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Carnets | janvier 2023

15 janvier 2023

Le rêve d’un deuxième cerveau. Déconnecté, mais là, toujours. On y plonge sans y penser, comme on tourne un robinet. Ce matin encore, tu t’es adressé à ChatGPT. Une page HTML à corriger, un doute technique. Tu aurais pu chercher, tâtonner, essayer. Mais non. Tu tapes ta requête. La réponse s’affiche : efficace, propre. Rien d’étonnant pourtant. Tu le sais bien, ce code, tu aurais pu l’écrire seul. Si seulement tu avais pris le temps. Le temps de l’essai, du raté, du détour. Ce temps où quelque chose surgit — un détail inattendu, une idée qui s’impose par accident. Mais l’intelligence artificielle ne connaît pas les accidents. Elle va droit au but, supprime le hasard. Et qu’est-ce que le hasard sinon la vie elle-même ? Le drame et la comédie, la poésie et le tragique ? Tout ce qui fait que nous avançons en trébuchant. Tu te rends compte que dans cette dépendance naissante à l’outil, c’est ton propre cerveau que tu oublies. Celui qui hésite, qui cherche, qui se perd pour mieux trouver. Ce matin encore, tu as choisi la facilité — ou peut-être était-ce la paresse ? Mais à chaque fois que tu fais ce choix, quelque chose se retire du monde. Une part de toi-même s’efface. L’outil est là pour aider, dis-tu. Mais il te vole aussi : le hasard des chemins non empruntés et cette lenteur où parfois naît une fulgurance. Alors tu te demandes : que reste-t-il quand tout devient rapide et sûr ? Où est passée cette part d’incertitude qui faisait de chaque geste une aventure ?|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire

Carnets | janvier 2023

13 janvier 2023-3

maison en Calabre A tutto ciò che la sfortuna è buona. À toute chose, malheur est bon. Le vieil homme édenté ressasse cette phrase à voix haute, comme un mantra. Sec comme une figue sans jus ni chair, il reste assis là presque toute la journée, dans la pénombre d’un recoin qu’il ne quitte que pour se rendre à la sieste. Il regarde passer les saisons depuis toujours. De temps en temps, il ajoute, en haussant les épaules : « Non sappiamo più cosa pensare. On ne sait plus quoi penser. » Puis il rit, et son regard s’illumine d’une jeunesse incongrue, un regard d’enfant perdu au milieu d’un océan de rides. Ce coin reculé de la Calabre semblait hors du temps, et sa sagesse ironique, un peu intemporelle. Nous venions d’arriver, mon épouse et moi, dans une petite bicoque louée grâce à une annonce parue dans un journal local de Lyon. Les photographies prometteuses, le désir d’explorer un endroit inconnu pour les vacances, et surtout le prix modique avaient suffi à nous lancer dans un périple autoroutier de plusieurs milliers de kilomètres. La Mégane, fatiguée mais fidèle, avait tenu bon malgré les longues heures de route. Nous avions pris notre temps, flâné de ville en ville, traversé rapidement le nord de l’Italie pour atteindre enfin le sud. Avant la Calabre, une halte marquante : Naples et la baie d’Amalfi. Je voulais retrouver certains lieux magiques de mon adolescence, des endroits où j’avais découvert, le temps d’un été, à la fois le goût incomparable de la pizza et les premiers émois provoqués par le grain doux des peaux mates et les regards sombres des ragazze. Mon épouse, toujours curieuse de remonter aux sources de mes récits, n’y voyait pas d’inconvénient. Nous nous lançâmes donc à la recherche du vieil hôtel de Meta di Sorrento, l’Arencetto, et de cette fameuse pizzeria. Contre toute attente, nous retrouvâmes l’hôtel. Il était fermé. Quant à la pizzeria, après un labyrinthe de ruelles écrasées de lumière et d’ombre, elle apparut enfin. Aussitôt, je ressentis une sensation étrange et désagréable : le lieu semblait rétréci, rapetissé par les années. Les couches de souvenirs, de fantasmes, de rêves patiemment accumulées s’évanouirent d’un coup, laissant place à un squelette desséché. Ce fut une confrontation brutale avec la réalité. La salle était quasi déserte, et la pâte avait un goût de carton. Nous en rîmes en quittant Sorrente, le plein fait à une station-service. Nous étions bel et bien en vacances. Le temps était splendide, et nous avions ce luxe précieux : du temps infini devant nous. Puis vint la petite maison calabraise. Là encore, la réalité déçut. Tout était vieillot, délabré. Ce qui, sur les photographies, paraissait charmant et pittoresque s’avéra triste et poussiéreux. En faisant le tour des pièces, mon épouse laissa éclater sa colère : « Tu trouves toujours des excuses à tout le monde, mais là, tu vas quand même reconnaître qu’on s’est fait avoir, non ? » Pour une fois, je dus lui donner raison. Nous avions nourri tant d’attentes autour de ce voyage, espérant échapper au marasme ambiant, que cette déception paraissait encore plus cruelle. C’est alors que me revint à l’esprit le livre que j’avais lu quelques semaines avant notre départ : Une maison en Calabre de Georges Haldas. J’avais été stupéfié par la manière dont son narrateur décrivait, avec un mélange de désillusion et de tendresse, une expérience semblable à la nôtre. Comme lui, nous avions été attirés par l’idée d’un refuge parfait, et comme lui, nous nous retrouvions face à une réalité bancale, loin de nos attentes. J’aurais voulu partager cette coïncidence avec mon épouse, lui dire que nous étions en train de vivre presque exactement la même chose que dans ce livre. Mais la mine sombre qu’elle affichait me dissuada d’en parler sur le moment. Face à cette impasse, nous décidâmes de nous baigner. À deux pas, un petit chemin bordé de figuiers menait à une plage extraordinaire, absolument déserte. Pas une âme, comme si les habitants du village ignoraient jusqu’à son existence. Au loin, de l’autre côté du bras de mer qui sépare la Calabre de la Sicile, l’Etna domine l’horizon. Grosse masse d’un bleu sombre, il exhalait ce jour là de grandes volutes blanches. Le spectacle était saisissant. Ce moment suspendu face à la puissance brute de la nature chassa tout ressentiment. Le lendemain, nous quittâmes la Calabre de bonne heure, embarquant sur un bac pour rejoindre la Sicile. En Calabre, il nous avait été impossible d’accuser qui que ce soit de notre déception. Pas la propriétaire, une petite dame cordiale qui nous avait reçus dans sa maison proprette près de Lyon. Pas la maison elle-même, qui n’était rien d’autre que ce qu’elle était. Pas même notre naïveté. La Calabre nous avait confrontés au fameux principe de réalité, celui qui, tôt ou tard, vous casse les dents. Nous avions fui, comme on échappe à une leçon trop dure à entendre, préférant nous réfugier dans l’illusion d’un rêve. En Sicile, les souvenirs revinrent. Une sortie d’autoroute réveilla des images d’un village de pêcheurs, Sferra di Cavello. Je revis un camping où je passais mes journées à transpirer sous une tente Trigano, regardant de loin un hôtel cinq étoiles surplombant la mer. Cette fois, la crise économique avait laissé l’hôtel vide, et nous trouvâmes une chambre lumineuse à un prix modique. Là encore, je ne savais pas trop quoi en penser. Était-ce un hasard ou un clin d’œil du destin ? Peut-être qu’effectivement, comme le disait le vieil homme en Calabre, à toute chose, malheur est bon.|couper{180}

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Lectures

Lire Pierre Bergounioux

10 janvier 2023 Lu quelques pages du premier mot de Pierre Bergounioux, Gallimard 2001. Dés le début il m’est nécessaire de le lire à haute voix pour apprendre à connaître son souffle, sa respiration, sinon quasiment impossible de le lire en silence. Impression que les trois quart de l’importance de ses phrases m’échappent. Et comme à dire ses mots à lui ainsi avec ma voix à moi m’en rapproche. Sauf que cette part de moi-même qui se rapproche de ce texte est inédite dans sa plus grande présence. Je retrouve un désarroi infini d’enfant à cette lecture, un désarroi que le texte met à jour sans brusquerie , aimablement, calmement, savamment. Et c’est bien là encore que je peux mesurer l’écart entre ce que je voudrais parvenir à écrire, ce que j’imagine écrire et ce que j’écris réellement.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | juin 2022

28 juin 2022

Ce n’est pas la rue de la Gaîté de Perec. Il y a longtemps que je n’habite plus Paris, sinon j’aurais sans doute tenté le coup des enveloppes, le jeu du découpage entre réel et imagination. Mais tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est Google Earth et une mémoire vacillante. La mémoire, c’est pour ça que je m’appuie sur des photographies. Mais même avec des photographies, la mémoire reste capricieuse. J’essaie, on verra bien. Des bribes, des fragments, au fur et à mesure, dans l’ordre où ça me revient. La ville commence sous les pneus de la voiture qui roule sur les pavés. À l’époque, on ne disait pas encore "véhicule". Les pavés résonnent sous les roues : tougoudougoudou, tougoudougoudou. On tourne, on va tout droit, encore et encore. Tougoudougoudou. Puis on ralentit. Une voix dit : "On arrive." Une autre répond : "Merde, il n’y a encore pas de place." Alors, on se gare en double file pour décharger les valises. La rue Jobbé Duval est en pente. On entend le frein à main, suivi du bruit sourd d’une vitesse qu’on engage avant de couper le moteur. Pas longtemps. Il faut faire vite. Klaxon d’un camion, peut-être un de ces énormes camions poubelle. Une portière claque, le moteur redémarre. Une odeur d’essence flotte un instant avant d’être recouverte par celle de la ville. L’odeur de Paris. Indéfinissable, mais unique. Quelques arbres chétifs jalonnent maintenant la rue. Autrefois, il n’y en avait qu’un. Un seul, dont le tronc s’enracinait au centre d’une plaque de fonte ornée de motifs amusants, géométriques, vaguement floraux, peut-être inspirés des feuilles d’acacia. On en trouvait le long du canal, dans l’Allier. Une plaque circulaire en fonte, comme celles que l’on forgeait autrefois, peut-être à l’époque de l’Art nouveau, quand les fonderies n’étaient pas encore des salles de spectacle, des musées ou des cinémas. On ne pose plus ce genre de plaque ouvragée, cernée d’un fin liseré de pierre taillée. Pourtant, elle était là, sur un îlot discret, au beau milieu de la rue Jobbé Duval, qui commence rue des Morillons et finit rue Dombasle, à moins que l’on prenne la rue dans l’autre sens. Autrefois, ce petit arbre chétif était le seul. Pas de bancs pour s’asseoir. Aujourd’hui, ils ont planté d’autres arbres. Tout aussi chétifs. Et ils ont ajouté un banc. Qui vient s’asseoir ici ? En tout cas, c’est à cet endroit, là où la rue s’évase légèrement, qu’elle forme une sorte de place. Une place sans nom. Au 15 bis de la rue Jobbé Duval, une lourde porte se pousse après qu’on a pressé un petit bouton dépassant d’une plaque dorée. Un bruit long de grésillement accompagne l’ouverture. Mais la porte ne s’ouvre pas seule. Il faut la pousser. Elle est lourde. Tout en haut de l’immeuble habitent ceux qu’on vient voir. Pour les atteindre, il faut traverser un couloir bordé de miroirs. On se voit dans la glace, puis dans l’autre glace. Puis on pousse une seconde porte, vitrée, bien plus légère. Derrière, la loge des concierges, les Gassion. Monsieur et Madame Gassion. Sur leur porte, un rideau. Sur le rideau, une fausse cigale en plastique. Quand on toque pour dire bonjour, un bruit de cigale retentit, suivi du gazouillement d’un canari jaune dans une cage métallique. La cigale est fausse. Le canari, lui, est bien réel. Avant de monter les sept étages par l’escalier recouvert d’un tapis rouge sentant l’encaustique et le café, on peut emprunter l’ascenseur, coincé sous la volée de marches. À l’angle de la rue Jobbé Duval et de la rue des Morillons, il y a une boulangerie. Si l’on remonte, elle est à gauche. Si l’on descend, elle est à droite. Sa devanture n’a presque pas changé. Certaines choses changent dans la rue Jobbé Duval, d’autres non. Le marchand de couleurs a disparu, remplacé par un salon de beauté. Mais la boulangerie est toujours là. Ses propriétaires ont changé. La disposition des étals à l’intérieur aussi. Avant, sur la gauche en entrant, un présentoir rappelant celui des parapluies accueillait des "surprises" : des petits paquets remplis de papier journal chiffonné et, au centre, un jouet en plastique. Il y avait aussi, si je me souviens bien, des bonbons. Illustration : Edouard Léon Cortès, Boulevard des Italiens sous la pluie|couper{180}

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Carnets | juin 2022

27 juin 2022

C’est dans cet entre-deux, entre l’implicite et l’explicite, que j’habite. Écrire m’aide, sans doute, à mieux comprendre cette distance qui sépare ces deux notions. Et donc, à mieux mesurer mon propre espace. Souvent, comme dans la vraie vie, cet espace est réduit, exigu, mais j’essaie toujours d’en repousser les murs, à ma guise. Même la notion d’exiguïté, qui semblerait évidente pour chacun, devient alors matière à questionnement. Cela revient à interroger notre compréhension, à la fois collective et intime, de l’espace en général. Toutes ces chambres d’hôtel où j’ai passé une grande partie de ma vie, je ne les ai pas choisies par hasard. Ce n’était pas une fatalité, même si parfois, par lassitude, j’ai renoncé à en sonder les véritables raisons. Même si, parfois, je m’en suis plaint, cherchant à me glisser dans la peau d’un personnage dostoïevskien, seule l’imagination aura été responsable de cette plainte. Pourtant, si je réfléchis aux bénéfices que j’ai pu tirer d’habiter ainsi dans une métaphore de l’exiguïté et de l’enfermement, je pourrais bien être surpris par ce que j’y découvrirais. Créer justement un espace propice à la création : voilà l’essentiel. Le seul qui, comme un port d’attache, me permette de naviguer entre l’implicite et l’explicite. D’explorer ces territoires comme on explore des pays étrangers, puis de revenir en ce point d’ancrage pour mieux en comprendre la géographie, l’économie, la politique, leurs autochtones, leurs mœurs… Un ethnologue de l’invisible. Tout nous semble si évident lorsque nous vivons sans y penser, sans considérer qu’un jour nous allons mourir. Cette évidence, depuis toujours, me paraît suspecte. Comment pouvons-nous nous enfoncer ainsi dans cette acceptation tacite, ce déni collectif de l’implicite ? Et alors, de quoi est constitué, en creux, tout l’explicite, quand nous vivons dans une telle inconscience de l’implicite ? Je viens de découvrir un texte de Fabienne Swiatly, extrait de son livre Elles sont en service, que François Bon nous a proposé dans le cadre de l’atelier d’écriture #40jours la ville. Ce sont des portraits de femmes sur leurs lieux de travail, écrits avec une contrainte : un nombre de mots limité à 70 ou 90 tout au plus. Sous cette forme de courts paragraphes surgissent des vies entières. En si peu de mots, on ressent la contrainte sociale, la violence du monde. L’accumulation de ces textes produit un effet troublant : sans grand discours, avec une économie de moyens, ces portraits deviennent de grandes pièces. En tant que peintre, j’y vois de gigantesques tableaux, d’immenses formats. J’ai aussi envie de partager le blog La trace bleue : 🔗 https://latracebleue.net/index.php Et puis soudain, je me rends compte que ce qui me touche dans le texte de Fabienne Swiatly, c’est qu’elle est née en 1960. Son langage m’est compréhensible, aussi bien dans l’implicite que dans l’explicite. Une limpidité qui me secoue, qui m’étreint. Illustration : Hans Holbein Le Jeune, Les ambassadeurs 1533|couper{180}

Auteurs littéraires Espaces lieux

Carnets | Gestes et usages

Je ne me sens pas tranquille

Ce texte fait partie d’une recherche que j’effectue sur les écrits de Christophe Tarkos dans le cadre d’un atelier d’écriture animé par François Bon. Il est volontairement sans ponctuation et il s’agit d’une fiction. Je suis parti de l’expression « je ne suis pas tranquille » que l’auteur utilise pour introduire un texte destiné à une voix, à la chanteuse Françoise Atlan ce texte a pour titre « oratorio » Je ne me sens pas tranquille la gouttière pousse un cri de métal quand la branche de l’olivier en pot frotte sur la gouttière par intermittence je ne me sens pas tranquille quand la musique dont le volume est excessif pénètre ici dans la cour une musique que je n’ai pas choisi ni d’entendre ni d’écouter une musique que les voisins m’imposent en plus du vagissement de leur bébé en plus de ses cris de ses rires de ses pleurs et de leurs cris à eux un couple de voisins dans la trentaine qui ne cesse de s’engueuler copieusement et je me dis que je ne peux pas me sentir tranquille comme je le voudrais comme je le souhaiterais comme j’en rêve quand tous ces bruits cette musique de merde ces cris ces rires s’engouffrent ici dans la cour sans que je ne puisse rien y faire qui me rendent impuissant d’agir en quoi que ce soit de logique de sensé de raisonnablement humain et puis il fait chaud très chaud c’est étouffant et le vent qui s’engouffre ici dans la cour par intermittence ne me rend pas tranquille non plus j’imagine j’essaie de m’habituer à tout ça mais ça demande un effort, un effort répété fatiguant à répéter surtout qu’un tel effort ne change rien un tel effort ne me rendra pas plus tranquille je l’entrevois déjà il fait si chaud et là sensation d’étouffement s’intensifie au fur et à mesure que j’y pense elle aussi et comme pour insister encore un peu plus les voisins ont monté d’un cran supplémentaire la musique maintenant je crois que c’est du rap des choses que l’on dirait crachées par saccades par des voix barbares à tonalité basses et rageuses arrogantes désespérées sans doute avec une telle violence j’imagine que c’est violent et pas uniquement une énergie déployée comme ça pour rien c’est une musique qui a comme but d’agresser quelque chose chez les gens une musique qui veut s’en prendre violemment à quelqu’un et quelqu’un et ça ne me rend pas tranquille quand je me rends compte que c’est moi ce quelqu’un c’est du rap je crois c’est fort mais pas encore assez distinct suffisamment pour écouter les paroles on ne peut que les subir ainsi comme des sons des bribes de paroles violentes et insensées on devine tout ça et ça se mélange avec les cris de la mère sur l’enfant les cris du père sur la mère qui crie sur l’enfant et les rires ou les pleurs de l’enfant au demeurant ce n’est peut-être pas un bébé comme je le croyais je perds mes repères en ce moment je ne me sens pas tranquille et la branche de l’olivier par intermittence fait à nouveau grincer le métal de la gouttière cette musique qu’on m’impose je n’ai pas de mot qui me vienne que celui d’injustice c’est une injustice mais je ne peux rien y faire je la subis et je fais des efforts pour m’y habituer mais elle me dérange et ça ne me rend pas tranquille ça me mets même en colère à me laisser à cette facilité de la colère à la faiblesse d’avoir à la subir cette musique de merde que je n’ai pas choisie d’écouter c’est comme si le voisin te chiait sur la gueule merde avec sa musique de merde et ça ne te rend pas tranquille bien sûr de penser ce genre de chose j’imagine qu’il s’en fout des autres pas de moi seulement mais de tous les autres voisins du quartier et je ne sais pas si lui le voisin est si tranquille que ça sûrement pas j’essaie d’imaginer s’il peut vraiment se sentir tranquille d’emmerder comme ça le monde tout autour de lui je ne sais pas s’il en est conscient ou pas s’il le fait exprès ou s’il s’en fout royalement voilà il est comme un roi qui décide arbitrairement de tourner le bouton du volume et sa putain de musique prend le pas domine sur toutes les pensées les miennes et sans doute aussi celles de tous les voisins du quartier mais personne ne dit rien tout le monde se tait il fait si chaud c’est étouffant et toutes les pensées en tous cas que je pourrais avoir si j’étais là tranquillement assis dans la cour le voisin n’a pas de cour il ne sait pas ce que c’est d’être assis dans une cour comme celle-ci le voisin ne sait pas où ne veut pas savoir ce que ça peut être d’avoir une cour et de vouloir s’y asseoir pour penser à tout un tas de choses tranquillement et se sentir soudain intranquille à cause d’un con qui ne connaît pas plus le respect que les limites il s’en fout il ne veut rien savoir il ne peut pas non plus imaginer qu’une branche d’olivier dans un pot à l’angle de cette cour frotte par intermittence contre la gouttière du bâtiment qui cerne cette cour et que ça produit un bruit que l’on connaît même si c’est un peu agaçant ce n’est pas la même chose tout à fait on peut agir sur ce bruit en décidant un jour de couper la branche par exemple tout le monde a des problèmes qu’il décide de résoudre comme il peut ou pourra ce que je ne me résous pas à faire parce que finalement je crois que je me suis habitué à ce bruit particulier désormais ce crissement métallique que produit le contact de la branche de cet arbre sur le rebord métallique de la gouttière Il y a un petit carillon métallique que nous avons accroché à l’une des branches de l’olivier en pot et quand le vent s’engouffre dans la cour qu’il produit un entrechoquement des petits tubes métalliques de longueurs et de sections différentes il en résulte un tintement sonore très agréable à écouter si on y fait un tant soi peu attention le tintement agréable contraste avec le grincement métallique cela créer un équilibre on pourrait penser à une histoire de vases communicants ou encore une sorte de rétribution qu’offre parfois ce son agréable pour avoir prête autant &´attention au désagréable à ce crissement métallique qui me surprend au moment où doucement je m’enfonce dans la rêverie et m’en extrait brusquement à chaque fois mais est-ce ce toutes ces choses que je perçois ainsi et qui ne me rendent pas tranquille est-ce que c’est vraiment ça n’est-ce pas comme si je leur avais déléguées ce que j’appelle la tranquillité est ce que ces choses sont responsables de mon Intranquillité d’un moment où bien est ce que j’en profite par facilité par lâcheté aussi pour leur attribuer la responsabilité que moi je ne parviens pas à prendre pour retrouver cette tranquillité est ce que ça ne m’arrange pas de venir m’asseoir dans cette cour et de passer ainsi un moment plus ou moins long à me plaindre de quelque chose d’une absence de quelque chose que je veux nommer la tranquillité et qui n’est peut être qu’un mot que j’attrape comme ça par réflexe par facilité par lâcheté pour ne pas avoir à prendre une responsabilité et maintenant je me sens bête et un peu coupable aussi de ne pas me sentir tranquille et maintenant les voisins ont fermé leur fenêtre je n’entends plus leur musique de merde c’est terminé ainsi que tous les cris les rires de l’enfant et maintenant le vent est tombé il n’y a presque plus de bruit alors comment je vais faire pour continuer à le sentir intranquille il faut que j’aille chercher encore plus loin des bruits susceptibles de devenir responsables de cet agacement je vais les chercher au delà du pâté de maisons au delà du parking qui se trouve après le pâté de maison sur la route nationale sur cette déviation de la RN7 sur laquelle des voitures passent accélèrent freinent klaxonnent accélèrent freinent klaxonnent à cause du feu rouge qui se trouve juste sur la gauche avant d’emprunter la petite rue en sens unique passant devant le parking sans respecter la moindre limitation de vitesse tout le monde s’en fout un jour il y aura un accident toutes les voitures foncent dans cette rue devant le parking et le pâté de maisons puis devant la maison où finalement j’habite nous habitons une maison avec un extérieur une petite cour que l’on pourrait trouver tranquille à première vue c’est ce que tout un tas de gens qui viennent ici nous disent qu’elle petite cour agréable vous devez être bien tranquilles et j’entends désormais des voitures auxquelles je ne faisais pas attention tout à l’heure quand mon attention se portait uniquement sur cette musique de merde des voisins qui désormais ont fermé leur fenêtre quand je faisais attention aux cris de l’enfant et que j’en profitais pour râler intérieurement en me disant que ça me dérangeait ces cris ces rires de l’enfant des voisins qui se foutent royalement des gens du quartier tout autour qui vivent à trois avec un chat que j’aperçois de temps en temps à la fenêtre un chat noir une fenêtre pas très grande et que j’imagine être la fenêtre de leur cuisine dans leur petit appartement sans extérieur|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | mai 2022

15 mai 2022

Vachement bien ce plancher qui chante. 16h28 dimanche, enfin quelqu’un entre à l’étage. Je m’étais assoupi et grâce au plancher j’ai pu me recomposer une tête à peu près digne de ce nom. “Je vois un bébé” dit l’homme Et un peu plus loin on dirait un violoniste … est-ce que c’est bien ça un violoniste ? — c’est vous qui voyez ! Un dimanche de permanence. J’avais oublié tout ça pendant dans mon assoupissement. De permanence. J’ai écouté leurs pas qui tentaient de réduire le plancher au silence, en vain bien sûr. La gêne d’une pesanteur ça se met sous cloche.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | mai 2022

8 mai 2022

Acrylique sur papier travail d'élève 2022 S’enfoncer sous la terre pour aller peindre, c’était déjà la tradition il y a 35000 ans. Rien de facile, rien de tapageur, pas d’esbroufe. Je me sens dans cette proximité là avec ces femmes et ces hommes, avec leur progression dans l’obscurité des galeries, des boyaux, des grottes. Humble face à leurs intentions. Ici désormais plus de tigre à dent de sabre, plus de mammouth, et la grotte doit être, elle aussi repensée, réinventée. Tout obstacle doit être rafraîchit. La jungle des clichés, des mots d’ordre, des slogans dans laquelle des furieux sont tapis, prêts à bondir sur leur proie pour survivre. Le danger comme le mystère, l’effroi sont une nécessité pour la paix, la lumière la sécurité , les uns ne vont pas sans les autres. Et parvenir à identifier en chaque occasion en soi le pleutre comme la tête brûlée se côtoyant dans cette danse est une étape. Un virage qui mène vers encore plus d’obscurité, et plus de nécessité aussi. acrylique sur papier travail d'élève 2022 La notion d’impeccabilité dont parle Castaneda, ce leurre nécessaire pour tisser de l’étrange, du mystérieux lorsqu’on est jeune…et comment la compréhension d’un mot peut, elle aussi , se transformer avec le temps, avec l’âge jusqu’à évincer au final tous ces mots, les reléguer dans l’inutile. Quand l’attirance nous renvoie comme une brindille, après un long voyage de l’esprit, au travers de tout le compliqué que l’on s’invente , vers la berge, le clapotis permanent du simple. C’est un équilibre constitué de petits déséquilibres. Comme on tient le volant d’une voiture, on corrige l’axe par de petits gestes, des micro mouvements des bras et des poignets, sans même en être conscient. Pendant ce temps on pense à tout un tas de choses, on attribue de l’importance, une hiérarchie, des priorités. On pense à côté de ses roues pour ne pas dire à côté de ses pompes. Sortir de ses gonds c’est ce qu’on nous propose de ne surtout pas faire, et c’est justement pour cela que je n’hésite jamais. C’est spontané, limpide. Sinon la réserve l’ulcère l’encaissement, le faux fuyant pour revenir comme un boomerang… Donc comme lorsque je commence un tableau je n’hésite pas à dire merde ou bite cul, con, couille ! tout haut. Puis je recule, un mètre ou deux, une journée ou une semaine pour laisser reposer les choses, ou se dissiper l’aveuglement. C’est par ce mouvement seulement que j’ai appris une certaine bienveillance et à créer de la profondeur. Et ma foi si c’était à refaire j’emprunterais sûrement le même chemin pour parvenir au même but, même si je voulais faire autrement. Il y a une nature en toute chose, une fois qu’on la découvre l’évidence est un baume. Il faut que le point gris saute par dessus lui-même dit Paul Klee. C’est applicable partout… On peut se complaire dans la tristesse et la boue comme dans la frénésie de l’hystérique, et ce durant un moment, ou sur les réseaux sociaux, appartenir au concert général bon an mal an… Et tout à coup s’avancer et jouer sa propre partition en se fichant totalement des avis du chef d’orchestre qui d’ailleurs s’en fiche tout autant en tournant le dos au public. Et puis il y a ce type buvant demi sur demi dans cette éternité de l’instant, d’où surgit la mémoire, et qui dit : — le cul est le point noir de l’esprit Et qui se tait à nouveau.|couper{180}

Auteurs littéraires peintres

Carnets | décembre

17 décembre 2018

Plus j’avance en âge, plus je suis pris de vertige devant tout ce que je ne saurai jamais faire : piloter un avion de chasse, jouer dans un film, épouser Marilyn Monroe. Mon soufflé au fromage restera une énigme. En vérité, je n’ai jamais rien su faire vraiment de mes dix doigts. J’ai pourtant exercé mille métiers, connu des femmes magnifiques, sauté en parachute. Mais ce n’était jamais que moi, comprenez-vous ? Je pourrais me lamenter, à presque soixante ans, d’une crise d’adolescence prolongée. Mais ce malaise s’envole dès que je m’attable pour écrire. Alors j’avoue : j’ai toujours cru être plus malin que les autres. Plus malin que mes parents, que j’ai voulu arracher à leur condition par mes écarts. Pas par haine, mais par une envie désespérée de les voir exister au-delà des stéréotypes. Pour y parvenir, j’ai tout enfoui. Oui, j’ai éprouvé de la haine, de la colère. Oui, j’ai pratiqué l’entourloupe, le vol et le massacre. Si cela vous paraît contradictoire, c’est que vous avez du chemin à faire pour être vraiment vous. Moi, éternel insatisfait tremblant de trouille et de rage. Moi capable de toutes les petitesses pour ne jamais dire je t’aime. Moi hypertrophie des neurones sur pattes. Moi gros con attendrissant pour mieux vous planter dans le dos. Ce sale gamin qui se cache derrière un masque en espérant être découvert. Ce garçon envahi par tant d’ignorance qu’il s’est inventé un rasoir de lucidité pour se déchiqueter lui-même. Tout ce que je ne saurai jamais faire : être sans faille, lisse et poli comme ce galet avec lequel le vent et l’eau jouent en se déchirant, dans le cri des mouettes, la naissance des ruches. Pourquoi pas le silence ? Oui tu es froid et blanc sans accroc et sans rêve, l’haleine des rivières à l’aube embrume tes lointains et mon bouchon sur l’onde tremble, taquineries des algues ici pas de lourd brochet ni de fine ablette à ferrer Pas de ploiement de scion aucune tension de fil Juste le long cri de l’hirondelle là haut qui s’apprête à rejoindre les vents chauds du sud. Alors pourquoi pas le silence Total assourdissant comme un arbre qui tombe Et laisse derrière lui le blanc d’une trouée Et laisse derrière lui l’amitié des racines, la voix de l’étoile pâle jusqu’à la pierre enfouie. Pourquoi pas le silence Un chevreuil est passé près de lui une biche Les deux m’ont regardé J’étais au bord de dire au bord de leur parler quand soudain je ne sais plus je me suis rappelé Pourquoi pas le silence Alors je suis rentré. Puis ceci sur la Dombe : Quand je traverse la Dombe, je guette l’envol des grues, la pâleur des marais, le bruissement des herbes et tout m’appelle vers toi. Garce magnifique, amère comme une pinte dont le souvenir reste après qu’on t’ait baisée, si peu qu’on t’ait aimée… « Être vivant, c’est être prêt. Prêt à ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journée. D’une prévoyance incessamment et subconsciemment ajustée. L’état normal, bien loin d’être un repos, est une mise sous tension en vue d’efforts à fournir… Mise sous tension si habituelle et inaperçue qu’on ne sait comment la faire baisser. L’état normal est un état de préparation, de disposition vers les gouffres » Henri Michaux, Connaissance par les gouffres|couper{180}

affects Auteurs littéraires écriture fragmentaire
peinture à l'huile représentant un visage de clown en gros plan

Carnets | décembre

14 décembre 2018

Intense mais calme, méditative, l'intention polarise le sable du chemin. Mieux : elle est le chemin lui-même. Sa prétendue ennemie, la distraction, lui est en fait ontologiquement liée. Comme un chauffeur de taxi avisé, l'intention parle de la pluie et du beau temps pour mieux reposer le voyageur en elle. Puis arrive le mot revers. Imaginons un lieu où son annonce serait célébrée par des fifres, des hautbois et le cliquetis des couverts dominicaux. Le vin coulerait à flots en l'honneur du Héros et de sa suite. Car le revers a tant à dire qu'il se présente buté de prime abord. Raison précisément de le fêter - comme on cogne sur une viande pour l'attendrir. Enivré par les louanges, confiant par l'attention des convives, il sortirait de sa poche le butin de sa quête : ce qu'il n'a pas atteint. Le rien deviendrait alors pour chacun un quelque chose à sa mesure. Génie du revers que de nous révéler ainsi le plan de table de l'Hôte qui nous convie. Suite à une panne soudaine - providentielle - me voici contraint à l'essentiel, écrivant sur mon smartphone. Cela me rappelle Villiers de l'Isle-Adam évoquant Sparte, « située à l'extrémité sud du Péloponnèse ». Chez les Lacédémoniens, le vol était le passage obligé pour gagner le regard de ses pairs. Gide note que cette cité, qui précipitait les enfants chétifs dans des oubliettes, produisit presque zéro artiste. Je comprends soudain d'où je viens. Si j'étais moi, je m'applaudirais presque. Mais restons laconicques. L'écuyère Entre ses cuisses douces et chaudes lorsqu'elle chevauche l'axe des limbes vers l'oubli ourdit l'orage et des espoirs œuf coupé immobile et vibrant <robuste énergiquement s'élance vers les sommets rêvés par la plus noire des profondeurs Se tient satin inouï orange amère l'amie, la mort, la vie.|couper{180}

Auteurs littéraires idées

Carnets | décembre

10 décembre_2 2018

Dans Le Chemin des Nuages Blancs du lama Anagarika Govinda – un Allemand converti au bouddhisme tibétain ayant vécu trente ans en Inde du Nord –, un passage décrit un vieux moine entretenant le temple où il a trouvé refuge. C’est un homme très âgé, qui reçoit une petite pension de la confrérie des moines. L’auteur comprend qu’il reverse presque tout cet argent pour l’entretien du temple. Pour vivre, le vieil homme ne conserve qu’une natte et un bol. Govinda esquisse ensuite son portrait par petites touches : sa générosité, lorsqu’il propose un breuvage mêlant thé et beurre clarifié – dégoûtant, mais coûteux pour celui qui ne roule pas sur l’or. Puis il évoque son occupation : le moine ne reste jamais inactif. On le voit enfiler des chaussons, briquer chaque dalle du temple, nettoyer les bols à offrandes, changer les chandelles… Un emploi du temps chargé, accompli simplement, comme une prière continuelle. L’auteur aborde aussi la puissance des mantras que le vieux moine lui enseigne : ces prières parlées, ces sons, s’adressent à la part la plus profonde des êtres, et non à leur mental ou leurs sentiments. Cela m’a donné matière à réflexion durant mes nuits d’insomnie, que j’occupe à classer mes toiles, balayer mon atelier, et surtout à mettre de l’ordre dans mes pensées en écrivant. Évidemment, c’est d’une limpidité et d’une simplicité inouïes. Si l’on considérait que tout ce que l’on touche, regarde, mange ou boit était une manifestation du divin ou de l’univers, si l’on accordait notre esprit et notre cœur à cette évidence magistrale – alors la vie deviendrait si simple, si limpide, que je crains de ne pas encore pouvoir soutenir une telle simplicité. Mais attendons un peu. Après tout, je ne suis pas encore si vieux que je n’aie d’autre choix que de l’accepter tout à fait.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | décembre

9 décembre_2 2018

J'aime parfois m'arrêter sur un mot de notre langue. Aujourd'hui, « admirer » a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j'en profite. Superbe carrosserie, un peu désuète - car désormais on « kiffe » plus qu'on n'admire. Alors, admirer va-t-il disparaître, emporté par le corbillard d'une soi-disant « modernité » ? L'extinction d'un mot est toujours triste, mais elle correspond à de nouveaux usages. « The times are changing », comme dirait Bob... Je ne me souviens d'aucune femme m'ayant dit « Comme je t'admire » sans ironie. Mes amis le pensent peut-être, mais ne le diront jamais - et c'est tant mieux, car être admiré est aussi gênant qu'une eau de toilette qui laisse une trace olfactive désagréable. Le dictionnaire parle de considération enthousiaste, d'émerveillement. L'admiration relève plus de l'émotion que du « ciboulot ». On l'éprouve, comme on éprouve de l'enthousiasme. Ce sentiment me revient en écoutant ma playlist YouTube : ces jeunes de moins de 30 ans, armés d'un pragmatisme et d'une créativité redoutables, qui cherchent à me vendre des formations. J'achèterais presque, si je n'étais aussi dubitatif quant au bénéfice réel. Pourtant, je suis tenté - tellement c'est bien amené chez certains. Il y a là un art de la persuasion qui, pour sembler inné, a été énormément travaillé. Eux connaissent la valeur du mot « admirer » ; ils en ont fait leur carburant. Ils ont puisé chez leurs aînés des stratagèmes absents des écoles de commerce, même les plus prestigieuses. L'art de vendre ne s'apprend pas en classe - ces jeunes loups du digital savent que c'est l'échec qui forme véritablement. Certains flirtent avec le génie quand, ayant compris les faiblesses humaines, ils réduisent leur cercle de clients pour en extraire la substantifique moelle : la durée, la fidélité. À les écouter, on jurerait des amis - et les vrais amis, comme on sait, ne se comptent que sur les doigts d'une main. De la rigueur, ils n'en manquent pas, ni de toupet. Cette nouvelle manière de vendre ? Devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu - et ça, le contenu bien propre, n'a pas de prix. Rappelons-nous que l'enthousiasme était considéré par les Anciens comme un délire sacré, inspiré par le divin... Alors, tout bien considéré, ne lâchons rien, comme il est dit dans « Top Chef ». Je ne peux m'empêcher d'éprouver de l'enthousiasme, donc de l'admiration, alors que je ne « kiffe » que du bout des lèvres. Car le contenu, j'en produis moi-même en ce moment, peut-être trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurai averti. Pour conclure : on peut admirer sans aimer, et aimer sans admirer, c'est certain. Le véritable amour, après tout, ça ne nous regarde pas. Comme dirait Céline, des caniches et des étoiles, « on kiffe ».|couper{180}

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