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Agenda ironique de décembre 2021
Laurence Délis qui hébergeait l'agenda ironique de novembre me propose de l'abriter durant décembre. Etant novice, ignorant de l'orthodoxie de cette pratique, apparemment ancienne et appréciée, je vous prie d'avance de bien vouloir me pardonner les bévues éventuelles que je pourrais commettre, en toute innocence. Donc décembre c'est l'Avent, mot important puisque les commerçants vendent ces calendriers où l'on peut trouver derrière la porte de chaque journée, ou Saint, je ne sais plus, un bout de chocolat, un bonbon, une gâterie. Ce qui est étonnant car normalement on devrait jeuner, se libérer de tout ce qui est parfaitement inutile pour accueillir sans entrave l'arrivée du petit Jésus. Bon, mais nous sommes dans des temps bizarres, d'ailleurs le petit Jésus, le Père Noël ne sont plus pour la plupart d'entre nous que des mythes. Quelles seraient les raisons de croire à toutes ces inepties dit à nouveau mon vieux ronchon de paternel quelque part dans un recoin de ma cervelle. Pourtant rappelons-nous. Décembre, les premières neiges, les pas dans la ouate qui craque sous la semelle, vers l'école, les batailles de boules de neige, la décoration du sapin, et cette interrogation lancinante : Le Père Noël existe t'il vraiment ? Donc un texte concernant la période qui évoquerait à nouveau l'espoir, ça serait chouette. Et tant pis ma foi si ça finit en déception ou pas. C'est pas le résultat qui compte. Je ne mets donc rien derrière l'espoir, chacun peut espérer ce qu'il voudra mais quelques contraintes malgré tout D'abord être un enfant et connaitre le nom du premier renne tirant le char du Père Nöel me semble essentiel. Ensuite il faut évidemment que le paysage commence à se recouvrir de neige et de silence, Peut être que le mot tintinnabuler tomberait à pic comme orange, étincelles, écarquiller, introït ( celui-là vraiment pour le fun) jeûne, moyeu, rayon, centre, Saint ( ou sain et sein si la phonétique vous inspire) Etoile bien sur, et conifère aller tiens ça change de sapin. Voilà j'espère que ça ne sera pas trop contraignant, que ça vous amusera et qu'on retrouvera peut-être un sens à cette histoire d'Avent, de Noël, même si ce sens est totalement loufoque évidemment. Combien de temps vous donner ? On se dit jusqu'au 20 décembre parce qu'après il va falloir encore courir vers je ne sais quoi pour je ne sais quoi. Et selon votre humeur pas de limite sauf cette date et l'utilisation des quelques mots donnés. Et vous pouvez tout poster en commentaire sur ce billet Voilà voilà j'espère que j'ai tout bien fait en tirant la langue sur le coté comme il se doit. Bonne rédaction ;-) Illustration d'un Missel évoquant l'Introït le premier dimanche de l'Avent XIVème siècle.|couper{180}
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Comme c’est romantique !
Comme un con j'avais acheté des fleurs au dernier moment, à l'angle de sa rue. Je dis "comme un con" parce que vous savez ce que je pense des fleurs coupées, toutes ces dégueulasseries permanentes que représente l'accumulation de meurtres comme de preuves. Bref j'avais mon petit bouquet de fleurs à la main, j'avais accéléré le pas évidemment pour parvenir à sa porte, et là celle-ci s'ouvre et me voyant avec mon trophée comme si ça jaillissait de je ne sais où : Comme c'est romantique ! Vous m'apportez des fleurs Elle savait y faire pour provoquer l'agacement. Elle était douée naturellement. Tout se termina à quatre pattes évidemment comme des bêtes. Comment diable les choses auraient t'elles pu se terminer autrement ? Huile sur toile 2020 Patrick Blanchon|couper{180}
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Elle et moi.
Elle voulait m'attendrir comme un boucher la viande. Je m'arcboutais des quatre fers sans bien savoir pourquoi mais le danger. Et lorsqu'enfin je retrouvais un peu de solidité, je me mis à plisser les yeux pour gommer tout le superflu les distrayants détails. Elle voulait ma peau c'était clair. Alors avec sang froid je dégrafais sa robe qui tomba comme des milliers de voiles légers Toute cette légèreté Et le corps nu enfin, et le silex à l'odeur de feu. sur lequel s'écorcher et s'écorcher toujours comme l'océan aux falaises de craie S'écorcher en vain à chaque instant pour créer une durée. La même tendresse en regard. Œil pour œil dent pour dent. Et si on arrêtait elle dit Si on arrêtait ce petit jeu. Si on s'aimait comme des adultes. C'était un nouveau piège évidemment, et je mimai la lassitude aussi. Nous éclatâmes de rire de concert Puis nous tordîmes le cou à tous les poulets du poulailler Egorgeâmes quelques lapins Que nous fîmes rôtir en prenant grand soin que sous le croustillant la viande fut encore bien juteuse. Looking for a good Tyrant, Asger Jorn 1969|couper{180}
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Mon petit vieux
Vous avez trop d'imagination mon petit vieux, réveillez vous ! Il disait ça cet homme et il devait s'adresser à ce gamin qui n'était pas le sien, sans doute un élève. Il étaient sur le trottoir d'en face, face à face. L'adulte un peu courbé sur l'enfant. L'enfant la tête dans les épaules levant le front. Mon petit vieux.. ça faisait si longtemps que j'avais pas entendu ça. La même colère m'envahit soudain. L'envie de tout casser, de tuer tout le monde, de sauter à la gorge de ce connard d'adulte condescendant. De m'interposer entre les deux. Et puis je me suis souvenu, au bout de la énième fois, on n'entend plus. Mon petit vieux, c'est même le déclic qui crée la lévitation toute entière. On se décorpore, on s'en branle, merde à tout. Huile sur toile 2021 Vendue.|couper{180}
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Peinture et poésie
Je m’aperçois que je lis de plus en plus de poésie depuis que j’ai créé ce blogue WordPress. Je ne vais pas citer les noms, car beaucoup ont du talent. Enfin pas maintenant, pas aujourd’hui, parce que j’essaie de ne pas perdre le fil de ce que je veux dire. Je voulais juste dire qu’on apprend beaucoup sur la peinture en lisant de la poésie. On sent tout de suite ce qui sonne juste et hélas parfois aussi les petits couacs. Encore que le couac peut être éminemment poétique s’il est placé au bon moment au bon endroit …exactement comme une touche de jaune ou de rouge vif ! Il y a dans tout ce que je lis plusieurs catégories que j’affectionne. La première est la poésie écrite avec les mots les plus simples. Une poésie qu’un enfant pourrait lire et comprendre. La seconde mais qui peut se confondre avec la première est la poésie à trous… je marche et soudain slurp mon pied s’enfonce puis le corps tout entier, c’est un trou. Ce n’est pas du tout désagréable…il faut accepter le trou comme la découverte d’une vulnérabilité inédite. Une troisième ? Les oracles et Sibylles là où je sais immédiatement qu’il n’y a rien à comprendre mais se laisser porter par le sens sonore des mots, souvent bien plus efficaces, les fulgurances. De Staël disait qu’il y avait deux sortes de fulgurances en peinture, celle de l’autorité et celle de l’hésitation… je suis tout à fait d’accord et ça vaut pour la poésie également. En lisant de la poésie j’ai le sentiment parfois aussi de m’améliorer en maths ce qui est une conséquence inouïe vue mon épaisseur dans le domaine. Transmettre une sensation avec peu de choses, presque rien c’est d’une élégance… celle qui m’échappe évidemment ! Tout comme mes crises de sobriété en peinture en général finissent mal. C’est juste une note en passant j’ai voyagé depuis tôt le matin pour aller décrocher mon expo dans le Jura …donc je n’ai pas vraiment eu ma dose de mots. Et puis ce n’est pas mon heure non plus, en fait c’est une drôle de journée, un voyage blanc. Pourtant je suis persuadé que j’ai regardé le paysage, le poids du blanc avec une acuité et une vacuité réunies et ceci est certainement le fruit de mes lectures poétique. Emmitouflé de poésie un beau voyage !|couper{180}
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La vie ne vaut rien
Mais rien ne vaut la vie https://youtu.be/R8HCKdchA90|couper{180}
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Aspirer à la quiétude
Aspirer à la quiétude est souvent le meilleur chemin pour entrer dans l'agitation. Parce que l'agitation est le socle, ce socle qui nous échappe autant qu'on désire lui échapper. Voir l'agitation, se mêler totalement à celle-ci, demande autre chose que du courage ou de la folie. Cependant qu'il faut souvent tenter ces deux voies avant de saisir qu'elles ne fonctionnent pas. Voir l'agitation demande d'être humble, de perdre cette notion d'importance de soi à laquelle on s'accroche sans arrêt. Si je n'ai pas d'importance, si je ne suis pas grand chose, si je ne suis presque rien, je peux pénétrer dans l'agitation comme une souris dans un immense palais et ainsi l'observer tout entier à ma guise de la cave au grenier. La difficulté n'est pas l'agitation, la difficulté est de devenir une petite souris surtout lorsqu'on imagine être un lion. Hercule et le lion de Némée, Rubens.|couper{180}
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Pêcher le silence
J'ai connu des temps bénis où l'on pouvait manger le poisson que l'on pêchait soi-même. De plus celui-ci avait encore une forme de poisson et non cette chose congelée, rectangulaire, enduite d'une couche de chapelure que l'on cuit à la va-vite sur un coin de fourneau. Mais à vrai dire ce n'était pas pêcher des poissons qui m'intéressait le plus, c'était tout ce qu'il y avait autour durant ces moments de vacance fabuleux. L'esprit accroché tel une barque à quai à un rituel immuable, quelque chose comme une sorte de doublure augmentée de moi, légère, pouvait alors voyager dans le ciel et dans les profondeurs du fleuve, dans le bruissement des arbres et le mouvement des reflets. J'arrivais de bonne heure et humais l'air. Puis je déballais mon attirail toujours exactement de la même façon. Une fois la canne télescopique déployée, j'y accrochais la ligne, puis je farfouillais dans la boite de vers pour en trouver un que je coupais en deux sans le moindre émoi. Enfin je plaçais une plombée pour mesurer le fond, estimais la vitesse, la force du courant ce qui me donnait les indications suffisantes pour régler la hauteur du bouchon, et enfin tendre la ligne. Une fois tout cela fait je fixais l'objet comme un moine un point focal, crucifix ou mandala, et j'étais prêt pour un voyage dont je ne savais jamais d'avance ni où ni combien de temps il allait durer. Je pouvais sortir de mon corps de petit garçon et rejoindre les territoires des rêves que j'avais abandonnés le matin. Et puis de temps à autre un poisson mordait à l'hameçon tout là bas en bas, dans la profondeur et je suivais le fil d'argent pour retrouver mon corps, la pesanteur de celui-ci et le mouvement, et c'est alors comme mécaniquement que je ferrais. La plupart de ces petits poissons étaient de long gardons et leur odeur me pénétrait les narines comme pour achever de me réveiller totalement. Une odeur forte de vase et de quelque chose d'autre que je n'arrivais pas vraiment à identifier clairement. Une odeur de gardon. La perche arc-en-ciel que je pèche aussi parfois n'a pas tout à fait la même odeur, quand au poisson-chat n'en parlons pas, c'est une véritable infection, on le pêche plutôt dans le canal du coté des égouts. Ce que j'extirpais de ces profondeurs mystérieuses, ces poissons de toutes sortes, la pêche , n'était pour moi rien d'autre qu'une conversation silencieuse interrompue par la chance. Et la chance surgissait à la fois dans des tons argentés et de sales odeurs. Encore que sales odeurs est un terme exagéré qui ne venait pas de moi, mais de ma mère. Car lorsque je rentrais avec ma bourriche pleine elle ne voulait rien savoir, débrouilles toi pour les préparer, moi je m'en lave les mains, ça pue vraiment trop tes machins. C'était évidemment la contrepartie de ces moments magiques, comme si tout dans cette existence n'était qu'un équilibre permanent à ajuster entre le merveilleux et le désagréable. Je prenais de vieux journaux, la Montagne notamment, et sur les feuilles imprimées relatant les faits divers, les dates et événements des comices agricoles, les rubriques nécrologiques, je sacrifiais mes souvenirs encore tout frétillants d'ombres et de lumières, ces agréables moments. Les boyaux sanguinolents se mêlaient à l'encre d'imprimerie, ce devait être mes premières peintures crées de toutes pièces par le hasard. Je n'ai jamais parlé de tout cela, je n'étais qu'un gamin et, du reste sitôt que j'avais essayé de raconté mes rêves ou mes cauchemars je n'avais la plupart droit qu'à des réprimandes. Arrête donc de vouloir faire ton intéressant et va ranger ceci va ranger cela. Je me suis tu le plus profondément possible. Puis je suis arrivé dans des contrées où la pêche ne me disait plus rien. Au bord de l'Oise en région parisienne, je voyais les berges souillées par des nappes de gasoil que laissaient dans leur sillage les péniches, des bouteilles vides en plastiques, des petits chats morts dans des bas de soie, je n'avais nulle envie de fourrer ma ligne dans ces eaux là. J'ai pourtant essayé une fois ou deux tant la nostalgie me tenaillait. Mais ce fut décevant, je n'ai péché ces jours là que des objets mis au rebut dans le ventre du fleuve, une vieille ceinture et une espadrille. J'ai donc rangé tout mon fourbi dans un coin du garage et puis j'ai laissé le temps passer, j'ai oublié. Durant les 50 années qui se sont écoulées depuis j'ai du retourner à la pèche moins de cinq fois. Au Portugal notamment où je vivais dans une forêt d'eucalyptus, au dessus de Chaves je suis allé pécher pour me nourrir car je n'avais plus le moindre kopeck. C'était une petite rivière, un vao et j'ai pu retrouver en grande partie le monde des rêves qui m'était devenu inaccessible , depuis l'enfance, et l'abandon de la pêche. Oh bien sur j'avais des rêves d'adultes désormais, mais ce n'était pas du tout la même chose. Dans ces rêves là il me semble que j'étais démuni totalement, je n'avais rien pour mesurer le fond, et tendre ma ligne en toute quiétude. Je n'avais désormais plus rien, pas la moindre plombée, pas le plus petit bouchon, pas le moindre petit fil pour pêcher le silence. Hortillonnages, Alfred Manessier|couper{180}
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Peindre sans ponctuation
Suite à un commentaire de la part d'un lecteur concernant l'absence de ponctuation dans la plupart de mes textes, je me suis mis à réfléchir sans doute parce que j'ai botté en touche un peu trop facilement à mon gout. Et encore je me suis retenu. J'aurais pu aller faire quelques recherches sur Google afin de retracer le plus brièvement possible une "histoire de la ponctuation" au travers des âges, ce qui m'aurait permis en premier lieu de conforter une bonne fois pour toutes les intuitions qui m'auront traversé depuis les classes maternelles et primaires sans que jamais je n'ose m'exprimer sur celles-ci. Car ayant l'oreille fine et passant la plupart de mon temps à écouter tous les bruits de la nature, ou de l'être, se confondant en une seule et même entité , j'ai remarqué que celle-ci ne s'octroie jamais la moindre pause. Dans le fond la mélodie continue imperturbablement à se jouer même si, de temps à autre, l'ouïe du commun des mortels puisse s'imaginer qu'elle disparait. Comme en toute chose que nos sens nous représentent il y a toujours deux aspects au moins que l'on pourrait nommer le visible et l'invisible. Or la pause, comme le blanc ou le vide entre deux choses distinctes ne m'a toujours paru n'être qu'apparence et artifice. J'imagine qu'au tout début de l'écriture, étant donné que les supports étaient précieux, pour des besoins d'économie ou d'écologie déjà, l'écrivain évitait de laisser du blanc entre les mots et ne ponctuait pas. D'ailleurs le mot en lui même n'est qu'un vestige de ces temps oubliés où chaque lettre se relie à l'autre pour évoquer un son compréhensible distinctif, re-connaissable. Comme si connaitre ne suffisait pas. Je crois que si je me penchais sérieusement sur la langue hébraïque et que j'analysais avec force d'exemples, issus comme il se doit de sources sures, nul doute que je découvrirais que les mots de celle-ci contiennent des voyelles cachées que le lecteur doit deviner suivant le contexte dans lequel chaque mot est placé. Chez les Grecs anciens je vous fiche mon billet qu'on serait stupéfait de découvrir, sur les manuscrits originaux, une continuité de lettres toutes reliées les unes aux autres et dont il faudrait faire un effort pour distinguer chaque mot. C'est pour des besoins oraux, pour se narrer les histoires les plus fameuses que les conteurs, copains comme cochons avec les copistes, dont les plus joyeux drilles furent probablement gaéliques ou irlandais, ont éprouvé le besoin de placer du blanc entre les mots, entre les idées, entre les sensations et les émotions. Pour les même raisons triviales la plupart du temps : Accroitre la durée de la narration afin que les péquins aient la sensation nette d'en avoir pour leur écus. Donc durant une grande partie de son histoire, avant cela, l'humanité en général ne se souciait que peu ou pas du tout de la ponctuation, et j'imagine qu'elle ne s'en portait pas plus mal qu'aujourd'hui. Cette observation n'est rien à côté d'un paradoxe que l'on peut apercevoir au Moyen-Age concernant l'évolution de la ponctuation au regard de la pauvreté de la production littéraire de cette époque. Comme si on avait voulu étirer les caractères, pour remplir les parchemins, la fabrication du papier étant désormais à peu près maîtrisée, on se retrouvait avec des stocks, du surplus qu'il fallait bien écouler. Peu de production et beaucoup de parchemins voilà une raison aussi valable qu'une autre pour inventer les règles de la ponctuation. Une autre raison sans doute plus sérieuse et plus dangereuse était que le sens soit partagé par le plus grand nombre de façon à ne laisser que peu de doutes, notamment en matière d'écrits religieux. Imaginez, il aurait fait beau voir que tout à chacun interprète l'évangile à sa guise. Avec la ponctuation disparait le doute qui comme on le sait depuis Mathusalem et plus récemment Saint-Antoine de Padoue, est le signe que le démon nous tirlipote la matière grise. Du coup et fort de ces toutes premières intuitions dont je vous ai parlées, je n'ai jamais jugé vraiment intéressant de me pencher de trop sur la ponctuation, surtout en raison de ma résistance vis à vis de toutes les innombrables manières que l'éducation nationale ne lésine pas à utiliser pour nous bourrer le mou et faire de chacun de nous des moutons. Et puis cette mélodie que je ne cesse d'entendre depuis toujours je ne vois pas de raison valable ou personnelle de m'amuser à la trahir tout au contraire, j'ai toujours essayé de la suivre du mieux qu'il m'était possible de le faire. Aujourd'hui on veut mettre du sens partout, des raisons, de l'intelligence. De cela aussi je n'ai jamais cessé de me méfier. Tout d'abord parce que c'est assez fatiguant mais cela ne serait rien si la raison n'était pas à peu près toujours à coté de la plaque concernant la réalité de ce monde, celle que toute ponctuation justement tente de dissimuler en nous égarant dans la logique. Il y a plus d'un point commun entre cette histoire de ponctuation dans l'écrit et ce que me dit mon épouse lorsqu'elle ouvre la porte de l'atelier et me livre son avis sur la plupart de mes tableaux. On étouffe, c'est trop chargé, mets plus d'air. Evidemment je respecte son avis comme je respecte l'avis de ce lecteur me livrant sa gène concernant ma carence en virgules et en points. Ce qui ne me fait pas dévier d'un iota sur ma façon de peindre. Car je suis têtu et je n'y peux rien. C'est plus que têtu je crois, c'est fidèle. Voilà, je reste fidèle à mes intuitions de départ aussi longtemps que l'on ne me prouvera pas qu'elles sont totalement erronées. Et j'ai toutes mes chances de ne pas être contredit car, au demeurant, tout le monde s'en tape le coquillard royalement de mes intuitions La vie ne fait pas de pause sauf dans le monde des apparences alors pourquoi j'essaierais de faire autrement sinon pour paraitre ce que je sens bien ne pas être ? Et puis je vois bien où tout ça risque de nous mener surtout : de plus en plus d'espace entre les idées, entre les émotions, les mots, une sorte d'expansion du langage, comme de l'humanisme, parallèle à celle de l'univers qui finira par la nuit noire et sans étoile à terme ou dans un mutisme profond, comme on voudra. Et "on" je ne sais pas toujours c'est qui, on dit que c'est un con, je doute aussi pas mal de ça. Distances prises, Pierre Alechinsky 1960|couper{180}
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La conférence des oiseaux.
Novembre n'est vraiment pas ma tasse de thé. En plus je ne bois pas de thé. Du coup je tente de me motiver, de trouver du beau, de l'allégresse, de l'enthousiasme encore plus durant ce mois là que durant les autres pour contrebalancer ma peur, ma colère, mon désespoir. C'est un grand mot le désespoir, aujourd'hui on parle plus de déprime, parfois aussi de mélancolie. Aujourd'hui on ne voudrait qu'être jeune, joyeux, riche et séduisant, charismatique si possible, c'est le miroir aux alouettes de l'époque qui veut ça. Placer à la marge tout le fâcheux. Placer à la marge le dégueulasse. Ce que l'on pense ou ce que l'on estime être le dégueulasse. En tant que peintre l'ombre m'est aussi nécessaire que la lumière. Je les place sur le même piédestal au niveau de l'amer comme du sublime. En cherchant un peu sur le net un livre que je voulais relire je suis tombé sur cette vidéo, c'est une réécriture et une récitation de la Conférence des oiseaux écrite par Farid Al-Din Attar, poète persan du 12ème siècle. Ce récit je l'avais découvert alors que j'étais marmot et il m'avait énormément fait rêver, il contenait tant de mystères à éclaircir... J'ai conservé ce petit bouquin illustré des années et puis je l'ai perdu dans un de mes nombreux déménagements. Sans doute fallait il que je le perde pour mieux le retrouver, c'est souvent ainsi que les choses fonctionnent. J'espère que cette vidéo vous incitera à chercher l'original et à l'étudier, à le lire à vos enfants, à vos petits enfants, car il contient à peu près tout de ce que crois avoir compris de la vie désormais. https://youtu.be/c9g56yl_3_o|couper{180}
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L’esbrouffe
Je ressors ce mot dont je ne me suis pas servi depuis belle lurette : l'esbrouffe qui provient de l'argot ou du patois et qui implique une certaine force, à contrario de l'entourloupette qui elle nécessite un brin d'intelligence minimum. Le vol à l'esbrouffe était bien connu, surtout chez les Allemands ( voir Macé dans la chanson de Vidocq, si vous voulez des références plus précises) Faire de l'esbrouffe c'est aussi faire du tapage, pendant qu'un complice vide les poches des victimes dont l'attention est ainsi détournée. Ce n'est pas bien honnête. Mais comme je ne sais pas ce qu'est l'honnêteté, je suppute que j'ai utilisé l'esbrouffe beaucoup à la seule fin, non pas de détrousser qui que ce soit, mais plutôt d'en avoir le cœur net. Parce qu'il y a l'honnêteté partagée par le plus grand grand nombre et puis celle que l'on se doit à soi-même. Et comme j'étais débiteur vis à vis de cette dernière depuis des lustres, ce qui dans mon esprit dépasse probablement belle lurette, ce n'est pas un hasard si le mot esbrouffe a surgit du bol de café noir pour me pénétrer dans les narines sous forme de vapeur. J'ai toujours pratiqué l'esbrouffe comme un exercice physique, la marche à pied ou l'épluchage de légumes. Disons que c'est un leg, un héritage, je n'ai absolument rien inventé. tout était là déjà bien avant que je ne pousse mon premier vagissement. Dans ce qu'il me reste de mémoire, mon grand-père paternel, un fort des halles faisait de l'esbrouffe pour un oui pour un non, ce sur quoi il était immédiatement suivi par son épouse, ma grand-mère, qui ne lésinait pas sur la précision des mots pour qu'ils soient les plus percutants possibles, et enfin mon père a tout récupéré pour me le resservir à toutes les sauces en mettant si je peux dire plus que la main à la pâte. Ce qui est bizarre dans une famille de bouchers. Enfin voilà, mon tour un jour est arrivé d'empoigner tout ce fatras et comme j'étais jeune, sans le moindre discernement, j'ai cru que ça m'appartenait, que tout ne venait que de moi, que j'étais l'esbrouffe incarnée si l'on veut. Ca m'est presque complètement passé depuis le temps bien sur. mais une fois ou deux par an j'ai des rechutes. Comme si je ne voulais pas lâcher tout à fait prise. Comme si j'allais me retrouver parfaitement seul d'un coup, et totalement à poil sans m'appuyer sur cette capacité à pratiquer le coup d'état, la provoque, l'outrance. Pour me soigner parce que c'est une maladie aussi insidieuse que celles appelées vénériennes, parfois on ne peut mesurer les conséquences des débordements que longtemps après, une fois que c'est trop tard généralement, j'essaie d'écrire ou de peindre. ça me calme beaucoup pendant que je le fais. Après évidemment je ne devrais sans doute pas montrer tout ce que je produis ainsi, ça risque de choquer pas mal de gens, les proches surtout, ou encore certains employeurs curieux, ou encore des ex à qui je ne donne jamais de nouvelles. Mais bon comme il y a de fortes chances pour ces gens en général ne sachent pas plus qui je suis que moi-même, quelle importance. Bien au contraire toutes les observations, les critiques, les plaintes ne me serviront qu'à mieux cerner peut-être l'esbrouffe générale, ce qui par les temps qui courent n'est pas rien. Robert mon grand-père fort des Halles Huile sur toile, pas à vendre.|couper{180}
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Ce n’est rien
Ma mère disait souvent cela, une fois que j'étais au sol complètement défoncé par papa, elle disait ce n'est rien pour que ça pénètre en moi comme dans du beurre. Ce n'est rien, ça va aller. Puis elle m'attrapait par un bras pour m'aider à me remettre debout. Je les ai bien sur détestés, la rage me permettant bien plus que ma mère de rester debout. Certainement que je n'étais pas un gamin facile non plus. Avec le temps j'ai fini par me dire qu'il convient de faire la part des choses. que l'émotion aussi nous aveugle beaucoup sur le fondement véritable de toutes ces choses. Mes parents m'aimaient à leur façon, c'était violent, brutal, parfois complètement con et tout cela ne leur donnait ni tort ni raison dans le fond. Je ne pouvais rien y changer. Je ne pouvais qu'apprendre à me calmer, à ne pas rester coller à la haine, à la colère, à la rage pour avancer. Pourtant malgré toutes les années à chaque fois que j'entends cette expression : ce n'est rien, tout me revient. La même rage exactement. Cela dure quelques minutes, une heure ou deux parfois quand je n'ai pas bien dormi, et puis ça passe. ça passe comme tout et je me dis moi aussi à la fin , ce n'est rien. J'aurais pu aller au fin fond des Indes ou de l'Himalaya encore une fois de plus que cela n'aurait absolument rien changé. Parce que cette expression me raccroche à mon enfance encore, et encore, à mes parents toujours, à cette histoire à dormir debout que je raconterai peut-être un jour sur le ton qui convient, un ton acceptable. Mais ce n'est rien, ça va aller suffit de le dire pour que ça soit ainsi. Annales Akashiques huile sur toile Patrick Blanchon|couper{180}