fictions brèves

Ici se rassemblent des fragments narratifs à la frontière du rêve, du souvenir, de la fable. Chaque texte est une tentative condensée, parfois minimale, parfois traversée de dialogues ou de silences qui en disent plus qu’un récit achevé. Ce ne sont pas des nouvelles classiques : souvent sans chute ni intrigue, mais des scènes mentales, des instants volés à l’indicible. Certaines relèvent de la microfiction, d’autres adoptent une voix théâtrale ou introspective, flirtant avec l’absurde. Ce sont des éclats de fiction, des condensations de mondes possibles, où reviennent des figures spectrales, des alter ego, des voix qui se dérobent. La fiction n’est pas un décor : elle est le moyen de percer la réalité autrement, de faire vaciller le quotidien.

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fictions

Le château, le parc, les limites.

(Un espace vide. Une lumière froide éclaire des ombres indéfinies. Par instants, une ombre massive s’impose, évoquant la silhouette d’un château. Les voix se succèdent, parfois se chevauchent. Elles apparaissent comme des entités autonomes. Pas de corps visibles, sauf pour l’ENFANT et le RECTEUR G., qui entrent et sortent de l’espace à leur rythme.) LE CHÂTEAU (Voix grave, lente, résonnante.) Je suis ici depuis toujours. Pierre sur pierre, mémoire sur mémoire. Ils passent. Je reste. Je les observe sans bouger, et je les dévore. LE PARC (Voix mouvante, éparpillée, presque mélodique.) Je frémis ! Je murmure ! Je m’étire dans le vent ! Ils courent ! Ils chutent ! Ils m’arrachent des feuilles, et je les rends toujours. Franchis-moi, si tu oses ! L’ENFANT (Entrée en courant. Voix vive mais hésitante.) C’est ici ! C’est ici qu’ils sont morts. Et pourtant, c’est ici qu’on joue. Pourquoi les murs nous regardent ? Pourquoi les pierres respirent ? Je cours, je cours, mais les arbres sont si grands, et derrière eux, il y a… il y a… LA LIMITE (Un murmure qui surgit, coupant l’ENFANT. Elle parle par fragments, comme une pensée qui traverse l’esprit.) Ne viens pas. Viens. Tu vois la ligne ? Non, tu ne la vois pas. Viens quand même. Tu veux me toucher ? Tu veux me briser ? Viens ! Mais laisse tout derrière toi. (Murmure plus fort, comme une incantation.) Les os. Les corps. Les ombres. Les rires. LE RECTEUR G. (Entrée brusque. Il parle avec une rigidité presque mécanique, ses mots tombent comme des pierres.) Silence. Les règles ne bougent pas. La prière avant tout. Le parc est interdit. (Le regard fixe, vers l’ENFANT.) Tu crois pouvoir courir ? Franchir ? Mais les pierres te regardent. Elles te regardent. UN PRÊTRE (Voix monocorde, détachée, presque sans vie.) Les enfants grattent les murs. Ils cherchent des secrets dans les fissures. Mais il n’y a que du vide. Du vide et des souvenirs qui ne leur appartiennent pas. (Pause.) Nous avons survécu, mais nous ne vivons pas. Nous gardons ce qui ne peut être gardé. Nous reconstruisons, chaque matin, le château qui s’écroule. L’ENFANT (Regardant le RECTEUR G., mais s’adressant au public.) Pourquoi est-il si grand ? Ou bien… suis-je si petit ? (Se tournant vers les ombres du parc.) Les prêtres disent que c’est interdit, mais c’est pour ça qu’on y va. On y court, on y tombe, et parfois, on n’en revient pas. LA LIMITE (Toujours murmurante, mais plus insistante. Elle semble répondre à l’ENFANT.) Tu crois franchir ? Tu crois passer ? Mais je suis partout. Au bord de ton regard. Au fond de tes rêves. (Elle rit, d’un rire fragmenté.) Tu m’aimes, n’est-ce pas ? Parce que je te défie. LE RECTEUR G. (Fermement, avec colère.) Retourne en arrière ! (À l’ENFANT, mais aussi à lui-même.) Tu ne vois pas ? Ces ombres t’engloutissent ! Elles t’appellent, mais elles te briseront. Elles m’ont brisé. (Se reprend brusquement.) Silence. Discipline. LE CHÂTEAU (Reprenant, lentement, comme une sentence.) Ils sont tous passés. Tous ont cru franchir, mais ils sont restés ici, en moi. (Le ton se fait presque mélancolique.) Je suis pierre. Je suis mémoire. Je garde tout, même ce qu’ils veulent oublier. (Plus bas, presque inaudible.) Les enfants courent. Les prêtres prient. Mais moi, je veille. Toujours. LE PARC (Avec un souffle léger, comme un écho.) Cours, enfant. Cours ! Les limites n’existent pas. Ou peut-être que si. Mais tu ne le sauras qu’après les avoir franchies. L’ENFANT (S’arrêtant, hésitant à franchir une ligne invisible.) Je vois les limites. Je ne vois rien. (Se tournant vers le public, en chuchotant.) Et si ce n’étaient pas elles qui me retenaient ? Et si c’était moi ? (L’ENFANT tend une main vers un point invisible, mais n’avance pas. Un long silence s’installe. Les lumières s’éteignent progressivement, laissant le murmure de LA LIMITE résonner dans le noir.)|couper{180}

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Lectures

Les mondes souterrains

Je suis assis à mon bureau, une pile de livres usés à ma droite, leurs tranches marquées par cette teinte rouge caractéristique de la collection J’ai lu. Ce sont ces livres-là, avec leurs couvertures criardes, qui ont hanté mon adolescence et probablement celle de beaucoup d’autres. Des titres étranges, prometteurs, comme des clés d’un savoir interdit : Le Livre des secrets trahis, Les Anciens Astronautes, Les Mystères des Mondes Oubliés. Je feuillette l’un d’eux, celui de Robert Charroux, ce nom qui m’évoque à la fois un chercheur et un conteur. Charroux n’écrivait pas seulement des livres : il ouvrait des tunnels. J’ai toujours été fasciné par cette idée qu’il existe des choses que nous ne voyons pas, que nous ne savons pas. Ce que nous ignorons devient un espace vierge, une surface à recouvrir de nos propres obsessions. Dans les pages de Charroux, de [Spalding](https://ledibbouk.net/la-vie-des-maitres-spalding.html) (La Vie des Maîtres), ou dans les théories ésotériques des années 60 et 70, ces obsessions prenaient des formes concrètes : des civilisations disparues, des continents engloutis, des êtres invisibles qui auraient choisi de vivre sous terre. Sous mes pieds, sous les vôtres, des mondes entiers. L’Agartha, le Tartare, Telos, Shamballa. Des royaumes où l’histoire humaine se poursuit en silence, loin de notre chaos de surface. J’ai relu Charroux ce matin. Ou du moins, j’ai cru le relire. Ses mots me paraissent moins facilement crédibles qu’à l’époque où je les découvrais pour la première fois, mais tout aussi hypnotiques. Il parle de l’Agartha, cet immense royaume souterrain que les survivants de l’Atlantide ou de la Lémurie auraient bâti après avoir fui les cataclysmes. Je suis frappé par la manière dont il mélange le mystique et le technologique. L’Agartha, dans son imaginaire, est un lieu qui dépasse la simple survie : c’est une utopie. Les habitants de ce monde souterrain auraient atteint une sagesse que nous, habitants de la surface, avons perdue. C’est peut-être pour ça que ces récits continuent de circuler, que des auteurs comme Charroux, ou même Spalding, ont trouvé leur place sur mes étagères. Il y a un confort dans l’idée qu’un savoir ancien existe quelque part, intact. Qu’il suffit de trouver la bonne caverne, le bon passage, pour accéder à une bibliothèque secrète où tout, absolument tout, nous serait révélé. Mais il ne s’agit pas seulement d’Agartha. Le Mont Shasta, cette montagne volcanique en Californie, revient constamment dans ces histoires. À chaque fois que je lis quelque chose sur le sujet, je me demande pourquoi. Pourquoi cette montagne ? Charroux et d’autres prétendent qu’elle abrite une colonie souterraine de Lémuriens. Helena Blavatsky, quant à elle, évoque des "Maîtres de Sagesse" vivant dans des cavernes autour du désert de Gobi. Des êtres éclairés qui veillent sur nous, mais de loin, comme des parents distants. Dans La Vie des Maîtres, Spalding va plus loin : il nous invite à croire que ces maîtres ont un pouvoir quasi-divin, qu’ils transcendent la matière et peuvent même manipuler la réalité. Je n’ai jamais su quoi faire de cette idée. Ces maîtres sont-ils des figures de consolation, inventées pour combler un vide spirituel ? Ou bien ces histoires renferment-elles quelque chose de plus proche de la vérité, quelque chose que nous n’osons plus croire dans ce siècle saturé de cynisme ? Je pense à tous ces mythes anciens que j’ai croisés en travaillant sur cet article. Dans la mythologie grecque, Zeus emprisonne les Titans et les Cyclopes dans le Tartare, un abîme si profond qu’on pourrait s’y perdre pour l’éternité. Les Amérindiens, eux, parlent du "Popolo-Ant" et du "Popolo-Locusta", des peuples ayant trouvé refuge sous terre pour échapper aux colères du monde de la surface. Ces légendes semblent toujours revenir au même point : le sous-sol comme lieu de refuge, comme ultime possibilité de survie. J’ai souvent essayé de comprendre pourquoi ces récits m’obsèdent. Peut-être parce qu’ils ne concernent pas seulement des lieux géographiques, mais aussi des lieux intérieurs. Le sous-sol, c’est notre inconscient. C’est tout ce que nous avons enfoui et oublié. Nos peurs. Nos vérités. Ce que nous refusons d’affronter à la lumière du jour. Ces derniers jours, j’ai commencé à voir une sorte de fil conducteur dans toutes ces lectures. Les livres de Charroux, les idées de Blavatsky, les contes amérindiens, même les OVNI supposément liés à l’Agartha : tout cela parle d’un besoin profond de se connecter à quelque chose d’autre. Quelque chose qui n’est pas seulement humain. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que m’a dit un ami, il y a quelques années. Il m’avait parlé d’un voyage qu’il avait fait au Pérou, d’un chaman qui lui avait raconté l’existence d’un "monde inversé", une sorte de miroir où tout ce que nous percevons est à l’envers, mais néanmoins réel. Ce n’est pas une métaphore, m’avait-il dit. C’est un lieu. Je me demande s’il avait raison. Quoi qu’il en soit, je continue à ouvrir ces livres rouges, ces vieux J’ai lu pleins de poussière et d’exagérations. Ils ne me livrent pas de réponses, mais ils me rappellent que l’essentiel se trouve souvent dans ce que nous ne voyons pas. Dans les ombres. Sous la surface.|couper{180}

fictions brèves Mondes souterrains

fictions

Le double

1952_Study-for-Crouching-Nude- F.Bacon Je ne me souviens plus du moment où il a cessé de parler. Je crois que c’était le jour où j’ai rencontré Jessica. Elle est arrivée avec ses tresses et son accent américain, sa robe jaune qui tranchait contre le vert sombre des herbes hautes. Elle parlait peu, mais chaque mot semblait chargé d’une gravité qui me fascinait. J’ai voulu lui montrer les choses que j’aimais : les insectes, les pousses de lierre entre les pierres, les ombres mouvantes sur le mur quand le soleil baissait. Elle regardait tout ça sans rien dire, avec un sourire léger. Ça m’a suffi. Pour la première fois, j’ai ressenti ce qu’on appelle l’amour. Une chaleur qui montait en moi, à la fois douce et déchirante. Lui, mon double, n’a pas supporté ça. Il m’a regardé d’un air moqueur, comme s’il ne comprenait pas ce que j’étais devenu. « Tu es ridicule », semblait-il dire. Puis il s’est tu. Jessica n’est pas restée. Ce n’était qu’un été pour elle, une parenthèse lumineuse dans sa vie. Pour moi, son départ a tout changé. Le monde a perdu quelque chose. Les pavés sous mes pieds paraissaient plus ternes, les ombres plus lourdes, le vent dans les peupliers ressemblait à une plainte. Je me suis senti seul. Vraiment seul. C’est là que j’ai commencé à voir par les yeux de mon double. Pas parce que je le voulais, mais parce qu’il n’y avait rien d’autre. Il était là, silencieux, terne, maussade, mais présent. Je n’ai pas eu le choix. Quand on se sent vide, même un double grisâtre peut devenir une compagnie acceptable. « Je t’avais prévenu », disait-il parfois, sa voix basse comme un écho dans ma tête. J’ai commencé à faire des choses que je ne comprenais pas. D’abord des broutilles : un paquet de bonbons volé, quelques pièces prises sur une étagère. Puis, c’est devenu plus grave. Un billet dans la caisse des grands-parents. De l’argent pris dans le portefeuille de mon père. À chaque fois, j’entendais un murmure en arrière-plan, presque tendre, comme si c’était lui qui tirait les ficelles. Peut-être que je le faisais pour lui. Peut-être que c’était ma manière de lui dire : « Tu es toujours là. » Contre mauvaise fortune bon cœur, disait mon grand-père. J’ai fini par comprendre ce que ça voulait dire. Parfois, on n’a pas le choix. Quand on est vide, on s’accroche à ce qu’on trouve. Même si c’est un double terne et maussade de soi-même. Même si ce n'est que lui.|couper{180}

fictions brèves peintres

Carnets | octobre 2024

Ver luisant

Il disparaissait, réapparaissait, encore et encore. Au début, cela surprenait, mais peu à peu, plus personne ne posait de questions. Sa compagne, Linda, ne l’attendait plus vraiment. Dans le ronronnement du frigo et la fumée des cigarettes, il réalisa que sa révolte contre le quotidien n’était qu’un jeu futile. Comme un ver luisant, il brillait un instant avant de s’éteindre, sans jamais changer l’obscurité qui l’entourait.|couper{180}

apparaître, disparaître fictions brèves

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Les Silences de l’Appartement : entre veille et oubli

Une tache rouge obsédante, des bruits dans l’immeuble, et la certitude de ne plus se souvenir de ce qui était familier. Cette nuit, dans son appartement plongé dans l’obscurité, une femme affronte ses peurs les plus sourdes. Entre les gestes mécaniques et les doutes envahissants, elle tente de se raccrocher à ce qui reste de son quotidien. Un récit où chaque détail devient une question, chaque silence une menace.|couper{180}

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Carnets | juin 2023

3062023

l'enfant surgit de la forêt où il s'était caché et la première chose qu'il fit fut de chanter la plaine généreuse et blonde, grasse le bleu profond du vaste ciel et les baies mûres sucrées des haies sombres. toute une éternité de mort s'oublie dans le présent de la plus pure des voix, une voix d'enfant qui sait l'enfance du monde. Qui scelle le pacte de l'ancien et du neuf au sceau du son infini Lussas, Ardèche du sud. nous avons loué deux nuits un minuscule bungalow dans ce camping 3 étoiles. 35 euros la nuit, il n'y a personne, les autres bâtiments sont vides. Arrivés jeudi soir avec le beau temps nous repartons ce matin sous le pluie. Du pays charmant au presque lugubre. Mais le pays n'y est pour rien pas plus que la météo, concernant le glissement de la sensation elle m'appartient. Résultat du vernissage d'hier, deux correspondants de journaux locaux, une poignée d'élus, et quelques badauds. Madame le maire, la maire, la mairesse a produit un discours, elle avait étudié son sujet. Moi mauvais élève ai balbutié quelques banalités. A 20 h tout fut plié. Nous sommes partis dîner au routier du rond point entre Villeneuve et La Villedieu. Durant le repas on se rassurait de temps en temps que l'exposition dure un mois. Nous recherchions des souvenirs d'autres expositions, où malgré l'absence de vernissage, nous avions tout de même vendu quelques toiles. P. qui avait été depuis le début très enthousiaste avait l'air absent lors du vernissage. S. me dit soudain, c'est drôle j'aurais pensé que sa compagne viendrait. Ceci explique peut-être cela. rien écrit hier. S voulait regarder une série sur la tablette, et je me suis rabattu sur le téléphone portable pour lire quelques pages de ce bouquin qui traîne beaucoup en longueurs, en détails superflus, en considérations inutiles. Impression que l'auteur a fait un pacte avec lui-même d'attendre 900 pages ou rien. Ce qui me semble possible me concernant bien sûr. Écrire un roman ainsi juste en s'imposant un nombre précis de pages à noircir, pas plus idiot que de vouloir épuiser de belles idées, ou pire livrer un message, une théorie. En même temps le titre en dit long comme le bras sur l'intention. Pour la plupart un titre pareil évoque des histoires à dormir debout. Si j'ai décroché de l'histoire à partir des 300 premières pages, je continue toutefois à tourner les pages avec une même avidité. Mais son origine s'est déplacée. La curiosité tient beaucoup plus à la nature ou l'organisation des mots dans la phrase, les façons d'empiler, d'assembler les divers paragraphes qui forment un chapitre, taille de ceux-ci, les rythmes que propose ce récit. La lecture comme le marathon peut très bien entraîner le lecteur à supporter le point de côté, à la patience nécessaire pour atteindre à un second souffle. Ensuite pourquoi veut on courir un marathon devrait être la première question. Encore cette impression d'être un éternel débutant. Rêve. Très agité, des foules, un mouvement général de houle. Puis zoom tout à coup sur un personnage, sorte d'alter ego, mais bien plus âgé. Un guerrier à la retraite devenu moine, svelte et crâne rasé. Il y a des témoins de cette rencontre qui font cercle autour de nous, aussi nous ne pouvons nous exprimer clairement. Tout est dans le non-dit. A bien y réfléchir ce matin c'est dans ce non-dit que nous savons à quel point nous sommes semblables. nous sommes le même enfant.|couper{180}

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fictions

Demande

Frappe aux portes ? Non, pas ton truc, pour qu'on t'ouvre et qu'on t'en mette une. Non, passée l'époque masochiste. Tu n'es plus aussi jeune pour encaisser tout ça, tu es devenu méfiant. Ça frappe encore à l'intérieur, pas mal fort d'ailleurs, mais ça te regarde. Plus rien à l'extérieur, que dalle. Une résistance rompue à toutes les formes de la question, de la torture. Mais tout doucement, tu sais bien comment ça marche. Demande la nuit, le jour, plusieurs fois, en boucle, une insistance. Demande comme ça, pour rien, demande pour voir, pour apercevoir le signe qui te ferait signe, un rire, un sourire. Demande pour t'exercer à demander – et quand on te répond, si on te répond, admets-le : rien d'important, mais tout de même quelque chose. Ni précieux, rien de grave, même si tu ne sais que faire des réponses, surtout quand tu ne sais qu'en faire. Demande alors ce que tu peux faire des réponses, ça répondra peut-être. Ou pas. C'est toujours comme ça : oui ou non. L'idée, c'est de tout demander et de ne pas te plaindre, trop te réjouir non plus ensuite du tout et rien de la réponse. Demande par réflexe, comme un batch, une tâche de fond permanente, et ensuite creuse ce rien, creuse ce tout. Il est tard, c'est bientôt la nuit, je t'en prie, demande.|couper{180}

fictions brèves Théorie et critique littéraire

fictions

Echange standard

Je gagne ma vie en tant que peintre. Ou, plus précisément, j’échange des fragments de ma propre existence contre quelques unités numériques qui, elles-mêmes, me permettent d’acquérir des objets censés avoir une valeur. On pourrait dire que je troque du temps contre des conseils, des cours, et parfois une toile que j’ai peinte contre un chèque. Vu sous cet angle – et il vaut mieux ne pas trop incliner l’angle – je suis un commerçant, bien que ce mot ne soit qu’une approximation. Le problème, c’est la fluctuation. Le temps n’a pas de valeur fixe. C’est une donnée glissante, comme un rêve que l’on oublie au réveil. Une institution pose un contrat sur la table, des chiffres apparaissent en bas du document, et voilà, on m’assigne une équivalence en minutes et en sommes abstraites. C’est peu, je trouve que c’est peu, mais qui pourrait dire ce que vaut vraiment une heure de conscience ? Il ne faut pas trop penser à tout ça. À force d’y réfléchir, on peut sentir quelque chose s’effriter sous ses pieds. On commence à voir le vide sous l’échafaudage de chiffres et de conventions. Alors j’imagine. Je me fabrique un artiste, un double qui se moque de l’argent, qui poursuit une quête pure, qui offre aux autres un peu de plaisir, une infime dose de joie filtrée à travers la matière et la couleur. Ce n’est pas une illusion, pas vraiment. Juste un mécanisme d’adaptation. La réalité n’est pas simple. L’argent manque, et ce qui manque crée un champ de tension. Ce n’est pas de la tristesse, c’est autre chose, un phénomène oscillatoire qui ressemble à de la colère mais qui n’explose jamais vraiment. Peut-être parce que cette colère se retourne contre moi-même. Contre mon incapacité à structurer une autre solution, à fabriquer un meilleur système. Par exemple, cela fait des mois que j’essaie de concevoir une page pour vendre des formations en ligne. Une simple interface, un échange automatique, mais je n’arrive pas à m’y mettre. Quelque chose coince, une résistance invisible. Peut-être parce qu’en vendant ce savoir, je deviendrais entièrement commerçant. Peut-être parce qu’en acceptant cet échange, je contribuerais à un déséquilibre plus grand. Ou alors c’est juste une excuse. Peut-être que tout cela n’est qu’une immense distraction. Il y a des forces en mouvement que l’on ne perçoit pas. L’économie, les transactions, ce ne sont pas de simples équations. Elles s’infiltrent dans le tissu du monde, créent des tensions, des déformations dans l’équilibre des choses. Les premières sociétés humaines savaient cela. Elles avaient compris que donner sans recevoir créait un vide, une faille où quelque chose d’imperceptible s’engouffrait. Un déséquilibre que personne ne savait vraiment nommer. Alors je fais autrement. Je ne compte pas uniquement les transactions visibles. J’observe les échanges invisibles. Ceux qui ne s’opèrent pas dans la sphère monétaire mais dans un réseau plus vaste, un système qui dépasse le simple cadre des humains. Ce sont ces micro-déséquilibres qui m’apportent un retour, une forme de compensation qui échappe aux calculs comptables. Vendre une toile ? Pas de problème. Vendre du temps ? Non plus. Parce qu’une partie de moi reste dans ce système, mais une autre fonctionne ailleurs. Dans une réalité parallèle où le temps, l’argent et l’individu ne sont que des abstractions passagères. Un monde où seul compte l’équilibre, cette oscillation constante entre le plein et le vide. Une mécanique déréglée, auto-régulée, qui tourne encore et encore sur elle-même, perpétuellement alimentée par l’attention de ceux qui savent regarder. Illustration : Alberto Giacometti, L'Homme Qui Marche|couper{180}

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Je ne me sens pas tranquille

Je ne me sens pas tranquille. La gouttière crisse sous les rafales de vent. Une branche d’olivier en pot la frotte, à intervalles irréguliers. Ce n’est pas grand-chose, un simple bruit métallique, mais il me dérange. Et puis, il y a la musique. Une musique que je n’ai pas choisie, qui s’infiltre dans la cour, qui s’impose. Les voisins. Un couple, la trentaine, un enfant. Le bébé vagit, hurle, rit. Eux aussi crient, rient, s’engueulent. Un flot de sons qui déferle. Impossible d’y échapper. Impossible d’être tranquille. Je ferme les yeux. Je veux m’y habituer, je tente de reléguer ce vacarme au second plan, de ne plus y prêter attention. Mais l’effort est épuisant. Ce bruit exige que je l’entende. La chaleur écrase la cour. L’air est lourd, stagnant. Une torpeur qui n’endort pas mais qui agace, qui s’accroche à la peau. Le vent revient, fait claquer une persienne, remue la branche d’olivier. La gouttière grince. Un petit bruit, ridicule à côté de la musique. Pourtant, il m’irrite autant. Et puis, soudain, la musique monte d’un cran. Un coup de poing sonore. Du rap. Des basses qui cognent. Une voix saccadée, mâchée, agressive. Je ne distingue pas les paroles, mais je ressens leur violence. Une musique qui attaque, qui cherche une cible. Moi. Je suis ce quelqu’un à qui elle s’adresse, celui qu’elle veut déranger. La colère monte. Une colère bête, incontrôlable. Ils n’en ont rien à faire des autres. Ils savent qu’ils dérangent, et ils s’en foutent. Le voisin est un roi qui tourne son bouton de volume comme on donne un ordre. Un tyran sonore. Je serre les poings. Si je monte et que je frappe à leur porte ? Si je leur hurle qu’ils sont insupportables ? Si je monte le volume à mon tour ? Non. Rien. Je ne peux rien. Je suis là, assis, impuissant. Et puis… Le silence. La fenêtre des voisins s’est refermée, la musique s’est tue. Plus un bruit. Même le bébé s’est calmé. Alors, je devrais être soulagé, non ? Mais non. Mon oreille cherche. Je scrute le silence, à l’affût du moindre son. Là, au loin, les voitures sur la nationale. Klaxons, accélérations. Avant, je ne les entendais pas. Maintenant, ils me sautent aux oreilles. Peut-être que ce ne sont pas les bruits qui m’empêchent d’être tranquille. Peut-être que c’est moi. Je m’adosse au mur. Je ferme les yeux. Un coup de vent fait tinter doucement le carillon suspendu à l’olivier. Un son léger, apaisant. La gouttière grince. Je rouvre les yeux. Et j’attends. Illustration : Vilhelm Hammershøi , Ida lisant une lettre, 1916|couper{180}

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Carnets | avril 2022

Shéol

Le Christ dans les Limbes, d'après Jérôme Bosch J'ouvre un œil. Une lumière verdâtre, à laquelle peu à peu mon regard s'accoutume. Une immense salle. Cependant l'atmosphère qui règne ici est suffocante, à la fois chaude et humide une odeur d'ail m'envahit. En me tortillant je parviens à relever la tête pour regarder autour de moi. Et j'aperçois des milliers de rayonnages qui contiennent des boites de forme oblongue. L'endroit m'est familier. Une sensation de déjà vu. L'ensemble ressemble à un entrepôt de stockage gigantesque. Ce sont des corps qui se trouvent dans ces boites, alimentés par tout un réseau de tuyaux. J'ai la sensation de me retrouver dans un bouquin de Philip José Farmer, probablement pas un de ses meilleurs. Et parallèlement je sais que je suis aussi là, quelque part, que mon vrai corps est dans l'une de ces boites. J'essaie de me dégager de mes entraves en vain. Encore un de ces cauchemars probablement où j'ai été terrassé par des gnomes comme le géant Gulliver. J'essaie de rire comme je le faisais enfant en disant à voix haute : je sais que c'est un rêve, je me réveille quand je le désire. Mais rien ne se passe. L'incantation ne fonctionne pas. Mes paupières se referment lentement et j'éprouve comme une sensation de chute. Ce genre de chute dont on pense qu'elle ne s'arrêtera jamais, durant laquelle on cherche désespérément quelque chose pour se raccrocher à un appui, une solidité. Mais on ne trouve rien, la chute continue inexorablement, dans la partie négative de l'infini, une fois le zéro franchi et que la vitesse tout en s'accélérant une fois cette nullité franchie, nous emporte vers un but dont on pressent déjà la présence effroyable. "Les morts ne savent rien ; ils n'ont plus de récompense, et jusqu'à leur souvenir est oublié." Je me souviens qu'il faut passer par cet oubli. « Quoi que tes mains trouvent à faire, fais-le pleinement car dans le Shéol, où tu vas, il n'y a ni travail, ni plan, ni connaissance, ni sagesse. » Ecclésiaste. Plus terrible encore cette dernière phrase que je retrouve, toujours en route vers cette destination que je pressens. La perte de tout de ce que je pense être, avoir été ou serais. Ce lieu qui tel un purgatoire réunit les morts de tout acabit pour leur apprendre à oublier la vie. Voilà où je me rends. Dans le Shéol de Job et de Jacob. Et bien sur il y aura tous ceux que j'ai autrefois côtoyés, les bons et les moins bons, les justes et les ignorants. Une foule véritable à considérer tout en me considérant par ricochet. Quantité négligeable, poussière, peanuts. "Shéol n'est jamais rassasié" C'est dire la faim du vide personnifié. Comme si à un moment un auteur anonyme avait éprouvé le besoin d'en dresser un portrait, de le personnifier, d'en faire une allégorie. Je me dirige vers mon propre vide et le vide de tous les autres et c'est le même vide, le même appétit de vide et d'oubli pour tous. Une justice implacable. Dans le fond que l'on aille dans un sens ou l'autre depuis le zéro l'infini se ressemble. Sa bi polarité n'est qu'une vue de l'esprit. Et si je chute encore, et si la vitesse continue de s'accélérer il me vient à l'esprit que je n'ai qu'à tirer comme autrefois à l'armée sur la sangle pour que s'ouvre le parachute. Je n'ai qu'à penser que j'ai aimé car c'est tout ce qu'il me reste pour m'accrocher dans cette sensation de vide. Comme si tout ce que j'avais pu faire n'avait jamais été crée que par cet amour, le moindre geste, le moindre mot, tout ce qui a pu émaner de cette incarnation. J'ai aimé sans savoir que c'était toujours l'amour qui conduisait mes pas. J'ai aimé et j'ai cru être dans l'amour comme dans la haine, la joie ou la colère, l'envie et l'indifférence. Qu'importe les sensations, les sentiments contradictoires. Au fur et à mesure de ma chute les opposés se déchirent s'éloignent de façon inversement proportionnels les uns des autres. La loi de la gravité ne parait plus les retenir prisonniers l'un de l'autre. Voilà. Je sens une brise fraiche sur ma joue. Le plus important de toute cette vie est sans doute là dans ces retrouvailles de la sensation vraie. Impression de me dissoudre sans plus de douleur, le corps reste en arrière, comme un véhicule qui continue à effectuer des tonneaux sur la chaussée pendant que le conducteur ou le passager sont déjà éjectés. curieuse sensation aussi que cette nudité. Et toujours le contact doux de la brise sur la joue. "Le shéol a agrandi son désir et ouvert sa bouche sans mesure" Comme un serpent qui avale un mouton, j'ai cette image qui se superpose à la phrase d'Isaïe. Décidemment je suis incorrigible jusqu'à la dernière seconde je continue à réfléchir malgré tout, à effectuer des liens, à employer mon esprit analogique. j'ai toujours pratiqué ainsi au fond des cauchemars pour conjurer la peur. Réfléchir pour renvoyer son propre reflet à tout ce qui méduse. La question, comme le poison, s'y habituer au début un peu, chaque jour, tenir dans cette régularité ensuite. Se mithridatiser. D'ailleurs le shéol ce n'est rien d'autre que cela : le séjour des morts comme décorum et sur scène toujours l'actrice principale : la question. Rien à voir avec l'Enfer. Je n'ai jamais réussi d'ailleurs à concevoir un Enfer pas plus qu'un paradis. En revanche il me parait logique qu'une fois mort on ne devienne une question pour les vivants. Que chacun de nous pour une durée plus ou moins longue, ne finisse ainsi, comme autant de questions qui peu à peu s'évanouissent remplacées par d'autres. Ainsi va la vie mais aussi tout ce qui peut se situer en son amont comme son aval. Enfin la chute s'arrête, je ne tombe plus, je me retrouve au sol à nouveau, la pesanteur me revient. Je suis dans un monte charge finalement et les portes s'ouvrent doucement. Plus que de la surprise j'ai juste le temps de me dire zut, petite déception.|couper{180}

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Carnets | avril 2022

Bruits de botte

Dessin d’enfant. Pourquoi moi ? Me voici saucissonné et jeté sur le sol d’un grand vaisseau sombre dont j’ai pu apercevoir vaguement la forme triangulaire. Qu’ai-je donc dit ou fait pour m’attirer autant de déboires en si peu de temps ? C’est comme si les choses s’accéléraient. Comme si la crainte, l’inquiétude, qui ne me quittent plus depuis des jours, avaient le pouvoir non seulement de créer le temps mais de l’accélérer brutalement. Comme si je pressentais une fin. La fin de cette histoire à dormir debout, celle d’un monde qui s’évanouit pour laisser place à quelque chose de terrible, de jamais vu, d’une ineptie dépassant toutes les autres. On ne s’attarde pas suffisamment sur la modernité de l’ineptie qui, elle aussi, suit son chemin, en parallèle de toutes les autres qualités humaines. Un accent traînant américain. Un gradé qui donne des ordres d’une façon faussement décontractée à d’autres que je n’entends pas. On m’a aveuglé avec ce que j’imagine être un bandeau. J’ai les pieds et poings liés. J’ai l’air fin. Qu’est ce que je fiche ici dans ce vaisseau et pourquoi ça parle américain ? —il se réveille attention ! dit une voix en français. Donnez lui une dose plus forte nom de Dieu ! Des pas s’approchent, des pas légers comme ceux d’une femme, d’ailleurs je peux sentir un parfum de talc Azura, c’est étonnant comme on peut tout de même relever ce genre de petit détail dans ce genre de situation. Mais pas le temps de philosopher je sens la piqure dans mon avant bras. On m’injecte quelque chose, je tente de me débattre mais déjà mes pensées deviennent confuses. Je m’accroche à l’odeur du talc puis je me sens glisser peu à peu dans le sommeil. Paris, septembre 1981. Je n’arrive toujours pas à réaliser que je vis avec cette fille. Je crois qu’il s’agit d’un rêve, et que ce rêve va s’achever d’un moment à l’autre. Peut-être que si je dis les choses ainsi je comprendrais mieux la suite logique de cette histoire. D’un côté j’estime bénéficier d’une chance inouïe. Alors que d’un autre je reste persuadé de l’illégitimité d’une telle chance. J’ai, comme on le dit vulgairement, le cul entre deux chaises. Et c’est extrêmement inconfortable. Les psychologues diraient avec cet air grave au chevet d’un patient : double contrainte ! D’ailleurs n’est-ce pas cette année là que je découvre les travaux de Grégory Bateson, je crois bien, et sa théorie du Double bind. Bref je cherche des raisons à ce sentiment d’inconfort déjà à cette époque. Elle, qui est t’elle ? Avant tout je pense à un trophée que la vie m’aurait flanqué dans les bras sans que je n’ai vraiment commis le moindre effort. Car il faut mériter les choses encore en ce temps là, tout me revient. Et donc quelque chose ne va pas. J’ai été récompensé pour rien. Pour rien ? Ou plutôt pour une de ces phrases intempestives qui sortent de ma bouche sans que je ne les comprenne moi-même, une sorte d’Oracle livré par un idiot. On m’a tellement bourré le crâne avec l’existence du hasard. Je lui avais dit j’ai la clef du septième ciel. En revenant par la route goudronnée du cimetière d’Auvers sur Oise. J’avais été ému à cause du lierre qui reliait les deux sépultures de Vincent Van Gogh et son frère Theo. Il avait plu, peut être y avait il aussi une odeur de lilas qui se mêlait à l’odeur de terre mouillée montant des champs alentours. Bref j’étais en transe et comme nous marchions l’un près de l’autre en dehors du groupe, je n’avais pas pu me retenir de dire cette phrase à haute voix. Elle m’avait donné la main juste après. Concours de circonstances extraordinaire. Je suis totalement dépassé. Mais je n’affiche rien. Je fais le gars qui connaît la vie. Putain, quel abruti de première. En vrai je ne sais pas du tout quoi faire de cette main dans la mienne, c’est ça la putain de vérité. Quelle méfiance, quelle peur puis je constater à rebours. Je ne suis constitué que de ça. Une inquiétude une angoisse perpétuelle devant la vie. Aussi je peux me souvenir un peu mieux des événements constitutifs de cette défaite programmée. C’est à dire en écrasant la coquille crée pour enfermer les raisons aussi opaques que mensongères dans laquelle j’ai tenue enfermée le souvenir véritable. Je pourrais dire que je la considère comme une fille bien sous tous rapports et que je ne suis qu’une brute, un voyou. Mais ce serait simplifier de façon irrespectueuse la réalité. Disons que je ne mesure pas plus sa complexité que la mienne à l’époque. Voilà qui est beaucoup mieux et qui ouvre un champs de possibles bien plus vaste. Les choses une fois que l’on met un doigt dedans vont très vite. On ne se rend pas compte de la vitesse que procurent les habitudes, le quotidien, et de la rapidité à laquelle le miracle se métamorphose en banalité. Cela fait partie intégralement du programme choisi. On croit au bout de tout ça à un ersatz d’éternité que l’on confond avec l’ennui. Et l’ambition dans tout ça ? Ce n’était plus du tout sérieux de vouloir être écrivain, chanteur, photographe, peintre… du moins c’était à mettre de côté pour l’instant. Être responsable, assumer, sérieux. Là aussi belle erreur car elle ne demande rien. Elle me laisse libre de choisir. Elle compatit même quant à mes doutes, mon malaise, mon absolu manque de confiance en moi. Elle a raté médecine, se dirige vers une formation d’infirmière. Elle veut secourir les pauvres gens là bas en Afrique où je ne sais où. Mais ce n’est pas ma mère. Merde non ! Elle a mit très vite le doigt sur cette croute ce qui me l’a faite gratter jusqu’au sang. Alors je l’ai baisée. Je ne lui faisais plus l’amour, je n’étais pas de taille. Je l’ai baisée , baisée et re baisée jusqu’à 9 fois par jour, matin midi et soir. Parfois en recommençant durant la nuit. Avec une rage dont j’éprouve de la honte aujourd’hui. J’en avais mal à la bite mais c’était plus fort que moi . Et puis j’ai arrêté. D’un coup j’ai dit merde assez stop un peu de respect pour elle surtout. Moi j’étais totalement persuadé que je ne valais pas tripette. Moi j’ai continué plus bas, de plus en plus bas. Dans la merde et la boue. Des femmes, pas des jeunes filles, J’en pouvais plus. Des mères et des putes , si possible le package entier, avec les goodies, la petite pipe dans les chiottes ou la levrette sur un capot de bagnole dans le fin fond d’un parking. Du cru et pas des moindres, merde aux bons sentiments, colargol et le manège enchanté dehors ! Adios nounours nicolas et pimprenelle. Du cul du cul du cul ! Et rien d’autre. Et de les entendre râler gueuler insulter prier réclamer ça redonnait encore plus de vigueur à la tige, à la méchanceté en moi que je découvrais enfin autant horrifié qu’émerveillé. Et après ces gouffres… ces retours par les Grands Boulevards déserts, juste les camions poubelle et moi. L’apaisement dans l’ordure et le parfum de l’urine, juste avant de dégringoler dans la culpabilité la honte ce confort finalement si cher à l’esprit petit bourgeois. C’est durant cette période que j’allais retrouver Richard et ses putes de la rue des Lombards toutes les rues jusqu’à la Porte Saint-Denis. Elles étaient humaines, lui aussi, sans doute étais je lisible pour eux comme dans un livre ouvert. J’étais comme le chat du foyer, on me nourrissait d’attentions, on m’abreuvait de conseils accompagnés de mon chéri. Ce n’est pas par les braves gens que j’ai appris la compassion et l’amitié, ça non. Je n’étais pas non plus taillé pour ça. C’est par la pègre, les bas-fonds, le vrai malheur, la vraie faiblesse, la vraie lâcheté, que j’ai pu enfin sentir que je possédais un muscle qui pouvait servir à autre chose qu’à pulser le sang dans mes artères. —Il en sait beaucoup trop, il faut s’en débarrasser dit la voix américaine à l’accent trainant —Non pas tout de suite, attendons encore un peu dit une autre voix, celle d’une femme entre deux âges. Je passe ainsi un temps indéterminé entre la veille et le sommeil. Peu à peu la réalité et le rêve se confondent. Je me revois enfant, je retrouve mes rêves anciens. Oh ils ne sont pas extraordinaires. Je voudrais bien que ce gros nuage qui a la forme d’un cheval vienne tout près de moi et qu’il m’emporte la haut dans le bleu. Je voudrais avoir un ami, un vrai qui ne me trahisse pas. Et surtout je voudrais parvenir à rester conscient dans mes rêves la nuit, comprendre comment rester longtemps en suspension dans l’air en volant, pour me diriger là où mon esprit le désire.|couper{180}

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Oublier l’éveil.

Il fallait que Cheng trace quatre ou cinq traits à l’encre pour se sentir éveillé. Ensuite, une tasse de thé noir sans sucre. Dans sa masure, aucun luxe. Cheng n’était pas pauvre. Peintre lettré, ses peintures suffisaient à ses maigres besoins. Il avait dépassé la soixantaine. Il restait modeste. Il attendait encore l’essentiel, sans l’attendre. Il s’en remettait à la discipline : une attention sans faille à de minuscules gestes. Dès qu’il quittait sa natte, il s’asseyait à la table devant la fenêtre qui donnait sur la vallée. Il fermait les yeux, respirait, trempait le pinceau dans l’encre, et laissait la main suivre son mouvement, emportée par l’expiration. Quatre ou cinq traits, réalisés avec la plus grande concentration. Sentir la feuille bruisser, entendre les cris d’oiseaux, le poids des pattes des fourmis sur le plancher. Être mêlé à ces premiers instants donnait à ses gestes une solennité burlesque pour tout observateur. Chaque matin, Cheng s’enfonçait dans la discipline de ces traits. Oublier l’éveil. Entrer dans la feuille blanche.|couper{180}

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