fictions
Fictions courtes, microfictions et feuilletons : des récits brefs où réalisme et fantastique se frôlent. Autofiction, mythes réécrits, visions urbaines et rêves lucides — à lire vite, à relire lentement.
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La ville déserte Partie 3
Ils ne voyaient plus rien. La lumière avait disparu, avalée par l’obscurité, comme si la porte qu’ils avaient franchie les avait projetés dans un autre monde. Jesse serra la crosse de son revolver. C’était devenu un réflexe, un point d’ancrage. L’obscurité l’enveloppait, mais il savait que les deux autres n’étaient pas loin. Il entendait leurs respirations, rapides, irrégulières. « Henry ? William ? » murmura-t-il. Une réponse sourde, puis un raclement de pied sur le sol. Henry. Toujours là. William aussi. Jesse avançait d’un pas, sa main libre tendue devant lui. L’air était lourd, comme chargé d’électricité, et il lui semblait sentir les murs se refermer. Ou était-ce seulement dans sa tête ? Un craquement résonna soudain, suivi d’un bruit sourd, lointain, comme une pierre qui tombe dans un puits sans fond. Jesse s’arrêta net. Quelque chose bougeait. Pas eux. Pas leurs pas. Une autre présence, dans l’obscurité. « Vous avez entendu ça ? » dit William, sa voix tremblante. « Pas besoin de demander, » grogna Jesse. « Bougez pas. » Henry parla enfin, à voix basse, mesurée. « La pièce change. Elle se déforme. Je crois qu’elle veut qu’on bouge. » Sa lampe à huile s’était éteinte avec la lumière, et il tâtonnait dans le noir, cherchant un repère. Un grondement sourd monta tout autour d’eux, d’abord faible, puis plus fort, comme si les murs eux-mêmes rugissaient. Jesse se tourna vers la direction supposée du bruit. Quelque chose approchait. « Faut pas rester là, » lança-t-il en se dirigeant vers ce qu’il pensait être une sortie. « Et aller où ? » protesta Henry. « Si on bouge sans réfléchir, on se perdra. » « T’es déjà perdu ! » répliqua Jesse. Mais il s’arrêta. L’obscurité n’était pas seulement une absence de lumière. C’était une chose en soi, vivante. Il pouvait presque la sentir glisser sur sa peau. William murmura quelque chose. Un mot ou une phrase. Jesse ne le comprit pas. Mais quand il tourna la tête, il vit une faible lumière à l’horizon, une ouverture minuscule au loin, comme une étoile isolée dans un ciel noir. « Là, » dit-il en pointant du doigt. « C’est là qu’on doit aller. » Henry hésita. « Et si c’est un piège ? » « Tout est un piège ici, » répondit Jesse. « Alors autant foncer. » Ils avancèrent, d’abord lentement, puis plus vite, comme poussés par l’urgence du grondement derrière eux. William trébucha une fois, se releva, essuyant ses mains sur son manteau. La lumière semblait toujours aussi loin, comme si elle reculait à chaque pas. Mais ils n’avaient pas d’autre choix. L’espace autour d’eux rétrécissait. Les murs invisibles se resserraient, contraignant leurs mouvements. « On n’y arrivera pas si on continue comme ça, » dit Henry, haletant. « On doit… comprendre ce que la ville veut. » Jesse ne répondit pas. Il accéléra, comme pour échapper à cette logique qui lui donnait la nausée. Tout dans cette ville parlait de manipulation. Il n’allait pas jouer son jeu. Pas cette fois. Une main le saisit par le bras, le stoppant net. C’était William. « Attends, » dit-il, presque suppliant. « Regarde. » Jesse regarda. Une fissure s’ouvrait dans le sol, juste devant eux. Noire, béante, infinie. Ils n’avaient pas vu venir. La lumière au loin était une illusion. Jesse recula d’un pas, le souffle coupé. « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » murmura-t-il. Henry s’approcha prudemment, ses mains tremblantes effleurant le bord de la fissure. « Ce n’est pas une fissure. C’est… un choix. » « Quoi ? » Jesse serra les poings. « T’es pas sérieux. » William hocha la tête, son visage blême dans la faible lumière. « Regarde bien. Ce n’est pas réel. Rien ici ne l’est. » Jesse se pencha, observant le gouffre. C’était impossible, mais il voyait des reflets. Des fragments d’images mouvantes. Une rue poussiéreuse. Une salle de bal vide. Un désert sous un ciel blanc. Chaque image clignotait, fugace, et disparaissait. « Ça nous teste, » dit Henry, sa voix presque un souffle. « Il faut choisir. » « Et si on choisit mal ? » demanda William, hésitant. Jesse ne répondit pas. Il n’y avait pas de bonne réponse. Juste une réaction instinctive. Il s’avança d’un pas, regarda une dernière fois ses compagnons. Puis, avant qu’ils ne puissent l’arrêter, il sauta. Le noir était absolu. Pas un bruit, pas un souffle, rien. Jesse tombait, ou il avait l’impression de tomber. C’était difficile à dire. Il ne sentait plus rien sous ses pieds, ni autour de lui. Pourtant, il n’avait pas peur. Pas vraiment. Juste une tension sourde, comme une corde tendue qui allait bientôt céder. Puis, soudain, il atterrit. Pas de choc. Un sol. Dur, froid. Il ouvrit les yeux. Une lumière tamisée baignait la pièce où il se trouvait maintenant. Les murs étaient lisses, brillants, sans aucune ouverture. Un cube parfait, pensa-t-il. Sur le sol, au centre, un objet luisait faiblement. Jesse s’avança, ses bottes résonnant sur le sol métallique. C’était un miroir. Rectangulaire, posé à plat, avec une surface si nette qu’il voyait son reflet comme s’il était face à un double. Mais ce n’était pas lui. Pas tout à fait. Le Jesse dans le miroir avait un regard différent, plus jeune, mais plus dur. Il tendit la main pour toucher le verre. Le reflet bougea avant lui. Jesse recula d’un pas, la main sur la crosse de son revolver. « Qui es-tu ? » murmura-t-il. Le reflet ne répondit pas, mais Jesse entendit une voix, calme, presque familière. « Ce n’est pas la bonne question. Demande plutôt ce que tu fais ici. » Pendant ce temps, Henry et William étaient restés au bord de la fissure. Ils avaient vu Jesse sauter, mais rien ne s’était produit ensuite. Pas de cri, pas d’écho. Juste la fissure qui semblait… se refermer. « Il est parti, » dit William, la voix tremblante. « Parti où ? » Henry se redressa, les yeux fixés sur l’endroit où Jesse avait disparu. « Ce n’est pas un simple gouffre. C’est une transition. » William hocha la tête, bien qu’il ne comprenne pas tout. « Alors… on le suit ? » Henry hésita. Il savait qu’ils n’avaient pas le choix. Cette ville ne leur laissait jamais d’options faciles. Il s’agenouilla près du bord, observant la surface noire. Pour lui, elle semblait vibrer doucement, comme une membrane. Un passage. « On ne va pas le laisser seul, » finit-il par dire. « Prépare-toi. » William, pourtant si rationnel, s’accroupit à son tour, prêt à sauter. Mais alors qu’il posait la main sur le sol pour s’élancer, la fissure changea. Elle se divisa en deux. Devant eux, deux passages s’ouvraient désormais, chacun menant vers une lumière différente. L’un brillait d’une lueur chaude, presque dorée, rappelant un coucher de soleil. L’autre était d’un blanc froid, perçant, comme la lumière d’un hôpital ou d’un lieu stérile. « Qu’est-ce que c’est encore ? » murmura William, ébahi. Henry resta silencieux, réfléchissant intensément. « Deux choix, » dit-il finalement. « Peut-être qu’ils mènent tous les deux à Jesse. Peut-être pas. » William secoua la tête. « Et si c’est un piège ? » Henry se redressa. « Tout ici est un piège. Mais rester ici ne nous sauvera pas. » Sans attendre, il choisit le chemin blanc. William, après une longue hésitation, suivit l’autre. Jesse, seul dans son cube-miroir, continuait d’interroger son reflet, ou ce qu’il croyait être son reflet. La voix revenait, toujours calme, presque moqueuse. « Tu n’as jamais compris, n’est-ce pas ? Ce n’est pas la ville qui te teste. C’est toi. Tu es ici parce que tu refuses de voir ce que tu es. » Jesse serra les dents. « Tais-toi. » « Pourquoi ? Parce que j’ai raison ? » Il fit un pas en arrière, ses bottes raclant le sol. La lumière dans la pièce s’intensifiait, reflétant chaque angle, chaque imperfection de son visage dans le miroir. Et dans ces reflets, il voyait des choses. Des fragments de son passé, des moments qu’il avait enfouis. Des erreurs. Des visages qu’il aurait préféré oublier. « Ce n’est pas réel, » dit-il, la voix plus faible. « Réel ou pas, » répondit la voix, « ce sont tes choix qui t’ont amené ici. » Au même moment, Henry arrivait dans une pièce blanche, nue, où des voix résonnaient autour de lui. Pas une voix unique, mais des dizaines, peut-être des centaines, comme des échos fragmentés. Ils parlaient de décisions, d’erreurs, de conséquences. Mais il n’y avait personne. Juste lui, et un vide infini. De son côté, William, dans le passage doré, marchait sur ce qui semblait être une route pavée. Autour de lui, des silhouettes floues apparaissaient, semblant l’accompagner. Elles parlaient, mais il ne comprenait pas leurs mots. Elles riaient, parfois pleuraient. Il avait l’impression qu’elles voulaient lui dire quelque chose d’important, mais leurs visages restaient hors de portée. Jesse était tombé, mais il était toujours entier. Ses doigts glissaient sur la surface froide du miroir. Le reflet avait cessé de bouger, mais Jesse sentait une pression, comme si quelqu’un ou quelque chose tentait de s’infiltrer dans ses pensées. Il recula, le souffle court, mais une voix résonna à nouveau. Cette fois, elle ne venait pas de la surface. Elle résonnait dans toute la pièce. « Pourquoi as-tu sauté ? » Jesse chercha l’origine du son, mais il n’y avait rien, personne. Juste ce cube parfait. Il serra les poings. « J’ai sauté parce que je ne reste pas planté là à attendre que les choses se passent. » Un éclat de rire sec retentit. Ce n’était pas moqueur, mais cinglant, comme une porte qui claque. « Toujours prêt à agir, hein ? Toujours incapable de réfléchir. » Il lança un regard noir vers le miroir. Le reflet le regardait à nouveau, mais cette fois, il souriait. Ce sourire n’était pas le sien. Jesse sentit un frisson le parcourir. Ce n’était pas lui. Henry était debout dans le vide blanc. Pas un vide froid ou neutre, mais un vide qui vibrait, bruissait, comme si des milliers de voix y murmuraient en même temps. Il avait l’impression qu’il marchait, mais il n’y avait pas de sol. Rien ne bougeait, sauf lui. « Où suis-je ? » demanda-t-il à haute voix, plus pour se rassurer que pour obtenir une réponse. Une voix surgit, douce, presque caressante. « Ici. Là où tu dois être. » Il se tourna, mais personne. Pourtant, il savait qu’il n’était pas seul. Cette présence, invisible mais insistante, était là, autour de lui. « Pourquoi suis-je ici ? » Les voix changèrent de ton, plus graves, presque accusatrices. « Tu sais pourquoi. Pour comprendre. Pour voir. » Henry secoua la tête. Comprendre quoi ? Voir quoi ? Il cherchait une logique, une clé, mais tout ici semblait conçu pour défier la raison. Pourtant, il sentait une tension dans l’air, comme si le vide lui-même attendait quelque chose de lui. Il s’arrêta et inspira profondément. Peut-être que, cette fois, il devait simplement écouter. William avançait sur la route dorée. Chaque pas résonnait d’un écho étrange, comme si le sol n’était pas tout à fait solide. Les silhouettes floues autour de lui se précisaient peu à peu, prenant des formes presque humaines. Il entendait leurs voix, mais elles étaient brouillées, comme des souvenirs anciens qu’on ne peut saisir pleinement. Une femme passa près de lui. Elle ne le regarda pas, mais William sentit une vague d’émotion le traverser. C’était comme si elle portait avec elle un fragment de sa vie, un moment qu’il avait oublié. Il tenta de l’arrêter, de lui parler. « Qui êtes-vous ? » Elle ne répondit pas. Mais une autre silhouette s’approcha, cette fois un homme. Son visage était indistinct, mais sa voix était claire. « C’est toi qui dois répondre, pas nous. » William fronça les sourcils. « Répondre à quoi ? » L’homme leva un doigt vers le ciel, et William suivit le geste. La lumière dorée s’assombrissait. Quelque chose approchait, une ombre immense qui s’étendait sur toute la route. Les silhouettes autour de lui commencèrent à s’effacer, une par une, avalées par cette ombre. William sentit son cœur s’accélérer. Il savait que rester immobile signifierait disparaître avec elles. Alors, il fit ce qu’il avait toujours fait : il continua d’avancer, même si ses jambes tremblaient. Les trois hommes, chacun plongé dans sa propre épreuve, ressentaient une force nouvelle. Quelque chose les poussait, les tirait, comme si les murs invisibles de leurs mondes respectifs s’effondraient. Jesse, Henry et William ne voyaient pas encore la sortie, mais ils savaient qu’ils ne pouvaient reculer. Et alors, sans prévenir, leurs environnements changèrent. Le vide blanc d’Henry, la route dorée de William, et le cube de Jesse semblèrent s’effondrer dans un chaos de lumière et d’ombres. Ils furent projetés ensemble dans un nouvel espace. C’était une salle immense, mais différente. Pas un cube, ni un vide. Un espace qui semblait vivant. Les murs palpitaient doucement, comme des veines d’un organisme géant. Au centre, une immense table circulaire, gravée des mêmes symboles que sur la porte. Les trois hommes se regardèrent. Fatigués, mais toujours debout. Jesse, brisant le silence, lança : « Alors, quelqu’un a une idée de ce qu’on fait ici ? » Henry posa les yeux sur la table. « Ce n’est pas fini. Je crois qu’on doit encore choisir. » William, essuyant son front, s’approcha lentement. « Et si le choix n’était pas entre nous et la ville ? Et si c’était entre nous trois ? » Un silence lourd s’abattit. Jesse croisa les bras, Henry serra les poings, William observa. Ils savaient que cette fois, ce serait un choix qui les changerait à jamais.|couper{180}
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La Lettre Perdue
Ils attendaient en silence, et lui, il allait et venait, fouillant dans tous les tiroirs. — Ne vous inquiétez pas, je vais bien finir par mettre la main dessus. Ce n’est pas que je sois désorganisé, non. Mais c’est une lettre manuscrite, et aujourd’hui, tout est numérisé, classé dans des dossiers, des sous-dossiers même. Quand on a un système de classement aussi efficace, on y tient, vous comprenez ? Moi, j’adore le progrès. À chaque nouvelle avancée technique, surtout dans le domaine du rangement, je m’adapte ! Je l’ai rangée quelque part dans cette commode... qui, soit dit en passant, n’est pas commode du tout. Il fouilla un peu plus, et finalement se retourna, penaud. — Ça ne m’arrive jamais. Mais c’est une lettre manuscrite, en italien, écrite par un vieux monsieur que je n’ai vu qu’une fois. C’était en juin, il faisait une chaleur insupportable. Je lui ai même servi une orangeade, tellement il était mal en point… L’un des hommes changea son poids d’une jambe à l’autre, et le parquet grinça sous lui. La voix du notaire s’interrompit, puis reprit. — Ne vous inquiétez pas, je vais la trouver. D’ailleurs, le vieil homme avait dit que vous feriez une drôle de tête. Il riait tout seul, marmonnant dans sa barbe, avec cet accent inimitable... (le notaire rit aussi) il disait qu’il prendrait sa revanche sur tous les mauvais coups que vous lui aviez faits. — T’as fini ton numéro, l’homme aux papiers ? dit une voix avec un fort accent italien. Je te donne cinq minutes pour retrouver ce fichu papelard, ou je te découpe et te file en pâture aux cochons. L’homme se retourna, à peine surpris, et jeta un coup d’œil à la brochette de types mal famés. Gardant son calme, il répondit qu’ils seraient bien avancés à faire ça — ils finiraient tous Gros-Jean comme devant. — Gros-Jean ? Tu nous insultes ? lâcha un petit bedonnant, l’air aussi menaçant que les voyous dans un film de Scorsese. — Calmez-vous, les gars, fit un autre. On ne va pas en faire tout un drame. Monsieur va retrouver la lettre et nous la donner. Après tout, ça fait vingt ans qu’on l’attend, cette lettre. — Ange, s’il te plaît, laisse Monsieur travailler, il fait ce qu’il peut… L’horloge sonna la demie. Un coucou surgit de la pendule, faisant sursauter tout le monde, sauf le chat, roulé en boule sur un coussin près de la fenêtre. Une fois la surprise passée, l’atmosphère se détendit. — La voilà ! Elle était coincée entre le tiroir et le plateau de la table. Mais asseyez-vous, je vous en prie, ne restez pas debout. Les quatre hommes s’assirent d’un seul mouvement, et celui qu’on appelait Ange commença à tortiller ses doigts boudinés. Le notaire remarqua une chevalière de très mauvais goût à sa main, assortie à une gourmette en plaqué or qui n’arrangeait rien. — Moi, soussigné Don Peritore, sain de corps et d’esprit, le 15 mai 1995, souhaite léguer mes biens… — On pourrait sauter le blabla, non ? intervint Ange, l’air contrarié. — Chut, Ange. Laisse Monsieur faire son travail. — …Je lègue l’ensemble de mes biens au club d’astronomie roannais, *Les Céphéides*, dirigé par ma petite-fille, Lyssamaria. — Quoi ?? C’est quoi cette blague ? s’écria Ange, furieux. — C’est le testament de votre grand-père, Monsieur Ange, dit le notaire, soudain ragaillardi par cette découverte. Le troisième homme, chauve et silencieux jusqu’ici, éclata de rire. Au club d’astronomie roannais ! Quelle bonne blague ! Allons, les gars, on s’est bien marrés. Allons boire un coup à la santé du vieux. Le notaire les regarda s’éloigner dans la nuit d’hiver, un sourire discret aux lèvres. Une fois seuls, il lissa sa moustache, replia soigneusement la feuille de papier où il n’y avait rien d’écrit, puis la glissa dans un des tiroirs de la commode, pas si commode que ça.|couper{180}
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La ville déserte Partie 2
lIs étaient entrés, malgré les murmures, malgré les échos. La porte s’était refermée derrière eux, et Jesse l’avait entendue se verrouiller d’un simple déclic. Il ne l’avait pas vérifiée, mais il savait. Ce n’était plus la peine de faire demi-tour. Le couloir s’ouvrait sur une vaste pièce plongée dans la pénombre. Les murs nus et hauts donnaient l’impression d’être entrés dans une sorte de sanctuaire abandonné. La lumière faiblissait, et il ne leur restait que quelques minutes avant de se retrouver dans l’obscurité complète. Henry alluma une lampe à huile qu’il avait dans son sac, et la faible flamme projetait des ombres mouvantes sur les murs. Jesse resta en retrait, laissant les deux autres s’avancer. Ils ne se parlaient pas, mais leurs pas résonnaient doucement sur le sol. Les lieux étaient vides, mais pas silencieux. Il y avait ce bruit sourd, régulier, quelque part au-delà des murs. Un battement, presque, comme une respiration. Jesse essaya de ne pas y prêter attention. « On devrait trouver une sortie, » dit-il, brisant le silence. Sa voix paraissait étouffée, avalée par l’épaisseur de l’air. Henry s’approcha d’un mur où des inscriptions semblaient avoir été gravées. Des symboles complexes, rien de lisible. « C’est comme si cette ville était un labyrinthe… mais conçu pour que personne n’en sorte. » William, qui observait le plafond, ne répondit pas. Il touchait les murs, vérifiant leur texture, leur solidité. Il avait l’air absorbé par quelque chose que Jesse ne comprenait pas. Ou qu’il refusait de comprendre. « Ça ne nous aide pas, » grogna Jesse, agacé. Il sentait l’air se faire plus lourd, plus dense, comme si la pièce se refermait lentement sur eux. Il détestait cette impression d’enfermement. Henry leva sa lampe plus haut. « On est entrés dans quelque chose qui veut nous garder ici. Il faut comprendre pourquoi. » Sa voix, d’habitude si calme, tremblait légèrement. Jesse soupira et se passa une main sur la nuque. Il ne comprenait rien à tout ça. Lui, il s’occupait des menaces tangibles, de ce qu’on pouvait voir, toucher, combattre. Mais ici, il n’y avait rien de concret. Juste des ombres et des bruits. William se tourna brusquement. « Écoutez… » Sa voix était rauque, tendue. Il désigna un coin de la pièce. Henry s’avança, tandis que Jesse restait en retrait, prêt à réagir. C’est alors qu’ils virent la porte. Elle n’était pas là avant, ils en étaient sûrs. Une porte en bois sombre, gravée des mêmes symboles que sur les murs. Elle semblait les attendre. Jesse fit un pas en avant, mais Henry le retint. « Pas cette fois, » dit Henry. « Il faut être sûr. » William s’approcha lentement, la main tremblante. Il hésita, cherchant quelque chose à dire. Mais aucune explication ne vint. La porte semblait presque vibrer sous leurs regards. « C’est une sortie, » dit Jesse, d’un ton plus dur qu’il ne l’aurait voulu. « Ou un piège, » murmura Henry. Ils se tenaient là, tous les trois, chacun pesant les mots, les choix, la peur. Jesse savait que les dilemmes comme celui-ci étaient des jeux truqués, où l’indécision pouvait coûter plus cher que l’erreur. Il prit une inspiration profonde et fit un pas en avant. « On ne va pas rester plantés là, » dit-il. Il tendit la main vers la poignée. Le bois était froid, presque humide sous ses doigts. Il hésita, juste un instant, avant de pousser.|couper{180}
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La ville déserte 1
Début d'un feuilleton en trois actes dont voici le premier. Présentation des personnages et de la ville déserte. Chacun livre ses pensées sur le fait de se retrouver projeté dans ce lieu étrange. Ce premier acte s'achève sur la rencontre des trois personnages. Pour la narration le style se rapproche de la façon d'écrire d'Henry James ( minutieux, pointilleux, hésitant même assez souvent )|couper{180}
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Veritas diei
Ils crient à la vérité, mais ce ne sont que des crécelles, des gueules fendues dégoulinant de certitudes creuses. Bourgeois, philosophes et curés, chacun y va de sa leçon, drapés dans leur hypocrisie. Dans ce pamphlet teinté d’une langue à la fois crue et érudite, la dénonciation est totale : des sachants au clergé, personne n’échappe à cette colère acerbe.|couper{180}
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Octobre pas rose
Un texte cru et sans concession sur l’usure de la vie quotidienne, les humiliations subies sans broncher, et cette colère qui revient frapper avec l’âge. À travers une voix révoltée, le narrateur dresse un portrait impitoyable d’une existence passée à courber l’échine, et de cette rage qui, aujourd’hui, ne trouve plus d’issue que dans la tentative de l'écrire.|couper{180}
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j’ai continué son portrait en silence
Dans une atmosphère ordinaire, les cris d'une jeunesse déchaînée résonnent comme ceux d'animaux. Les mots se transforment, s'érodent sous l'influence des modes, laissant un homme désemparé face à ce qu'il ne comprend plus. Entre fascination et résignation, il observe, impuissant, cette nouvelle réalité.|couper{180}
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L’angoisse sous silence
Dans un monde saturé par les bruits médiatiques, ce texte plonge dans les réflexions d’un homme qui, après avoir éteint chaque écran, se retrouve face à lui-même, confronté à une angoisse qu’il ne peut plus fuir. Un récit introspectif sur l’impuissance, la peur de l’inconnu et le besoin d’accepter le vide pour avancer|couper{180}
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Renaître de l’inhabitable
À l’homme seul, encore imbibé d’humanisme, qui s’accroche à cette ivresse vacillante, que reste-t-il sinon les mots, et la quête de les tordre pour en rire|couper{180}
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Sur le Fil du Raisonnable
Toute sa vie, il avait pris garde de ne jamais dévier, de toujours marcher sur le fil du raisonnable. Mais ce jour-là, à peine conscient de ses propres mots, il se surprend à explorer des pensées qu’il n’avait jamais osé formuler. Face à un paysage inattendu, entre usines et montagnes, il découvre une beauté insoupçonnée et des propos qu’il ne s’était jamais permis de tenir. Un instant de lâcher-prise, sans réponse, comme suspendu dans le silence d’une route qui se déploie.|couper{180}
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Écrire comme on court : entre routine et révélation
Écrire tous les jours, comme un coureur de fond qui s’entraîne, inlassablement. Entre réflexions sur Wittig, balades aux boulangeries fermées et les pièges de l’auto-analyse, le narrateur se laisse porter par un flux de pensées. Avec une lucidité amusée, il questionne son rapport à l’écriture, aux autres, et à lui-même, cherchant le sens dans ce qui semble souvent absurde.|couper{180}
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Un Cinéma à Deux : Chronique d’un Désordre Complice
Dans un fouillis d’objets et de pensées, un couple tente de naviguer entre désordre et moments partagés. Quand l’ordinaire se pare d’aventure et que chaque détail révèle une part de leur complicité. Suivez leur trajet chaotique jusqu’au cinéma, une métaphore de leur relation, où l’ordre et le désordre se disputent la scène.|couper{180}