Il y a une différence majeure entre croire être parvenu à un niveau et y être véritablement. La peinture n’échappe pas à cette règle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas à un stade d’évolution, il faut accéder aux niveaux supérieurs, sans quoi le recul nécessaire fait défaut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s’agit d’apprécier honnêtement, à la lumière des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l’ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage.

Ces derniers jours, j’ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l’important, le nécessaire qui fait levier, et l’inutile qui entrave. Dans des cartons, j’ai retrouvé une kyrielle de travaux de jeunesse. En découvrant cette feuille de journal tachée de couleurs, j’ai hésité avant de la froisser. Prenons le temps d’en reparler, comme à un ami.

Je peignais alors dans des chambres de hasard, réchauffée seulement par la flamme de mes illusions. J’étais au niveau le plus bas de l’échelle - celui où l’on se préoccupe encore de l’environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir à mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussiéreux. La tâche était si facile que je disposais de longues périodes pour lire - Plutarque et bien d’autres, de façon aussi désordonnée que désespérée.

Pour lutter contre l’ennui, j’avais élevé la rêverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir où je serais inéluctablement peintre, écrivain, riche... Sans organisation, sans plan d’action, je n’étais pas libre - je m’enchaînais davantage.

Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd’hui. L’important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir à la racine de soi et considérer le mental comme un périphérique - souris, clavier, écran, mais pas l’ordinateur. Changer, c’est lâcher prise, terme aujourd’hui galvaudé au point que je n’y ajouterai rien.

Hier encore, j’évoquais Ulysse attaché à son mât. Enfant, j’admirais son ingéniosité face aux Dieux. Aujourd’hui, je n’y vois qu’un homme prisonnier d’une fausse idée de la liberté.

Alors, cette feuille froissée et tachée que personne n’a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ?