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Voir plus loin que le bout de son nez

Une semaine chargée s'achève et mes pensées que j'avais mises en suspens afin d'agir le plus fluidement possible, peuvent reprendre leur cours. Une exposition collective où se mêlent professionnels et amateurs au centre culturel de Champvillard à Irigny près de Lyon. Au début tout était flou. Ce projet comme cette nomination soudaine en tant que "commissaire d'exposition" ou "directeur artistique" selon les appellations diverses. J'avais été à la fois surpris et angoissé que la direction du Centre Culturel m'appelle au téléphone pour me proposer ce projet il y a de cela quelques mois. Les expositions collectives ne sont pas ma tasse de thé. Je n'y participe que très rarement et la plupart du temps à reculons. Alors que l'on me confie cette mission d'en organiser à la fois la sélection et l'accrochage me semblait tout en même temps insolite, flou et presque ridicule. Cependant il y a un budget, je serai rémunéré et à cette seule nouvelle je n'étais pas vraiment en mesure de refuser. Il allait même falloir que j'y adhère du mieux possible. J'ai donc dit oui sans plus réfléchir. Puis les semaines ont filé comme toujours. La date est arrivée, j'ai retroussé les manches et j'ai pris le volant pour me rendre à la fameuse soirée de sélection des œuvres avec une petite boule au creux de l'estomac. Qui suis je pour décider de la valeur d'une œuvre ? c'était cette question qui ne cessait pas de revenir en boucle durant le trajet, heureusement suffisamment long pour que je n'y songe plus à l'arrivée. Entre 16h et 19h ce lundi j'ai vu arriver les artistes avec leurs œuvres sous le bras. 30 participants que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam. Pour la plupart des Irignois, des peintres amateurs et quelques professionnels. Des choses de tout acabit mais plutôt propres dans l'ensemble que je me suis mis à empiler sur les tables en rédigeant chaque fiche. Peu de conversation avec chacun, juste en revenir aux règles : 4 œuvres pas plus et la vérification du système d'accroche. Ce dernier souvent défectueux. Puis un ou deux conflits évidemment. Cette femme par exemple qui n'en démord pas de vouloir absolument présenter une série de dix dessins et que je tente de contenir tout en accueillant les autres pour ne pas perdre de temps. Je vous ai dit 4 c'est 4.. Mais ça n'a aucun sens puisque je vous dit que ces 10 tableaux vont ensemble... et de soliloquer sur l'histoire de chacun. Il y a eut un incendie et mon grand-père a tenté de sauver quelques effets personnels c'est lui là sur ce tableau en paysan, vous voyez que vous ne comprenez rien à mon travail. Il a tenté de sauver la photo de son fils mort à la guerre mais le feu a tout emporté. Je vous dit 4 c'est 4 madame, je n'en démords pas non plus. Mais vous ne comprenez rien à rien décidémment. Non il y a des règles, essayez d'imaginer... 30 participants, 10 tableaux chacun, je les mets où ? sans compter que ce serait injuste pour les autres qui ont joué le jeu vous voyez. ( encore aimable encore poli) Mais vous ne comprenez rien puisque je vous dit que ces 10 œuvres sont indissociables... A la fin je dis c'est 4 ou bien vous repartez avec vos tableaux. et je continue, au suivant, au suivant. Durant un bref instant ça me rappelle des choses peu agréables vécues en entreprise. L'efficacité, la rapidité de décision, le saquage, le laconisme de rigueur. Technique ? c'est du pastel bien , le système d'accrochage ce n'est pas ça. Et vous le vendez combien ? quoi ? 20 euros ? vous pensez que c'est bien sérieux ? ça n'a aucun sens de vendre ça 20 euros, mettez 150. ah bon tant que ça ? mais ça ne va jamais se vendre ! à 20 euros autant le donner vous savez. Et puis quand les choses n'ont pas un prix sérieux, on pense vite qu'elles ont été bâclées, que ça ne vaut rien... vous avez lu mon tutoriel sur comment proposer un prix correct à ses oeuvres ? ... Normalement tout le monde l'a eut, vous auriez du prendre un peu de temps pour le suivre. Suivant ! Bon alors d'accord je ne vous en laisse que 8...? c'est mon dernier mot. 4 je vous ai dit pas un de plus. Soudain une éclaircie, cette femme qui m'apporte 3 œuvres magnifiques, le système d'accrochage est parfait, le prix parait juste, tout roule au poil, l'affaire est réglée en 20 secondes, j'adore... Et j'ai préparé des textes pour mettre avec les 10 tableaux ça n'a pas de sens vraiment ... je n'écoute plus, c'est une sorte de bruit de fond avec lequel composer. Comme les klaxons de voiture, le cri des martinets, la sueur qui perle dans le dos. Ces deux femmes la mère et la fille ensuite. Nous avions échangé en amont sur mon compte Instagram. J'avais déblayé le terrain en la rassurant, en donnant des conseils, elle a lu le tutoriel. Je me demandais si elle était jolie. Mais là avec le masque pas le temps de s'attarder. A peine quelques mots échangés : technique c'est de l'acrylique le format, le prix parfait c'est fini, au vernissage alors on aura plus de temps pour discuter... La femme aux dix tableaux est une sorte de mélange entre madame Mac'Mich et Thatcher. Quelque chose de militaire dans la posture, et cette lèvre inférieure qui baille lorsqu'elle parle comme la semelle d'une vieille godasse. Le fait de trouver une chose risible pour désamorcer le drame fonctionne. Je me détends. alors ces 4 vous avez fait votre choix ? Je n'attends pas de réponse je passe à la suite. 3 cadres 80x80 avec un énorme cœur en relief chacun. Lacérés avec je ne sais quel engin les cœurs. Noir c'est vraiment noir et pour agrémenter le tout les mots Réfugiés, émigrés, America pour titre oh ben ça va plaire à la municipalité c'est certain je pense Et celui ci je l'offre à la mairie. Un grand format 150x60... on dirait un immense paillasson coloré. je suis un peu salaud évidemment mais lui pas vraiment sympa non plus. D'accord c'est de la sculpture plutôt non ? Et quels sont les prix ? Ah mais ils ne sont pas à vendre ! Et le grand là c'est un cadeau pour la mairie... Il me faut des prix pour les assurances. Mettez ce que vous voulez ... vous êtes vraiment rigide ça n'a aucun sens 4 tableaux Regardez si je mets cet afghan en plus à coté ... Il est beau votre afghan mais il n'a absolument aucun lien avec les autres je dis. Quoi ? mais vous dites n'importe quoi monsieur avec l'actualité en Afghanistan, vous ne voulez pas de celui là !!!! Je dois accrocher une exposition madame ça n'a pas grand chose à voir avec l'actualité vous savez Vous êtes vraiment obtus. une voix dans ma tête me dit c'est vrai putain tu es vraiment focalisé sur tes 4 trucs... tu tiens à ton putain de cadre hein t'en démordras pas. Je ris sous cape. Pour un artiste c'est presque jouissif d'imposer à d'autres cette contrainte. Mais sans contrainte pas de liberté n'est ce pas, tu te rassures comme tu peux. Non je ne prendrai pas l'afghan, je vous le dis tout net et sinon vous remballez l'ensemble et allez au diable ! Je dois faire peur un peu aux autres qui ne savent plus s'ils doivent sourire ou grincer des dents. J'ai envie de me lever et de monter sur la table en criant allez c'est pour rire mettez toutes les merdes que vous voulez on va faire une boucherie. A poil tout le monde ! Un ange passe. Abattage, 5 artistes en 5 minutes. Puis une accalmie soudaine. J'entends un oiseau. Envie de fumer une clope, il est pas loin de 18h. Time break. je me lève , elle me regarde et au miracle enfin je vois les 4 tableaux alignés. Deux dessins deux aquarelles. Je ne dis rien, je sors pour fumer, pas de quartier. au loin les collines, les monts du Lyonnais, une vapeur bleutée. Je savoure bouffée après bouffée. Ca passe vite malgré tout. donc 4 tableaux sous verre, voyons donc le système d'accrochage ... aie ! ce n'est pas ça du tout.. mais je vais m'en arranger. Ensuite le format, la technique, le prix ? On est fatigué tous les deux la vieille et moi mais elle veut encore avoir l'avantage ça se voit. vous êtes vraiment borné elle me dit. je réponds pas je lui laisse le fameux dernier mot. Quelles soient jeunes ou vieilles ça leur fait tellement plaisir j'ai remarqué. Puis elle disparait enfin et la pièce reprend ses dimensions naturelles. Il est presque 19h lorsque la voiture se gare. Un couple franco japonais. Des boites en cartons ... je crains le pire. Mais c'est magique, la petite dame japonaise extirpe ses objets avec une extrême délicatesse et les place sur la table. L'homme lui tend un tréteau auquel elle suspend des boules constituées de dizaines de fleurs en papier plié. Je reste bouche bée comme un gamin émerveillé. Une magnifique installation vient de se monter par delà le bout de mon nez. Le monde au delà devient un peu moins flou. De moins en moins flou. Une joie soudaine s'empare de nous le courant passe fort et j'ai le sentiment de les connaitre depuis toujours. Ils sont repartis comme ils sont venus sans rien déranger. C'était la fin de la journée, de cette première journée. tout était désormais éparpillé dans la salle 111 œuvres au total et une harmonie à découvrir dans tout ce fatras. J'ai dit au revoir à la personne chargée de refermer les portes du centre car il n'y avait plus personne dans les bureaux. Puis j'ai repris la route vers chez moi. Après Vienne un long ruban que forme la RN7 et je pouvais voir au loin, très loin comme si l'horizon ne se trouvait plus du tout masqué par le bout de mon nez. Yoshimi Delaite Œuvres en papier plié|couper{180}

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Vaincre la timidité.

C'est par email que ça arrive désormais. Jadis c'était dans les encarts publicitaires de Rustica ou du Chasseur Français. Peut-être aussi dans Nous deux et dans les pages de Pif gadget, mais je ne me souviens plus très bien. Comment vaincre la timidité. Il y avait aussi ces réclames pour prendre du muscle avec une photographie "avant" "après". Et puis le mot freluquet. Un mot qui a totalement disparu en moins de 60 ans. Mais globalement si on regarde bien le fond n'a pas vraiment changé. Je veux parler des arguments de vente. Cette timidité était bien plus paralysante que quoique ce soit d'autre je m'en souviens. Lever le doigt, ouvrir la bouche, aller vers les autres n'était qu'une somme d'empêchements qui me pétrifiait. Je m'étais fabriqué à la fois un silence et une invisibilité constitué de bric et de broc comme un nid d'hirondelle. Je ne me souviens plus vraiment comment j'ai eu soudain ce désir- en était ce d'ailleurs un ? de sortir enfin de cette timidité. Je me souviens que la glace de la salle de bain m'a énormément aidé. Le petit miroir de la chambre aussi devant lequel j'apprenais mes poésies en m'essayant à trouver le ton. Des milliers d'heures de répétition pour trouver la justesse du ton. Ce que j'imaginais moi petit bonhomme être "juste". Il fallait le plus souvent que les larmes me montent au yeux et commencent à rouler sur mes joues pour que je me dise : j'y suis. C'était toujours la tristesse le plus juste jamais vraiment la joie. La joie me donnait du fil à retordre. Des grimaces à n'en plus finir en me tortillant comme un vers de terre. ça sonnait tellement faux que le rouge me montait au front. Il fallait vraiment que j'observe l'autre, que je le recopie à la perfection en usant de toutes mes capacités de mimétisme. Et encore si j'arrivais à donner le change lorsque je me levais pour réciter du Prévert je savais bien au fond de moi que tout ça était artificiel. Derrière l'apparente gaité des poésies je ne cessais de déceler le drame, la tragédie, l'effroi. Peut-être que si j'avais été stoppé à temps ma vie n'aurait pas été aussi difficile. Peut-être que si Madame Blaisot-cette femme admirable en tous points pas seulement plastiquement- m'avait juste mis un mauvais point pour faux et usage de faux, je serais alors parvenu à rentrer dans le rang plus ou moins inconsciemment comme tout à chacun de mes camarades. Mais le fait est que la supercherie dont j'étais le triste auteur, mimer les émotions humaines ainsi-dans le cadre scolaire si cette tricherie m'avait permis de dépasser ma timidité, cette dernière n'avait abouti au final qu'à son revers : la vanité et l'orgueil. c'est bien plus tard que j'ai compris ce qu'était cette timidité mais il était déjà trop tard, le mal était fait et bien fait. Il m'aura fallu détruire et recréer tellement fois de ma vie en raison à la fois de ma timidité et de mon orgueil qu'à tenter de les compter ça me flanque illico le tournis. Je ne m'accable pas plus que ça cependant. A toute chose malheur est bon n'ont jamais cessé de rabâcher les paysans de mon enfance. Peut-être que je n'aurais pas fait le dixième de tout ce que j'ai fait en cette vie, peut-être n'aurais je jamais peint ou écrit. je ne sais pas si on peut considérer ça comme un gain, une victoire d'ailleurs ce serait encore faire preuve d'un excès de vanité, ou bien tenter de m'excuser comme d'habitude d'exister. La jeunesse d'Hercule 2020 Patrick Blanchon Huile sur toile.|couper{180}

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Le lilas

Il y avait un bouquet de lilas dont les tiges s'enfonçaient joliment dans un vase. Le tour posé sur un guéridon près de la fenêtre. Nous nous assîmes lorsque l'horloge sonna la demie. Cette ponctualité était tout à fait rassurante à cette époque car j'avais perdu une bonne partie de la notion de temps. Je fermais les yeux un instant pour savourer ce moment en cherchant vaguement ce que j'allais pouvoir dire. Car évidemment il fallait que je dise quelque chose. Nous étions là pour cela. Du moins c'est ce que je pensais. Au fond de ma poche les billets pliés me le rappelaient aussi surement qu'un nœud fait à un mouchoir. Au moment où elle croisa les jambes je perdis la tête. J'eus cette image fantasque d'un chêne perdant ses glands au beau milieu de la forêt. Puis de Varenne, de l'échafaud et d'un panier sanglant. ça sent bon le lilas chez vous je dis. Je n'avais rien d'autre à dire dans cet instant. Et je me revis monter les rues depuis la gare de Boissy Saint Leger vers la maison de mes parents. C'était au printemps et il y avait beaucoup de lilas dans les jardins des pavillons de cette banlieue. L'odeur embaumait et chassait mes angoisses. Plus de 10 ans sans nouvelles et j'allais me pointer comme une fleur. Elle ne répondit pas. Le silence s'associa à l'image d'un reposoir. Quelque chose commença à osciller de plus en plus rapidement entre la confession et la rédemption. J'eus des images d'hosties... comme des confettis qui envahirent la pièce. Quand j'allais au catéchisme en cachette de mon père ça sentait bon le lilas sur la route. Je m'aperçus que je ne pensais plus qu'au printemps. Ce qui est étrange ne trouvez vous pas car nous allons sur novembre. Elle resta silencieuse. Je regardais ses jambes. C'était un défi. Ne plus les lâcher du regard presque à l'insinuer sous sa jupe. Alors elle décroisa les jambes tout doucement et tout de suite après les croisa dans l'autre sens. Je me suis demandé soudain ce que je fichais là. Comme si la colère allait me permettre de ne pas fondre tout entier dans le fauteuil. Vous ne dites rien c'est décourageant ai je réussi à émettre péniblement. C'est votre temps de parole elle a dit, ou un truc du genre. Mon temps de parole bordel de merde et je ne peux pas me sortir du lilas et de ses jambes j'ai pensé. Et puis peu à peu quelque chose de subtil s'est mis en place tout doucement pour balayer toute cette colère toute cette rancune contre moi-même. J'ai un soucis avec l'idée de la première fois j'ai dit. Elle a relevé la tête tout à coup en me fixant et elle a murmuré oui Je me suis accroché à ce oui de toutes mes forces. C'était comme un cheval qui galopait dans la nuit bleue. Des flashs en pagaille où je pouvais énumérer toutes les fois où je me disais ça me fait penser à la première fois Et puis je revins dans le bureau un peu comme un avion qui tourne en rond avant d'atterrir. Il y avait de nouveau cette odeur de lilas elle était à la fois familière et différente toutefois. Il est l'heure on va s'arrêter pour aujourd'hui elle a dit. J'ai sorti mes billets pour les déplier devant elle et les poser sur le bureau. Elle a sourit comme une maitresse d'école à qui on donne un joli dessin. Et puis voilà il faudra revenir la semaine prochaine. Au revoir madame Au revoir monsieur. Les lilas Van Gogh Ermitage Saint Petersbourg.|couper{180}

Le lilas

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Inquiétude

Nous venions de faire l'amour et j'avais allumé une cigarette tout en examinant le papier peint de la chambre. Peu à peu je constatais la métamorphose des roses joufflues vers la flétrissure. C'était comme si le peintre Soutine était passé dans le quartier et qu'il avait pris plaisir à sagouiner le décor jusque dans le moindre détail. J'allais sur mes 30 ans à cette époque et je ne connaissais rien à la peinture. J'avais seulement amassé une somme considérable de savoir ce qui me donnait l'impression de compenser un manque originel. Parfois lorsque je cherchais à nommer ce manque je parlais d'affection, d'amour, et pour varier, ne pas fatiguer ma cervelle, pour me distraire un peu, j'évoquais mon manque d'argent. Mais tous ces mots, toutes ces images dans le fond provenait d'une inquiétude fondamentale que je cherchais à cerner maladroitement. Et avec les années il me semble que ce avec quoi je tentais de me l'expliquer ou de la masquer devenait de plus en plus important reléguant ainsi l'inquiétude en tant que sensation dans les couches profondes de mon inconscience. Je ne m'intéressais plus à la cause mais seulement aux effets dans une confusion sans doute nécessaire. La femme près de moi ne fumait pas. Mais la fumée ne la dérangeait pas avait t'elle ajouté lorsque je lui avais tendu le paquet de Lucky. Je n'arrivais pas à lui donner d'âge, juste une estimation entre 45 et 50. Elle n'était pas belle selon les canons de l'époque et je m'en moquais bien, l'émotion que ses rides et ses tâches avaient déclenchée en discutant à la terrasse du café- ce petit café au haut de la rue Saint-André des Arts- ne m'avait toujours pas quitté. Plus une lourdeur de la chair s'affaissant avec un je ne sais quoi de tendre. Plus que de sexe j'avais ce besoin de tendresse. Autant à donner qu'à recevoir. Mais je ne me rendais pas bien compte encore, juste par ci par là une intuition fugace qui passait comme ces aventures que j'enchainais. Elle peut-être n'en était plus là. elle regardait le plafond en me caressant doucement la main. On reprenait notre souffle en retardant le moment où il faudrait libérer la chambre. Il n'y avait plus rien à dire non plus. C'est à ce moment là que j'ai découvert que l'inquiétude était un mot comme de nombreux mots et que l'on utilise mécaniquement sans prendre la peine de se pencher dessus. La lumière de cet après-midi d'automne filtrait au travers des rideaux et les bruits de la rue devenaient presque palpables par la fenêtre entr'ouverte. On était là allongés tous les deux comme des naufragés sur une ile en plein milieu d'un couloir commercial. Et de mon coté je n'avais aucune envie d'être secouru. Juste se méfier de ne pas entrer en collision trop rapidement. La cigarette se consuma ainsi puis j'écrasais le mégot dans un cendrier Cinzano sur la table de nuit. J'ai faim pas toi ? Elle regarda sa montre bracelet et décida qu'elle n'avait pas le temps qu'il fallait qu'elle rentre. Nous nous sommes rhabillés en silence. Chaque pièce de vêtement supplémentaire avec laquelle nous recouvrions notre nudité était comme une distance que nous installions avec l'événement dont il fallait s'éloigner désormais. Se résigner à s'habiller. Se résigner à continuer. A la fin j'ai prétexté vouloir rester encore un peu dans la chambre je n'arrivais pas à me faire à l'idée d'arriver en bas et de nous dire au revoir ou adieu. Elle n'a rien dit juste un sourire fatigué une caresse sur les cheveux, un baiser dans le cou, puis la porte s'est refermée doucement. J'ai tenté de suivre son pas dans l'escalier puis le bruit de la rue a augmenter d'un coup comme si quelqu'un avait monté le son. Et j'ai su que je m'étais trouvé nu face à l'inquiétude pour la première fois de ma vie. L'inquiétude n'était pas si inquiétante que cela avais je noté. Et puis je suis sorti de la chambre à mon tour j'ai retrouvé illico tous les manques que je m'étais inventé depuis toujours. On ne se refait pas, c'est la vie. Femme pensive ( vendu) Patrick Blanchon 2015|couper{180}

Inquiétude

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Fleur bleue

Bien sur je tiens absolument à conserver mon coté "fleur bleue" même si vous considérez que c'est ridicule, inconvenant, tout ce que vous voudrez. C'est pour l'entretenir d'ailleurs que je regarde certaines séries sur Netflix. La dernière en date une série espagnole dont la traduction doit ressembler à "si je ne t'avais pas rencontrée" C'est l'histoire d'un homme qui imagine que sa négligence est la cause d'un accident de voiture dans lequel il perd sa femme et ses deux enfants. Il décide d'en finir et au moment où il s'apprête à enjamber le parapet d'un pont pour se faire écrabouiller par un train, il rencontre une vieille femme étrange qui lui propose un deal, celui de voyager dans des univers parallèles. chaque décision dans notre vie crée des univers parallèles qui permettent d'explorer toutes les versions de celle-ci. C'est une idée à laquelle j'ai souvent pensé. Hormis le scénario, je découvre dans cette série une vision de la famille espagnole avec en filigrane la distribution des comportements suivant le genre de chaque actrice ou acteur. L'image de la mère prend une place considérable alors que le père est souvent relégué au rôle de figurant. Lutter contre la castration que provoque évidemment la disparition de la famille que le protagoniste principal a fondé masque à peine son combat pour tenter de s'émanciper du cocon familial. Les deux personnages féminins principaux représentent toute l'ambiguïté maternelle vis à vis de la sensibilité masculine qui ne peut s'épanouir que dans l'étreinte, celle subit et celle qu'il réclame. On peut aussi remarquer l'ambiguïté de la notion de famille à la fois rassurante et oppressante tout en même temps. Les personnages des pères quant à eux sont comme effacés ce qui étrangement les rend importants dans l'imaginaire familial ou totalement falot. A croire que le père doit être décédé pour retrouver un ersatz de virilité contrairement à celui qui bien vivant est quasiment insignifiant. Ce qui est diffusé est une information importante : la famille est tout et chacune de nos décisions est bonne ou mauvaise en fonction qu'elle maintient ou non la cohésion de celle-ci que ce soit la famille dont on vient ou celle que l'on crée. Je pensais à tout cela est aussi à la Sicile. A ma première compagne et à son point de vue sur sa propre famille dont il était hors de question que je puisse attenter à la cohésion imaginaire en laquelle elle croyait. Jusqu'à me planquer dans un placard dans notre petit appartement de la Bastille sitôt qu'on toquait à la porte de peur que nous nous rencontrions son père et moi. Ce qui advint au bout du compte et nous devînmes mêmes très amis sans jamais nous le dire, il était architecte et peignait dessinait à ses moments perdus. C'est d'ailleurs drôle ce genre d'expressions " ces moments perdus" comme des réalités parallèles à une réalité maitresse. Comme j'étais photographe à cette époque je lui ai proposé de faire des clichés de tous ses tableaux afin qu'il puisse oser présenter son travail à une ou deux galeries que je lui recommandais. Jusqu'au bout nous jouâmes le jeu "du je ne sais pas quelle relation véritable tu as avec ma fille." Et par respect même au pires moments de notre rupture puis de notre séparation je n'ai jamais vendu la mèche. Le profil du type que ma compagne s'était dégotté était apparemment totalement à l'opposé du mien. Un battant qui faisait des études de médecine et qui habitait quelque part en Uruguay ou au Brésil. Il s'en suivi des mois difficiles pour avaler le fait d'avoir été répudié ainsi par ma compagne mais aussi par cette famille sicilienne et tout l'imaginaire qui allait avec de mon coté. Je passais de longues journées d'errances dans les rues de Paris courant d'aventure en aventure sans autre but que de salir ce fichu coté "fleur bleue" que je pensais être le responsable de mon exil. A cette époque je ne m'intéressais déjà qu'à l'art, à la philo, à la littérature. Autant de choses qui ne servaient à rien véritablement c'est à dire qui assurerait une existence difficile, une vie de galère. Je peux dire aujourd'hui que cette fille a fait le bon choix et que je suis content qu'elle l'ai fait. Sans doute m'en serais je encore plus voulu de l'entrainer dans les conséquences de mon refus d'effectuer le moindre choix de carrière. Je crois aussi que je regarde cette série à cause de Mercedes Sampietro, quelle actrice magnifique à tous points de vue ! Aujourd'hui il va pleuvoir, pas la peine d'arroser, ce qui tombe bien cela me laisse plus de temps pour peindre et écrire. C'est l'eau du ciel qui arrose toutes les fleurs, qu'elles soient bleues ou pas. Mercedes Sampietro , une magnifique actrice|couper{180}

Fleur bleue

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En écrivant j’oublie ce que je voulais dire

Je viens d'écrire un texte sur le renouveau et puis je m'aperçois que je suis totalement passé à coté de ce que je voulais dire au début. C'est quelque chose qui m'arrive tout le temps. Lorsque je peins c'est pareil. J'ai une idée et on dirait que je prends une sorte de plaisir particulier à éviter de la faire surgir. Comme si ce qui m'intéressait ce n'était pas tant l'idée que la galaxie souvent nébuleuse qui l'accompagne dans son sillage. Une histoire de synesthésie mentale en quelque sorte. Je voulais parler du renouvellement de mon abonnement à Wordpress au début. Cela fait plusieurs mails qu'ils m'envoient pour m'inciter à renouveler avant la date limite qui doit se situer à la mi septembre. Je m'interroge depuis quelques jours sur mon envie de renouveler le bail. Cela me rappelle ma jeunesse quand tout baignait dans l'huile, que les choses s'emboitaient l'une dans l'autre parfaitement. On renouvelle ton contrat d'intérim ? Pourquoi pas ... et puis peu de temps après cette sensation de regret d'avoir lâchement dit oui. Comme une lâcheté, comme si je prenais aussi un malin plaisir à passer à coté de ma soi disant "vraie vie" totalement imaginaire évidemment. Comme si c'était toujours les circonstances qui devraient l'emporter bien plus que ma décision. D'ailleurs chaque décision est une sorte d'accouchement. J'imagine que lorsqu'on devient mère on se sent quasiment obligé de renoncer à tout le reste. Lorsqu'on devient peintre c'est pareil, ou écrivain, ou champion de tir à l'arc, ou cuisinier, peu importe. La sagesse semble nous parvenir par un courant d'air glacial passant sous les portes. Si on fait le moindre écart on imagine la bourrasque nous emporter presque aussitôt. Mais dans la jeunesse je me battais contre moi-même, contre ma couardise. C'est pour cette raison que soudain de façon intempestive je disais merde à un patron, à une boite d'intérim, à une relation . C'était pour ne pas renouveler ce bail de ce que j'imaginais être l'ennui, la torpeur. Ce qui advenait par la suite était souvent terrible de solitude et d'incertitude mais j'y gagnais en fierté et curieusement aussi en confiance et en amour en moi. En haine aussi souvent. Ce refus du renouvellement n'est rien d'autre qu'une envie de faire pencher le fléau de la balance dans l'autre sens pour voir ce qui peut advenir. Et dans l'absolu l'ennui m'était certainement nécessaire pour me sentir vivre à rebours de tous ceux que je voyais s'agiter en vain. s'ennuyer et souffrir comme un chien de la solitude, je voyais en cela une sorte d'entrainement para militaire. Quelque chose qui aurait pour but de faire de moi un guerrier invincible, quasiment déjà un héros. Et puis ça m'est passé, avec le temps. Peut-être pas tant que ça si j'y pense vraiment. C'est un peu comme les effets des thérapies brèves, on se tire d'une phobie pour pénétrer aussitôt dans une autre sans même sans rendre compte. Rien ne vaudra une analyse véritable sur le long terme. Chose que j'ai soigneusement évité de réaliser bien entendu. Il aura fallu toute l'ironie du monde pour que la vie m'offre soudain tout ce groupe d'amis, psys pour la plupart y compris mon épouse. Et le pire ou le meilleur c'est lorsqu'ils me disent : tu aurais fait un excellent psy ! Ce que l'on refuse le plus est souvent ce que l'on désire le plus, c'est ce que j'aurais appris par des détours labyrinthiques. Alors cette histoire de renouvellement où donc en suis je ? Vais je accepter sans broncher le cours normal du monde ? vais je encore faire le malin rien que pour éprouver de nouveau cette petite poussée d'adrénaline provoquée par le refus, le plaisir de s'opposer sans raison ? A l'heure où j'écris ces lignes je n'en sais rien du tout. J'assumerai voilà tout c'est aussi ce que j'ai appris de tous les actes inconsidérés que j'ai effectués. Dans un certain sens ce que l'on pouvait considérer comme de l'immaturité à une certaine époque de la vie se renouvelle et devient le sens des responsabilités. Que celles ci n'aient d'intérêt que pour moi seul me permet aussi de ne pas regretter celles qui me paraissaient mécaniques et collectives enseignées par les mots d'ordre de la morale ou de l'éducation. Petits formats acrylique et pastel gras Patrick Blanchon 2021|couper{180}

En écrivant j'oublie ce que je voulais dire

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Lettre aux menteurs

J'ai attendu longtemps avant de pouvoir l'écrire cette lettre. Le temps nécessaire qu'il faut pour éprouver la différence entre se persuader et être débarrasser du doute. Peut-être n'est t'elle encore qu'un brouillon, une esquisse, au moment même où je la commence je n'en sais fichtre rien, mais je sais qu'au delà des pensées quelque chose me pousse vers la surprise, l'aventure et voyez vous c'est ce qui me plaît le plus dans cette vie. C'est la seule tactique que j'ai trouvée pour contrer l'ennui pesant des certitudes. Bien sur vous vous direz que je me l'écris à moi-même en premier lieu. Vous ne vous répertorierez pas dans la catégorie des menteurs, vous vous tiendriez à l'écart un peu comme ces voyeurs qui dans leur désœuvrement ne cherchent qu'à glaner quelques informations croustillantes, quelques ragots afin de déjouer le silence primordial qui réside entre les êtres. C'est avant tout parce que vous serez persuadés de ne pas être menteur et ce faisant évidemment vous en êtes déjà une ou un. Je ne parle pas seulement du mensonge conscient, celui que l'on fomente pour tromper l'autre, je parle de tous ces mensonges que l'on ne cesse de ressasser en soi-même pour s'inventer à la face du monde comme de la notre. L'art de la persuasion sera sans doute celui du 21 ème siècle. J'aimerais bien pouvoir le sauter ce siècle pour apercevoir déjà le suivant qui sera certainement plus serein, plus ludique, plus inventif que tout ce que nous aurons eu à traverser pour y parvenir. Je ne dirai pas qu'il sera plus spirituel parce que ce mot est attaché à tout un carcan de religiosité qui ne sert encore qu'à tromper le chaland. L'église a depuis toujours été du coté des empêcheurs de tourner en rond, parce qu'elle ne comprend absolument rien aux vertus de la danse et de la transe. Parce que le profit depuis belle lurette guide le monde comme un vecteur, emportant tout en ligne droite. Cette ligne droite qui comme vous ne le savez peut-être pas est la seule direction que peuvent prendre les démons. C'est d'un éblouissement dont je voudrais aussi vous parler dans cette lettre. De cette lumière prodigieuse qui semble provenir d'un autre monde mais qui, à bien y réfléchir, est la seule vraie lumière rendant caduque toutes les autres en lesquelles on se sera éclairé pour voir. Tous ces voiles qui soudain s'évanouissent pour la laisser enfin passer telle qu'elle a toujours été. C'est en me rendant dans l'Allier en revenant de vacances que l'idée de cette lettre m'est revenue. Cela fait si longtemps que je la tiens au fond de moi comme un oiseau couve sa portée... J'ai poussé les grilles du cimetière là bas pour me rendre sur le caveau familial. J'ai vu la mousse sur le granit et j'allais laisser les choses ainsi quand mon épouse a dit : on va nettoyer. Nous sommes revenu à la voiture pour chercher une éponge et du produit à vaisselle au fond d'un panier et nous avons passé une partie de la matinée sous un soleil de plomb à remettre à neuf la pierre tombale. Puis une fois la chose faite, j'ai éprouvé l'envie de me promener un peu dans les allées, curieux de voir si je ne connaissais pas les noms inscrits en lettres d'or. La claque ! Je n'avais pas assez de doigts aux mains pour compter tous ceux que j'avais autrefois connus, camarades et amoureuses, imaginaires et réelles. Tout un contingent de défuntes et de défunts venus au jour en 60 et pour la plupart décédés depuis plus de 10 ans. J'ai voulu chasser cette impression abjecte de prime abord qui me réjouissait secrètement d'être toujours en vie. Un peu comme ces survivants d'attentats qui se sentent coupables d'en réchapper et dont la culpabilité semble directement provenir de la jouissance indicible de s'en être sorti indemne. Et puis merde ai je pensé quelle chance j'ai finalement ! Je suis là au grand air sous le soleil vais je encore m'en plaindre ? Je suis revenu en sifflotant pour remplir un gros bidon d'eau fraiche à la fontaine et arroser la pierre tombale. Je me suis souvenu de quelques bons moments passés et repoussant volontairement, courageusement tous les sales quart d'heures. Il ne servait plus à grand chose de conserver rancune, colère de tenir rigueur. Tout avait fondu comme par magie en quelques instants comme la mousse qui désormais disparaissait dans l'évacuation du caniveau. C'est là que j'ai compris aussi tous les mensonges que j'avais inventés pour vivre. C'est à cet instant là que l'éblouissement est advenu. En même temps que l'émotion insoutenable écartait mes cotes libérait mes poumons faisait cogner mon palpitant. J'ai pleuré je n'ai pu me retenir. Mais ce n'était pas sur moi cette fois ci. C'était sur le monde probablement, du moins s'il faut trouver un mot. J'ai refermé les grilles soigneusement et puis nous sommes reparti c'était l'heure du déjeuner et nous avions faim. Il y a souvent des choses bien plus importantes à faire dans la vie que d'écrire des lettres de toutes manières. dessin inachevé|couper{180}

Lettre aux menteurs

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Japonais sans le savoir.

Vous savez, parfois on pense inventer quelque chose, je veux dire que l'on pense être un pionnier dans un domaine, mais ce n'est rien d'autre que de la prétention, de l'ignorance, de l'orgueil et surement encore bien d'autres choses encore. Ainsi cela fait des années que je prône la maladresse comme source en dessin et en peinture et voici que je tombe sur ce mot japonais d'ETEGAMI. L'art de dessiner et peindre sans craindre d'être maladroit. Mon ego évidemment en a prit un coup derrière la carafe en premier lieu. Puis j'ai rigolé. De fait je suis plutôt spécialisé dans l'art de réinventer sans cesse la roue, voilà tout. Et en même temps n'est-ce pas rassurant de se dissoudre ainsi dans quelque chose de plus collectif, de quasiment universel ? Et puis à quoi servirait la fierté dans tout cela ? Ce serait évidemment se tromper encore une fois de plus sur ce qu'est véritablement l'art en général. L'art c'est de plus en plus pour moi une sorte de relais d'informations que l'on se transmet à travers des formes, des émotions, voire des concepts. Et évidemment il faut accepter de n'être seulement que le maillon d'une très longue chaîne, ce qui n'est pas évident lorsqu'on est jeune. L'âge a bien des défauts mais il possède aussi cette qualité d'apprécier la relativité de nos jugements, de nos engouements, de nos victoires comme de nos défaites. D'un autre coté il n'y a pas de fumée sans feu. Il m'est arrivé de nombreuses fois de penser que j'avais eu sans doute des vies innombrables, évidemment encore par vanité. Parmi celles ci revient souvent l'image d'un vieux moine zen au regard de gamin qui me sourit avant de léviter doucement et de disparaitre derrière les nuages. Dans le fond peu importe que ces vies antérieures existent ou pas me suis je dit puisque le but est bien moins de se survivre que de vivre et surtout de partager, de semer aux quatre vents tout ce qui me passe sans relâche par l'esprit. Non pas que je m'accorde une importance considérable mais je crois dans le hasard de plus en plus désormais, à l'ouverture vis à vis de ce que nous appelons le hasard. Tout m'est venu par le dessin et la peinture c'est ma seule éducation authentique. Les valeurs véritables que sont la justesse, la liberté, l'audace et le détachement. Par la maladresse acceptée j'ai fait comme les saumons, j'ai remonté les fleuves, les rivières, les ruisseaux. Je vois de plus en plus clairement la source sans toutefois avoir heureusement cette vanité de me confondre en elle. Il faut vivre sa vie, être ce que l'on est, c'est à dire suivre le cycle des éléments dans le bon ordre. Le plus difficile mais aussi le plus passionnant étant de trouver justement cet ordre. aquarelles sur carnet|couper{180}

Japonais sans le savoir.

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Juste un petit pas de côté

Monsieur Williams ce jour là se fiche comme de l’an 40 de la 5ème avenue. La seule chose qui le préoccupe est de parvenir à effectuer cet infime déplacement qui lui permettrait-si tant est que cela soit possible- de se voir en face, en toute objectivité. Parvenir enfin à se détacher de sa propre image, sans trop d’effort, Enfin glisser juste un petit pas de côté. Cela fait quelques semaines qu’il s’entraîne, en vain. Et ça l’agace prodigieusement bien qu’il ne cesse d’afficher cette mine joviale, une sorte de posture qui a pour vocation de souligner l’empathie à la manière d’un choix depuis longtemps réfléchit. Cela fait des jours qu’il se surprend régulièrement à penser le contraire de ce qu’il dit. Bonjour chère madame la boulangère comment allez vous ce matin ? Comme votre boutique embaume ! Et ces croissants quel bonheur ! Mais vous n’auriez pas changé de coiffure ? Vous êtes radieuse ! ( quelle conne celle là avec son brushing années 50 …qu’est ce qu’elle veut donc prouver ? Se trouve t’elle vraiment appétissante ? Et cette blouse dans laquelle elle est engoncée comme… ce parfum… une véritable catastrophe…) Oh mais je sens que ma petite monnaie vous intéresse attendez voir, voici l’appoint ! Et votre mari va bien ? Et partirez vous en vacances et quand donc reviendrez vous, nous allons nous languir … etc etc ( regardez là se trémousser d’aise celle là décidément il en faut vraiment peu se dit Williams apercevant au delà du sourire commercial le petit endroit sensible où se niche l’orgueil féminin. Papillonnement infime des paupières, petit tremblement à la commissure des lèvres…redressement d’une buste pour faire saillir la poitrine avantageuse sous la blouse de nylon impeccable… c’est vraiment trop facile…) Une fois son petit tour effectué chez les commerçants du quartier monsieur Williams s’octroie un espresso chez Didine le bar de l’angle. Depuis 6 mois qu’il s’est installé ici le rituel est le même, un bonjour sobre, puis il se dirige vers la même table, le patron lui apporte son café sans dire le moindre mot en prenant soin de poser la note à côté, puis il repart derrière son comptoir. Monsieur Williams sirote son jus tout en observant la rue par les vitres poussiéreuses. Il a un don pour se raconter des histoires à partir d’un rien. Il reste ainsi une heure environ puis sort son porte-monnaie, choisit les pièces pour faire le compte juste, se lève puis ressort de l’établissement en adressant à Didine un bonne journée sonore auquel nul ne répond. Cette absence de réponse l’enchante secrètement et c’est certainement la raison principale qui le fait revenir ici invariablement. Et c’est aussi probablement ce lieu qui déclenche enfin la prise de conscience, cette volonté soudaine de parvenir à effectuer se détachement de sa propre image. En se trouvant tout à coup face à face à lui-meme ce jour précisément ou la table n’était pas libre et qu’il doit se rabattre dans l’arrière salle. Face à la grande glace dont on aperçoit le tain tant elle est piquée par endroit, monsieur Williams se voit enfin comme s’il était un autre. Presque un vieillard et comme il n’a pas à jouer la comédie il ne se trouve pas vraiment sympathique. Quelle sale gueule ! Si je rencontrais dans la rue je n’aurais sûrement pas envie de m’adresser la parole. Il esquissa une sorte de sourire bizarre pour tenter de modifier le cours ordinaire de sa vie, mais il n’y décela qu’une pauvre grimace, celle d’un pitre qui n’avait jamais eut de cesse de se réfugier dans le spectacle et il eut un haut le cœur. Cette vision lui fut tellement odieuse insupportable qu’il se leva et se dirigea vers la sortie en oubliant de payer sa consommation. C’est alors la voix du patron, Didine qui le réveilla de son étrange somnambulisme : Dis donc l’avorton tu aurais pas dans l’idée de partir sans payer des fois ? Monsieur Williams se confondit en excuses retrouvant comme par enchantement son sourire et sa fausse empathie, il sortit son porte-monnaie choisit avec soin l’appoint puis s’excusa encore un peu mais le patron avait déjà tourné les talons. Lorsqu’il rejoignit la rue les cris des enfants ressemblaient à des chants d’oiseaux et monsieur Williams se senti d’une légèreté prodigieuse. D’ailleurs au lieu de rentrer chez lui il rejoignit le fleuve et au bout d’un long moment qui pourrait ressembler à une méditation il regarda à gauche puis à droite, personne… il plongea et nul ne le revit jamais. https://youtu.be/HDH4K0Xw7ss|couper{180}

Juste un petit pas de côté

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L’inaccessible tableau

Aussi éloigné que l’étoile Car ce qui compte est dans le cheminement Une fois parvenu la bêtise coule à flots La gravité d’un second tome de Cervantes La goutte de trop… Huile sur toile 60x80cm Patrick Blanchon 2021|couper{180}

L'inaccessible tableau

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L’aura d’une œuvre d’art

Aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma belle-mère, une dame de 90 ans tout rond, et nous avions rendez-vous chez une de ses filles pour partager ce moment. Toute la famille était là et chacun avait apporté des victuailles et des boissons pour célébrer l'événement. Plusieurs fois, la vieille dame s'est penchée vers moi pour me dire qu'elle ne savait pas du tout comment elle était arrivée jusqu'à cet âge avancé. 90 ans je n'arrive pas à le croire... ne cessait t'elle pas de répéter, parfois pour elle seule comme s'il fallait que ça rentre, que ce ne soit pas du domaine de l'illusion, pour que cela devienne un fait avéré. 90 ans, incroyable... mais il faut tout de même y croire. En rentrant je pensais à tous les membres de ma famille, qui furent rares à atteindre cet âge vénérable. Mes grand-parents sont partis de façon précoce . Et mes parents encore plus rapidement. En croisant le regard de la vieille dame, il y avait cette interrogation derrière les effusions de joie dont elle faisait montre. Serais je encore là pour fêter la suite ? l'année prochaine par exemple... je l'ai surprise à le penser comme à voix haute. Et puis à la hauteur de Vienne où nous devions déposer mon beau-fils, j'ai repensé à ce vide que les gens laissent aux vivants, avec lequel surtout ils doivent se débrouiller. Merci au revoir, profitant d'un feu rouge, une portière qui s'ouvre et se referme, puis le feu passe au vert et je passe la première pour m'enfiler dans la cohue, traverser ce qui reste à traverser de la ville pour me retrouver à rouler sur la RN7 en rase campagne quelques instants plus tard. C'est fou à la vitesse où les choses naissent existent et disparaissent. Et bien sur le soir commençait à tomber, et bien sur je pensais à la peinture, je pensais à mes toiles, à mes toiles après moi, encore une fois de plus. Lorsque moi aussi j'aurai disparu. Et j'ai découvert comme une sorte de réciprocité singulière soudain entre cette idée d'œuvre d'art et cette idée de vie qui traverse l'espace temps à la vitesse de l'éclair. Que laisse une œuvre derrière elle lorsque l'époque et l'espace dans lesquels elle a été conçus sont devenus étrangers à des contemporains du futur ? En allant boire le café, pour fuir une averse nous sommes monté boire le café chez le couple qui nous accueillait. Lui s'est mis à collectionner des pièces d'antiquités et il prit un grand plaisir à nous présenter celles ci qu'il enferme dans une petite vitrine. Il y avait là des bronzes, notamment une hache votive de couleur vert de gris, une anse travaillée de façon à représenter Dionysos, le visage réjouit tourné vers ce qu'on imagine avoir pu être un pot à vin qui a désormais disparut. Des petits boucs en face à face ayant connu tout un monde de marchands et de poètes de la Perse antique, un vase en albâtre dont on pouvait s'apercevoir de l'authenticité en raison des stries concentriques laissées sur ses parois translucides. Ce qui était touchant c'était les certificats d'authenticité justement qui accompagnait chacune de ces œuvres et où étaient stipulés les divers carottages, tests, et analyses menés par les experts pour attester qu'une telle provenait de -2000 avant JC, une autre 400 après... et quelques paragraphes en sus indiquant la provenance, les dimensions, le prix. Tous les dits documents signés à la main par qui de droit. C'est tout ce qui pouvait étayer, remplacer si l'on veut l'espace et le temps dont je parlais plus haut. Les œuvres quant à elles restaient scellées dans leur singularité ne laissant filtrer qu'un mince filet de familiarité possible lié à la répétition innombrable des formes et à l'histoire que chacun entretient avec elles. Soudain je pensais aussi à l'architecture en mettant la clef dans la serrure de notre home sweet home enfin, qui se construit pour mettre en valeur le vide. Et j'ai eu comme un vertige. Ce ne sont pas tant les œuvres en elle même qui révèlent quoi que ce soit sauf cette fameuse singularité. C'est ce qui a été tout autour d'elles et qui n'est plus, c'est le vide d'où elles surgissent et dont elles semblent témoigner au final. Encore une raison de plus me dis-je pour s'accrocher au hic et nunc, au moment, le reste n'étant que songe filant vers on ne sait quoi on ne sait où. Voilà ce que représente la peinture sans doute dans mon esprit enfantin et peureux, une matérialisation de l'instant présent, qui parfois s'étend, mais ce n'est pas bien grave, sur plusieurs heures mois années créant un espace sécurisé. Une sorte de barrage contre ce torrent du temps et de l'espace du monde "réel" qui nous avale et nous recrache en cendres. Une respiration qui s'élève plus ou moins courageusement contre le risque d'être la dernière, avant l'ultime calcination, la réduction en poudre, en atomes... travail d'une de mes élèves.|couper{180}

L'aura d'une œuvre d'art

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Avoir envie de ne pas avoir envie

Ouvrir les yeux dans le noir pour trouver la lumière. Oui mais il faut d’abord être certain du noir. Il ne faudrait pas un gris foncé, une sorte d’ersatz. Parce que la nature de la lumière est liée à celle du noir. Avoir envie de de pas avoir envie De choses séduisantes , fausses, déjà vues mille fois… L’étau se resserre Et moi du café pour rester les yeux bien ouverts. Détails tableau en cours 60x80 huile sur toile Patrick Blanchon 2021|couper{180}

Avoir envie de ne pas avoir envie