire. Ce soulagement dépasse d'une tête ou deux le plaisir de lire seulement un récit de fiction. Prenons le Cthulhu, ce texte qui nous entraîne dans un univers de tentacules et de parois poisseuses, il peut se lire à divers degrés, selon l'humeur, l'âge, l'idée que l'on se fabrique de toute fiction, l'engouement que l'on possède ou pas pour y pénétrer en tant que bon public, ou au contraire un esprit critique navrant qui nous empêcherait d'y pénétrer justement. Mais quel est cette abomination au fond du labyrinthe, ce labyrinthe crée par des phrases à rallonge, un style qui à première vue semble suranné, répugnera au lecteur pressé ; j'aurais bien ma petite idée, une explication assez plausible. De là à la livrer c'est autre chose, et peut-être que de le faire ne me soulagerait pas, ce ne serait pour le coup qu'un soulagement artificiel. L'effroi sous-jacent à la fiction est lui véritablement effroyable, donc une certaine dignité s'impose, même au plus indigne des hommes face à celui-ci. Et d'ailleurs n'est-ce pas justement par ce silence qu'une dignité devant l'effroi se récupère pour ainsi dire - si toutefois c'est possible... Et si cela est vraiment possible, n'est-on pas en droit alors d'en être soulagé d'une façon indubitable , de s'octroyer enfin à soi-même , le soulagement qui convient.|couper{180}
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Vanité des explications
Quichotte par Garouste N'y a t'il pas une vanité spectaculaire à vouloir trouver une explication à tout, de passer son temps à décrypter tout ce qui surgit de l'extérieur afin de l'absorber dans un intérieur, et qu'elle y soit ordonnée, rangée sur une étagère dans une jolie boîte, avec à chaque fois une catégorie, une étiquette. Une bibliothèque bourrée d'explications, et que rarement où jamais on ne relirait. Assurément en tout point semblable à une bibliothèque décorative. Mais qui donc vivrait dans une telle pièce avec une telle bibliothèque. Moi bien sûr puisque je suis, à défaut du contraire le seul à y penser en ce moment. Et donc cet ennui omniprésent associé à l'envie d'écrire comme un forçat, ne serait donc que ça. C'est à dire une explication encore. Et il s'en faudrait de peu pour qu'elle soit l'ultime la dernière, le point final. Ainsi j'aurais fait le tour de cette pièce, j'en aurais mesuré la longueur, la largeur, la hauteur, examiné chacun de ses recoins, et j'aurais passé ce temps infini uniquement que pour en arriver à cette absurdité. C'est encore une fois si ridicule que c'est probablement vrai. Pour autant je ne suis pas encore mort, la vie semble encore couler dans mes veines, et désormais, une fois cette dernière explication acquise comme la pièce la plus rare et en même temps la plus tristement grotesque de toute la collection, que vais- je bien pouvoir en faire ? Un habile plagiat du Quichotte, de l'Odyssée ? ce qui me chagrine en y songeant hélas c'est que je ne serai pas le seul, l'unique, pas plus que le premier à vouloir régler ce trop plein d'explications avec toujours la même vanité qui les aura inventées.|couper{180}
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l’abomination qui se cache sous le lit
Plusieurs images, appelons cela des images plus que des pensées, m'auront prodigué est-ce le bon mot, peut-être devais je plutôt dire infligé- et ce pas moins de dix fois- car j'ai pu prendre enfin la précaution de les compter - l'envie de sauter du lit, cette nuit, pour aller m'installer à ma table de travail, et les noter sur Ulysses ( désormais en mode nuit même le jour ) Cependant, même au fond des rêves les plus dingues, l'insistance me semble toujours louche et je m'en éloigne quand je parviens à prendre conscience que toute insistance rencontrée et ce systématiquement, j'ai pu l'observer , me rend encore plus bigleux que d'ordinaire. Toute insistance me rend bigleux aussi bien quand je dors que lorsque je ne dors pas ; par un phénomène de capillarité, c'est à dire que la chose comme une eau sombre venue de on ne sait quelle béance du sol remonte jusqu'au pied exactement comme pour un vieux mur dont aurait oublié de protéger la base avec une bonne couche de galets. Cette envie qui se cache sous toute insistance, l'ayant désormais prise à mon compte et l'insistance qui l'accompagne, me font loucher. Et ensuite il me faut des jours et des jours pour retrouver une vue normale (disons normale) Mais cette nuit, je suis plutôt assez fier de moi, j'ai résisté assez vaillamment à chaque assaut. Je suis resté couché. Peut-être un peu trop vaillamment. Et, bien possible que ce que je nomme une vaillance ne soit qu'une des multiples conséquences d'une chose tellement simple, tellement banale, l'installation d'un nouveau lit, un lit neuf et de tout le couchage neuf lui aussi qui l'accompagne. Et comme souvent une fois que l'imagination retombe comme un soufflet, on découvre un lézard au lieu attendu d'un dragon. Et bien sûr on est soudain penaud. mais cette honte n'est-elle pas assez semblable à l'insistance qu'on aura suivie et qui presque toujours nous mène à elle ? ne dissimule t'elle pas une envie similaire à la première ? Une belle image de cercle à l'intérieur duquel on tourne en rond. Et qu'elle est cette envie dans ce cas sinon qu'un événement spécial surgisse et qui n'aurait pour fonction que de nous rendre spécial. C'est tellement ridicule que ce ne peut être que cela. Mais mettons que je n'ai rien dit, que je n'ai pas découvert le pot aux roses, et surtout que je ne sois pas aussi désespéré et donc orgueilleux de vouloir toujours trouver des raisons à tout ; cette affaire de lit est plutôt inspirante. Car si je récapitule, combien de fois ai-je dormi dans un lit neuf au cours de ma vie. Peut-être une fois, et cela remonte à si loin que je l'ai presque complètement oublié. Sinon tous les autres lits dans lesquels j'ai dormi, furent ceux des chambres d'hôtel, des maîtresses qui m'auront accueilli dans les leurs, des banquettes de train en partance pour des ailleurs improbables, et des couches précaires dans une ou deux prisons dans lesquelles on m'enferma. Aussi, je me demande si les rêves que nous parvenons à faire dans ces circonstances sont vraiment les nôtres ou bien si nous héritons de ceux inscrits dans toute literie conjointement à ses anciens occupants successifs. Et, encore ceci expliquant cela, cette abomination dont l'enfant a peur, celle qui dit-on se cache sous le lit, ne provient- elle que du lit lui-même plutôt de quoi que ce soit d'autre qu'on imagine se trouver en dessous.|couper{180}
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Le peu de croyance envers l’information
peinture, Zoran Music Une information surgit, ma première réaction est souvent de regarder ailleurs. Je ne tiens pas à être informé. Une information si on la fixe de trop pourra pourrir une journée, et qu'elle soit bonne ou mauvaise ni change rien. Être informé c'est pénétrer dans un moule et devenir soudain un genre de cake voilà ce qui me vient aussitôt à l'esprit quand ce mot s'avance et que je recule, prend mes jambes à mon cou et m'en éloigne. J'ai l'air d'exagérer, et sans doute est-ce vrai, mais l'exagération comme la pratique de la caricature n'ont-elles pas pour fonction de porter l' attention sur les traits saillants d'un objet, qu'il soit visage ou texte ou image. Ensuite les conséquences de la desertion ne sont pas longues à se faire. sentir. On m'envoie des relances, on le menace, on se plaint de ma négligence par exemple ce sur quoi je ne rajoute rien en général, je la boucle, car si je disais vraiment ce que je pense de tout l'arbitraire de ces situations gouverné par l'information le monde entier se ruerait sur moi, m'enfermerait, me tuerait, il en va de la peau du monde de ne pas laisser s'exprimer à haute voix des individus comme moi|couper{180}
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La vie à Sonora
A Sonora tout est fait pour convaincre le voyageur de passage d'y rester. Et si , en outre, admettons qu'il se soit fait , par avance et grâce à l'imagination, une idée assez précise de la ville, cette dernière comme si elle avait eut le pouvoir de lire dans les pensées, les rêves les plus fous, les manifestait soudain dans chaque rue, chaque place, chaque impasse. A noter également que Sonora, pour un être totalement dépourvu d'imagination, n'eut été rien d'autre qu'une ville comme tant d'autres, une ville en perpétuelle métamorphose ; et dont l'intention, par exemple un plan mûrit d'urbanisme, de vivre ensemble et qui eut été concerté entre les habitants et les hauts dignitaires de la cite , était de toute évidence inexistant. La politique que l'on pouvait découvrir avec assez peu d'effort de réflexion était que tout simplement Sonora désirait seulement plaire à tout le monde et sans doute rien de plus. D'ailleurs le même voyageur dépourvu de rêverie découvrait assez vite les fissures entre les immeubles, les ordures qui s'entassaient dans des recoins peu accessibles aux touristes, et comme dans toutes les villes du monde, s'il tendait l'oreille, les cris et les pleurs d'enfants et de femmes que d'indignes personnages passaient le plus clair de leur temps à maltraiter tout à coup devenaient cruellement audibles. La difficulté ensuite pour tout voyageur , en tous cas le mien, est toujours de trouver le bon équilibre entre l'imagination et la lucidité ; étant donné qu'aucun de ces deux points de vue ne soit à privilégier par rapport à l'autre. Le temps qui s'écoula entre une ville imaginaire que je m'étais inventée et la véritable Sonora, ne dépassa que quelques heures tout au plus pour dire toute la vérité. Puis très vite le réflexe me vint à nouveau de penser m'être trompé de ville ; certainement n'étais-je pas encore parvenu à la véritable, l'unique Sonora. Et c'est exactement ainsi que je parvins à réunir les lambeaux de ma déception pour confectionner presque aussitôt une ville toute neuve encore intacte et à laquelle je donnais bien sûr de nouveau , le nom de Sonora.|couper{180}
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Henri Miller
"L'homme que j'étais je ne le suis plus" des années que cette phrase me poursuit comme s'il fallait atteindre à cette sensation au moins une fois dans une vie pour pouvoir s'en aller tranquillement. Évidemment tu omets le tout début, Miller déclare : Nous sommes morts. Et c'est ensuite, après avoir évoqué l'absence du moindre grain de poussière sur le sol qu'il déclare être un autre homme. En tous cas ce livre, Tropique du Cancer m'a autant fait de bien que de mal après mûre réflexion. De mal parce que je confondais encore narrateur et auteur. Tout ce qui était écrit dans ce bouquin était parole d'évangile. Le doute naquit des années plus tard comme il se doit. Mais puis-je vraiment dire que le mal était fait ... non je crois que c'est un passage obligé pour qui veut écrire de tomber sur cette dissociation un jour ou l'autre. Peut-être même qu'une fois ce mauvais moment passé, on est sans doute encore le même homme, mais sûrement pas le même scribouillard. J'ai souvent commencé des textes en empruntant cette phrase de Miller, c'était comme une sorte d'incantation à déplier pour que l'évènement se produise, mais une certaine lucidité fut toujours aux aguets pour me prémunir de sombrer dans la folie. Peut-être que cette lucidité n'est au bout du compte pas une amie. Mais Miller après l'avoir adoré puis conspué quand je découvris le pot aux roses, oui je peux définitivement dire que c'est un ami. Est-t'il recommandable en revanche, c'est une autre histoire.|couper{180}
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Il ne connaît pas sa force
cette phrase qui remonte de la nuit des temps lorsque je charriais les stères de bois que le camion déposait en vrac dans le jardin, à la Grave. La voisine, Muguette était passée par le petit portail entre nos deux maisons, elle m'avait regardé faire, j'en mettais un coup car le père n'allait pas tarder à rentrer. - ce petit ne connaît pas sa force- avait t'elle lancé à la mère qui venait à sa rencontre. Elles étaient restées un moment pendant que je suais sang et eau à placer les rondins dans la carriole pour emmener tout ça sous l'appentis au fond du terrain. Je me souviens de ma colère encore, pas à cause d'elles non, à cause de cette phrase qui ne cessait alors de tourner dans ma tête. j'en mesurais je crois toutes les conséquences parmis les plus néfastes pour l'avenir. Je songe à cela pour quelle raison, certainement parce que je continue cet atelier d'écriture, que parfois je me contrains à n'être qu'un éternel débutant en toute chose, me heurte régulièrement à cet orgueil qui ne cesse de me souffler toujours cette même phrase -tu ne connais pas ta force- et à qui je réponds systématiquement , si je la connais mais tu ne crois pas que je suis déjà si seul, laisse moi au moins m'illusionner d'entretenir cette compagnie avec moi-même. Mais l'orgueil tapote du doigt le bord de la table, il piaffe d'impatience, il s'en agace et je n'ose pas même imaginer ce qu'il fomente encore pour essayer de me prouver par a + b qu'il a raison. Et bien sûr quand j'assiste à ça je redouble d'ignorance et d'idiotie, comme il se doit.|couper{180}
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Immortel
Tout ce qui a pour unique fonction d'arrêter le temps, de rendre exactement semblables chacune de ces journées, et cette inertie posée ainsi pour ne jamais rien en vouloir modifier, n'est-ce pas là le but dissimulé d'une volonté maladive d'être immortel. Ce serait drôle alors que je ne cherche jamais que tout moyen possible pour crever. Tellement drôle et ridicule qu'il doit y avoir au fond de tout ça une belle évidence A moins que justement cette obsession ne soit qu'un élément compris dans le paquet, vouloir en finir avec cette vie là ne signifie nullement qu'on n'en désire pas- en secret- une toute autre. Et dans ce cas tous ces textes brefs, comme ces petits formats que tu réalises ne sont que les symptômes d'un mal à respirer, d'une carence du souffle. Un halètement. Et soudain ce souvenir revient, c'est la nuit, une nuit d'hiver particulièrement froide lorsque vous habitiez à la sortie de ce virage, en contrebas de la route, à Parmain dans le Val d'oise, ce chien qui s'était fait heurté par un véhicule. Il y avait eut un cri déchirant que tu avais entendu de la chambre, tu étais descendu en pantoufles, tu étais allé voir. Le chien haletait, ses yeux dans les tiens au moment de l'agonie, un échange d'une intimité si troublante, tu étais le chien tout à coup que la violence du monde avait heurté blessé à mort et tu haletais toi aussi. Exactement comme aujourd'hui. Peut-être parce qu'au fond de toi se précise de plus en plus l'abomination d'être immortel.|couper{180}
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Effondrement
Les jours passent, les dates d'exposition se rapprochent et je reste bras ballants, comme si j'opposais d'une façon farouche, butée une inertie à tout projet auquel j'aurais donné mon accord il y a longtemps dans le temps, et que ce temps justement ne soit plus du tout le même. Qu'il ne soit plus constitué des mêmes intentions, espoirs, intérêts etc. Je retrouve là ma détestation des agendas ; ces perpétuels aller-retour qu'ils obligent à effectuer d'un temps à l'autre, autant passé présent que futur et qui me réduisent à une girouette tournicotant sur un axe, au sommet d'un clocher d'église. L'église serait en l'occurrence cette carrière de peintre. Quelque chose s'est effondré ou continue de s'effondrer lentement mais inexorablement. Sensation parfois peu agréable de ne plus habiter quoique ce soit d'autre que l'écriture, exactement comme autrefois quand j'écrivais mes petits récits au jour le jour dans mes innombrables chambres d'hôtel. Impression que tout me fuit ou que je fuis tout sauf écrire. Il n'y a que cela qui me tient en haleine, qui me procure l'illusion certainement d'être encore vivant. Mon épouse ne comprend pas. Elle ne cesse de me dire que désormais les lieux d'exposition qui font appel à nous sont de plus en plus prestigieux. Et peut-être que c'est justement ce mot- prestigieux- qui m'agace autant qu'il m'effraie. Toujours cette idée que tout prestige d'une part ne peut venir que trop tard, et que de l'autre il faille souvent être complètement mort pour avoir accès vraiment à sa réalité. Or je suis encore vivant merde, plus tout à fait comme avant - mais vivant tout de même. En attendant je marche sur des œufs, impression d'être en suspension au dessus d'un gouffre d'une immense béance qu'auront formé mes illusions perdues. Cette inertie demande un acharnement sans pareil pour être maintenue dans cet univers qui oblige au mouvement, à enchaîner action après action sans réfléchir puisque une décision autrefois fut prise en amont. Cela requiert aussi une illusion d'unité envers soi, une parole gravée dans le marbre qu'on ne peut sans en subir les conséquences extrêmes, modifier ou totalement gommer.|couper{180}
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Tribus
Quetta 1986 Hier soir j'ai repris l'Aleph de Borges, traduit par Roger Caillois, et je me suis mis à décortiquer chaque paragraphe lentement après avoir lu la première nouvelle sur les Immortels. Les deux temps de la lecture se passent souvent ainsi, le premier m'emporte sans que je ne puisse réfléchir, et il m'arrive alors de penser que je reconstruis mon propre récit au fur et à mesure des diagonales que le regard pose sur la page pour glaner des mots ou des groupes de mots parmi les plus suggestifs ; la seconde est toujours plus attentive, j'oublie tout ce que j'ai inventé, et je cherche à savoir vraiment ce que me dit l'auteur. Cette seconde lecture est plus fastidieuse, car elle détruit en grande partie le premier récit, le mien en même temps qu'elle procure une sorte de soulagement inexplicable. Peut-être qu'il s'agit dans un tel cas que de s'intéresser vraiment à l'autre, à ce qu'il désire exprimer et comment surtout il l'exprime. Ce mécanisme ne se rencontre pas seulement dans la lecture, mais dans toute interaction avec autrui. Toute rencontre ainsi se déroule sur deux plans à partir de ce que je crois être un choc premier, une sorte de brutalité. L'autre surgit que ce soit dans une réalité ou dans un texte et ma première réaction est d'interpréter aussitôt son discours avec mes propres filtres, images, intentions, tout un imaginaire qui est une façon de poser un mur de défense à ce que j'imagine être un envahissement. Cela m'effrayait beaucoup lorsque j'étais plus jeune, j'y voyais concrètement la manifestation d'une volonté farouche de solitude, et aussi le peu d'intérêt parallèlement pour la réalité en générale, que celle-ci provienne d'autrui ou du décor, du contexte. En repensant à cette ville, à la Quetta que j'ai connue autrefois, presque aussitôt me revient l'image des tribus et de toute la violence très concrète que la scission des opinions, des intentions, des appartenances mettait en scène quotidiennement. L'armée venait presque chaque jour et mettait en batterie des mitrailleuses depuis les toits surplombant la grande place du bus terminal , on tirait dans le tas les jours de manifestation, le sol était jonché de cadavres, puis un couvre feu s'imposait parfois durant plusieurs jours le temps nécessaire pour que les tribus se calment, enterrent leurs morts, que la vie reprenne doucement. Pourquoi j'écris cela ce matin, sûrement après avoir lu quelques posts sur Facebook. Et j'y retrouve en grande partie tout ce qui me fait souvent fuir les réseaux sociaux, ou, quand j'ai du temps à perdre émettre des remarques. Ces remarques, ces commentaires, il me semble que souvent c'est pour remettre de l'huile sur le feu, pour contredire un consensus, ou encore des intentions troubles détectées - les miennes très certainement d'ailleurs. Ensuite je ferme la fenêtre, je rumine tout cela, je pèse le pour et contre pour essayer de ´savoir ce qui m'appartient ou pas justement. Puis je passe à autre chose. En tous cas le mot tribus m'est régulièrement insupportable quand je le vois surgir dans mon esprit. J'ai toujours refusé les tribus, d'appartenir à la moindre, la violence permanente qui les fonde m'ennuie souvent au plus au point désormais. L'ennui serait-il un pansement à la violence, la mienne comme toute en générale, une violence permanente...|couper{180}