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Carnets | 40 jours
Mini journal de 40 jours 2
sur le modèle de Mini Journal de 40 jours 1 Un psychanalyste fictif s’invite dans l’ombre de chaque texte. Il écoute, interprète, laisse affleurer ce que le langage trahit, ce que le corps inscrit. Chaque jour est un entretien sans parole, un fragment d’analyse suspendue, entre bienveillance et lucidité, avec cette seule règle : suivre le fil des tropismes jusqu’au bord du non-dit. sommaire Jour 0 · Jour 1 · Jour 2 · Jour 3 · Jour 4 · Jour 5 · Jour 6 · Jour 7 · Jour 8 · Jour 9 · Jour 10 · Jour 11 · Jour 12 · Jour 13 · Jour 14 · Jour 15 · Jour 16 · Jour 17 · Jour 18 · Jour 19 · Jour 20 · Jour 21 · Jour 22 · Jour 23 · Jour 24 · Jour 25 · Jour 26 · Jour 27 · Jour 28 · Jour 29 · Jour 30 · Jour 31 · Jour 32 · Jour 33 · Jour 34 · Jour 35 · Jour 36 · Jour 37 · Jour 38 · Jour 39 · Jour 40 Jour 0 Il y a dans cette première hésitation une tension primitive : la ville comme labyrinthe d’ombres et de souvenirs désossés. Le sujet cherche, sans savoir ce qu’il cherche. Une ancienne affection peut-être, un reflet de soi. Le flou identitaire, la mémoire perforée. Le regard se perd dans l’image, comme dans un miroir sans tain. Jour 1 Un début fuyant, symptomatique. Refus du geste, de l’origine. Le corps se dérobe, comme la mémoire. La main droite — main dominante, mais aussi main de l’autorité — revient comme une obsession. Derrière la dérive, une quête d’équilibre, de stabilité. La figure de Meyer, incertaine, incarne un appel au secours dans un monde qui parle une autre langue. Jour 2 Elle est là, ou pas. Ce qui compte, c’est le frisson de l’attente. L’encre devient miracle, la lettre : vestige d’un lien rompu. Brûler, mais ne rien effacer : le symptôme d’une passion non consumée. Le sujet veut fuir, mais reste ligoté à l’écriture comme à un corps disparu. Il y a du deuil dans chaque phrase. Jour 3 Ici, la mémoire visuelle supplante le récit. Le marbre, la rivière, les visages — autant de fantômes convoqués pour combler une béance. Ce qui apaise, c’est l’oblique, le flou, l’entre-deux. L’amour est cité, mais reste suspendu dans l’ironie douce. L’achat des livres devient acte de foi : preuve dérisoire d’une intimité perdue. Jour 4 Le sol revient comme un socle angoissé. On voudrait s’enraciner, mais le sol grince, retient. Le corps est dans une tension de chute, d’essuyage, de marche sans fin. La propreté devient métaphore : tentative vaine d’effacer les traces du passé. Chaque banc est un lieu de mémoire, chaque pas une répétition du trauma. Jour 5 Ici, l’olfactif domine. L’odeur précède tout. Le sujet explore un musée d’objets-fétiches : pirojkis, poignards, cravates… Tous parlent d’un passé figé dans une lumière absente. La maison mentale est peuplée d’ombres bavardes. L’enfance, encore, transparaît dans la minutie du regard. On parle entre les objets, on rit autour des absents. Jour 6 Cartes et guerre. Une mémoire traumatique affleure. Gallipoli, le sang, les cris. Wikipédia comme refuge aseptisé, une tentative de neutralisation de l’histoire par le savoir. Mais une carte revient, unique, obsessionnelle. Le ruban, la malle, les nuits… autant de conteneurs du refoulé. Le silence final est plus fort que toute parole. Jour 7 On tente de fuir. Changement d’apparence, d’adresse, de lieu. Le Leica devient le seul confident. Le supermarché : lieu du choix, du simulacre. On veut croire à une vérité par la photo, mais c’est le gris qui revient. Le désir de partir est une constante. L’appareil sans pile : fantasme d’un monde plus pur, sans médiation. Jour 8 Le texte bascule vers le vertige de la verticalité. Les marches, les chambres de bonnes, les œils-de-bœuf. Tout est regardé, mais rien ne voit. L’enfance se niche dans les interstices : flipper, tasses, guitares sous vitrine. Mitterrand et les pianos. La mémoire du père ? Peut-être. Tout s’engloutit dans un lent glissement vers l’effacement. Jour 9 Un sourire — il suffit de peu. Le corps en jeu, les gaz, les fleurs ratées. Il y a un deuil ici, mais sans cérémonie. On mange, on parle, on projette. On refuse l’évidence. Le sujet tend la main : geste ambigu, entre amour et abdication. L’odeur persiste, mémoire corporelle d’un choc non intégré. Jour 10 L’histoire ici est celle d’une disparition. Les noms sont là, mais flottants. Les lieux n’en sont plus. Les tomates ne poussent pas. Il y a dans cette parole une errance géographique qui mime celle du sujet. Ce n’est pas une perte, c’est une érosion douce. Le nom devient un mot vide, et l’enfance : un jardin sec. Jour 11 Un trop-plein. Un trop proche. Le corps de l’autre devient danger, contamination affective. Le sujet fuit la fusion, choisit l’errance. Marcher pour s’éloigner de soi-même, retrouver le silence intérieur. L’auto-perte devient une stratégie de survie. L’éloignement comme seuil d’intimité enfin supportable. Jour 12 L’apparition d’un homme déclenche un vertige : une ancienne hypnose resurgit, une mémoire altérée. L’expérience semble mystique, mais débouche sur un retour brutal à la ride, au souci. Il s’agit d’un dédoublement initiatique, un passage fugace. L’élargissement du champ de vision ne dure pas. Il faut que tout tienne encore debout : formule clinique d’un équilibre instable. Jour 13 Ce texte est saturé de couleurs affectives : rouge, vert, noir. La photographie comme métaphore de la mémoire désirée floue. On ne veut pas tirer le négatif, pas l’éclairer : résistance au savoir, au dévoilement. Le sujet veut conserver une image inaltérée, quitte à renoncer à la vérité. C’est une stratégie de préservation : une forme d’amour. Jour 14 Ici, une plainte. Le sentiment de dépossession du langage. Les mots ne sont plus à soi, ils ont été pris. Une fleur dans une bouteille devient la trace d’une autre voix, d’un autre récit. Le sujet tente de retrouver la sienne, infime, fragile. Le texte se clôt sur une perte : route, pain, rire — tout s’efface. Jour 15 Vertige du regard. Le sujet veut voir, tout voir, mais aussi se préserver. Une image l’attire : fragment d’un corps, fragment de mémoire. L’injure ou l’invitation se confondent dans le même geste. La verticalité devient menace. Les toits et les "toi" se superposent. C’est une lutte entre le bas et le haut, entre chute et pureté. Jour 16 Un souffle. Tout part de là. Écrire, peindre, dire : autant de moyens de continuer à respirer. L’angoisse d’étouffer innerve le texte. Le corps, en manque de confiance, cherche des issues. Ce n’est pas une revendication, c’est un réflexe vital. Un souffle de travers, peut-être, mais encore un souffle. Jour 17 La voix maternelle surgit, mystérieuse. Un mot tendre mais creux : "mon chéri". La scène est opaque, presque sacrée. Quelque chose se transmet — une croix, une monnaie, un mot. Le texte évoque la filiation dans son ambiguïté : poids et pilier à la fois. L’enfant cherche un sens dans un geste répétitif. Encore un jour : le temps revient comme une boucle. Jour 18 Un miroir sans reflet d’enfant : énigme. Le corps allégé, comme s’il avait digéré l’absence. Le bubble gum, la boucle, la porte : autant de seuils vers un autre soi. Ce n’est pas triste, dit-il. C’est déjà une réconciliation partielle. Une autre moi ? Peut-être un pas vers l’acceptation d’une version allégée de soi-même. Jour 19 L’attente devient existence. Les chaises, les jambes, le sol : toute la scène est une salle d’attente métaphysique. Pas de visages. Le sujet est fragmenté, dissous. L’alignement des chaises est celui des jours, des corps. On attend sans savoir quoi. L’appel n’arrivera peut-être pas. Pourtant on reste, par réflexe, par espoir, par fatigue. La vie s’installe dans l’entre-deux. Jour 20 La bouche s’ouvre soudain : un jaillissement non prévu. Le boléro, la canette, le tempo : autant de métaphores d’une montée pulsionnelle. Le corps participe à un rituel collectif sans en comprendre les règles. Une euphorie rythmique précède l’éclatement. À la fin : le silence. Le sujet a traversé quelque chose, sans pouvoir le nommer, mais c’était là. Jour 21 Un jeu de chiffres, une équation intime. La nuit souffle et dérange les certitudes. Le "tiers" surgit comme une altérité insaisissable. Il y a un besoin de rébellion douce, une opposition ludique. Le bateau prend l’eau, mais continue d’avancer. Il s’agit moins de réparer que de naviguer autrement. La dissonance devient langage. Jour 22 Un atelier mental. Une scène qui glisse, hésite, oscille. Le regard cherche un garçon, un feu, une trace. L’art devient mémoire, archive d’un passage. Le lieu n’est plus stable, les chiffres non plus. Tout s’ouvre et se referme. Le mouvement même est l’œuvre. Quelqu’un referme la porte : un seuil est franchi, sans bruit. Jour 23 Une ligne droite devient exutoire. Bastille, Vaugirard, la ville est traversée comme un corps. La colère s’écoule lentement, se transforme en faim, en course. Il n’y a pas d’amour, juste une demande de respect. Le sujet s’animalise : guépard, serpent. Une fuite qui recentre, un bord du monde qui devient centre provisoire. Jour 24 Hyperconnexion, hyperprésence. Le smartphone comme interface de trop. Le regard se dissout dans la vitre, les notifications, les gestes interrompus. La table d’à côté devient monde parallèle. La voix qui demande du réseau : c’est la percée, le trou dans le tissu du virtuel. Un sourire réel. Il reste encore des mondes entiers dans un sourire. Jour 25 Une scène nocturne urbaine, fragmentée. L’ascenseur en panne devient métaphore du temps suspendu. L’enfance cherche des preuves sur Google Earth. La mémoire est désorganisée, mousseuse, désarticulée. Le nom retrouvé déclenche un vertige. L’écran ne confirme rien. Peut-être que le vrai est devenu insupportable. Le doute devient l’ultime refuge. Jour 26 Explosion d’images. Le passé revient en flashes flous. Un pigeon, un ride, une corde, une cassure. Le corps parle en silence. Il y a eu faute, ratage, mais personne ne juge. La voyante n’a rien vu cette fois. Le récit tourne, s’échappe. Il reste une sensation, un frisson dans la fourrure. Un souvenir animal, archaïque. Jour 27 Règlement de comptes avec le passé. Le "toi" que tu voulais être n’a jamais existé. Le père devient masque, refuge, trahison. Le verre brisé n’est pas le signal, c’est le départ qui compte. Il y a trop de fleurs fanées, trop de phrases rapiécées. Le sujet glisse hors de la scène familiale. La ville l’engloutit, mais c’est une délivrance. Jour 28 Geste offert mais ambigu. Donner un tableau, c’est donner un morceau de soi. Le mur vide interroge : est-ce l’âme ou le support ? Le monde réclame des formes, des réponses. Le sujet vacille entre don et commerce. Il voudrait donner sans retour. L’art comme torsion dans la lumière. Une tension vive entre sujet et objet, entre friction et abandon. Jour 29 Le rouge explose, puis s’efface. Maquillage, révolution, slogans : tout déborde. Le corps féminin devient champ de bataille. La barricade s’installe entre les lèvres et le bouquet. Il n’y a pas de choix, juste des dérives. Le sujet cherche à voir, à faire voir. Ce qu’elle saura ? Peut-être. Peut-être pas. Jour 30 Venise, Istanbul, Lisbonne : villes-fantômes. Le sujet n’habite pas les lieux, il les traverse par procuration. Pessoa, Giacometti, Peggy : figures interposées. La langue râpe, la mer se tait. L’expérience se dérobe dans la chaleur, le silence. Le sujet cherche un point d’ancrage qui ne soit pas un miroir. Jour 31 Une spirale sensorielle. Les couleurs coulent, les sons s’effacent. Une robe mouillée, un phare, une goutte. L’érotisme affleure dans un paysage en décomposition. Le volcan dort, mais le corps veille. Le sujet regarde encore : geste d’insistance, d’aveu. Avant de tomber, il faut voir. Voir, c’est résister. Jour 32 La ville n’a plus de nom. Les lieux brillent mais mentent. Les prénoms, les contes, les souvenirs se défont. Le sujet ne reconnaît plus rien. L’espace est mental, mouvant. On interroge, on espère, on échoue. Tout est à reconstruire, peut-être pour la première fois. Jour 33 Un feu de signalisation. Une traversée. L’acte le plus banal devient chargé. Le sujet ne fuit plus, il reconnaît. Il revient sans illusion, mais avec une forme de paix. Le fantôme, ce n’est pas Sodome, c’est soi-même. Quelque chose a été perdu, mais pas soi. Pas encore. Jour 34 Le plafond devient écran. Une tâche, un goût, une glissade. Le corps est allongé, en écoute. Les sons deviennent mémoire. Le lait, le sang, la langue. Ce qui commence ne doit pas être nommé. L’indicible affleure. Le silence parle. Le sujet s’abandonne à ce qui le dépasse. Jour 35 Le trait est un piège. Le dessin : une tension. Le sujet cherche à comprendre, mais chaque réponse est un leurre. C’est trop simple, donc compliqué. Ou l’inverse. Le poignet hésite. La pensée patine. Le vide du sens ouvre enfin un espace. Commencer, c’est ne rien comprendre. C’est parfait. Jour 36 L’île a changé. Ce n’est plus une île, c’est une arche. Elle respire, elle saigne, elle avale. Le sujet attend, trop tard. Le voyage a commencé. On ne saura plus qui on est. Courbet, lui aussi, embarqué. Il n’y a plus d’art, plus de rive. Juste un mouvement. Un départ sans retour. Jour 37 Le pèlerinage n’est pas un lieu. C’est un corps qui revient. Un geste. Écrire. Répéter. Les morts attendent dans la stèle quotidienne. Le sens se perd, se retrouve. Ce n’est pas une question de foi, c’est un rituel d’incarnation. Chaque jour, un fragment de présence contre l’oubli. Jour 38 Tohou. Ce mot, pâteux, abyssal. La possession commence par le langage. "Mon", "ma", "grrr". Le territoire se referme, se crispe. La peur de l’autre, de l’innommable. L’enfant-animal crie. Le sujet tente de défaire les murs. Mais que reste-t-il si tout tombe ? L’horizon ? Oui, mais flou. Loin. Fatigue. Jour 39 File d’attente, chaleur, absurdité. L’effondrement psychique est discret : un clic, un sourire, un fantasme d’ayahuasca. Freud fume, Hitler parle, Klimt dégouline. Tout se mélange. L’exégèse devient hypnose. Même la masturbation cherche l’ordre. Mais à la fin, une simple corbeille vidée. Geste dérisoire, mais salvateur. Rire fragile de qui a survécu au délire. Jour 40 La langue cherche la forme. Flèche, tangente, racle. Boulangerie, billot, couteau à dents. Pas violence, mais attente. L’enfance sous la table. Les motifs comme orgasme discret. Le père comme tueur tendre. Le monde s’ouvre, se racle, se désigne. Écrire, c’est revenir. Écrire, c’est nommer juste avant de se taire.|couper{180}
Carnets | 40 jours
Mini journal de 40 jours 1
Résumé Pendant quarante jours, en 2022, un texte par jour est né, inspiré des propositions de l’atelier d’écriture du Tierslivre. À la relecture, l’évidence s’est imposée : trop longs pour le web, ces textes devaient muter. Il fallait élaguer, concentrer, distiller. En sont issus ces fragments resserrés — tropismes, élans intérieurs, surgissements sensoriels, glissements de langue. Chaque note tient du journal fictif, peut-être poétique, mais surtout d’un regard à vif qui capte les tensions souterraines du monde. Jour après jour, il s’agit de creuser dans la langue l’émotion informe, l’inquiétude trouble, entre mémoire fugace et perception immédiate. Sommaire Jour 0 · Jour 1 · Jour 2 · Jour 3 · Jour 4 · Jour 5 · Jour 6 · Jour 7 · Jour 8 · Jour 9 · Jour 10 · Jour 11 · Jour 12 · Jour 13 · Jour 14 · Jour 15 · Jour 16 · Jour 17 · Jour 18 · Jour 19 · Jour 20 · Jour 21 · Jour 22 · Jour 23 · Jour 24 · Jour 25 · Jour 26 · Jour 27 · Jour 28 · Jour 29 · Jour 30 · Jour 31 · Jour 32 · Jour 33 · Jour 34 · Jour 35 · Jour 36 · Jour 37 · Jour 38 · Jour 39 · Jour 40 Jour 0 …la ville, la rue , encore elle... et cette sensation — pas un souvenir, — un frisson ... quelque chose glisse, s’échappe... mais c’est là, .. ça devrait... ça pourrait… non, pas le marchand, il n’est plus là — la fille peut-être, ou son ombre... « Sophie », vraiment ?... non, Magali... pourquoi ça revient comme ça, brutalement, sans filtre...le reflet... c’était qui ? une version ... quelqu’un regarde... de l’autre côté… le sandwich... les cornets... ce serait simple, si... non... pas maintenant... pas cette fois... quatre euros cinquante, c’est cher pour un retour en enfance...revenir, ou pas... Jour 1 …ça commence là, un geste, ça pourrait ne pas commencer… le pinceau ou l’odeur ou cette horloge qui refuse, refuse, non, pas aujourd’hui… et cette main ? celle-là, encore ? pourquoi toujours la droite… la gare, l’odeur, l’enfant qui regarde les autres… l’envie de fuir, ou de dormir, ou de disparaître…Camus cale mais ça tangue encore…la vie s’infiltre, s’obstine, frappe, insiste — comme si on l’avait appelée et ce nom, Meyer, même lui n’en est pas sûr…le monde parle, mais pas à moi…tout ça pour une goutte, une bille, un coq, un doryphore…rien, tout… et pourtant on écrit… Jour 2 …elle arrive… elle va tout voir… elle est tout… peur… bras qui tremble… vide… elle n’a rien dit… elle n’a pas résisté… elle n’était peut-être même pas là ...lettre… miracle dans l’encre… rien ou presque… n’importe quoi… lis encore… et encore… peut-être que s'il a bon , tout changera…elle n’écrit plus comme avant… elle n’est plus comme avant… …ils s’embrassent… fuir… courir… ne pas pleurer…brûler tout… lettres et illusions… brûler… mais ne rien effacer… Jour 3 … pourquoi cette image… pourquoi Carver…le petit bonhomme ne passe pas… et cette rivière noire, comme un souvenir…Yakuma, rien sur eux… silence dans les archives…le visage, les cheveux… pourquoi crépus ? pourquoi ce mot-là ? est-ce qu’on projette ce qu’on veut lire, même dans un marbre ? et cette route, les ombres, les obliques… pourquoi ça apaise ? place Clichy… soudain… transition absurde ou logique profonde ? la nonne… les têtes de nègre… et l’amour, tous les jours…c’était vrai ? ou une de ces phrases pour qu’on rie ensemble ?j’ai acheté ces livres… c’était ça, ma preuve… Jour 4 …le sol d’abord… toujours le sol…il brûle… il grince… il retient… il prévient… le doigt sur le tapis… sentir… oui… là… c’était là…avancer… glisser… s’essuyer… s’équilibrer…rien n’est sûr, même pas le carrelage… marcher, encore… comme si…comme si ça pouvait suffire…faire le tour d’une ville /propreté… propreté après le marché…comme si on pouvait laver ce qu’on a porté trop longtemps… jusqu’à la grève… là, on comprend… il y a un prix… chaque banc, un abri… puis on repart… toujours… encore… Jour 5 …cette marche, une seule, pas trois… peupliers ou pas ?…il faudra bien que ce soit des peupliers …l’odeur… elle est là… elle devance tout… pirojkis, salive…les livres… la poussière absente… l’ordre… le désordre…icône… poignards… ils parlent entre eux, ces objets…la lumière ? éteinte… toujours… on parle… ça rit… les cravates… elles sont partout…retenir les images, les odeurs, les sons Jour 6 …les cartes, toujours ces cartes… papier froid, lignes mortes… non, ce sera non mais pourquoi… pourquoi revenir, encore et encore toujours à elle, cette carte… cette peau…Gallipoli… ne pas y penser … non… la vérité vraie sera là, Wikipédia le dit…c’est plus simple… moins sale…mais l’odeur du sang… le bruit… les cris…le dégout des cartes…puis par surprise en aimé une…une seule…trop…vouloir croire…vouloir oublier…ou l’inverse…la malle… le ruban… les nuits sans fin… le silence plus fort que tout bruit …non, ce n’est pas une histoire…c’est un refuge… ou un piège… Jour 7 …supermarché… comment il s’appelait déjà ?… pas important… douloureux surtout…laque rouge… mauvaise idée… mais il fallait changer…il fallait que quelque chose change…pas rester… se tenir toujours prêt à partir…pas de meubles… pas de liens… juste ce qu’il faut…la photo… oui… tenir quelque chose…le croire...la matière… les bains… le temps suspendu…Anselm Adams… Yellowstone…autre chose que les quais… le gris…les peupliers…le Leica… juste lui… pas de pile…comme si moins de technologie c’était plus de vérité…et ce désir… de partir… toujours aussi vif. Jour 8 …panne… comme d’habitude…marches… vingt… vingt-sept… déjà… le bruit… tout se mélange…Banque… chambres de bonnes…mais qui habite encore là ?…les œils-de-bœuf regardent…le tapis rouge… les tringles dorées… pour qui ?… pour quoi ?…le bar… le flipper…le bruit de la tasse… ça résonne encore…Mitterrand… toujours lui…et ce génie… qui veut s’envoler… mais reste coincé…les pianos… les guitares…tout est là… en vitrine…reflet, lumière, passé…la Roquette… encore rugueuse…mais plus pour longtemps…ça change… ça avale…le makrout… le sucre...le banc… les lunettes… les faux hasards le métro… attendre…s’asseoir…partir…pas vraiment… Jour 9 …le sourire… pourquoi il souriait ?… comme un gosse… comme s’il savait… comme s’il riait… de nous…le corps… les gaz… l’odeur… je voulais partir… mais j’ai tendu la main…l’autre… le chiropracteur… le costume… pourquoi lui ? pourquoi là ? pas maintenant… pas ici…mon frère… la fleur… ratée… pas fait exprès…non, je sais…les noms… connus… morts…et moi ? bientôt ?…on mange… on parle… on projette… comme si…comme si rien n’était arrivé… Jour 10 …ne pas savoir…Pierre Valdo… Sans-Soucis… Ferrer…quel intérêt … ou bien…à moins que peur d'être trop intéressé ...chaque lieu… chaque durée… un chiffre, un nom…mais pas une histoire…la cave… les textes… perdus… jetés… comme ça…les tomates…elles ne poussent pas… et toi quand grandiras-tu ?…ces noms…ces noms anonymes ce sont au final des lieux anonymes, pas des non-lieux. Jour 11 …il s’approche… trop près…non… pas ça… pas encore…il voit… il sait… il va m'enfiler de sa détresse…comme un gant…et moi…je n’aurai pas le cran…de dire non…mais je pars… je pars ! là, tout à coup…le billet… le serveur… la porte…je marche…cinq fois à gauche…je marche encore…je me perds… je m’invente…rue après rue…je me décolle de moi…et là, enfin…le silence…le mystère intact… Jour 12 …c’est lui…c’est lui ?… vraiment lui ?…il surgit… et moi ?…je souris pas… je fais semblant…normal… conversation… réflexe…il parle…Castaneda…encore un illuminé ? non… peut-être pas…tape…qu’est-ce que…non mais… attends…tout vacille…tout s’élargit…je suis là… je suis partout…il me montre… je vois… je vois tout…et puis…le retour…la ride… le souci… le soulagement…deux hypnoses…pas fait pour ça…faut revenir...faut que tout tienne encore debout... Jour 13 …c’était après…non… avant…couleur ?… non…trop… trop…beau… donc faux…le rouge… tapi…le vert… dévorant…le noir… là…comme un abri… une chambre noire…les mots défilent… les noms…frottent… brûlent…la peau de l’homme…le lit…la photo… elle existe ?…elle n’existe pas ?…je cherche…mais je sais…je ne veux pas…je veux garder l’image… floue… intacte…ne pas tirer ce négatif-là…ne pas l’éclairer…laisser l’ombre… Jour 14 …irrespectueux…oui… peut-être… mais…il manque… il manque quelque chose… les mots… les mots à moi… pas lui…cette fleur ?…dans une bouteille ?…quelqu’un… d’autre…je croyais savoir…je croyais que c’était ça…mais il y a d’autres listes…d’autres voix…et la mienne, si petite…et puis…la route…le pain…le rire…c’est fini, on dirait… Jour 15 …là… juste là… un fragment… une main…quelque chose de connu… trop connu…tu n’étais pas là —c’est pour ça que j’ai regardé en bas…ce regard…ça glisse…ça aspire…descendre… mais pourquoi ?pourquoi vouloir le voir entier ? je le connais déjà…non ? pas lui ? moi ? moi, c’est sûr…et ce doigt… levé comme une injure, ou une invitation…viens, si t’oses…mais reste là-haut, surtout…reste bien propre… reste avec les toits et les toi… Jour 16 tu continues non mais tu continues quand même malgré leur rire malgré toi qui te moques aussi parfois tu dis "j'écris, je peins" comme une défense un mot de passe une absurdité aussi qu'est-ce que tu veux prouver ? on ne prouve pas on continue tu marches tu griffonnes tu regardes sans cesse mais tu n'es jamais assez sûr de toi ce que tu veux c'est peut-être juste : respirer ne pas étouffer c'est tout un souffle un souffle de travers, peut-être, mais un souffle. Jour 17 Elle dit mon chéri, mais pourquoi ? Cacher. Elle se cache. Toutes se cachent. Sous la jupe, le mot patron. Dans la gorge, le chant, tu parles. Rien ne sort, sauf la monnaie. Et la croix. Pourquoi la croix ? Pour tenir, oui. Là. Encore. Encore un jour. Jour 18 Ce n'était pas la première fois. — Pourquoi revenir ? — Les pieds y vont seuls. — Pas d'enfant dans le miroir ? — Juste lui. Moi. Lui. — Pas triste ? — Non. Allégé, même. — Et la bubble gum ? — Partie. Comme le reste. — Poissonniers ? — Une autre boucle. Une autre porte. Une autre moi ? Jour 19 Attendre…On n’a pas dit combien de temps. Ils ne disent jamais.La porte… glisse… elle grince à peine…Et là, les chaises. Encore des chaises.Alignées. Comme des dents. Comme des soldats. Il faut s’asseoir ? On s’assoit. On attend. On ne sait même plus quoi. Le sol. Gris. Moquette ? C’est là qu’on regarde. C’est tout ce qui reste.Les chaussures. Les pieds. Pas les visages, non. Trop intime. Trop risqué. Les jambes, peut-être. Juste un peu. Des bouts de gens. Et puis… plus de place. Ils sont tous là. Comme moi. Comme nous. Et on attend. Pas le droit de demander. Même pas de vouloir. On attend comme on respire. Quand ils disent on vous rappellera… on comprend qu’il ne faut pas espérer. Mais on se lève quand même. Et déjà, d’autres… Nos chaises ? Non. Pas nos chaises. Juste des chaises. Encore. Jour 20 À un moment donné ça a basculé juste la bouche —ça sort —pas prévu —le flic, la fille, le boléro —tout ça dans la bouche ça donne un coup dans la canette ça claque ça continue le tempo… à l’intérieur rester dans le tempo ne pas s’arrêter — surtout pas rester offrir le bruit...on s’est regardés — rien à dire rien à perdre mais un truc est passé la fille ? le flic ? personne n’a dit non personne n’a ri puis —le silence le soir la dispersion ça ne dure jamais mais c’était là à un moment donné Jour 21 La nuit souffle. Il ne faut pas se souvenir. Ou alors juste assez. 21 = 3. Pas pour rien. Rien n’est jamais rien. Le tiers surgit. Toujours au mauvais moment. Ou au bon. C’est pareil. Un ticket plié. Un cube. Deux cubes. Une tour. Pourquoi pas une prière ? Qui osera dire que ce n’est pas utile ? Désobéir. Encore. Encore. Chaque jour. Un non. Un léger décalage. Suffit. Ils disent sérieux. Ils veulent raison. Mais j’ai mon bateau. Il prend l’eau. Et c’est parfait. Je rejoue. Je me planque. Je fuis les règles. Je donne mes propres additions. 3 + 3, ça va aussi. Ça va très bien. Jour 22 Encore un matin la même heure la même pièce et pourtant non ça change ça glisse on appuie la lumière hésite ils sont là les tableaux ou pas ils regardent ou s’en vont le garçon le feu la trace dans un livre il est passé où ? tu l’as vu, toi ? les tiroirs les pinceaux les chiffres les dates ça recommence encore un atelier un autre quelqu’un toujours ouvre une porte et regarde un peu puis referme sans bruit Jour 23 Fuir. Non… partir. Elle. Encore elle. Pas de sac. Pas de bruit. Bastille. Ligne droite. Folie douce ou rage lente ? Génie d’or — il me regarde ? Cinémas démolis. Pourquoi ça me serre ? Rue, encore rue. Toujours ligne droite. Et si…Et si c’était une délivrance ? Pas d’amour. Du respect. Oui. Respect. Puis… la faim. Odeon. Vaugirard. Cinq francs. La ville s’étire. S’accélère. Mes jambes aussi. Je deviens… quoi ? Guépard. Serpent. Je ne vois plus qu’un seul point. Le bord. Le bord du monde. Jour 24 brouhaha tasses tintements doigts sur la vitre /notification /notification /encore effacer ? conserver ? attendre quoi exactement ? le regard vacille… la table d’à côté ? encore elle ? toujours elle ? supprimer c’est gagner du temps ? et si l’idée surgissait ? non trop de messages /trop de gestes /trop peu d’attention le serveur passe /ne passe pas /esquive la femme ? son café /le ticket /le prix le sans-contact comme un sans-corps Cambronne ? accident ? chercher /chercher /rien et puis la voix— vous avez du réseau ? non mais elle sourit et dans ce sourire… un monde entier ? Jour 25 hurlements la nuit / le corps qui refuse de dormir / Mathilde / dans la cuisine / ou debout, immobile l’ascenseur en panne / sept étages / la voix de la mère / toujours plus forte / Champigny / moins cher / plus sûr la rue nettoyée / le trottoir sec / comme s’il n’avait jamais plu / jamais saigné/ Louis / des années plus tard / un écran / Google Earth / glisser la souris / cliquer / rien /le nom / oui le nom / retrouvé dans le désordre / mémoire mousse / mémoire champagne/ il tape / attentat / bombe / Mitterrand / il appuie sur entrée / et rien/ rien / rien alors c’est peut-être faux / ou peut-être trop vrai / alors il doute / doucement / longtemps Jour 26 boum / tourné / déjà tourné / il était passé / passé / c’est ça le mot /clic / obturateur / mais trop tard / rien / pigeon flou / comme d’habitude / le front / la glace / ride ride ride / trop tôt pour ça / trop tard pour l’effacer/ elle aurait pu / aurait dû / une note peut-être / mais / silence / corde cassée / explosion / panique / douleur / si ce n’était pas l’une c’était l’autre / sourire / à soi / fragile / pas eu le temps / tout a sauté / tricherie / punition divine ? / tout se mélange / culpabilité d’enfant / chat pressé / instinct / un frisson dans la fourrure / personne n’a vu / mais lui savait / encore raté / toujours ailleurs / les événements passent / lui aussi / elle / la voyante / cette fois non / parlait trop / raté pour une fois Jour 27 plus là ? plus le même ? / et moi, là ou pas là, vous parlez quand même / autour / toujours autour / montre cassée / pas sa montre / tu confonds toujours les objets et les signes / mais moi je sais / c’est le départ, pas le verre brisé / on a fait au mieux / au mieux ? / toujours cette phrase / toujours ce rapiéçage / t’es pas toi / tu n’as jamais été toi / tu voulais ressembler à ton père / tu t’es caché dedans / fleurs fanées / bouquets de trahison / mensonges en forme de tulipes / c’est pas de l’amour / c’est de l’ordre / tout payer pour ne rien voir / combat / crochet / mots qui font saigner / plus vivants morts que vivants ensemble / moi je pars / je glisse / la ville me mange / vous restez là à remuer les ruines Jour 28 vendre ? / pas vendre ? / juste un geste / mais pas neutre / pas rien / le rien fait du bruit / je donne / je donne un tableau / je dis : tiens / et en moi ça grince / ça ne veut pas / pas tout à fait / il y a un vide sur le mur / on le regarde / on ne sait plus / si c’est le mur / ou l’âme / je veux donner sans retour / mais le monde réclame / quelque chose / un geste / un retour / une forme / des livres / reçus / poèmes / quelqu’un a su / rééquilibrer / le monde / pas l’achat / mais l’alliance / le monde bancal / une torsion dans la lumière / on le sent / sous la peau / un monde oublié / acheter ? / pas acheter ? / objet ? / sujet ? / friction / tension / signe / je croyais que c’était rien / c’était tout Jour 29 Rouge / plus là / disparu / comme elle ? Ultra / révolution / trop / trop c’est trop Encre à lèvres / bouche pieuvre / ça déborde / ça fait peur / Confort / semi-mat / 12 heures / et après ? / et si ça coule ? Elle veut pas ça / pas clinquant / pas tape-à-l’œil / elle déteste les slogans / Et si c’est elle sur la barricade ? / drapeau dans une main / lèvres dans l’autre ? 94,90€ / pour un bouquet / plus cher que le rouge ? / moins risqué / Choix / drôle de mot / pas vraiment un choix / une dérive / Mais elle verra / c’est ce qui compte / elle saura / elle saura peut-être Jour 30 Venise… rien… juste… odeur d’eau… bruit flou… où étais-tu vraiment ? Pourquoi toujours ce garçon — ce bon garçon — que je n’ai pas su être ? Il aurait su. Moi non. Aqua Alta… Peggy… Giacometti… souvenirs d’un autre. Moi j’étais ailleurs… en moi, pas dans la ville. Istanbul… chaleur poisseuse… pas même un mot exact… Une Gorgone. Une stupeur. Une division. Le Bosphore, pas un pont, une faille. Café râpe la langue… silence… sueur. Et moi ? Où suis-je ? Lisbonne… suis-je allé ? Pessoa m’a tout pris. Je n’ai rien vu sauf par ses yeux. La mer. La tour. Les portugais ne font pas de bruit. Moi non plus, je crois. Jour 31 Des couleurs… coulures… des spirales — tournent ou tombent ? Bleu ? C’est la nuit ou l’œil qui se ferme ? Pas de son, non, rien… sauf les phares, les fesses, les peaux, les phares encore, Et cette goutte — tu l’as vue, toi aussi ? — sur sa gorge, la robe qui colle. Un homme, un briquet, un souvenir d’homme ? Marcelo ? Peut-être. Des odeurs — là, là — si fortes… pas que la ville. Et le volcan ? Oui, là, en bas, il dort. Mais pas moi. Non, moi, je regarde encore. Avant de tomber. Jour 32 -- La ville, tu dis. Mais laquelle. Et le nom, il est passé. Il est revenu. Il s’est effacé ? -- Peut-être juste un mot. Ville. Comme un flou. -- Et Hamelin. Puis Brême. Et la fuite. Toujours la fuite. -- Et les prénoms… Ondine. Niels. Michel. -- Les noms de ville qui brillent mais ne disent rien. Que des rêves, que des marges. -- Tu les dis. Tu ne les reconnais pas. Tu les avales. -- Mais elles étaient là, pourtant. Non ? -- Non. Ou pas encore. Jour 33 -- Le feu… rouge, orange, vert… -- Tu as traversé, ils n’ont rien dit… ils ne disent plus jamais rien. -- Tu étais seul, mais comme eux, tu t’es tu. -- Et ce regard… ce regard qui n’a pas eu lieu… -- Pourquoi cette marche… pourquoi à pied ? -- Parce que tu sais. Tu sais qu’il faut ça. Le frottement, la crasse, le trottoir. -- Tu ne fuis plus. Tu reconnais. -- Ce n’était pas Sodome, non… juste un fantôme. -- Tu es revenu. Tu as perdu quelque chose, mais pas toi. Pas encore. Jour 34 -- Tu t’allonges. -- Le plafond te regarde. -- La tâche là-haut… tu la connais déjà, tu ne sais pas comment. -- Tu entends, mais tu ne veux pas entendre. -- Tu avales les bruits. Ils ont un goût. -- Pourquoi ça a ce goût-là ? -- Une glissade dans la langue. Une mémoire du lait. Ou du sang. -- Ça tourne. Tu pourrais monter. Tu pourrais rester. -- Surtout ne pas nommer ce qui commence. Jour 35 -- Un trait. Juste un trait. -- C’est tout ? -- Oui, mais pas celui-là. Pas celui que tu crois. -- Pas celui que je crois ? -- Il est là pourtant. -- Non, pas encore. -- C’est dans le poignet ou dans l’épaule ? -- Peut-être dans l’idée. -- Je croyais que c’était simple. -- C’est trop simple. -- Alors c’est compliqué ? -- Non. C’est un piège. -- Je n’ai rien compris. -- Parfait. Tu peux commencer. Jour 36 -- C’est pas l’île. -- Pas tout à fait. -- Elle a changé. -- Elle bouge ? -- Elle respire. -- Elle saigne ? -- Non. Elle avale. -- Et nous ? -- On attend. -- Qui ? -- La barque. -- Trop tard. C’est une arche. -- Tu veux dire… ? -- Oui. Le voyage. -- Jusqu’à quand ? -- Jusqu’à ne plus savoir qui on était. -- Même Courbet ? -- Surtout lui. Jour 37 -- Tu dis pèlerinage. -- Oui. Mais ce n’est pas vraiment un lieu. -- C’est un point ? -- Non. Un geste. -- Lequel ? -- Revenir. Même sans but. -- Tu veux dire écrire. -- Écrire c’est le corps. Qui revient. Qui répète. -- Et le sens ? -- Se perd. Se retrouve. Parfois pas. -- Et les morts ? -- Ils attendent. -- Où ? -- Dans la stèle. -- Quelle stèle ? -- Celle qu’on écrit chaque jour. Jour 38 … tohou … ce mot… toujours ce mot… le sentir dans la bouche, pâteux, goulu… gouffre sans fond… pourquoi ce vertige chaque fois qu’il revient… comme une cloche, sourde, trop sourde… et puis le “ma”… le “mon”… le serré des mâchoires… la morsure possessive… le “grrrr” au fond de la gorge… pas la ville… pas vraiment… juste la peau des choses… ce que ça cloisonne… ce que ça retient… la peur de l’autre – pas peur, pas peur, mais… si quand même… pas lui, pas eux, pas ceux-là… tu vois bien non ? … toujours cette idée de tenir… contenir… classer… nommer… c’est à moi, voilà, c’est à moi… comme un cri d’enfant… ou d’animal… ou des deux… à la fin… fatigue… tellement fatigué de poser des bornes… poser des murs… poser des “non”… mais si tu les enlèves… si tu les fais tomber… qu’est-ce qui reste, hein ?… l’horizon peut-être… mais si flou… si loin… Jour 39 file d’attente… étouffement… ce mot : « cool »… une injonction, encore une… comme si être cool était un devoir… comme si… et cette affichette… ridicule… ou révélatrice ? … chaleur… besoin de café… et puis soudain… c’est parti… glissement… pas physique… un autre plan… ça remue dans le ventre… une lumière verte ? Non, plus bleue… puis plus rien… … Castaneda… le tonal… le nagual… Freud qui fume, Jung qui recommande, Hitler qui a vingt ans… tout s’efface ou s’incruste… les couches… les strates… les barbes, les cheveux, les tentacules… c’est vivant ? Ça respire ? Ou c’est moi qui délire ? … ce lien entre exégèse et hypnose… ce vertige de vouloir tout comprendre… tout ordonner… même la masturbation aurait une visée morale, vraiment ?... ou est-ce encore un écran ? … à la fin… juste ça… vider la corbeille… et ça apaise… cette absurdité… ce clic… ce petit clic qui remet le monde droit… ou presque. Jour 40 la forme… pas dire mais traverser… flèche… tangente… le mot se dérobe… on dirait qu’il fuit… qu’il désigne autre chose… boulangerie… Jobbé-Duval… couteau à dents… bruits… mais pas violence… non… attente… c’est ça… attente du cri… du mot… du bonbon… du secret… grand-mère… voix… gestes… billot… père… couteau… trancher… c’est pas une image… c’est le monde lui-même qu’on ouvre… qu’on racle… jusqu’au silence… table… sous la table… chaleur… laine… nappe… voix assourdies… petits orgasmes de motifs… dragons… théière… le Siam ou la Corée… mensonge tendre… père tueur à gage… drôle de coco… pourquoi on rit ? … écrire c’est ça… revenir… racler… s’égarer… et puis s’arrêter… juste là… sur le mot juste… ou presque.|couper{180}