Ça te passe dessus, ça te remplit et puis ça te vide. Ça dit : "Faut t’y faire mon vieux, je vais t’apprendre comme jamais." Ça dit : "C’est ça l’amour mon gars, hein que t’y croyais pas, putain l’amour."
Tu vois, l’amour c’est comme un chien, l’amour c’est comme une chienne. Ça te lèche, ça remue la queue, ça te mordille, te fait des compliments, des battements de mains, des applaudissements, des battements de cœur, des papillons blancs, des battements de cils, des regards doux, des regards noirs. Mais c’est rien que du flan, c’est inventé comme le pognon, c’est un flux, des statistiques, un algorithme, une infographie mise à jour, des prêts, des échéances, des échanges, au jour le jour - pour que tu crois que tout ça c’est vrai.
En vrai, rien que des mensonges, de ceux qui accouchent de grands immeubles, de zones industrielles, d’usines, de barres de béton à la périphérie des cités, avec bien sûr de pauvres petits squares, des réverbères bousillés, des papiers gras au sol, des capotes dans les fourrés. Avec des vieux assis seuls sur des bancs publics, des patients trop patients qui crèvent seuls, des clebs déboussolés, errants. Des junkies qu’ont des tronches de zombies, toujours en quête d’une indicible étoile, un trou du cul, une nouvelle dose, et des gosses, des enfants de salauds d’à peine dix ans qui reluquent la grosse chatte poilue de Simone la salope sur Jacquie et Michel.
Putain l’amour ! Tu croyais quoi sinon, aux conneries de Walt Disney ? À la Belle au bois dormant ? Au carrosse de Cendrillon ? T’en as ramassé combien dans ta vie merdique des pantoufles de vair ? Et tu crois qu’ils y croient vraiment ceux qui te font toujours croire que l’amour est charmant ?
Et même ta haine de l’amour, de ce putain d’amour, elle est prévue mon gars, c’est une réclame, une pancarte publicitaire que tu portes gratuitement sur la tronche. Et tu vois petit con, eh bien ça, c’est encore, et c’est toujours de l’amour.
Mais hurle nom de Dieu ! Ça continue, on ne peut pas l’arrêter, ça continuera encore longtemps comme ça, sûrement très longtemps, éternellement, putain l’amour, putain l’amour. Et quoi, t’as plus un rond ? Allez au taf, va te faire aimer, dégage.
Rage
Pour continuer
fictions
nom remis en relation
Une fable sèche sur l’adresse, la tenue, et ce que coûte un nom.|couper{180}
fictions
bouffées de clarté
Toujours en éveil, le mot bouffée revient tout à coup, probablement accroché encore à la journée d'hier où sortant dans la cour je levai les yeux au ciel qui venait d'être comme nettoyé de neuf par le vent. Une bouffée de clarté, j'ai alors pensé, comme un éclair de lucidité. Et tout de suite se sont enchaînés les instants semblables où j'avais ainsi levé la tête, éprouvé une sensation semblable. Il ne saurait y avoir de classement chronologique. ce n'est pas ça, c'est plus une idée de fil conducteur de l'éblouissement, un éblouissement du à un trop plein de clarté. Il serait sans doute utile de retrouver les contextes, les lieux, les êtres, les phrases prononcées et qui je n'en doute pas participent tous de la convergence d'un tel moment taxé de spectaculaire par la limpidité que j'y retrouve. Mais cela non plus serait probablement stérile, ce serait raconter des histoires. Une bien meilleure hypothèse serait celle d'un narrateur, un personnage renonçant systématiquement à décrire ou à vouloir expliquer ces infimes moments de grâce. Une forme d'avarice se mélangeant avec une pudeur augmentant au fil des années.|couper{180}
fictions
fait divers
La chaise a dû heurter le carrelage, bruit bref, net. Dans l’évier, deux tasses, marc collé au fond. Courbevoie, cinquième, fenêtre entrouverte, rideau qui remue à peine. Je dis “fait divers” pour me protéger du reste (comme si le mot suffisait). On raconte qu’ils se voyaient depuis un moment. Il aurait voulu “arrêter de parler”. Ou qu’elle se taise. Formule pratique. Ce serait plutôt se taire lui-même, mais je retire ce “plutôt”. Ce matin-là, la télévision chuchotait. Sur la table, un couteau à manche de bois, détail inutile, donc important. On aime ces détails quand on n’a plus accès au reste. On dira qu’il a eu peur. On dira qu’elle l’a poussé. On dira tout et son contraire. Est-ce qu’on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? La paix ou raison, c’est souvent la même manie, deux faces du même couteau : clore la scène, distribuer le silence, ranger vite le plan de travail et ne rien régler. On croit qu’une phrase finale mettra de l’ordre. Elle met un couvercle. Le lendemain, tout recommence, plus bas, plus sourd. Je regarde la fenêtre. L’air passe. Rien ne conclut.|couper{180}
