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Une femme chante
https://youtu.be/siXXWoH89dk Une femme chante là, dans ce bar de Porto où j'échoue ce soir. Je viens d'arriver par le train de nuit, ma solitude est infinie. J'ai faim de chaleur humaine et de fado. Pauvre et affamé à un point tel que la seule destination possible ne pouvait être que Porto. Porto et ses façades noires, ses murs lépreux, son pont de fer qui enjambe le Douro, son fado et le son des guitares. Et furtivement depuis la gare, je cherche du regard dans la position des corps qui vacillent la silhouette de mon ami imaginaire, Fernando Pessoa que je vois trop et ne rencontre pas. Je suis un marin débarqué, qui marche un peu en crabe pour contrecarré le roulis le tangage de la vie ce bateau, cette épave. C'est une nuit d'hiver en plein mois de juin et j'ai froid, la sueur des voyages et des fugues colle à mon tricot de corps sous la chemise. Je me sens pauvre et sale. Je pousse la porte et là une femme chante au fond de la salle voilée par la fumée des cigarettes. Un homme l'accompagne une guitare sur les genoux, qu'il gratte et caresse d'un geste violent ou doux. Oh ce chant, ce chant si beau et triste qui pénètre mon cœur, un chant aiguisé à la meule des douleurs, un poignard de malheur. Qui me glace et me brûle le cœur. Il me faut du vin jeune de ce vin piquant qui réveille le bonheur sitôt que la langue l'effleure. Une femme chante là dans ce bar de Porto, tout à l'heure je serai ivre, Obrigado la vie, boa vida noturna Une femme chante là et sa voix me traverse et m'irrigue, emportant soudain toutes mes vieilles fatigues J'étais vieux j'avais mille ans et me voici à nouveau frais comme un gardon d'avoir pleuré tellement avec elle dans ce chant. J'ai envie de l'aimer cette femme de la serrer dans mes bras comme jamais je n'ai serré dans mes bras aucune femme, juste la serrer comme on serre un oiseau dans sa main au début tout doucement pour ne pas l'effrayer puis avec rage et peur pour s'en débarrasser. Une autre bouteille de Vino Verde et quelques aguardiente après, j'ai de l'eau plein les yeux qui coule sur mes joues, le sol. Je suis beurre qui fond à la chaleur brutale du fado, qui fond à la chaleur d'une voix gutturale qui rassemble toutes les clameurs, les pleurs, les combats, tous ces combats que l'on a cru utiles et ne sont plus rien. Totalement bourré j'ai retroussé mes manches j'ai chaud , ah ça y est je suis jeune ! je monte sur la table et claque du talon comme le font les étalons , les gigolos endimanchés à l'heure sucrée des thés. Une femme chante là, elle n'est ni jeune ni vieille mais dieu comme elle est belle. J'ai allumé une cigarette pour oublier toute les odeurs passées, celles qui soudain vous montent comme ça au nez , toutes les odeurs rêvées , celles que j'ai un jour ou l'autre oubliées, toutes les odeurs du monde, et j'ai exhalé, comme tout le monde ici, la fumée, pour m'éloigner doucement d'elle.|couper{180}
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La mauvaise foi
https://youtu.be/CVaUBBH3KZ0 —Toutes ne sont pas capables d'une véritable méchanceté. Très peu en sont véritablement capables. Presque aucune dans le fond. Encore faut-il savoir faire le distinguo entre méchanceté et bêtise, me dit-il en allumant une énième cigarette. C'est à ce moment là que je tendis l'oreille. Jusque là, Georges m'avait tellement saoulé avec ses sentences à rallonge je me m'étais inventé une paire de boules Quies imaginaires que je me collais dans les oreilles sitôt qu'il démarrait sa litanie de vieux schnock. Pour moi il n'était qu'un vieux con comme tant d'autres qui tentait de se refaire une sorte de dignité après avoir fait chier le monde entier tellement il était imbu de sa personne. Tout à fait le genre de sexagénaire à qui nous devions, nous les jeunes, cet horizon bouché qui s'étend désormais devant nous. Lui et ses congénères avaient tout bousillé de la planète, comme des traditions ancestrales, de l'humanisme en général. Et lorsqu'on se penchait sérieusement sur les raisons d'un tel désastre on ne trouvait au bout de tout ça que le désir de jouir égoïstement et sans vergogne. Dans sa vieille gueule édentée revenait le mot liberté, qu'il fallait traduire en langage d'aujourd'hui par irresponsabilité. Et là en plein barouf, alors que je cavalais d'une bécane à l'autre par -10° dans le grand bâtiment ouvert à tous vents je le revois encore, appuyé sur un carton, usant et abusant de ce ton doctrinal pour causer de la vie et des femmes. A l'écouter il les avait toutes baisées, des jeunes, des moins jeunes et des archi remoulues. Tout ça pour quoi ? Pour se prouver quoi ? Je me l'étais demandé durant les 5 premières minutes, le jour de mon embauche quand on m'avait affecté au colisage avec lui. Ce gros dégueulasse n'en fichait pas une ramette cependant que je ne m'en étais pas rendu compte de suite. Ce ne fut que quelques jours après que j'ai compris à quel point il était passé maitre en matière d'enfumage. Je faisais le job en silence désormais. Dès qu'il l'ouvrait j'accélérais un peu plus encore la manœuvre. Sa flemme me boostait étonnamment. Mais sa dernière phrase malgré tous les efforts que je déployais continuait à tournoyer dans ma cervelle. Toutes ne sont pas capables d'une véritable méchanceté... Et évidemment je pensais à Joyce. Je pensais à cette salope de Joyce qui m'avait pourri la vie durant des mois, peut-être même des années et qui, malgré tous mes efforts pour l'enterrer sous une épaisse couche d'oubli, continuait de me hanter. Sans doute comme la mémoire des guerres hante ces vétérans qui ne sont plus que des moitiés, des bouts d'homme, des presque plus rien, des quantités négligeables, des ruines qui s'éboulent dans une bouche, une gueule sombre, une gueule cassée. Un orifice buccal qui ne sert plus guère qu'à vomir sur la vie et les hommes. Après Joyce, je n'avais guère dépassé les trente ans que je n'étais déjà presque plus qu'une épave. Cependant je serrais le peu de dents qu'il me restait, je ne voulais pas arriver à la rue, je m'accrochais à tous ces boulots de merde que la boite d'intérim me refilait. Je faisais toujours de mon mieux et même plus. A la vérité je me sentais tellement merdeux en tout, que j'en faisais des caisses, avec cette peur au ventre toujours qu'on ne découvre pas le pot aux roses, mon terrible handicap, ce dégout total des gens et de la vie en général. Alors je mimais farouchement l'entrain, la bonne humeur, comme un clébard remue la queue et lèche la main qui le frappe de peur d'être une fois encore battu. Seul la rue, et cet effroi de la déchéance totale à m'imaginer devoir y retourner encore une fois de plus me faisait mettre les bouchées doubles. Parfois j'en étais à me demander si en finir en me jetant sous une rame de métro, du haut d'un pont, ne serait pas la panacée que je refusais obstinément d'avaler. Car en plus d'avoir à encaisser la trouille de déchoir s'ajoutait la trouille de crever. Je n'étais pas bien fier de qui j'étais en ce temps là. — Très peu en sont véritablement capables, presque aucune. Evidemment ça ne pouvait tomber sur nul autre que moi. Sans doute la seule femme au monde à pouvoir être vache à ce point s'appelait Joyce et je l'aimais comme je n'avais jamais aimé qui que ce soit. 12 heures, l'heure du déjeuner. Georges et moi dans la petite pièce attablés avec d'autres silhouettes. Eclairage glauque d'un néon, il fait un peu plus chaud ici grâce au canon à chaleur électrique que la direction nous a gracieusement offert. Il faut juste ne pas s'assoir devant. Le petit bruit du papier d'argent que l'on déplie pour récupérer le sandwich, le bouchon d'une bouteille de rouge qui se détache de son goulot, peu de mots sinon pour rompre cette gène du silence de temps à autre. Les chiffres du loto, le dernier match de football, des histoires mécaniques à propos de pannes de bécanes, de la gueule du contremaitre, des rumeurs glanées ça et là à propos du renouvèlement des CDD qui seront reconduits ou non. Georges trône au bout de la table. Lui possède une gamelle thermostatée. Son épouse lui prépare des petits plats. Ce qui ne l'empêche pas de la traiter de connasse à tout bout de champs lorsqu'il ressent le besoin d'en parler. —Ma connasse de femme, il dit. Les autres sont pour la plupart étrangers, des africains, des arabes. Ils mangent en silence et semblent n'accorder aucune importance à Georges. Par contre il faut voir leurs regards. Des regards fatigués, sombres , luisants et humides comme des têtes de loutres. Parfois l'un sourit poliment, mais le plus souvent ils se taisent. Le silence n'a pas de prise sur eux. En fait, à bien me souvenir de ces moments où nous partageons nos repas, il n'y a guère que Georges qui parle, c'est comme un transistor qu'on allume et dont on ne se soucie plus vraiment. Le soir, la nuit tombe vite et je traverse le grand parc pour rejoindre le RER. J'aime ce moment qui me lave de la journée de boulot. Un bon quart d'heure de marche dans une presque totale obscurité. Puis l'éclairage des quais, les silhouettes des voyageurs, un bruit électrique qui s'intensifie au fur et à mesure que je m'en approche. Passage d'une fréquence à l'autre. Lara habite une impasse dans le quinzième et m'a accueillit à nouveau. Une chic fille Lara. Je ne sais pas le genre de relation que nous entretenons. Ce n'est pas vraiment de l'amitié, c'est plus une solidarité naturelle. Nous nous sommes vite entendus, on ne se fait pas suer. C'est une sauvage et moi un ours. De temps en temps elle reçoit un de ses amants et pour me prévenir elle baisse le store à la fenêtre du salon. Je sais que je dois rejoindre la piaule qu'elle me prête sans avoir besoin de la saluer. Tout cela n'a jamais été exprimé à haute voix. Tout est dans l'implicite et j'adore l'implicite. Il n'y a aucun bruit dans la maison, Lara si elle jouit le fait en silence. Les hommes qui la visitent sont silencieux également et semblent défier la pesanteur, car lorsqu'ils partent je n'entend pas craquer les marches du vieil escalier. Il arrive qu'en pleine nuit l'un de nous se réveille et se rende à la cuisine au rez de chaussée. Alors on remet du charbon dans le poêle pour réchauffer la maison, on se fait du café, du thé et on s'assoit sur le banc à feuilleter un magazine, un livre. Parfois il arrive aussi que lorsqu'on rejoint la cuisine ainsi dans l'insomnie l'autre soit déjà là, que la chaleur douce nous invite à pénétrer dans l'intimité facile. Ce dont nous nous défendons. Ce lien si étrange soit-il entre homme et femme qui ne couchent pas, dans mon état, ma situation, est extrêmement précieux. C'est du respect mutuel, du vrai respect. Parfois allongé sur mon lit dans l'obscurité j'entends encore la voix de Georges et ses propos abracadabrants sur les femmes. —Toutes des salopes, toutes des connes, et d'une bêtise la plupart, elles ne sont bonnes qu'à baiser. Je pense à Joyce à ces moments là et je retrouve ce petit animal apeuré en moi. Joyce à ces moments là est nue allongée près de moi, son corps est celui d'une géante, elle n'a plus rien d'humain. Encore un peu et je glisserais vers la facilité de la considérer monstrueuse ou démoniaque. Et puis je me souviens de tous les moments que nous avons partagés ensemble, de sa voix, de ses yeux, de tout ce que l'on échange d'âme à âme au delà du temps qui nous sera indubitablement imparti une fois celui ci écoulé. Et je repousse au loin, le plus loin qu'il m'est possible de le faire la voix de Georges et toute la mauvaise foi dont il déborde, dont nous débordons sans doute tous. Mais le lendemain, il faut tout recommencer à nouveau. Il fait toujours nuit lorsque j'arrive à la boite, et Georges et là, appuyé sur son carton en train de se la couler douce. J'ai envie de lui en foutre une mais je lui tends la main, bonjour Georges bien dormi ? — Ma conne de femme a ronflé toute la nuit j'ai pas fermé l'œil dit-il Voilà, maintenant on peut se mettre au travail, la radio a des piles neuves, avec un peu de chance la journée passera vite.|couper{180}
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Nirvana olfactif
Parfois je me dis qu'il faut que j'arrête de fumer, je me le dis dans le fond du creux d'la vague oh la nostalgie des odeurs d'herbe sèche. et celle de tes cheveux parfumés comme un été dans la boucle, la spirale, le danger je divague Alors naturellement j'allume une sèche. Je m'assois un instant sur cette pierre Pour me remplir les yeux du paysage de ton absence. Fumer pour rester là, tenir dans cette absence le temps qu'il faut, le temps qu'il faudra Privé de ce bonheur de l'éternel été. Car, si je replongeais, en renonçant au goudron, aux saletés cancérigènes à la nicotine je sais que c'est vers toi immédiatement Ma douce Circée ma triste Ondine Mon nirvana olfactif que j'irais tout entier. Je serais alors perdu pour le monde restant J'irais à quatre pattes renifler tous les culs en espérant toujours retrouver le tien. En espérant toujours, en vain.|couper{180}
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A quoi servent les guerres
En tant que sexagénaire je n'ai pas connu la guerre. Et je ne sais pas si ce n'est pas, au final, de la malchance. Je pense à cela notamment dans le cadre du fameux "savoir-vivre" et notamment en ce qui concerne l'art de la conversation. Car n'ayant jamais été confronté de visu autrement qu'à la télévision, au cinéma, par la rumeur, à l'horreur absolue et véritable, je ne cesse de la guetter un peu partout jusque dans les moindres fissures des relations humaines. Comment avoir la moindre conversation agréable avec les gens dans un tel cas de figure ? La question de la surface et de la profondeur que je ne cesse de reposer de toile en toile en peinture est à mon avis totalement liée à cette interrogation. Faut-il peindre des choses agréables à l'œil du premier péquin venu ou bien déverser ses angoisses les plus atroces pour essayer de s'en libérer ou tout du moins avoir un minimum de recul vis à vis d'elles. ? C'est dans cette question que de nombreux chemins bifurquent aussi bien en art que dans la moindre conversation. Le fait de craindre l'horreur, car on sait bien qu'il ne peut y avoir de fumée sans feu, n'épargne pas du danger de la voir surgir à n'importe quel instant. Et comment savoir le comportement adéquat à tenir face à celle-ci si elle n'est que du domaine de l'imagination. Comment ne pas faire chier tout le monde avec cette angoisse omniprésente dans le moindre échange ? Par la peinture il me semble parfois parvenir à résoudre l'équation en partant du chaos pour parvenir à une certain type d'ordre, ou d'harmonie, il en résulte souvent au final quelque chose de calme et d'agréable à l'œil, proche d'une élégance mathématique. Et ce sans trahir le moins du monde tout ce qui subsiste encore dans la profondeur des couches accumulées. Avoir une conversation posée et calme comme un tableau achevé nécessite d'avoir refait toutes les guerres intérieurement, d'avoir toisé l'horreur comme l'effroi sans ciller. Mais aussi s'être carapaté mille fois, avoir déserté jusqu'au point d'en être rompu, crevé, pour ne plus avoir à résister à l'inéluctable. Alors, à ce moment seulement, on pourrait tenir une conversation avec n'importe qui sur n'importe quoi exactement dans le lieu de la tranquillité, dans l'œil du cyclone. — Bonjour, quel plaisir de vous rencontrer, cela faisait si longtemps, comment va la famille, les enfants, quelle belle journée ne trouvez-vous pas ? Sans trop s'appesantir, trouver la durée sans forcer, quelques mots et hop filer.|couper{180}
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Mais quand donc va tu te taire ?
Je lis tout un tas de choses hétéroclites et, de temps en en temps, car je prends garde de ne pas trop en abuser, monomaniaques. Sur internet notamment. Un sujet récurrent est la soif de silence de certain(es) qui sans doute fait écho à la mienne, souvent. Et ce qui est drôle, c'est que lorsque je lis toutes ces choses sur le silence, monte alors en moi, presque en même temps , une irrépressible envie de faire du bruit. Exactement comme durant ces interminables repas dominicaux de ma jeunesse où les adultes palabraient de choses et d'autres et où l'on interdisait aux enfants de parler sous prétexte que nous disions n'importe quoi afin de nous rendre "intéressants". Ma grand-mère paternelle n'était pas en reste pour lancer, sitôt que mon frère ou moi ouvrions la bouche, exactement de la même manière qu'on récite une prière apprise par cœur : — Mais quand donc va tu te taire ? Ce qui nous stoppait net, non sans une bonne dose de frustration. C'était alors un jeu, un défi que nous nous adressions implicitement mon frère et moi d'interrompre ces longues conversations d'adultes repus autant qu'il nous était possible de le faire. Tout en faisant preuve d'une créativité extraordinaire pour emmerder le monde. Je me souviens notamment de quelques sorties dont je reste assez fier. — Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de la vie sur d'autres planètes ? Peut-être que sur certaines les gens respirent du mercure comme nous de l'oxygène. Et encore : — Moi je crois que les pierres ont une âme comme les arbres, les brins d'herbe et tous les animaux, même les insectes. Sans oublier mon obsession pour le langage rosbeef — C'est super facile de parler anglais il suffit de parler français à l'envers. Ce à quoi les adultes autour de la table répondaient en se passant le relais : — Mais quand donc va tu te taire ? Ce qui nous faisait bien rire mon frangin et moi. Chose étonnante que la mémoire, surtout lorsqu'on prend de plus en plus d'âge et que l'on commence à considérer l'existence comme un évier de cuisine dont l'eau de vaisselle s'est à peu près totalement vidée. Vers la fin, le tourbillon s'accélère d'autant que nous avons, je l'imagine, cette capacité de recul qui permet de nous en apercevoir. — Tu ne connais pas la dernière ? me dit mon épouse en interrompant soudain l'épisode d'une de mes séries préférées sur Netflix. — Hum ? oui ? qu'est ce que c'est ? — Et bien L. a signé elle-même un mot que le directeur de son école lui avait donné pour les parents afin de signaler son comportement désagréable. Ma première réaction serait d'en rire évidemment. Elle n'a que 6 ans et dans le bordel qu'est déjà sa vie au beau milieu de la séparation de ses parents et la rencontre de la nouvelle compagne de son papa et des 3 enfants de celle-ci, je ne trouve à cela pas grand chose de vraiment étonnant. Je ris bêtement. — Non mais tu ne te rends pas compte à quel point c'est grave, me corrige immédiatement ma moitié. Grave ? je ne sais pas, j'ai plus l'impression que c'est assez sain de mon coté. C'est une preuve d'autonomie plutôt. De plus j'imagine tellement bien à quel point mon ex belle-fille aurait mal pris la chose, en aurait fait des caisses avec force injures et trépignements, une occasion épatante de libérer son hystérie chronique. Quant à mon beau-fils qui convole, il vit sur un petit nuage en ce moment. Les enfants ne sont pas totalement crétins au point de ne pas en tirer un peu partie. Il y a quinze jours, c'était l'ainé, 8 ans, qui s'était fait topé par un autre directeur d'école en train de dealer des cartes Pokémon. — Tu sais les enfants d'aujourd'hui ne sont plus comme les enfants d'avant, j'ai dit à mon épouse. Il va falloir s'y faire. Et en même temps je crois que nous sommes naïfs comme l'étaient sans doute aussi nos parents. On ne sait rien de ce qui peut se passer dans la tête d'un enfant. On ne peut jamais que supputer. Mais ce qui est sur c'est que quoiqu'il se passe ce genre d'action n'est jamais faite pour rien. De là une conversation entre mon épouse et moi portant sur ma tolérance excessive, proche d'une infinie lâcheté mélangée à beaucoup de je m'en foutisme concernant les choses importantes de la vie. ( Eludée pour ne pas fatiguer le lecteur) Je crois que l'on ne se souvient pas si bien que ça de notre propre enfance. Avec le temps on rajoute des couches et des couches de mensonges sur celle-ci pour qu'elle ressemble à une enfance soit normale soit extraordinaire, soit monstrueuse etc. C'est exactement comme raconter une histoire, tout n'est t'il pas au final qu'une fiction ? Et je suis souvent perplexe lorsque j'écoute les gens me raconter une anecdote, une histoire vécue, une histoire qu'ils appellent vraie, de comprendre à quel point ils sont inconscients de la façon dont ils enjolivent, exagèrent à peu près tout. Parfois je ne suis pas loin de penser qu'à part pour répondre aux nécessités de l'état civil , notamment les dates de naissance et de décès, rien de ce que l'on peut dire de vive voix n'est authentique. Cette vérité que l'on ne cesse de se brandir les uns aux autres, si on se mettait à l'examiner de plus près, au microscope, on verrait à quel point nous avons brodé pour combler les vides entre les différents événements dont elle se compose en apparence. Evènements souvent tout à fait neutres dont il faut coute que coute, comme une sorte d'obligation, extraire du sens. Maintenant que faire de cette information : L. 6 ans signe à la place de ses parents les petits mots du directeur l'accusant d'un comportement déplacé ? Comment ne pas la juxtaposer à cette autre : M. 8 ans est devenu dealer de cartes Pokémon et escroque ( selon la direction de l'école) ses petits camarades totalement naïfs et mignons oh mais quel méchant ! J'en fais évidemment part à mon épouse, et là elle s'insurge elle me dit — Tu prends tout par dessus la jambe je croyais que tu allais passer un coup de fil pour en discuter avec le papa. — Que nenni chacun sa merde ! j'ai répondu vraiment pas chaud pour emmerder mon beau-fils qui convole et qui vit sur un petit nuage en ce moment. — Ah tu m'énerves tais-toi ! m'a alors dit mon épouse. Et là j'ai remis mon casque audio sur les oreilles et j'ai poussé le curseur du son à fond.|couper{180}
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Mes vœux pour 2022
Ce n'est pas facile d'aller à contre-courant. Beaucoup d'incompréhension à traverser sans broncher. Et puis à quoi bon s'excuser, se justifier, polémiquer. Quand ça ne passe pas, ça ne passe pas et tous les efforts que l'on peut produire pour dépasser cet état de fait ne sont souvent rien d'autre que des coups d'épée dans l'eau. Par exemple cette période de fin d'année, l'enjambement vers la nouvelle et l'automatisme des phrases creuses à échanger coute que coute. — Meilleurs vœux, bonne année, et surtout la santé, ce genre de chose à vomir ni plus ni moins d'année en année atteint le paroxysme de l'insupportable. — Pourquoi donc ? me demande mon épouse qui est aussi psychanalyste. Pourquoi cette obsession à ne pas vouloir faire comme tout le monde ? Qu'est ce qui te terrifie tellement dans l'expression "comme tout le monde" ? Ai-je seulement l'embryon d'une réponse satisfaisante, dicible et écoutable ? Parfois je me dis que non et je reste muet. Il n'y a guère qu'ici sur cette page blanche , renouvelée de blancheur chaque jour, ou plutôt chaque nuit, que j'ose m'interroger. Sans doute en m'appuyant sur cette observation que lorsque l'écriture s'empare de moi, je suis un autre. Et cet autre est à la fois comme tout le monde, cet autre est le monde et dont chaque phrase pointe sur celui que je crois être en dehors de la page blanche. Gamin j'étais terriblement récalcitrant déjà, pour tout un tas de choses complètement incompréhensibles pour mes proches. A cette époque on ne savait pas ce qu'étaient les pédiatres, pas plus que la thérapie. En gros il n'y avait pas autre chose que l'asile qui eut pu représenter à la fois une solution comme un constat d'échec cuisant. Reconnaitre mon mal-être eut été sans doute accepter de reconnaitre le leur. Ce qui ne pouvait être tolérable. Avait t'on le temps de s'occuper de n'importe quel nombril au beau milieu des fameuses 30 glorieuses ? Certainement pas. Je me souviens encore de quelques réflexions prononcées à voix haute sur Jean-Paul Sartre, ou Serge Gainsbourg , et encore Maxime Le Forestier par mon paternel pour qui tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à la contestation ou des élucubrations intellectuelles, n'était qu'une pure perte de temps. Etrangement il adorait Georges Brassens et Jacques Brel. Sans doute parce que ceux-là contestaient l'un avec tranquillité sur des rythmes à 4 temps tandis que l'autre en bavait des ronds de chapeau sitôt qu'il montait sur scène comme un agneau que l'on mène à l'abattoir. J'ai souvent soupçonné mon père d'être un anarchiste qui ne s'assumait pas. Une sorte de traitre à lui-même qui avait pris comme prétexte la responsabilité familiale pour épouser le monde tout en le détestant. Sans doute était-ce visible comme un nez au milieu de la figure. Visible pour tous ces autres qui resteront à jamais un mystère, ses collègues de travail, les nombreuses femmes avec lesquelles il aura entretenu une liaison, une aventure, toute la collection de trophées qu'un voyageur de commerce passe son temps à récolter pour tromper sa solitude et son ennui de n'être qu'un simple voyageur de commerce. Lui non plus n'aimait pas les fêtes de fin d'année pas plus que les fêtes en général. Surtout les jours d'anniversaire je le voyais écartelé par deux envies contraires, qu'on n'oublie surtout pas de lui souhaiter, mais malheur si on le faisait. Il devenait totalement abject comme si l'abjection avait le pouvoir d'effacer à la vitesse de l'éclair sa candeur enfantine qui remontait, à ces moments là, comme une acidité d'estomac. C'est toujours cette même histoire de choix, de positionnement. Exactement comme ce problème majeur chez tout artiste. On dirait bien qu'il faille abdiquer, renoncer à un moment ou à un autre à la totalité des possibles, au fameux "flou artistique" pour se concentrer jusqu'à la fin sur une seule posture. La même toujours invariablement. Parce que justement l'invariable est accepté à bras ouverts, l'invariable est exigé comme une tenue de soirée, on ne peut nous laisser entrer dans certains lieux sans ce minimum de rigueur vestimentaire. Cette rigueur à laquelle mon père tenait tant quand il s'agissait de ses chemises impeccables, du pli de ses pantalons, de la brillance immaculée de ses godasses. Tandis qu'à coté de ça, d'étranges ondes paradoxales pénétraient notre bulbe tout à la fois filial et rachidien. Nous devinions à quel point il pouvait être menteur, traitre, méchant, cruel même et sans vergogne aucune. Ce qui m'aura toujours posé de fameux problèmes quant à la sincérité affichée de la moindre personne s'avançant les bras ouverts face à moi. Ce qui m'aura toujours posé de fameuses difficultés concernant la valeur de ma propre sincérité aussi. Car même au beau milieu de ma mégalomanie galopante parfois à des altitudes irrespirables, le doute était planté toujours au sommet. Une réelle bénédiction au final. Le doute comme un étendard tissé de compassion, d'amour filial, et de haine ordinaire. Et cette année me voici confronté de nouveau à cette avalanche sirupeuse de souhaits, à ce champs de bataille où se mitraille l'attention à l'autre et toutes les munitions de gentillesses souvent melliflues, obséquieuses que je qualifie immédiatement de factices, d'hypocrites, d'inutiles, d'obscènes. Comment la race humaine peut elle donc être à ce point frivole qu'on débouche le champagne en se faisant maints bisous réels ou virtuels alors qu'on a tout bousillé ou presque autour de nous ? Comment peut-on dire franchement, sincèrement, en toute innocence "joyeux Noël, Joyeuses fêtes, bonne Année " Alors que tout se barre en sucette ? Comment se lécher la poire et se donner de grandes tapes dans le dos et sur le cul alors qu'on est assailli désormais par un virus qui semble muter d'autant plus vite que nous sommes désespérément lents à comprendre son message ? Ce qui sans doute les années passées était encore une énigme pour moi aura muté tout comme le virus. C'est que je n'ai plus envie de résoudre la moindre énigme à ce propos. J'ai ma dose c'est le cas, le moment on ne peut plus opportun de le dire. Tout ce que j'aurais pu souhaiter dans le temps pour que mes contemporains soient moins cons n'ayant jamais été exaucé, il est possible qu'une usure rende la notion de souhait tout entière caduque. J'assiste les bras ballants à cette forme d'érosion inédite pour moi non sans une certaine tristesse. Avec même un peu de rage certains jours, comme celle que peut ressentir un gamin lorsqu'il voit, derrière toutes les simagrées d'un père, l'étendue d'une solitude irrémédiable, probablement la même que tout à chacun entretient avec ce qui se nomme "tout le monde" et que l'on invective, tous les ans, en tout début d' année, en lui dégobillant en pleine figure nos meilleurs vœux.|couper{180}
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Ce qui fait écho
Il faut que la voix meurt pour que l'écho naisse. Et des falaises de granit et de hauts murs de craie pour se renvoyer à l'infini la balle Sans doute aussi une certaine qualité de l'air Et des oreilles tendues bien sur il y en a toujours quelques unes par ci par là. Et quel mystère si tout ça, ici et là ne tombe que dans l'ouïe d'un lièvre sous le sabot d'un âne.|couper{180}
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agenda ironique de janvier
Puisque Janvier est synonyme à la fois de nouveau départ, nouveau bail, nouvelles résolutions voire nouvelle vie (sans oublier, pour nos amis … agenda ironique de janvier|couper{180}
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La vie et rien d’autre
Une guerre finit toujours par s’achever laissant place à la paix. Ces derniers jours proches de l’inaction totale semblent procurer aux rêves une précision surnaturelle. Cette nuit nous voici dans un immense appartement à New-York et nous recevons une femme raffinée qui examine notre déco avec une drôle de petite moue. Sans doute tient t’elle une galerie huppée car dans un coin du loft j’aperçois tout à coup au sol des dizaines de dessins magnifiques que je suis censé avoir réalisés. Ces dessins à la mine de plomb représentent une multitude de personnages, principalement féminins. Cependant qu’en zoomant je m’aperçois qu’ils ne sont pas à la mode d’aujourd’hui. Plutôt des années 1920 à cause des chapeaux que portent lés personnages. La décoration de l’appartement est très nettement des années 70, mon épouse en est très fière, il y a du papier peint avec de grandes formes rondes de couleurs vives. Puis sur un sofa, ce bouquin de Kadaré « Le général de l’armée morte » et cette sensation bizarre qui envahit progressivement le rêve tout entier, puis tout à coup je m’entends prononcer ces mots — Dehors s’il vous plaît chère petite madame , la vie et rien d’autre. La femme huppée est interloquée et lâche une tenture qu’elle examinait avec un petit sourire de dédain. Son pas résonne sur le parquet lorsqu’elle se dirige vers la sortie et mon épouse l’accompagne en tentant de la consoler. — Revenez dans quelques jours, il sera de meilleure humeur dit-elle Les voix s’amenuisent et j’ai les dessins dans les mains. — mais qui donc à dessiné tout ça ? Ce n’est pas moi. — la vie et rien d’autre tu dis ? Et comment allons nous payer le loyer me demande mon épouse plantée devant moi à présent. S’en suit une de ces disputes ordinaires où il est question d’énumérer lés peurs et de gagner sa vie. C’est à ce moment que j’ai ouvert les yeux. Il faisait nuit mais une légère clarté provenait de la baie vitrée. Je savais très bien où j’étais. Le ronflement très léger à mes côtés était extrêmement attendrissant. Je me suis mis à réfléchir sur cette phrase « la vie et rien d’autre » et sa justesse, celle qui m’était venue à l’esprit dans mon rêve se métamorphosa lentement en quelque chose de ridicule. Sans doute par défense, car quelques instants plus tard elle se revêtit de la banalité des évidences.|couper{180}
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Peinture et écriture
Notule Le risque de vouloir faire de jolies phrases, des phrases extra, percutantes, et qu’à la fin il n’y ait que ça du joli et percutant, comme une journée d’été où il ne se passe strictement rien sauf du soleil. Comme vouloir faire un tableau qu’avec de l’habileté. Des coups d’épée dans l’eau, tout à la surface, blessant la spontanéité des profondeurs.|couper{180}
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Les plus courtes, les meilleures
On nous a volé la mer La chienlit des vœux est de retour . Et il faut évidemment chausser un casque de spéléologue pour aller au contact du filon…trouver les meilleures pépites. Comme si y en avait de plus bonnes que d’autres. Bonne santé, plein de sous, de travail, d’amour, plein de ceci où cela …comme si on déterrait tout ceci cela à la pelle pour s’imaginer nimbé de béatitude en train de distribuer des offrandes à la Providence. Admettons. On pourrait longtemps disserter. Mais des fois on peut aussi se dire que les clichés sont fait pour régler ce genre de problème. Dire bonne année ou meilleurs vœux, pénétrer dans la grande partouze votive du jour de l’an. Plein de desiderata ! jouissez bien ! etc. Et puis rentrer ventre à terre dans son terrier comme Jeannot lapin l’œil hagard les moustaches tremblantes toutes noreilles en arrière version aérodynamique. Des fois oui les plus courtes sont les meilleures, surtout le 1er de l’an.|couper{180}
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Climat
Être conscient du climat, de cet échange incessant. Autrefois dans mes pitreries ascétiques je tentais de rester neutre. Mais cette neutralité est plus une barrière, une posture, qu’autre chose. Être perméable au climat comme deux danseurs qui suivent la musique. L’un mène la danse, l’autre est conduit. sans que rien ne soit éconduit. Toutes ces sensations contradictoires ne semblent mener nulle part. Elles vont nulle part Ni ici, ni là. Pas même dans l’ailleurs. Juste le mouvement.|couper{180}