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Les trois étapes d’un tableau

L'huile est une matière vivante, comme le peintre. Que savons nous du vivant sinon ce que nous rapporte la rumeur. Que savons nous de la peinture qui tienne jusqu'au lendemain ? Jusqu'à ce que l'on se penche sur le chiffre 3. Jusqu'à ce que l'on accepte le temps comme un processus de germination dont le but est la floraison. A quoi servent les fleurs ? A quoi servent les chefs d'œuvre ? Parfois lorsque je suis fatigué, je me dis que tout ça ne sert à rien. ça ne dure jamais bien longtemps, la fatigue est un voile qui s'estompe pour laisser place à d'autres. Autant de voiles autant de couches. Jusqu'à ce qu'un jour je rencontre mon maître et qu'il me dise : il est important de comprendre puis de respecter les trois étapes. Alors tu naitras avec, tu connaitras. L'huile est une matière vivante tout comme toi. La première étape est le domaine de la boue, de l'ignorance, du bien et du mal, du beau et du laid. C'est aussi celle de la peur et de la liberté. C'est dans ce royaume que tu construiras ton égo à coups de haches, à coups de couteau, à coups de pinceau. Tu te gonfleras d'orgueil et de vanité puis tu retomberas plus bas que terre. Tu n'auras pas d'autre choix que le beau ou le laid et tu détesteras l'entre-deux. Tu verras mille mondes merveilleux mille déserts mille champs de bataille, tu traverseras les couleurs sans les voir car tu n'auras encore aucune valeur. Tu t'enthousiasmeras le matin pour te désespérer le soir et ainsi durant des jours et des nuits, des mois, des années jusqu'à ce que la magie décide de te faire grâce et ouvre enfin tes yeux. Et c'est au moment où enfin tu verras que tout t'échappera pour sombrer dans l'aveuglement ensuite. A la seconde étape tu seras totalement perdu. Tu regarderas la toile et tu ne verras plus rien, tu seras perclus de doutes et si par hasard tu réussis un tableau tu diras ce n'est pas possible, ce n'est pas moi qui ai fait cela. Peut-être que tu ne peindras plus durant des semaines, des mois des années tellement le doute te tenaillera. Tu peindras tout de même parce que l'habitude est plus forte que tout. Des petites choses insignifiantes, de grandes choses sans intérêt, tu commenceras peu à peu à comprendre que le résultat n'est pas le plus important. Tu commenceras aussi à devenir plus attentif à tout ce qui se présente aussi bien venant de l'intérieur que de l'extérieur. Au bout de cette étape tu n'arriveras plus vraiment à dire qui peint le tableau, à dire "je". Passeront ainsi les jours, les semaines les mois peut-être les années. La seule chose à laquelle tu pourras t'accrocher est la régularité. Tu t'enfonceras dans celle ci comme dans une tombe. Jusqu'à ce que la magie te permette à l'aube d'un matin de décrypter la toile. La troisième étape te semblera irréelle. Il n'y aura plus de différence entre la toile, la peinture et toi. Il n'y aura plus que du bien et du beau partout même au plus sombre du plus sombre tu verras la lumière. Les noirs seront profonds comme la nuit percée d 'étoiles et de galaxies et toutes les nébuleuses auront pour toi leur raison d'être. La finesse des lumières s'étendront vers l'infini. Tu ne chercheras plus, tu ne douteras, plus tout simplement parce que tout cela n'aura plus de sens, parce que le doute et l'insensé auront disparu de la surface de la toile, comme de sa profondeur. Il n'y aura pas beaucoup de couleurs mais elle seront utilisées chacune à leur juste valeur sans même que tu n'aies à te demander pourquoi ou comment. Et une fois le tableau au bord de l'achèvement tu pourras rire ou sourire à ta guise enfin, et dire vraiment tout cela pour rien. Pour rien. Ce sera ta récompense pour avoir respecté à la lettre les trois étapes. Pour rien, le vrai but de la peinture comme de toutes choses. Huile sur toile Patrick Blanchon 2020|couper{180}

Les trois étapes d'un tableau

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Pas de répit pour les vieux cons

Une sacrée suée mercredi en 8 ( pourquoi pas en 7 je me le demande à chaque fois) lorsque la petite pisseuse de 10 ans à peine me toise en m'adressant un " Monsieur connaissez-vous Eric Emmanuel Schmitt" tout en relevant une mèche de cheveu rebelle tombée sur son front faussement ingénu. Ce n'est pas la première fois qu'elle me cherche et bien sur en général j'élude, je m'en tire par une pirouette, un sourire à la Lewis Carroll, un silence qui en dit long. Mais là j'avais du manger trop riche et la digestion mobilisait une grande partie de mon capital énergétique. J'allais dire un truc grossier comme fais pas chier et dessine. Heureusement, au dernier moment, j'ai eu cette présence d'esprit de lui faire répéter sa question, le temps de retrouver mon aplomb. Qui ça je dis ? en montrant mon oreille gauche, j'entends pas. Eric Emmanuel Schmitt Monsieur vous l'avez lu... ? A vrai dire je m'interrogeais... Est ce que j'avais pris le temps de lire les élucubrations d'un type d'origine lyonnaise (ou à peu près, Sainte-foy-lès Lyon ) qui devient administrateur d'une société anonyme qui porte le nom d'Antigone à Bruxelles. Pas du tout. Je m'en tamponnais royalement le coquillard. D'autant que né la même année que moi et bien plus célèbre, je n'aurais pas manqué d'entretenir encore des valises de ressentiment, de jalousie à son égard en ouvrant le moindre de ses bouquins. Je l'ai aperçu de temps à autre dans les journaux, à la télé, rien de plus je dis, jamais lu Eric Emmanuel Schmitt et vois tu petite je n'en suis pas mort. Et André Comte Sponville Monsieur vous connaissez ? J'avais quelques vagues souvenirs d'un transfuge lâchant l'église pour le PC, un complexe du au bégaiement qui l'avait conduit à prétendre à la littérature puis à la philosophie... une sorte de touche à tout voulant absolument coute que coute entrer dans la postérité. Mais allais-je déballer tout ça à une gamine de 10 ans qui lâchait de grands mots pour attirer l'attention d'un professeur sur elle ? Bien sur que non. J'allais refaire comme d'hab mon petit couplet sur la concentration. C'est bien la concentration, c'est indémodable. On ne peut pas faire deux choses à la fois petite, soit tu dessines soit tu discutes sur le sens de la vie et tout, et en l'occurrence puisque nous sommes là pour dessiner la première option est bien entendu la meilleure. Elle me fusille du regard puis elle dit en fait à part le dessin et la peinture vous ne savez rien d'autre. J'ai dit oui tu as tout à fait raison à un moment donné il faut faire des choix dans la vie, parce qu'on n'a pas tout notre temps, parce que sinon on se disperse et on ne fait rien de valable. Elle me regarde avec des yeux ronds puis elle s'exclame Monsieur je comprends tellement ce que vous dites, on dirait aussi que vous racontez votre vie là. Du coup à ce moment là précisément j'ai trouvé que le silence s'imposait, j'ai tourné les talons et j'ai été voir l'avancée des autres travaux d'élèves. Technique mixte 60x80 Patrick Blanchon 2020|couper{180}

Pas de répit pour les vieux cons

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Je n’ai jamais dit.

Je n'ai jamais dit je ne t'aime plus. Cela m'a toujours paru idiot et faux surtout. J'ai plutôt dit tu m'ennuies, tu me mets à bout, tu m'emmerdes, des choses de ce genre pas vraiment sympathiques mais qui me semblent plus justes, plus spontanément justes, sans réfléchir. Parce qu'au delà de cet apparent manque de respect, je t'aime depuis toujours je ne peux faire autrement, autrement ce ne serait pas toi, ce ne serait pas moi. Je pourrais m'excuser, dire c'est à cause de la pudeur, ça ne raviverait pas les cendres des illusions perdues. Je n'ai jamais dit je ne t'aime plus. Non par manque de courage ni par peur de te blesser comme tu n'as pas toi, hésité à le dire pour te blesser. Il fallait que tu le dises pour te libérer de quelque chose d'insupportable, je l'ai compris. Celui que tu aimes est toujours au delà de celui que tu aimais, et peu importe qu'il soit au-dessus ou au-dessous, il n'y a pas de point cardinaux dans mon amour pour toi. Je ne peux que me souvenir de cette fenêtre ouverte comme la porte d'une cage et de l' oiseau qui s'envole vers un ciel incolore. Ce n'est pas à moi de dire si cette idée est bonne ou mauvaise tu sais. D'ailleurs tu l'as compris après toutes ces années, et sans doute même avant, je ne dis que des choses sans importance véritable pour ne jamais parler de l'essentiel. je n'ai jamais cru dans l'essentiel usé par tant de bouches. usé comme ces amours que l'on se jure, comme des promesses intenables. Et si je jure ce n'est pas ainsi. J'ai toujours préféré la grossièreté au mensonge. Parce que celle-ci me libère, me fait rire ou sourire du mensonge justement. J'allais dire la grossièreté se rit de la vulgarité, tu vois je n'ai pas changé. Je n'ai jamais dit je ne t'aime plus parce que je préfère l'idée d'une cage réelle à toutes les illusions de liberté. Duo, Huile sur toile 2015 Patrick Blanchon|couper{180}

Je n'ai jamais dit.

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La pauvreté d’âme

Je ne sais pas ce qu'est l'âme, mais la pauvreté d'âme. L'examen des intentions me reconduit. J'écoute me relis m'évanouis. Alors je vois Le beau pays l'intensité des ors et des bleus. Et ma soif inextinguible Et toute la somme des empêchements. je suis cette bête de somme. Un âne qui se prend pour un aigle. et le contraire parfois aussi. Un fou qui aura tout inversé l'or vaut la boue Le bleu du ciel les ecchymoses. Je peux voir tout cela et l'étendue des pauvretés mais je ne sais pas ce qu'est l'âme Je ne veux pas le savoir. Décomposition Huile sur toile 150x70 cm 2019 Patrick Blanchon|couper{180}

La pauvreté d'âme

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Ceux qui savent

Ceux qui savent assomment et je ne voudrais pas devenir ainsi. Comme je ne veux pas tuer de mouches égorger des lapins. Ils disent enfant tu ne sais rien. Et je les ai cru souvent. Je leur ai donné raison devenant ainsi mon propre ennemi. C'est à bout de souffle qu'on s'interroge sur celui-ci. Quand l'air manque. Ceux qui savent vous le diront. Rejoins donc nos rangs qu'attends tu enfin Et soudain je me souviens de tous les petits poissons sur le talus Leurs soubresauts idiots dans l'assèchement de l'œil. Tout me revient pour m'appauvrir. Photographie Paul Léautaud le reclus.|couper{180}

Ceux qui savent

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Ombres et lumière

Chaque jour ce recommencement du doute. Je n'aurais pas voulu avoir à me battre entre les ombres et la lumière. Etre sans préférence comme un père avec ses enfants. Mais la nature en va autrement, il faut effectuer des choix, apprendre des renoncements. Idem avec le beau et le laid, avec l'ensemble des catégories. Parce que l'oubli pour vivre est nécessaire. Mais vivre ainsi dans la peur. Je voulais me souvenir de la moindre chose parce que la moindre chose compte autant que toutes. cette intuition crée la révolte. Les deux camps s'opposent férocement ou forcément Les ombres et leurs richesses par delà la tristesse. Et la lumière indéfectible, l'amour, la compassion. J'ai vécu animal dans des terriers pour explorer les ombres, fuir la lumière, la magnanimité. La peur comme une plante s'est épanouie dans le malentendu. Jusqu'à l'instant du pot aux roses. Ici-bas tout est neutre sauf le regardeur J'ai essayé de fuir dans la neutralité. Mais c'est impossible tant que le cœur bat. S'arracher le cœur pour voir le responsable des couleurs ne peut-être une victoire. Mais plus de solitude. Me voici balloté pour quelques heures encore entre les ombres et la lumière. Feuille morte sur le fleuve filant entre le calme et les tourbillons. Pas de rive qui ne soit illusion. Sauf l'idée de la rive. Alors je tente un jour les ombres l'autre la lumière. Chaque jour le recommencement du doute m'aide à devenir vivant. Huile sur toile 60x80 Patrick Blanchon 2020|couper{180}

Ombres et lumière

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Regarder un tableau

Hier soir nous nous sommes rendus mon épouse et moi à un vernissage. Il y avait là les œuvres d'un peintre de mes amis et celles d'un photographiste que je ne connaissais pas. Et ce fut une aubaine pour me retrouver dans la peau d'un quidam qui visite une exposition, exercice dont je n'abuse pas tant il déclenche chez moi des émotions souvent antagonistes. En premier lieu j'effectue un rapide panoramique de l'ensemble des œuvres accrochées pour me fabriquer une première impression. Je tente de découvrir lorsque celle-ci ne me saute pas aux yeux une unité, une cohérence. Puis je m'approche pour zoomer sur chaque pièce afin de la voir dans son isolement par rapport à cette unité si je l'ai découverte. Si je ne l'ai pas trouvée je m'approche aussi de toutes façons et là que se passe t'il ? Est ce que je ne suis pas en train de juger un travail ? Est ce que je porte une attention à l'émotion que produit ce travail sur moi ? Je me demande ce que veux dire l'artiste où ce qu'il cherche à ne pas dire. Bref tout un bouclier de pensées et d'émotions se constitue immédiatement aussitôt que je m'approche du tableau ou de la photographie. Et ensuite un jugement est établi sommairement la plupart du temps qui consiste à me dire j'aime ou je n'aime pas puis de passer au suivant. En cela je ne suis pas mieux loti que quiconque. Et j'aime cela. J'aime cette partie de moi qui se fédère à ce que l'on nomme "le public". C'est à dire à ces notions de beau ou de laid, à ces clichés et sans doute je m'en imbibe comme un buvard. Puis, une fois toutes les œuvres passées en revue, je vais boire un coup, je discute avec les artistes, avec les autres invités, je pioche dans les petits fours ou les chips et la soirée passe ainsi. Enfin c'est lorsque je me retrouve seul que je repense à tout ce que j'ai vu, à tout ce que j'ai éprouvé et pensé à ce moment là. J'ai une excellente mémoire de tous ces petits détails, à force d'entrainement. Et là je décortique. Que puis-je vraiment me dire au terme de cette exposition, qu'ai-je appris ? Car pour moi un bon moment se résume souvent au fait d'apprendre quelque chose. C'est d'ailleurs sans doute un de mes travers soi dit en passant. Car si je juge n'avoir rien appris de nouveau j'ai cette tendance de penser que j'ai perdu mon temps. Ce qui est une de mes angoisses favorites. Ce qui me pousse à écrire ce texte car je vois bien à quel point il peut être compliqué de regarder un tableau ce qui est paradoxal puisque toute la journée je n'arrête pas d'en regarder de donner mon avis, de conseiller mes élèves sur tel ou tel blocage, tel ou tel déséquilibre. Comment je peux oser avoir autant de confiance en moi à ces moments là et en manquer parfois tout autant lorsque je me rends dans une exposition. On pourra penser que je ne suis qu'un petit dictateur qui sitôt qu'il sort de sa zone de confort et de sécurité déraille totalement. Je pourrais facilement le penser pour être un peu raide avec moi-même, sans complaisance. D'ailleurs il n'est pas rare que les profs se permettent ce genre de jugement à l'emporte pièce, je ne citerais pas de nom, et des artistes aussi. Sur quelle base formule t'on de tels jugements ? Pour rester dans une forme de bien pensance ou de mal pensance à la mode la plupart du temps sans doute, pour ne pas s'isoler d'un consensus que l'on perçoit presque immédiatement et qui nous aspire malgré nous ? Cela nécessite un effort pour être indifférent à ce consensus. Pour ne pas y adhérer de façon aveugle. Pour tenter de se forger sa propre idée. Ce qui revient assez souvent c'est le mot justesse lorsque je repense à ces tableaux, à ces photos. Ce ne sont pas des critères de beau ou de laid ni de bien ou mal, mais une double question Suis je juste face à l'œuvre, suis je aligné, bien dans mes basquettes ? Cette œuvre est t'elle juste de façon autonome ? Ces deux questions sont de vraies questions qui ne nécessitent pas forcément une réponse immédiate. Mais il faut parfois du temps pour que je me les pose. Et c'est au moment où elles sont enfin posées que je peux me faire une idée plus juste de tout ce que j'ai pu regarder et voir. Cela aussi implique une durée qui n'est pas non plus linéaire. Une durée circulaire qui transite par de nombreux tableaux ou photographies déjà vues, c'est à dire sans doute ce que nous appelons des références. Toute une collection de références sur laquelle on s'appuie pour associer une catégorie à un travail. Ce que je réfute à tout bout de champs lorsqu'il s'agit de mon propre travail car cela m'agace qu'on me dise tiens on dirait Modigliani, ou encore Mark Rothko ou je ne sais qui. Nous ne sommes donc jamais à une contradiction près. Regarder un tableau ça veut dire quoi exactement alors ? qu'est ce que l'on regarde vraiment ? Est ce que l'on effectue un inventaire de nos propres connaissances en matière de peinture, Est ce que l'on ne fait que penser ce surgissement afin d'ensuite pouvoir parler de cette vision ne serait ce qu'à soi-même ? Ou bien tout cela n'est t'il qu'une sorte de pansement pour tenter de combler le vide dans lequel nous sommes aspirés sitôt qu'une œuvre exposée en tant qu'œuvre surgit ? Une autre chose à laquelle je pense souvent c'est le cadre dans laquelle le tableau est exposé. Est ce que le même tableau sous les tréteaux d'un vide grenier a le même impact que dans une galerie ? Bien sur que non. La triste vérité est celle-ci : bien sur que non. Ce qui explique en grande partie pourquoi je vais rarement à des vernissages, visiter des expositions et pourquoi aussi j'ai renoncé aux vide-greniers Et aussi pourquoi j'ai déserté les chapelles et l'Eglise en général. Et, de plus pourquoi je me sens si bien dans mes ateliers avec les enfants. Parce que je n'ai absolument pas peur tout comme eux d'ailleurs de pousser des cris, des gloussements et des grognement de plaisir lorsque je vois un tableau réalisé par l'un d'entre eux, et même parfois j'effectue un petit pas de danse et je frappe dans les mains juste avant d'effectuer un salto avant ou arrière pour leur plus grande joie. Maison d'autrefois Gouache sur papier 15x21 cm Patrick Blanchon 2021|couper{180}

Regarder un tableau

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Tempêtes et océan

Il y a un homme, mais je peux sans me tromper désormais ajouter, il y a une femme, il y a un monde tout entier qui vogue sur cet océan en quête d'une terre, d'un rivage, d'une idée de paix. Mais si l'on tend l'oreille nous n'entendons rien d'autre que des cris, des larmes parce que ce sont ces cris et ces larmes qui prennent le plus d'importance dans le chant de l'Océan, ils en constituent les chœurs qui entourent et soutiennent tout en même temps une mélodie si subtile qu'il faut que tout s'effondre en nous pour en prendre la mesure. Un jour de calme plat sans vent si on prête l'oreille à l'indicible on sait. On sait que la terre est toujours là sous l'océan et que ces deux là , en profondeur, s'épousent. Que le Goéland dans le ciel est leur complice. Tempêtes, vagues effroyables qui emportent tout sur leur chemin ne changent rien à la sérénité conjugale. En dessous de la mort il y a de l'amour. En dessous de nos peurs il y a du désir. Il y a un homme et je peux désormais dire sans me tromper, il y a une femme, il y a un monde tout entier qui jour après jour invente une idée de paix à partir des tempêtes et des murmures de la terre comme de l'océan. Cela ne tient à rien, où à pas grand chose, un bouquet dans un vase, un sourire sans un mot, un regard clair, et parfois juste un silence, ou un silence juste. Toute une décoction d'ombres pour fabriquer la lumière. Et puis bien sur tout recommence jour après jour, l'agitation et les tempêtes, la lune et ses marées, l'égarement et la souffrance comme un grand feu qui brûle sans relâche et dont nul ne se souvient qui l'a allumé. Huile sur toile 40x40 Patrick Blanchon 2020|couper{180}

Tempêtes et océan

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Si j’avais le temps

Cet homme si détestable, cette femme si laide, si j'avais le temps je pourrais les aimer. Je me dis souvent cela et puis bien sur j'oublie. J'ai besoin de cet oubli pour vivre ma vie telle que je l'imagine. Il n'y a que lorsque je suis là, face au vide et que j'en partage l'information pour que sa lumière éclaire un peu les pans obscurs de cet oubli, que je puisse en extraire le nécessaire à la journée. Le minimum vital. Cette excuse que je me donne de ne pas avoir le temps provient surtout de mon incompréhension du mot. Car en fin de compte je ne sais du temps que ce que l'on m'en dit. C'est à dire des dates, des propositions à l'employer qui me viennent autant de l'extérieur que de l'intérieur en reflet. Mais le temps m'échappe aussitôt que j'essaie de m'en rapprocher autrement qu'ainsi. Cette notion collective, apprise du temps m'échappe car à ces moments là où je suis seul et que je traque son essence, plus rien de valable, d'utile, d'efficace ne tient. Je me tiens face à cette énigme et c'est seulement lorsque je disparais soudain dans le fracas de la sérénité qu'elle s'ouvre afin de me montrer son infini comme sa proximité. Cette sérénité j'ai appris qu'il ne sert à rien de la chercher, il faut juste parvenir à ce moment de justesse qui nous rend disponible à l'ouverture. J'ai essayé tout un tas de techniques, j'ai lu un tas d'ouvrages, j'ai erré dans de multiples voyages en quête de la formule. J'ai cherché des maîtres. Je n'ai rien trouvé jamais qui puisse me permettre d'élaborer une décision qui puisse se répéter pour en extraire le même profit. Parce que justement ce qui me barrait la route était le profit à en tirer. Je me disais toujours je n'ai pas le temps d'attendre que la récolte murisse j'étais si pressé... Pressé d'arriver à un but que je ne parvenais jamais à définir. Si j'avais le temps je recommencerais tout mais j'ai bien peur que je ne fasse exactement les mêmes erreurs. Tout simplement parce qu'il est impossible d'avoir quelque chose que l'on est déjà. Je suis le temps, je suis aussi cette énigme, comme j'en suis la clef. Cependant qu'il faille tout oublier à chaque fois, s'effacer chaque jour un peu plus, d'un pas de plus, pour laisser être celui qui se cache toujours derrière tous ces "je". Car cet homme détestable, cette femme laide je les connais profondément évidemment depuis toujours. J'ai seulement oublié à quel point je les aime et voilà tout. Peinture acrylique sur papier format 30x40 cm Patrick Blanchon 2021|couper{180}

Si j'avais le temps

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L’amour fou

L'amour est une chose étrange car il est rarement à l'endroit où nous l'imaginons. Et comme nous sommes déçus qu'il ne se trouve pas là où nous l'espérions, nous détruisons l'idée que nous en faisions, pour presque aussitôt la remplacer par une autre tout aussi fantaisiste probablement que la précédente. Et à chaque fois c'est aussi sans le savoir une part mensongère de nous-mêmes que nous jetons aux chiens, comme une mauvaise copie qu'il nous parait insupportable de relire. Peut-être que si nous éprouvions ce que ce sentiment exige de nous, juste un brin de miséricorde envers nous-mêmes et les différents avatars que nous utilisons pour parvenir à l'atteindre, et que nous considérions nos maladresses comme le chemin qui se trouve sous nos pieds alors nous n'aurions plus à tant chercher. Peut-être serait-ce aussi facile de vivre à son contact comme au contact du soleil, de la lumière et de l'ombre. Mais ce qui s'interpose avec cette simplicité c'est cette obstination à ne pas lâcher certains rêves, ce que nous appelons des rêves mais qui ne sont en fin de compte que des croyances, des illusions , des paravents derrière lesquels nous nous planquons parce que nous ne savons tout bonnement ce que nous pourrions être sans toutes ces inventions. Il en va ainsi des filles que l'on a aimées et qui nous ont dit-on rendus cinglés, des passions adolescentes, des rêves héroïques, et de tous ces putains d'engouements grâce auxquels on a tenté de survivre parce que la vie ressemblait alors à un costume mal taillé dans lequel nous avions honte d'apparaitre trop insignifiants. Ensuite on profitera de l'occasion pour jurer tous les grands dieux qu'on ne nous y reprendra pas, que tout cela ne fut que foutaises, contes pour marmots et niaiseries dégoulinantes. On se fabriquera une carapace, un home sweet home, et ce ne sera pas très important alors que ce refuge soit un palais ou une caravane, un trou dans le sol, une ile déserte ou l'anonymat des grandes villes. Tout ceux qui savent qu'ils ont échoué, qu'ils nous pas su conserver leur grand amour, leur amour fou, n'ont accepté cette défaite qu'au bout de douloureuses grimaces, et aussi et surtout en raison de l'ignorance d'un malentendu de taille qui lui aussi fait partie des étapes de cette route solitaire. Ce sont tous ceux qui ont confondu le doigt et la lune, et je ne leur jetterai pas la pierre ayant été bigleux maintes fois moi aussi. Les êtres passent comme le temps et on croit que l'amour a disparu avec eux. La vie demande, exige l'abandon et la perte , que l'on se débarrasse de tout ce qui nous encombre et nous aveugle. La vie demande de traverser la nuit après avoir gouté à la lumière. Il n'y a qu'à partir d'un certain de point de vue et je ne saurais dire s'il est dessiné par le temps, l'expérience, ou la fatigue, que l'on parvient à voir une portion un peu plus grande du chemin. Appelle t'on cela l'amour ? La musique ? la poésie ? la peinture ? On sent bien à utiliser ces mots le risque de s'embourber encore une fois de plus. Il arrive que même ces mots ne nous consolent plus de la douleur ni ne guérissent la plaie béante par laquelle toutes nos forces vives se sont enfuies. Ce que nous appelons nos forces vives, nos croyances prenant racines dans les serments de l'enfance. Nous devenons des brutes avides de silence et cela encore fait partie du chemin. Revenir à la bête, à la sensation vraie, celle qu'on ne peut ni ne veut décrire ou partager. Et puis un matin, un soir, n'importe quand on redevient le nouveau né que nous avions oublié. Tout alors s'effondre tranquillement comme un soufflé raté mais c'est un soulagement, une sensation étrange et paisible qui nous envahit. Est-ce donc la mort Est-ce donc l'amour ? et on voit la perte de temps à s'interroger encore. Nouveau né, vieux guerrier se rejoignent dans ce silence. Et la miséricorde si souvent muette à nos cotés se met alors à chanter et voici les cœurs battent comme des tambours , des sanglots surgissent, des rires nous secouent et l'on croit avoir atteint l'extrémité enfin de toute cette folie que déjà celle-ci se jette encore dans une folie plus vaste. Voici l'horizon atteint. La folie s'avance et nous saisissons tout à coup que c'est elle que nous avons toujours cherchée. Cette folie c'est l' amour que nous n'avons plus besoin de rêver ni d'imaginer. Cette folie et cette sagesse enfin d'aimer pour rien comme on trouve enfin un sens à l'insensé. Détail huile sur toile Patrick Blanchon 2020|couper{180}

L'amour fou

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Ce qu’il restera

Ce devait être en 86 ou 87, certainement à la fin de l'automne, une journée maussade tout à fait semblable à aujourd'hui et nous venions une fois de plus de nous rabibocher avec Maurice. Dans cette ville, j'avais beau tenter de m'égarer le plus consciencieusement que je le pouvais, mes pas me ramenaient toujours à un moment ou l'autre vers le quartier des Halles, le boulevard Sébastopol, la bibliothèque du centre Georges Pompidou et les ruelles environnantes peuplées de vieilles putes sur le retour. Je ne me souvenais plus de la raison pour laquelle nous nous étions brouillés la dernière fois, aussi, lorsque je tombai tout à coup nez à nez avec Maurice, à la sortie de l'église Saint-Merry, nous fîmes tout pour égrener tous les symptômes de la surprise heureuse que nous procurait cette rencontre. "Mais Maurice c'est toi vieux pédé ! je croyais que tu étais en train de bouffer les pissenlits par la racine depuis tout ce temps. -Ah mon chameau, tu n'as rien perdu de ton insolence mais où donc étais tu donc passé petit salaud ? ça fait des mois et des mois que je te cherche dans toute la ville. -C'est parce que j'étais ailleurs tout bonnement ou bien que j'évitais le quartier pour ne pas retomber sur ta sale fiole d'aristo inverti j'ai dis Puis de se donner l'accolade pour nous renifler d'un peu plus près afin de savoir au moins si on pouvait toujours se sentir plus ou moins. -Comme c'est épatant je viens tout juste d'allumer un cierge pour toi, ajouta t'il. Et enfin m'indiquant son cabas rempli ras la gueule il enchaina par un viens manger je suis sur que t'es encore affamé. Ce qui en l'occurrence était la pure vérité. Quel plaisir de retrouver son gourbis. Il habitait juste en face des fenêtres de l'oncle de Molière, un quatrième sans ascenseur, ce qui probablement était une des causes de sa vigueur. A plus de 70 ans il avalait les marches pratiquement 4 à 4. Alors que quelques instants plus tôt sur le pavé des ruelles il se trainait comme un vieillard s'appuyant sur une canne. La joie des retrouvailles, sans doute. Il enfonça la clef dans la lourde porte blindée ( serrure 6 points ils peuvent y aller) et celle-ci s'ouvrit à nouveau sur un capharnaüm que je fus ému de retrouver. Il y avait là une grande pièce toute encombrée de bibliothèques, de tables, de guéridons, de consoles, de bancs et de chaises, le tout littéralement envahi par des bouquins sur à peu près tous les sujets. Sur le rebord de la cheminée que nous avions allumée une seule fois durant le mois de janvier 1985 et dont l'intensité m'avait appris Maurice, avait atteint celle de 56 mais avait duré moins longtemps, je retrouvais cette bonne vieille Léda se faisant mettre par son cygne. Rien n'avait vraiment changé depuis les quelques 8 mois où nous nous étions quittés la dernière fois. Juste un peu plus de poussière, et il me semblait que la luminosité provenant des deux grandes fenêtres à meneaux perçait encore plus difficilement que jamais les voilages douteux que j'avais toujours connus suspendus devant celles-ci. Nous nous frayâmes un chemin entre les encombrements pour rejoindre la salle à manger à peu près dans le même état. Sur la grande table des bataillons de fioles et de tubes semblaient faire le siège autour d'un compotier rempli de fruits talés, des magazines TV s'amoncelaient, pêle-mêle avec des documents administratifs et des pubs pour dépannage en tout genre. Bref c'était le même bordel que j'avais toujours connu ici chez Maurice, et je me demandais soudain pourquoi les choses auraient t'elles pu changer, n'était-ce pas là seulement mon propre espoir et la déception simultanée de l'idée même de changement que je reprenais en pleine poire et par la bande ? Je me souviens qu'à cette période de ma vie, je passais un temps dingue à vouloir aider les gens, pour qu'ils changent. Alors qu'en fait c'était juste un fantasme dérivé de ma propre propension au désordre permanent que je tentais de soigner. On déboucha une bouteille de Payse et le gout apre de son contenu comme celui de la madeleine proustienne me ramena à toute une série de souvenirs, à ces nuits blanches passées là autour de cette même table à bavarder de tout et de rien, surtout des mots eux mêmes plus que de la façon dont nous pourrions les utiliser intelligemment. On s'appuyait sur des dicos datés- Notamment le Bouillet dont j'avais dégotté un exemplaire dans une caisse de bouquiniste et que j'avais payé à prix d'or pour fêter l'anniversaire du vieux, il y avait de cela des vies. Et le deuxième tome tu ne l'as pas trouvé ?c'est celui des noms propres avait il déclaré tout de go et un peu déçu. Sans doute était-ce un motif suffisant alors pour prendre de la distance avec Maurice car j'étais extraordinairement susceptible. On s'est mis à éplucher les pommes de terre ensemble, en plaisantant de tout et de rien, il faisait du léger je le voyais et du coup moi aussi. Quand on est arrivés aux carottes et aux oignons il a commencé malgré tout à geindre légèrement. J'en ai plus pour bien longtemps tu sais, faut pas t'absenter aussi longtemps, un jour je risque de ne plus être là du tout. J'ai rien répondu, je connaissais toute la ritournelle par cœur. Enfin le pot au feu fut près et on passa à table. Il dut attendre que j'ai le ventre plein et dans une disposition d'esprit emplit de gratitude pour lâcher : Et tous ces bouquins que vont ils devenir quand je disparaitrai ? Qu'est ce qui restera ? Je veux que tu les récupères On en a déjà parlé Maurice, comment veux tu que je récupère tes livres, je n'ai pas de domicile fixe, rien ! Peut-être qu'il serait temps de grandir un peu mon bonhomme il a dit et j'ai vu qu'il était contrarié, qu'il n'allait pas tarder à devenir colère. Alors je me suis levé j'ai dit merci pour le repas et j'ai pris mes cliques et mes claques et je suis parti. Je ne l'ai à ce jour plus jamais revu. De temps en temps lorsque je vais faire un tour dans les vide greniers, n'importe où que ce soit à Paris ou en province j'aperçois parfois des livres qui auraient certainement pu appartenir à Maurice. Il parait que la Ville de Paris revend tout aux enchères à des brocs en cas de décès et lorsque aucune famille ne réclame. Des livres aux tableaux c'est un peu le juste retour des choses je me dis souvent. De tous ces tableaux comme de tous les livres de Maurice qu'est ce qui restera finalement ? Et puis je pense à autre chose parce que ça flanque le bourdon pour rien ces idées là. Huile sur toile 2018 Patrick Blanchon|couper{180}

Ce qu'il restera

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Coincé à la lettre Q.

Certains parviennent à réciter l'alphabet gentiment tout comme les tables de multiplication. C'est à dire par habitude, après avoir appris tout ça par cœur, petit doigt posé sur la couture du slip, du pantalon ou de la jupe à volant. C'est très bien et il en faut. Sinon comment tournerait le monde ? Mais moi je n'ai jamais pu réciter l'alphabet sans me tromper. Je reste obstinément embrouillé sitôt que j'arrive à la lettre Q. Et du coup je me rends régulièrement sur Google pour tenter de me souvenir de ce qu'il peut bien y avoir après. C'est un truc qui fait quand même réfléchir au bout d'un moment, et peu importe la durée de ce au bout. Car dans le fond l'incommensurable confusion dans laquelle j'ai toujours à peu près vécu me ramène et me fige encore une fois de plus vers le "Cul", comme le Nord aimante et cale l'aiguille des boussoles. Rien n'est plus réel que le sexe pensais-je naïvement. Et tout ce qui pouvait se produire aussi bien avant ou après n'avait finalement qu'une importance toute à fait relative. Seul l'évènement des corps qui se rencontrent, se touchent s'explorent se chevauchent se lèchent et se dévorent semblait posséder la pertinence nécessaire pour se sentir vivant. Tout le reste n'était que du pipi de chat. Pour se sortir de ce pétrin j'ai essayé un tas de trucs divers et variés dont je vous ferai grâce de les énoncer. Echec cuisant à chaque fois. Une fois j'ai eu de l'espoir tout de même et j'ai bien failli arriver au R sans y penser, j'allais enfin me dire ouf. Ce devait être au dojo zen de Lausanne au moment où le coup de gong soudain a produit l'irruption d'un bouchon de cérumen depuis mon oreille droite sur le sol. Un peu comme la fleur de cerisier tombe au sol. J'ai éclaté d'un grand rire dans le silence étourdissant juste après et j'ai tout de go dépassé le Q en gueulant rstuvwyz. quelqu'un m'a dit alors et le x ? Et là j'ai su qu'une nouvelle traversée du désert s'annonçait. https://youtu.be/AL6afQgzRQs|couper{180}

Coincé à la lettre Q.