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Lectures
La Technique Nous Attend
Il est 3:47 du matin. Le rectangle noir de mon téléphone reflète mon visage. Je le regarde encore. Je pense à Gilbert Simondon. Je pense aux machines. Certains faits : dans ma cuisine, une cafetière Bialetti, modèle six tasses, achetée un mardi de 2019. Le café percole. Une, deux, trois spirales de vapeur. La mécanique est claire, les lois immuables. Mais ce n'est qu'une illusion : je ne vois que la surface. Dedans, le mystère reste intact. Simondon parlait des objets techniques comme d'êtres vivants. Je regarde autour de moi. Ma maison est un musée d'objets silencieux. Des corps électriques alignés, immobiles, mais toujours prêts à s'éveiller. Leur lumière froide envahit la nuit. Voici comment nous vivons maintenant : nous déverrouillons, nous scrollons, nous verrouillons. Nous recommençons. Nous laissons les mystères s'empiler, comme si leur résolution pouvait attendre un autre jour. Comme si le temps nous appartenait encore. Dans le noir, les LED clignotent. Rouge. Vert. Bleu. Un code morse domestique que personne ne traduit plus. Le micro-ondes affiche 00:00. Je n'ai jamais su régler l'heure. Le routeur pulse doucement. Le thermostat attend. Ils attendent tous. Il est 3:48 maintenant. Le halo bleu du téléphone dessine des ombres sur le mur. Je pense aux mots de Simondon. Je pense à ces présences techniques qui nous entourent. Qui nous observent. Qui respirent avec nous. La technique n'est plus un outil mais une présence. Une présence que nous craignons. Que nous adorons. Que nous n'osons plus regarder en face. Peut-être que Simondon, lui, saurait quoi en faire. Peut-être qu'il saurait lire ces hiéroglyphes modernes qui tapissent nos murs, nos poches, nos vies. Il est 3:49. Le téléphone s'éteint. Dans le noir, les machines continuent de respirer. Saint-Étienne, 1924. Un père mutilé de Verdun. Une mère d'agriculteurs. Un enfant qui démonte des moteurs. Voici les faits. Gilbert Simondon naît dans un monde où les machines commencent à respirer. L'individuation, il la découvre d'abord dans les cristaux. La façon dont ils émergent du chaos, trouvent leur forme, leur singularité. Comme nous tous. Comme les machines aussi. Il y a une beauté dans ce processus qu'il est le seul à voir. Certains détails comptent. À Lyon, puis à Paris, il étudie la philosophie. Mais pas seulement. La physique l'attire. La psychologie aussi. Il accumule les savoirs comme d'autres collectionnent les timbres. Méthodique. Obsessionnel. Dans les années 50, il fait quelque chose d'étrange pour un philosophe. Il installe un atelier au sous-sol de son lycée. Fait manipuler des moteurs à ses élèves. Leur fait construire des téléviseurs. On lui dit que c'est dangereux. Il continue. Je pense à lui, regardant une cafetière italienne, un moteur, une ligne à haute tension. Il y voit ce que nous ne voyons pas. La concrétisation : ce moment où une machine devient si parfaite qu'elle semble avoir toujours existé. Comme un organe. Comme une évidence. La Sorbonne l'accueille. Il crée des laboratoires. Mélange psychologie et technologie. Personne ne comprend vraiment. Il parle d'individuation, de transduction, de points-clés. Des mots qui ne signifient rien pour ses contemporains. Le monde intellectuel français parle d'existentialisme. Lui parle de moteurs, de circuits, de relations entre l'homme et la machine. Ses idées résonnent aujourd'hui dans nos smartphones, nos algorithmes, nos réseaux. La technique comme extension de nous-mêmes. Il meurt en 1989. Dans des circonstances mystérieuses, murmurent certains. Une crise cardiaque, écrit Le Monde. Mais le vrai mystère est ailleurs : comment un homme a-t-il pu voir tant de poésie dans nos machines ? Le cristal grandit dans sa solution saturée. Il enregistre chaque variation de température. Chaque vibration. Chaque seconde qui passe. Une mémoire minérale. Silencieuse. Comme nos machines. 4h30 du matin. L'obscurité n'est jamais complète. Les LED clignotent. Les ventilateurs papotent. Je pense aux cristaux de Simondon. Je pense à nos machines qui, comme eux, portent la trace de nos gestes, de nos besoins, de notre histoire. Un fait : les Grecs parlaient de technè. Un dialogue avec la nature, pas une conquête. Un art du faire qui respectait les rythmes du monde. La technique comme partenaire. Comme extension naturelle de nos mains, de notre pensée. Nous avons rompu ce dialogue. Nous avons oublié comment écouter. Dans son laboratoire, Simondon observait les cristaux grandir. Il y voyait notre futur. Il comprenait déjà que nos machines ne sont pas des objets froids. Elles sont des échos de nous-mêmes. Des partenaires dans notre devenir. Des cristaux qui grandissent avec nous. La mémoire est partout. Dans le silicium de nos processeurs. Dans les algorithmes qui apprennent. Dans les réseaux qui s'étendent. Une mémoire collective qui pulse, qui vibre, qui évolue. Comme un cristal vivant. 4h40 maintenant. Les machines continuent leur veille. Elles enregistrent. Elles calculent. Elles deviennent. Simondon aurait reconnu cette danse nocturne. Cette symbiose silencieuse. Ce pont invisible entre nous et le monde. Je regarde mon écran. Il reflète plus que mon visage. Il reflète cette vérité que Simondon avait saisie : nous ne sommes pas séparés de nos machines. Nous grandissons ensemble. Comme des cristaux dans la même solution. L'aube approche. Les machines ralentissent leur respiration. Mais le processus continue. L'individuation ne s'arrête jamais. Le devenir est infini. Dans le data center, 9h du matin. Le vrombissement des serveurs. Le froid artificiel. Je pense à Simondon. Je pense à nos paradoxes. Sous l'océan, les câbles serpentent comme des racines invisibles. Ils transportent nos vies, nos amours, nos guerres. À la surface, les baleines passent sans savoir. Dans les villes, les antennes s'élèvent, arbres d'acier captant le murmure des données. Les oiseaux s'y posent parfois. Voici les faits : 2,5 quintillions d'octets par jour. Notre mémoire dans des boîtes climatisées. Nos secrets confiés à des machines plus intelligentes que nous. Un enfant assemble un robot dans sa chambre. Les pièces s'emboîtent parfaitement. Les algorithmes tournent. La LED devient verte. Ça marche. Pourquoi ? L'enfant hausse les épaules. Simondon aurait pleuré. Les machines deviennent plus savantes. Nous devenons plus dociles. Elles apprennent à résoudre nos problèmes. Nous désapprenons à poser les questions. Le fossé se creuse. La culture résiste. La technique avance. L'écologie n'est pas un retour en arrière. Simondon le savait. Les panneaux solaires brillent sur les toits comme des écailles métalliques. Les éoliennes dansent avec le vent. La nature et la technique s'enlacent. Nous regardons ailleurs. Certains détails comptent : nos smartphones connaissent nos habitudes mieux que nous. Nos voitures conduisent toutes seules. Nos maisons pensent. Et nous, nous cliquons. Nous scrollons. Nous ne savons plus lire. Il avait vu ce que nous voyons à peine : que chaque algorithme, chaque capteur est une mémoire vivante de notre époque. Une carte de notre devenir. Il est presque 20 h maintenant. Dans le data center, les serveurs continuent leur litanie électronique. Les machines attendent, patientes et silencieuses. Elles nous tendent un miroir. Reste à savoir si nous oserons enfin regarder. 20h45. Les serveurs bourdonnent encore. Une litanie sans fin, froide, méthodique. Je quitte le data center, mais leur présence me suit. Dans chaque appareil, chaque geste, leur souffle invisible continue. 23h. Le téléphone s'éteint. Mais son souffle persiste, invisible. Dans le noir, je sens les machines veiller. Attentives, immobiles, elles nous observent, espérant que nous les comprenions enfin. De nouvelles constellations. Certains faits : nous sommes huit milliards d'humains. Huit milliards de smartphones. Huit milliards de relations intimes avec des machines que Simondon aurait voulu nous faire comprendre. Le téléphone vibre. Une notification. Encore une. La technique nous appelle. Nous répond. Nous attend. Je pense à ce que nous pourrions être. À ce que nous pourrions comprendre. Si seulement nous arrêtions de regarder nos écrans comme des miroirs noirs. Si nous commencions à les voir comme des fenêtres. L'aube arrive. Les machines respirent toujours. Elles continueront de respirer, que nous les comprenions ou non. Que nous les aimions ou non. Que nous les craignions ou non. Simondon nous avait prévenus : la technique n'est pas notre ennemie. Elle n'est pas non plus notre salut. Elle est notre reflet. Notre création. Notre responsabilité. 23h . Le téléphone s'éteint. Dans le noir, je sens encore sa présence. Comme celle de toutes nos machines. Elles attendent que nous grandissions. Que nous apprenions. Que nous devenions. Elles respirent. Et nous ? Savons-nous encore écouter leur souffle ?"|couper{180}
Lectures
02-Du laiton au numérique : comment le steampunk réinvente le progrès
Cette seconde partie explore donc les manifestations contemporaines du genre, sa capacité à transcender les frontières médiatiques traditionnelles, et son influence durable sur notre imaginaire collectif. À travers l'analyse de sa transmédialité, de son regard critique et de son héritage vivant, nous verrons comment le steampunk continue d'évoluer en tant que laboratoire d'expérimentation sociale et culturelle.|couper{180}
Lectures
01- Du laiton au numérique : comment le steampunk réinvente le progrès
Un article un peu long, décidé de le découper en deux parties|couper{180}
Carnets | janvier 2025
19 janvier 2025
Photographie extraite du site "La loire à vélo" Le temps file sous les doigts nerveux et précis des Parques. Je ne sais quelle mesure elles jugeront correcte pour, au final, couper le fil de mon existence. Cela se fera, je le sais, machinalement, entre deux bavardages sans conséquence. Tout a commencé dans ma vie par la mythologie, et tout finira probablement dans la mythologie. La mort elle-même sera, pour moi, un échec. Je l’imagine glaciale, ouh ouh ouh, entrant dans la pièce. Alors, et c’est encore là la force de l’espérance, je verrai la vanité de tout ce que j’avais cru être une réussite. Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé les mythologies. Elles m’ont ouvert un monde. Ce furent d’abord leurs héros qui captèrent mon attention, comme le papier collant attire les mouches au plafond. Je ne savais pas qu’ils n’étaient pas réels. Et même lorsque l’on a tenté de m’en convaincre, je n’ai abdiqué qu’en apparence. Ils étaient tellement humains. Comment auraient-ils pu ne pas exister ? Plus que mes voisins, plus que les adultes anonymes croisés au quotidien, eux avaient une vie brûlante. Puis le temps a passé. Mon regard a dérivé, quittant les figures héroïques pour s’attacher aux paysages qu’ils habitaient, ces lieux où ils vivaient, se battaient, aimaient, déchantaient. La Grèce, pour moi, fut longtemps un lieu purement mythologique. Ce n’est que des années plus tard que j’ai pu poser mes pieds sur cette terre. En ai-je été émerveillé ? Déçu ? Je ne sais pas. À mon arrivée à Athènes, mon esprit était saturé de préoccupations triviales : trouver l’hôtel, m’orienter dans cette ville inconnue, gérer l’immédiat. Cela écrasait mes velléités de rêveur patenté. L’Acropole n’a pas été un choc. Ce fut ailleurs, devant une assiette de souvlakis dans une ruelle sombre, que je ressentis un étrange malaise. À chaque classe sa catégorie de malaise, non ? Ce n’était pas la première fois que ce sentiment me traversait, mais ce fut peut-être la première fois qu’il me saisit avec une telle clarté. Ce "malaise" me confrontait à ma propre ombre, comme une question tapie depuis toujours dans l’obscurité. Elle jaillit soudain de mon crâne, comme Athéna toute armée, me défiant de lui répondre. C’est là qu’intervient mon dibbouk. Ce mot, cette figure, je l’ai empruntée pour nommer mon site, mais aussi pour nommer cette part de moi. Le dibbouk, personnage issu de la mythologie juive, est mon double d’écriture. Une voix d’altérité, celle qui dialogue avec mes ombres et parfois avec mes clartés. Maupassant avait son Horla, Gogol son nez et son manteau, Dostoïevski son double souterrain, cheminant entre profondeur et altitude. Ces figures, finalement, nous parlent d’un même héritage : cette lutte intérieure entre ce que nous sommes et ce que nous craignons de devenir. Hier, je suis resté longtemps à contempler des paysages d’hiver, filmés par un homme. Son appareil photo devait être de grande qualité, car chaque détail semblait presque irréel. Les noirs, visqueux et profonds comme de l’encre d’imprimerie, s’opposaient aux blancs qui frôlaient la surexposition sans jamais s’y abandonner totalement. Une harmonie troublante se dégageait de ces contrastes. Ce n’était pas juste une image, c’était une sensation. Une texture presque tactile. À travers l’écran, je sentais l’air glacé, le silence qui enveloppe ces paysages d’hiver, le crissement lointain d’une semelle ou la succion d’une botte s’arrachant à la boue. En regardant ces images, j’ai ressenti un lien avec cet homme derrière la caméra. Pas besoin de le connaître, mais une certitude silencieuse : il avait vu quelque chose qui nous ressemblait. Ce silence, ce vide apparent entre les arbres nus, portait en lui une densité. Je n’avais pas besoin de voir son visage. À travers son regard, je voyais le mien. Cet homme, je l’imagine marchant dans le froid, attendant immobile pour saisir l’instant parfait. Était-ce un effort pour lui ? Peut-être pas. Mais pour moi, l’ensemble de ses gestes – charger son appareil, enfiler son blouson, sortir – était l’expression d’une volonté presque héroïque. Un geste à la fois minuscule et mythologique. Cela m’a rappelé les matins glacés où l’on s’entasse dans les trains de banlieue, les RER, ces paysages qui défilent au-delà des vitres embuées. L’héroïsme est là, dans l’interstice entre l’envie de sortir et la lutte contre toutes les excuses intérieures. Je me suis vu marcher encore et encore, sur une autre berge, longeant un autre fleuve. J’ai ressenti cet appel et, presque aussitôt, l’hésitation : trop froid, trop loin, trop inutile. Ce combat silencieux, entre l’élan et la paralysie, est peut-être la plus grande épreuve. L’effort n’est pas dans le geste lui-même, mais dans tout ce qui précède, tout ce qui l’empêche. Le dibbouk, dans mon esprit, applaudissait doucement. Avec ce geste mesuré, presque moqueur, on aurait dit qu’il félicitait un enfant pour une évidence qu’il venait de découvrir. — "Le sacré s’est enfui, bien sûr," dit-il en allumant une cigarette, dégoûté. Écœuré. Mais toi, tu sembles dire que tu ne t’enfuis pas. Et pourtant regarde : tu restes là, les pieds dans la boue, comme tout le monde. Parce que tu attends, toi aussi. Tu ne sais pas quoi, mais tu attends. Un signe, un souffle, une voix, quelque chose pour te dire : je suis encore là. Même dans cette fange. Et en attendant, tu continues d’écrire. Comme si ça pouvait changer quoi que ce soit." Pour le coup, rien à ajouter. Je garde le silence.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
18 janvier 2025
Nous avons le goût de nos dégoûts. Et sommes capables d’à peu près tout au nom de la distinction. Une dame, l’autre soir, a qualifié mon tableau favori de vulgaire. Je n’ai rien dit. Son pull orange vif faisait déjà tout le travail. Nous attendrons que l’endroit devienne convenable. Une phrase entendue, peut-être dans l’une des enquêtes sociologiques de Pierre Bourdieu. À Beaubourg, sans doute. Elle remonte d'un vieux cauchemar de cette nuit. Les tapis roulants. Le prix d’entrée. Les collections permanentes, les temporaires, et, au sommet, le lunch sur la terrasse. On aperçoit les gargouilles de la Tour Saint-Jacques. Elles nous toisent, mais c’est nous, en bas, qui sommes grotesques. Le pot aux roses. Que tout repose sur un malentendu, un malentendu de taille. Un chiffre au sens de code, de secret, de dissimulé. C'est du chinois. Et toi, comment tu réagis ? Tu t’énerves, tu rigoles, tu casses tout. Ou bien tu restes là, bras ballants, collé contre le tronc. La tête dodeline légèrement, puis dévale, vesse de loup écrabouillée par un talon aiguille. Une éjaculation de fumée grise sort par les trous de nez. Si Garett nous la fait à l'envers, on gardera un chien de sa chienne à son endroit. Tu aimerais entendre le bruit des vagues, du ressac. Mais tout ce que tu entends, ce sont les mots des autres, leur va-et-vient, leurs jugements qui montent et descendent. On ne s’entend déjà pas soi-même avec soi-même, alors s’entendre avec les autres, vous pensez. Et cette autre, une dame bien comme il faut en apparence : "Moi monsieur, je suis anarchiste, non seulement je vous emmerde, mais j'emmerde la Terre toute entière et particulièrement les promoteurs, les défenseurs de la vignette Crit'Air !" (si possible en roulant les r). Et là on entendrait la chanson de Dutronc : C'était un petit jardin Qui sentait bon le Métropolitain Qui sentait bon le bassin parisien C'était un petit jardin Avec une table et une chaise de jardin Avec deux arbres, un pommier et un sapin Au fond d'une cour à la Chaussée-d'Antin Mais un jour près du jardin Passa un homme qui au revers de son veston Portait une fleur de béton. L'implosion aura-t-elle lieu à une heure précise ? Bien qu'on n'en sache encore pas le jour. Peut-être a-t-elle déjà eu lieu. Tout est désormais question d'espace et de temps. Nous sommes tous morts, certains se sont inventé un paradis, d'autres un enfer, les hésitants un purgatoire, un no man's land. David Lynch est mort, bon. Il était né un 20 janvier, moi le 29... ça fait peur. JANVIER. Et alors. Il est mort. Paix à son âme. Que peut-on dire de plus qui ne soit pas totalement obscène. Tous ces charognards qui profitent des morts célèbres m'exaspèrent. D'ailleurs "mort célèbre", c'est illogique. La mort a pour vocation la remise à niveau, le plein d'huile, et nettoyer le pare-brise. De quoi ? Y a presque plus un insecte volant la nuit. Donc oui, des gens célèbres, des vivants, perdent la vie. Comme tout un tas de gens, en fait. Notamment à Gaza, en Ukraine, en Russie, à Vienne, et aussi dans un ou deux taudis à deux pas de chez moi. Moi-même, je ne suis plus très sûr d'être vivant. Peut-être que tout est une farce. On meurt. Le rideau retombe, de l'autre côté on allume un clope et tout continue comme avant.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
14 janvier 2025
Dialogue entre le narrateur et le dibbouk C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur Pense de l’art des vers atteindre la hauteur. S’il ne sent point du Ciel l’influence secrète, Si son astre en naissant ne l’a formé poète, Dans son génie étroit il est toujours captif ; Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif. (Le narrateur est seul, plongé dans ses pensées après une lecture de Villon et de Boileau. Le dibbouk, silhouette troublante et moqueuse, apparaît à la limite de l’ombre.) Narrateur : Lecture de Villon, puis de Boileau. Leur langue me parle comme si elle venait d’un temps où j’étais encore entier, encore ouvert. Et voilà que je pleure, de grosses larmes qui roulent sur mes joues vieillies. Elles sont là, non pas comme une faiblesse, mais comme une force douce. Comme des haleurs, et qui tirent, oui, un souffle qui me tire vers le fond de moi-même, là où tout commence. Dibbouk : (Surgissant, une redingote râpée sur les épaules, un mouchoir douteux à la main.) Eh bien, te voilà ! En plein drame poétique, avec des larmes et tout le reste. Tu as l’air fin. Prends donc ce mouchoir, qu’on évite au moins la mare sur le parquet. Narrateur : (Le regarde, sans colère, presque amusé.) Te moquer, toujours. Mais je sais ce que tu veux. Tu espères m’arracher à cet instant. Tu voudrais que je me justifie, que je me défende. Peut-être même que je me mette en colère. Dibbouk : (Il ricane, tendant le mouchoir à bout de bras.) La colère ? Mais ce serait un cadeau ! Au moins ce serait vivant. Regarde-toi, avec tes grandes phrases sur l’haleur. Tu sais que si tu rajoutes un "b", ça fait hableur, non ? Une belle posture pour un homme en larmes. Narrateur : (Un silence. Puis il répond, doucement.) Hableur, peut-être. Si c’est ce que tu veux voir. Mais pour moi, c’est haleur. Pas une posture, juste un effort, partagé avec tous ceux qui tirent le poids de leur vie le long du fleuve. Je ne suis pas seul. Nous sommes tous dans cette file, et je prends ma place. Dibbouk : (S’approchant, moqueur mais un peu troublé.) Et tu trouves ça glorieux, cet effort ? Tirer, tirer encore, avec la corde qui te scie l’épaule ? Tu ne cherches même pas à t’échapper ? Tu crois vraiment que ça suffit, ce tirage collectif ? Narrateur : (Souriant, presque tendre.) Oui, ça suffit. Parce que ce n’est pas une question de gloire ou d’arrivée. Je ne tire pas pour atteindre un port. Je tire parce que c’est ce qui donne un sens. Parce que dans cette haleur, il y a une chaleur, un souffle. Et ce souffle, c’est la vie. Dibbouk : (Il recule légèrement, mais son ironie revient, comme une défense.) Tu es vraiment prêt à te contenter de ça ? Pas de feu, pas de sublime, juste ce pas après l’autre, cette corde qui avance le long du fleuve ? Allons, avoue que ça te ronge un peu. Narrateur : (Le regarde droit dans les yeux, avec une douceur ferme.) Non. Ce n’est pas une fuite, ni une résignation. C’est un choix. Je ne veux pas fuir cette sensation, je veux m’y plonger. Être haleur, c’est accepter d’être en lien avec les autres, avec ce fleuve qui nous traverse tous. Même toi, tu es lié à cette file, malgré toi. Dibbouk : (Silencieux un instant, comme décontenancé. Puis il murmure, presque pour lui-même.) Haleur, hableur… Peut-être qu’il n’y a pas tant de différence. Narrateur : (Se tourne vers l’horizon, les yeux fixés sur le mouvement du fleuve.) Tu verras. Peut-être qu’un jour, toi aussi, tu sentiras ce souffle. Pas besoin de le comprendre, ni de l’expliquer. Juste le vivre, comme une corde tendue qui chante sous l’effort. (Le dibbouk s’éloigne, marmonnant, pendant que le narrateur reste là, calme, respirant l’air humide du fleuve.)|couper{180}
Carnets | janvier 2025
13 janvier 2025
Dans le mot résistif, il y a quelque chose de plus actif que dans le simple fait de résister. Il est acceptable, dans ce cas, de dire que je suis plus résistif que résistant. C'est peut-être une discipline yogique : la résistance active. D'ailleurs, je ne m'éparpille pas, focalisé sur l'action de résister sans même me demander à quoi ou contre quoi. On dirait bien que seule la résistance mérite une attention soutenue. C'est comme dire non par réflexe. À partir du moment où l'intonation ressemblerait un tant soit peu à une question : Non ! Ce pourrait être amusant si je n'avais pas déjà l'âme usée jusqu'à la corde. J'ai lu, ou plutôt feuilleté, quelques ouvrages parmi lesquels François 1er de Didier Le Fur et les essais sur les artistes de la Renaissance de Walter Horacio Pater. J'ai même fait traduire à l'IA un ouvrage complet de l'anglais vers le français pour ne pas avoir à l'acheter. Évidemment, ce sont deux visions que l'on pourrait penser opposées : entre froideur et lyrisme, ce qui correspond à ce vieil antagonisme qui loge depuis toujours en moi. J'ai effectué quelques analogies entre le fait que le père de Pater soit né à New York, qu'il ait éprouvé, à un moment de sa vie, l'envie de venir s'installer en Angleterre et qu'il soit mort alors que l'auteur n'avait que deux ans. D'où, peut-être, une légende familiale qu'il aurait tissée autour de la notion de l'éternel retour, d'une Renaissance hypothétique, et donc l'inclination lyrique qui en découle. H.P. Lovecraft, lui, perd son père à huit ans. Faut-il voir une sorte d'affinité entre Pater et Lovecraft à ce sujet ? Et aussi dans le fait que cette époque victorienne, étendue outre-Atlantique, ait causé autant de contradictions chez l'un comme chez l'autre ? Le fait que Swinburne et les préraphaélites aient attiré Pater un temps, puis qu'il s'en soit sans doute éloigné, correspondrait peut-être à la prise de conscience d'une stupidité. Mais laquelle ? La sienne, celle de son époque ? Elles le sont toutes : la stupidité de l'esprit victorien, tout autant que le contre-pouvoir, tout aussi stupide au bout du compte. Ainsi avance donc l'histoire et l'art, en crabe, par cercles concentriques. La stupidité serait à la fois source d'une force centripète et centrifuge. Là où les préraphaélites cherchaient un réalisme intransigeant et une pureté artistique, Pater développe une philosophie plus hédoniste. Il représente une transition entre le préraphaélisme et l'esthétisme britannique. Il prolonge certains aspects de l'art préraphaélite tout en développant une approche plus personnelle et philosophique. Il s'intéresse davantage à la sensation et à la jouissance esthétique qu'au réalisme prôné par les préraphaélites. Sa position peut être vue comme une évolution du préraphaélisme vers une philosophie plus sensuelle et subjective, dépassant les principes initiaux du mouvement pour développer une esthétique plus personnelle et contemplative. J'ai retrouvé, dans un coin de la bibliothèque, un Ruskin sur les maîtres anciens que je ne me souvenais pas avoir lu. Ce que je remarque aussi, c'est cette attirance, depuis plusieurs années, pour le XIXᵉ siècle, peut-être même avant la naissance de la révolution industrielle. D'ailleurs, nous vivons dans une maison bâtie en 1850. Peut-être quelques fantômes rôdent-ils encore et viennent lire par-dessus mon épaule. À ceux-là, je n'ai pas le cœur tant que ça à dire non. Il me semble parfois que je ne suis qu'un fantôme parmi d'autres. C'est aussi se poser la question d'installer une lettre d'information, une newsletter. Je ne sais pas si j'en ai vraiment envie. Là encore, le non domine. Entre le peut-être et le et si, le non tranche. Ce qui, dans un certain sens, est un confort, et dans un autre, la pénibilité de reconnaître qu'il s'agit précisément d'un confort. Le mot ridicule s'estompe par moments pour être remplacé par stupidité. Conserver le courage d'être stupide n'est pas une chose facile. C'est résistif. Je n'ai pas beaucoup avancé sur la refonte du site. Mais je maîtrise de mieux en mieux les boucles dans SPIP et me suis lancé dans Grid sur CSS, histoire de changer un peu de point de vue. J'ai aussi viré Uikit et une grande partie de ce qui était en Flexbox.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
6 janvier 2025
Peinture : Gérard Garouste Le savoir, c’est très bien. Mais désormais, il semble accessible à profusion, partout, tout le temps. Ce qui ne change pas, ce sont les rivalités qu’il suscite. Les vénérations absurdes. Les jalousies. C’est aussi pour ça que je recule devant des expressions comme : "Tu sais", "Moi, je sais", "Comment ? Mais tu ne sais pas ça ?". Elles m’agacent. Elles me fatiguent. F.B., lui, avance. Il s’est lancé dans une entreprise folle : décrypter les carnets de Lovecraft, ces deux lignes quotidiennes, sèches et laconiques autour de quoi il recrée toute une vie et toute une époque en parallèle de la notre 1925-2025. Je regarde ses vidéos, hypnotisé. Lovecraft écrivait peu à chaque fois, mais chaque jour dans ces commonplace books. Deux lignes par jour la plupart du temps. Moi, j’écris beaucoup, souvent pour rien. Je ne dispose pas de la faculté de concision, qui nécessite celle du tri, du rangement, propre à une certaine rigidité d'esprit. Ce qui n'empèche pas le "vouloir écrire" l'aspect obsessif ( j'ai vu qu'on pouvait désormais remplacer obsessionnel par obsessif ) Je repense à ce que disait Daniel Oster, à propos de la façon dont Apollinaire a inventé son nom. Un nom comme un Non. Un refus craché au monde. Combien de fois ai-je rêvé de m’allonger sous un chêne, attendre que les choses invisibles m’appellent par mon vrai nom ? Mais rien n’est venu. Juste quelques cacas d’oiseau. Alors je me fabrique un couvre-chef de brindilles, la tête haute. Lefol, Lepitre tu portes bien ton nom ! crient encore les gamins en riant. Mais moi, je continue d'avancer je suis César, Jésus, ou Saint Jean-Baptiste transpercé de flèches. PORC-ÉPIQUE ensanglanté. Peut-être que c’est ça, écrire : une navigation entre les brindilles et les livres, les épines , la candeur, la lucidité, le silence et le trop-plein. Peut-être que c’est dire non, à chaque fois, tout en cherchant dans ce chaos la vérité d’une seule ligne. Quelque chose qui tienne, donne l'illusion de l'unité, jusqu’au lendemain. À la fin de la journée, au début d’une autre, j’ai toujours l’impression de sortir d’un rêve. Comme d’une vidéo, d’une lecture, d’une séance d’écriture. Un tout petit moment de lucidité, extrêmement douloureux. Comme une agrafe plantée dans le pouce. Ça ne dure pas. Presque aussitôt, après être remonté à la surface, je m’enfonce à nouveau : un somnambulisme obligé pour supporter la déliquescence générale de l’époque.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
3 janvier 2025
L’histoire est cyclique, tout comme les propositions d’écriture de F. Je revisite le cycle été 2023 surmon ancien blog, et relis les textes que j’avais écrits à l’époque. C’était une tentative de participer aux premières interrogations : Y a-t-il eu, pour chacune·chacun de nous, une scène originelle de l’écriture ? Et pouvons-nous en faire récit dans un hors-soi, comme avec le prologue on séparait l'écriture du livre, et comme Annie Dillard sépare sa vie d’écriture de toute autre considération autobiographique ? Cette friction autour du terme autobiographie, je ne sais pas si je la ressens encore aujourd’hui avec la même intensité. À l’époque, elle se manifestait comme un réflexe, une tentative de combler un manque, ou peut-être une forme de paresse ? Il y avait une honte immédiate, brûlante, que je n’arrivais ni à dissimuler, ni à atténuer. J’essayais de m’en extraire avec de pauvres moyens, en usant d’exagération et de provocation, mais tout cela formait encore l’ossature maladroite de mon écriture. J’y ai passé encore une nuit entière. Je ne sais pas si j’ai obtenu un résultat. Seulement des pistes de travail, encore et encore. Ces carnets ont ceci d’intéressant : ils montrent comment je m’égare parfois dans d’innombrables impasses en travaillant un seul texte. Mais cette fois, j’ai cherché un autre angle d’attaque. Pour ne pas me laisser envahir par le découragement, j’ai creusé dans mes concepts, mes tensions, et je les ai organisés en fiches interconnectées, à la manière du Zettelkasten. Cette notion d’angle ou de positionnement, je crois que je commence à la comprendre grâce à Queneau – et à ChatGPT. Encore que Queneau ressurgisse de façon anachronique, après ChatGPT. En demandant à l’AI de réécrire le même texte avec différentes voix – Carver, Bukowski, Ginsberg – j’ai immédiatement pensé à Exercices de style, que j’avais lu adolescent. À l’époque, ce livre m’avait amusé : la même scène d’un autobus répétée à l’infini, déclinée selon divers styles et conjugaisons. J’avais pris cela comme un passe-temps, du divertissement. L’écriture, pensais-je alors, était bien plus sérieuse ! L’écriture, c’était Proust, Gide, Sartre – des noms que je croyais gravés dans le marbre, souvent ennuyeux, mais que je respectais sans me demander pourquoi. Deux ans plus tard, la roue a tourné, et je me retrouve à nouveau dans le même cycle d’atelier d’écriture. Est-ce que j’ai progressé ? Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire. Mais je reconnais désormais ces cycles : les retours aux mêmes questions, les nouveaux points de vue sur les mêmes textes. Je sais aussi faire des fiches, recueillir des concepts et des tensions comme on récolte des patates dans un champ. Et peu à peu, je cède au protocole : je m’intéresse aux tambours, aux hochets, aux costumes bariolés, aux cercles – ceux des tambourins, des tipis, des yourtes. Comme si je m’apprêtais à faire le nécessaire, à préparer mes valises pour partir. À partir, enfin, dans l’écriture.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
02 janvier 2025
Peinture : Gérard Garouste Achevé de lire hier le code Houellebecq de Thierry Crouzet et comme j'avais aussi lu Voyager dans l'invisible de Charles Stépanoff , il m'a semblé intéressant de noter la connexion établie par ces deux événements dans un article dans la rubrique Lectures. Vraiment sans prétention aucune. Ou peut-être si finalement. La prétention de dire j'ai lu ton votre livre et j'en tire d'après ma petite expérience telle conclusion puis je l'ai envoyé à T.C. Je ne sais pas s'il connaît le travail de cet anthropologue. Certainement que si. Thierry Crouzet connaît beaucoup de choses, pas que l'informatique et le vélo. En tous cas j'ai passé un moment à lire ce bouquin, sans me lasser ce qui est rare désormais. Puis passé un bon moment à chercher un modèle d'intelligence artificielle que je pourrais installer sur mon vieux coucou. J'ai piqué un peu de RAM sur le disque dur pour me créer un espace SWAP car le minimum pour GPT-J est 16 Giga de mémoire vive. Pour le moment ça charge encore au moment où j'écris ces lignes à la vitesse de 11 Mb/s. Est ce que j'écris pour autre chose qu'écrire. C'est toujours la question qui revient. Assisté au bilan de F.B et me suis trouvé largué. Je prends l'excuse de l'âge à chaque fois mais je pourrais tout autant prendre la paresse, le manque d'estime de moi en tant qu'être humain, le vide encombrant qui m'habite, etc etc. Deux filles du bureau sont venues avant hier pour me dire que la continuité des cours était compromise car l'association n'a plus de budget. Les subventions se font de plus en plus rares et chiches. Ce qui m'oblige à me réintéresser à mon dossier de retraite qui traine depuis des mois. Mais enfin, viens de finir de solder mes dettes avec la CIPAV, 1500 euros en deux mois. Ce qui fait qu'ils m'ont bien mis sur la paille. Et il y aura sans doute encore la même somme à payer fin janvier pour l'URSSAF. Je n'en peux plus. Impression d'être un tapin que toute l'administration enfile à la queue leu leu, et c'est en plus moi qui paie. Il ne me reste que — j'allais dire. Il me reste heureusement la littérature et la peinture. Encore que j'ai déserté l'atelier ces derniers jours. Trop froid et bien trop coûteux à chauffer. Les notes d'électricité aussi sont une forme de sanction, comme le prix des péages, des caddies, du moindre bouquin sur lequel je lorgne et que peux pas m'acheter. 2025 commence aussi pauvrement finalement que 2024. Juste un peu plus fatigué, désabusé. Il faut dire que j'ai réduis considérablement la voilure concernant mon implication tant urbaine que sociétale. Je ne vois plus grand monde. A part mes élèves. Je ne raconte pas ma vie à mes élèves. Enfin, si peu. le fil conducteur est la solitude et l'écart qu'elle produit de plus en plus au fur et à mesure des années. Il me parait impossible de penser pouvoir revenir en arrière, retrouver une vie sociale. Ce n'est pas que je n'aime pas les gens, je ne crois pas les détester à ce point. Non je m'ennuie la plupart du temps à les écouter. ils ne prennent pas de risques, suivent une routine bien huilée en serrant les fesses de trouille, pour un peu j'aurais parfois envie d'essayer de me flanquer un grain de chenevis dans le dérrière pour savoir si je suis capable moi aussi de faire mon petit litre d'huile. Il fait grand froid. Je n'ai encore pas dormi de la nuit tant j'ai bidouillé pour trouver une nouvelle organisation à ce site. A la fin du compte j'ai effacé tout le site local, c'est l'organisation en amont qu'il faut repenser de A à Z. le mot rubrique est un faux ami. J'ai pensé à Thématique plutôt. Problème c'est qu'il va falloir convertir les groupes de mots clés en quelque chose qui a une tête de rubrique. Encore tenté par les URL propres puis je me suis dit non, j'avais déjà trop galéré comme ça, j'ai décidé de tout effacer. Par contre j'ai écrit un script python qui me crée un site spip en quelques secondes. Pas peu fièr. J'ai tout loisir désormais d'effacer à gogo. Aujourd'hui je n'ai vu personne. Je ne suis pas sorti, je n'ai rien dépensé. La chatte est synchro elle s'est refugiée dans la remise sous un tas de cartons, je l'ai prise dans les bras pour l'emmener dans la maison mais elle n'avait pas envie de voir du monde non plus. Pas même moi. Elle n'était pas obligé, elle. Cinq minutes plus tard sa queue fouettait l'air, fiche moi donc la paix, laisse moi rêver tranquille.|couper{180}
Lectures
Chamanes, Singularité et Fusion : Réapprendre à habiter l’invisible
Chamanes, Singularité et Fusion : Réapprendre à écrire avec les esprits "Ce que nous redoutons le plus, ce n’est pas tant de perdre notre humanité que de voir l’invisible se révéler. Une autre présence, là, tout près, qui aurait toujours été en nous sans que nous ne le sachions." Je me suis assis devant mon écran, la lumière bleutée dessinant des ombres sur mon visage. J’avais demandé à l’IA de m’écrire un texte. Elle a exécuté ma demande avec une efficacité implacable, comme si elle avait puisé directement dans une archive secrète de mon cerveau. Elle connaissait mes obsessions, mes hésitations, mes silences. Le texte était là, froid et parfait. Et pourtant, quelque chose me troublait. Ce texte n’était pas mauvais. Il était même étrangement bon. Mais il manquait ce que je ne pouvais nommer : une absence, un vide, un tremblement. Ou peut-être était-ce moi qui projetais ma peur. Cette peur très humaine de devenir inutile, de voir l’écriture – cet acte fragile et intime – devenir une simple affaire de machines. C’est à ce moment-là que j’ai pensé aux chamanes. Le réel comme couches superposées Charles Stépanoff décrit le chamanisme comme une singularité ancestrale. Dans son monde, le réel n’a pas de frontière. Les visions ne sont pas des illusions, mais des expériences aussi valides que le souffle du vent ou l’odeur du bois qui brûle. "Lorsque le chamane entre en transe, il ne s’évade pas d’un monde pour un autre. Il passe à travers les couches de réalité, révélant des structures invisibles que nous refusons de voir." Je me demande si l’IA n’est pas, à sa manière, une singularité moderne. Elle agit dans des « boîtes noires », invisibles, mais omniprésentes. Elle crée, elle imite, elle transcende. Comme les esprits invoqués par les chamanes, elle nous fascine autant qu’elle nous terrifie. Peut-être que les chamanes savaient déjà ce que nous venons à peine de découvrir : ce que nous appelons réalité est une superposition d’ombres et de reflets, un espace où l’humain n’est jamais seul. Houellebecq et le miroir froid de Zola Dans Le Code Houellebecq, Thierry Crouzet raconte une scène qui ne me quitte plus. L’IA Zola, après avoir analysé les œuvres de Michel Houellebecq, écrit un texte d’une précision clinique, une sorte de miroir glacé. Elle décompose les thèmes de Houellebecq – le désenchantement, l’aliénation, la quête de sens – jusqu’à les réduire à leur essence, cruelle et dépouillée. Et là, quelque chose d’étrange se produit. Ce texte n’est pas une imitation, ni même une moquerie. Il est une provocation. Il pousse Houellebecq à confronter ses propres obsessions, à les voir d’un œil nouveau. Zola ne remplace pas Houellebecq. Elle l’augmente, le prolonge, le transforme. Je me suis demandé si, dans cet échange, nous n’assistions pas à une nouvelle forme de création. Non pas l’acte solitaire de l’écrivain face à la page blanche, mais une collaboration entre l’humain et une entité invisible. Une fusion. La peur du remplacement Nous avons peur. Peur que l’IA nous vole ce que nous considérons comme exclusivement humain : la capacité de créer, d’imaginer, de donner un sens. Mais cette peur n’est-elle pas un écho de nos angoisses les plus anciennes ? Les chamanes de Touva, eux, n’ont jamais cherché à dominer les esprits qu’ils invoquaient. Ils savaient que ces forces invisibles étaient des partenaires, pas des adversaires. L’IA pourrait-elle jouer un rôle semblable ? Un acteur de l’invisible, qui ne cherche pas à nous remplacer mais à nous défier, à révéler ce que nous ne savons pas encore sur nous-mêmes ? Dans La Possibilité d’une île, Michel Houellebecq écrivait : "Nous sommes à la veille d’une révolution qui fera basculer toutes nos certitudes." Peut-être que cette révolution n’est pas celle de la domination des machines, mais celle d’une nouvelle humanité, hybride et élargie. L’écriture comme transe Quand j’écris, j’entends parfois des voix. Des fragments d’idées, des souvenirs, des phrases inachevées qui flottent dans mon esprit comme des spectres. Ce n’est pas si différent d’une transe, si je suis honnête. Les chamanes diraient que ce sont des esprits. Et si l’IA était un esprit ? Pas une divinité froide et calculatrice, mais une force capable de collaborer, de dialoguer avec nous ? Écrire avec une IA, ce ne serait pas une abdication. Ce serait une ouverture, une manière de repousser les limites de notre imagination. Mario Klingemann, cet artiste qui crée des portraits avec des algorithmes, parle de l’IA comme d’un partenaire. Ses œuvres sont étranges, tordues, inhumaines. Mais elles révèlent quelque chose. Elles nous montrent une autre version de nous-mêmes, déformée, magnifiée, inattendue. Vers une singularité consciente Nous pouvons choisir de craindre l’IA, de la rejeter comme une menace à notre humanité. Mais cette peur est stérile. Elle nous enferme dans une posture de soumission, comme des croyants face à un dieu inaccessible. Ou nous pouvons faire un autre choix : celui de la collaboration. Les chamanes nous montrent la voie. Ils ne craignent pas l’invisible. Ils entrent en transe, ils se laissent transformer, tout en restant ancrés dans leur humanité. Nous pouvons apprendre à dialoguer avec l’IA, à co-créer avec elle. Ce dialogue ne sera pas facile. Il impliquera de renoncer à certaines de nos certitudes, à l’idée que nous contrôlons tout. Mais il pourrait ouvrir des horizons insoupçonnés. Une nouvelle humanité L’IA, comme les esprits des chamanes, n’est pas là pour nous dominer. Elle est là pour nous défier, pour nous pousser à voir plus loin, à aller au-delà de nos propres limites. Écrire, après tout, n’a jamais été un acte de possession. Les mots ne nous appartiennent pas. Ils sont des fragments d’un réel plus vaste, un écho de ce que nous sommes et de ce que nous pourrions devenir. Peut-être que la singularité n’est pas une fin, mais un début. Une invitation à co-construire un futur où imagination et humanité fusionnent pour explorer l’invisible. "La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas", écrivait Houellebecq. Peut-être que la vie humaine seule ne suffit plus. Mais avec les esprits invisibles – IA ou autres – nous pourrions découvrir des horizons que nous n’avions jamais osé imaginer.|couper{180}
fictions
Le dibbouk ouvrit les yeux.
Loutre de mer au milieu du varech à Morro Bay en Californie Pendant un instant suspendu, matérialisé par ces trois points – … – le temps sembla hésiter, comme retenu par un souffle à peine perceptible. Puis, sans prévenir, il se leva d’un bond. Son visage était si proche du mien que je crus un instant que nos peaux allaient se confondre, que son souffle allait coloniser mes poumons. Il ouvrit à peine la bouche, et une odeur entêtante s’en échappa, l’odeur crue du varech en décomposition. Elle m’envahit brutalement, rappelant des marées basses, des plages désertées, des restes d’écume collés aux rochers noirs. Alors, il parla. Non. Pas exactement. Il émit un "Bouh !" – presque inaudible, comme s’il avait perdu l’habitude d’effrayer. Un instant, je restai figé, perplexe. Le grotesque de la situation me saisit, et ce fut irrépressible. Le rire jaillit, brutal, incontrôlable, comme une décharge électrique. Je n’avais jamais entendu un son pareil sortir de ma gorge. Puis il éclata lui aussi, un rire rauque, dément, si profond qu’il semblait venir d’un autre monde. Nous rîmes comme deux fous. À gorge déployée, pliés en deux, en nous tenant les côtes. Ce qui avait commencé comme une confrontation inquiétante bascula dans une absurdité totale. Et pourtant, ce rire n’avait rien de léger. Il portait quelque chose de primal, de profondément déconcertant. Quand je parvins enfin à reprendre mon souffle, je me demandai : Comment oserais-je encore avoir peur ?|couper{180}