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Carnets | septembre 2022

Créativité et Serendipité

Lorsque l'on parle des " créatifs", à quoi pense tu immédiatement ? Est ce que tu n'es pas en train de penser à ces personnes stressées qui boivent des litres de café, fument comme des pompiers, s'agitent dans tous les sens de façon apparemment désordonnées ? Tu les vois peut-être aussi se prélasser sur un divan pendant des heures en ayant l'impression qu'ils ne fichent rien ? Ou alors tu as des images de grandes salles open-space avec des types qui jouent au baby pendant que d'autres ont la tête dans leur écran les yeux explosés et une barbe de 3 jours ? Voilà quelques clichés concernant la créativité. Quand à la définition que donne par exemple Wikipédia : "La créativité décrit — de façon générale — la capacité d'un individu ou d'un groupe à imaginer ou construire et mettre en œuvre un concept neuf, un objet nouveau ou à découvrir une solution originale à un problème. Elle peut être plus précisément définie comme « un processus psychologique ou psycho-sociologique par lequel un individu ou un groupe d'individus témoigne [d'imagination et] d'originalité dans la manière d'associer des choses, des idées, des situations et, par la publication du résultat concret de ce processus, change, modifie ou transforme la perception, l'usage ou la matérialité auprès d'un public donné ». Elle croise notamment la créativité individuelle avec la sérendipité ; l'aptitude à utiliser des éléments trouvés alors qu'on cherchait autre chose. Opérationnellement, la créativité d'un individu ou d'un groupe est sa capacité à imaginer et produire (généralement sur commande en un court laps de temps ou dans des délais donnés), une grande quantité de solutions, d'idées ou de concepts permettant de réaliser de façon efficace puis efficiente et plus ou moins inattendue un effet ou une action donnée..." La créativité, tu l'as compris, doit avoir un but ! Et c'est là que l'on peut discuter des raisons pour lesquelles tu hésites à peindre par exemple car tu te demandes aussitôt dans quel but ? Est ce que c'est parce que ça te détend de peindre ? Est ce que tu penses que tu as du talent et que tu vas pouvoir vendre des tableaux ? Est ce que tu as parié avec toi-même que tu étais capable de réaliser des tableaux ? Est ce que tu crois que tu es un génie et qu'il faut quand même que tu offres au monde quelques preuves de celui ci ? Et du coup je peux te poser une question ? Et si la créativité était une fonction naturelle que l'on retrouve aussi bien chez l'être humain, la plante et l'animal ? Et si la créativité c'était l'art de jouer avec les circonstances de la vie ? Et si en peinture il suffisait d'oser faire confiance à sa main et à ses yeux pour être créatif ? La sérendipité toujours d’après Wikipédia : "La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d'un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d'une recherche concernant un autre sujet. La sérendipité est le fait de « trouver autre chose que ce que l'on cherchait », comme Christophe Colomb cherchant la route de l'Ouest vers les Indes, et découvrant un continent inconnu des Européens. Selon la définition de Sylvie Catellin, c'est « l'art de prêter attention à ce qui surprend et d'en imaginer une interprétation pertinente ». En France, le concept de sérendipité adopté dans les années 1980, prend parfois un sens très large de « rôle du hasard dans les découvertes ». Alain Peyrefitte avait fait un usage sans rapport du conte oriental Voyages et aventures des trois princes de Serendip de Louis de Mailly en 1976, dans Le Mal français. Sa généralisation a fait l'objet de remises en cause, le hasard intervenant toujours, par définition, dans une découverte ou une invention. On ne peut connaître que ce qui existe déjà, et le sentiment à la vue d'une chose nouvelle se confond aisément avec la surprise d'un événement fortuit. D'un autre côté, on ne trouve jamais que ce qu'on est préparé à voir. Parmi les nombreux exemples de découvertes et inventions liées au hasard, figurent notamment le four à micro-ondes, la pénicilline, la dynamite, le Post-it, le Téflon, l'aspartame, le Viagra, ou encore le super-amas galactique Laniakea. L'existence de la sérendipité est un argument fréquent dans le débat public pour défendre des options d'organisations interdisciplinaires contre la tendance à la spécialisation croissante des champs qui résulte de l'approfondissement des recherches. Cet argument se trouve particulièrement à propos de l'organisation de la recherche." Alors pourquoi je te parle de sérendipité. Si tu débutes en peinture tu vas trouver que ce que tu fais est souvent moche et bon à jeter à la poubelle ... parce que tu te compares à des tableaux connus. Si tu faisais abstraction de ce que tu connais tu verrais ton travail complètement différemment. Ensuite il faudra affronter le regard des autres mais maintenant, tu connais la musique, c'est pas bien grave n'est ce pas ...?|couper{180}

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Carnets | juin 2022

18 juin 2022

Il y a la nécessité de s’effacer, parfois, pour éviter l’écrasement, céder le passage à d’autres. C’est une chose. Mais il y a aussi l’art de disparaître, de se tenir en retrait pour laisser les choses exister seules, sans intervention maladroite. Non pas par scrupule, mais par lucidité : savoir que notre présence ou notre absence ne changera pas grand-chose. C’est une forme de retrait, une posture qui pourrait sembler zen, vaguement bouddhiste. Du moins dans l’idée que je m’en fais, imprécise, bricolée avec les années. Et pourtant, j’ai souvent fait l’inverse. Sur certains points qui comptent. L’écriture, par exemple. La peinture, elle, c’est réglé depuis longtemps. Je sais m’effacer. Par lâcheté. Il y a aussi une autre manière d’être en retrait : en étant pleinement soi. L’écriture permet ça. Avec un risque : une seconde d’inattention et tout s’effondre. On peut croire avoir bouclé quelque chose alors qu’en réalité, tout est à reprendre. La relecture, la réécriture : c’est là que tout se joue. Là qu’on distingue le bavardage du reste. Mais il faut ce bavardage. Sans lui, impossible de saisir ce qu’on cherche à dire. Comme en peinture, il faut accepter le désordre, le laisser vivre, l’observer sans s’affoler. Il ne faut pas tout prendre trop au sérieux, au début. Y revenir plus tard. Et voir ce qui surnage sous les parasites, la confusion et la maladresse. Illustration : Giorgio Morandi Natura Morta|couper{180}

Autofiction et Introspection peinture

Carnets | mai 2022

Notule 46

Travail d’élève sur papier. Sortir de ses gonds c’est ce qu’on nous propose de ne surtout pas faire, et c’est justement pour cela que je n’hésite jamais. C’est spontané, limpide. Sinon la réserve l’ulcère l’encaissement, le faux fuyant pour revenir comme un boomerang… Donc comme lorsque je commence un tableau je n’hésite pas à dire merde ou bite cul, con, couille ! tout haut. Puis je recule, un mètre ou deux, une journée ou une semaine pour laisser reposer les choses, ou se dissiper l’aveuglement. C’est par ce mouvement seulement que j’ai appris une certaine bienveillance et à créer de la profondeur. Et ma foi si c’était à refaire j’emprunterais sûrement le même chemin pour parvenir au même but, même si je voulais faire autrement. Il y a une nature en toute chose, une fois qu’on la découvre l’évidence est un baume.|couper{180}

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Carnets | mai 2022

Notule 42

L'impression première de désordre sur la toile ne provient que d'une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement. Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l'ordre. Et qui est d'ailleurs à terme un fantasme. L'ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l'aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie. Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ? Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s'appuie une communauté et simultanément à ce refus de s'y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas. Le désordre peut donc provenir d'une révolte bien sur, comme d'un doute, d'une inaptitude à faire confiance au groupe. Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d'un but dans l'avenir. Ce but on ne le connait pas d'une origine. C'est juste la certitude qu'il y en a un qui joue le rôle de combustible. Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d'entrée de chacun de mes tableaux. Cependant lorsque je veux " ranger" c'est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j'accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres. D'où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions. Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours. Et si je m'étais trompé ? Et si tout cela n'était que de la merde ? Et si j'étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu'un bœuf ? C'est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n'est tenable. Et il est probablement nécessaire aussi d'en douter fortement, par période, pour remettre un peu d'ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion. Car s'extraire de la gravité, trouver le point exact où s'effectue la sortie, l'évasion... l'antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l'observation. On peut résumer les choses plus simplement. Il n'y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l'infini s'appuie pour s'élancer plus avant sur le fini. Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c'est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas. Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu'elle puisse ne pas se partager, qu'elle puisse ne jamais se partager et continuer. La certitude qu'un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n'y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n'a pas trouvé.|couper{180}

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Carnets | novembre 2021

La peinture "médianimique"(notes sur l’art brut)

Du spiritisme aux théories sur le hasard.Le hasard est comme un iceberg, on n'en voit que la partie visible, celle du temps présent. Pour en revenir à l'art brut Je me suis mis en tête de trouver différents angles d'attaque non pour définir ce qu'est celui-ci, mais afin de suggérer un certain nombre de pistes qui me paraissent fécondes dans ma façon d'aborder la peinture aujourd'hui. Si désormais le mot hasard revient de plus en plus dans ce que je peux recueillir des processus (les miens et aussi ceux de nombreux autres artistes dont j'ai pu déchiffrer la démarche) concernant la peinture abstraite, je me demande ce que recouvre véritablement ce mot. Car dans le fond et à la vue de la pudibonderie de notre temps recouvrant d'un voile de pensée mainstream tout ce qui a déjà été exploré dans les mines des hauts de France par ce qu'André Breton nommait des peintres médianimiques, notamment Augustin Lesage, j'ai des doutes tout à coup, et je me demande si ce terme facile de hasard n'est pas en quelque sorte de la pudeur plus que tout autre chose. Et lorsque j'emploie ce mot je parle évidemment du paradoxe excitation-gène qui finit par le rendre addictif Il ferait beau voir que je me targue de peindre, en public et en plein jour, à l'écoute de voix qui me dicteraient tel rouge ou tel jaune, qui s'empareraient de mes mains pour tenir le pinceau et lui faire dessiner et peindre des œuvres directement issues de l'Au-delà. J'avoue que j'aurais bien du mal à tenir longtemps ce discours sans pouffer à un moment ou à un autre, idiot que je suis , contaminé par la raison bulldozer le rouleau compresseur de la sainte pensée unique. Voici pourquoi le hasard convient mieux essentiellement, il ne sert qu'à rester dans le groupe, à ne pas être expulser à la marge. Je pourrais aller chercher des arguments concernant ce fameux hasard que l'on utilise désormais à toutes les sauces dans le domaine de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie, ce ne serait encore que science sans conscience, et donc ruine de l'âme par ricochet. J'entends ici la conscience au sens le plus large, c'est à dire la perception et qui dépasse de mille coudées l'entendement et tout le bric à brac raisonnable justement qui l'accompagne. Il n'y a pas de raison sans perception Suivant l'adage rien ne peut venir à la raison sans provenir avant tout de la perception. Encore faut-il s'entendre sur la définition de ces deux mots évidemment. Si le but de la raison est seulement d'avoir raison, autant se jeter dans la perception totalement. C'est d'ailleurs la motivation principale de ce projet de textes autour de l'art brut. Mon intuition est qu'il est une porte ouverte sur la perception à l'état pur (brut ?) et que tout le discours que l'on peut tisser pour tenter de l'emprisonner, notamment le discours habituel de l'élite lorsqu'elle invente comme cela l'arrange des théories fumeuses sur tel ou tel artiste ne sert encore qu'à dissimuler en grande partie ses sources les plus vives. Nous nous sommes coupés de par cette fameuse raison avec sa logique mondialisée et blasée et désormais par crainte du ridicule aussi, de bien des conversations que les intellectuels, les écrivains, les artistes du 19eme siècle, abordaient notamment sur le spiritisme. Serions nous plus intelligents que nos prédécesseurs où plus désabusés ? Serions nous aujourd'hui plus intelligents au 21ème pour déclarer que les théories du hasard , de la psychanalyse, de l'inconscient valent mieux que ce sur quoi s'appuyaient de nombreux écrivains du 19ème pour cerner le fantastique, le mystère, l'ineffable ? Aujourd'hui on voudrait que tout soit logique tellement que cette quête en devient insensée et ne produit plus qu'un chaos généralisé. Il peut alors être sage, et c'est un pas de géant sans doute vers l'humilité que d'accepter que ce que nous appelons le hasard aujourd'hui est synonyme d'inconnaissable. Un inconnaissable qui continue à attirer vers lui de nombreuses personnes pas toujours bien intentionnées et qui chercheraient évidemment encore à contrôler quelque chose au travers lui. A contrôler les autres évidemment. C'est à dire qu'il représente peut-être le même genre de Nouveau Monde vers lequel voguaient les caravelles, presque en même temps que la Peste Noire envahissait l'Europe, sauf l'Italie ce qui permit à la Renaissance d'y germer puis de se déployer peu à peu dans une Europe convalescence en quête d'un sens nouveau. La grâce ne s'avance pas seule hélas, elle s'accompagne de phénomènes périphériques liés le plus souvent à la vanité et à l'orgueil, au profit que l'individu espère tirer de l'inconnaissable pour gouverner et exercer son pouvoir sur l'autre. Ainsi la découverte du Nouveau Monde, par une nuit du mois d'octobre 1492, s'effectua t'elle totalement "par hasard" lorsque les deux caravelles, la Pinta, la Nina et une caraque, à la recherche d'une route vers les Indes Orientales, abordèrent la petite île de Guanahani, actuel Salvador, dans les Caraïbes. La raison pour laquelle Christophe Colomb dont le projet était de découvrir cette fameuse route, après plusieurs échecs de financement fut finalement commandité par la reine Isabelle 1ère de Castille ( elle fut financée en grande partie, cette expédition , par les taxes et les amendes imposés alors aux juifs et musulmans du royaume) était de toute évidence principalement commerciale, et dans l'espoir d'augmenter les profits. Possible que chaque époque rêve d'un nouveau monde Les psychanalystes justement parleraient d'un phénomène récurrent, de répétition qui s'effectue aussi longtemps que l'on n'a pas résolu le conflit qui en est à l'origine. Ce rêve permanent qui traverse l'histoire de l'humanité selon les époques se dissimule sous des couches superficielles que l'on peut appeler l'intérêt, le profit, le pouvoir, c'est à partir de ces couches les plus superficielles dont s'entoure ce rêve que nait l'histoire telle qu'on veut nous l'enseigner. Il me semble que nous sommes certainement la partie du monde, occidentale, qui a le plus besoin de revenir à ce rêve sans relâche du fait que notre pensée contemporaine se développe désormais totalement coupée elle aussi de ses racines sacrées. La pensée se développant en occultant une grande partie de la perception du sacré. Le reléguant comme phénomène mineur, périphérique, anecdotique, ce qui est sans doute une grande erreur provenant de notre individualisme. Le besoin de croire, d'imaginer, de rêver, n'est ce pas cela l'essence même d'être humain avant tout ? Et tous ceux qui en ont profité depuis la nuit des temps le savent et continue d'en profiter tous les jours. Si ce n'est plus par la religion, c'est par le marketing, par la pub, par l'art, par le sexe, par l'amour. Tout est bon désormais pour vendre du rêve, mais ce ne sont plus que des rêves en toc. Et avec l'inflation de nos rêves est directement atteinte notre force vitale. C'est pourquoi l'art brut me semble aussi être une voie, un sentier sur lequel cheminer dans la brume de cet automne occidental. Ce projet de m'intéresser de façon sérieuse, documentée, à l'art brut ne date pas d'hier. Sans doute parce qu'en grande partie je me sens moi-même comme un électron libre face à l'Art, à la peinture notamment, malgré tout le savoir engrangé, malgré les études, malgré l'expérience acquise, le mot autodidacte me colle à la peau. En refusant le cheminement classique qui sans doute déjà représentait ce que l'on appelle aujourd'hui la pensée unique, sans vraiment le savoir je m'engageais dans le risque, dans l'inconnu, avec une croyance naïve propre à tous les jeunes gens de faire du "nouveau", "du neuf", "de l'original". Encore que lorsque je pense à cette naïveté aujourd'hui les mots dont je l'entourais ne me servaient sans doute qu'à préserver, ou éprouver celle-ci. Lorsque j'ai vraiment commencé à peindre, je ne parle pas des années de formation, mais de cet instant où justement j'ai accepté de ne rien savoir pour déposer mes premières taches sur le papier et sur la toile, j'ai senti quelque chose s'emparer de mon crayon, de mes pinceaux et que j'ai presque aussitôt mis de coté tant cette chose m'effrayait. Je me souviens d'une grande feuille de papier de 2m par 1m que j'avais punaisé au mur de la chambre où j'avais échoué et sur laquelle avaient surgit des formes et des visages du type Maori. Je peignais déjà comme je le fais aujourd'hui, en refusant de prendre des modèles, je me disais que tout devait venir de l'imagination ou rien. Cela m'a beaucoup intrigué de voir apparaitre ces visages, des femmes aux formes généreuses, réalisées à la gouache. A un moment du tableau j'ai même eu une étrange sensation de familiarité avec le personnage principal du tableau. Et je me souviens de m'être dit c'est moi dans une autre vie. Cela parait évidement totalement loufoque à la lumière de la raison. Et puis je ne mangeais pas tous les jours à ma faim, et puis j'étais tout seul durant des jours à ne parler à personne, sans doute peut on attribuer toute cette histoire au malheur et à un besoin compréhensible de sublimation. Bref, en comprenant que je glissais vers une douce folie, j'ai décidé de m'imposer une plus grande discipline. Je me suis intéressé à la façon de gagner de l'argent pour pouvoir me nourrir correctement, j'ai fait de l'exercice, principalement de la marche, et je me suis rendu dans de nombreuses bibliothèques de la ville pour côtoyer du monde, sans pour autant avoir à lui parler. Enfin j'ai ôté du mur ce grand tableau que j'ai roulé et rangé sous le lit. Pour remettre aussitôt une autre feuille du même format au mur et recommencer. A ma grande stupéfaction je vis apparaitre alors un personnage de l'ancienne Egypte, puis un autre et tout un décor étrange que je n'avais de mémoire jamais vu et qui pourtant me parut aussitôt familier. Il s'agissait d'un couple dont j'étais le serviteur, peut-être un modeste scribe. Quelques années plus tard je travaillais au musée du Louvres comme maître Jacques et je tombai tout à coup sur le Scribe accroupi dans les salles Egyptiennes. Le choc fut d'une violence telle que je faillais tomber dans les pommes. C'était comme si je me voyais soudain dans un miroir, mais dans la peau d'un autre. Et aussitôt je repensais à cette peinture que j'avais effectué comme en transe dans ma petite chambre d'hôtel et qui représentait une scène de l'ancienne Egypte. Il y a donc bien malgré toute la raison que je me targue de posséder une porosité certaine par laquelle le mystère l'étrange, l'inconnu se fraie depuis toujours un chemin pour tenter de parvenir à ma conscience. Et à chaque fois le même scénario recommence, je me dis que je deviens cinglé, que j'ai des hallus, que c'est probablement une carence en potassium ou en magnésium. Bref j'élude. Et en même temps je ne peux me détacher totalement de cette part de moi-même vulnérable, enfantine, qui semble attirée obstinément vers tous les contes à dormir debout, vers le surnaturel, vers le hasard. C'est là sans doute l'essence même du conflit qui m'habite depuis toujours, cette lutte permanente entre raison et déraison et je ne saurais dire laquelle de ces deux forces en présence a le dessus tant elles sont équivalentes dans leur puissance. La lucidité me sert à examiner ce que l'on appelle facilement la folie et cette dernière ne cesse de remettre en question la fiction que représente pour elle la pensée logique, rationnelle. C'est ainsi que j'avance et recule sans arrêt dans ce jeu de l'oie. Avec parfois la sensation d'atteindre à la clarté tandis que d'autres fois je m'enfonce comme un bouchon dans les profondeurs les plus troubles, les plus sombres, les moins explicables. Le fantasme de retrouver un cœur pur Par ce projet d'étudier l'art brut, j'espère résoudre sans doute un peu plus ce conflit mais je vois déjà qu'il ne s'agit pas de trouver une solution plutôt que d'effectuer un choix comme dans le film "les aventuriers de l'Arche perdue" où le héros doit emprunter un pont invisible. Poser le premier pas dans le vide c'est faire acte de foi envers cette folie, cet inconnu. C'est aussi selon les règles posséder un "cœur pur". Est ce que ce que j'imagine de ces artistes de l'art brut n'est pas tout simplement encore une sorte de fantasme ? Est ce qu'ils ont véritablement le cœur pur ? C'est à dire est ce qu'ils ont préservé en eux la meilleure part de cette enfance que nous regrettons souvent nostalgiquement et qui sans doute n'est rien d'autre qu'une fiction comme tout le reste ? Souvent je repense à mes débuts en informatique et je me dis qu'ils ressemblent beaucoup à mes débuts en peinture. Je crois que j'ai passé de nombreuses années à reformater mes disques durs lorsque je découvrais tout à coup que j'avais rempli leur mémoire de tout un fatras de choses inutiles. De même que j'ai recouvert d'innombrables toiles d'enduit pour ne plus voir les sottises que j'y avais dessiné ou peint. Cela fait longtemps que je ne formate plus et que je recouvre beaucoup moins d'enduit qu'auparavant. Je crois que ce besoin d'ordre, de perfection, comme de cette fameuse pureté m'ont quitté avec l'âge. Je suis plus tolérant envers moi-même. Encore que très exigeant toujours. C'est à dire que cette exigence s'appuie sur autre chose désormais. Peut-être pas tant d'avoir un cœur reformaté , un soi disant cœur pur, ce genre de cœur qui mène à l'inquisition et au fascisme sans même que l'on s'en rende compte. Je crois que c'est plus une notion musicale de justesse qui m'oblige à cette exigence. Si la note n'est pas juste c'est que l'instrument est mal accordé ou que le joueur s'écoute encore trop jouer. Il est possible alors que ces artistes qui ne s'appuient pas sur la pensée, sur la logique, la rationalité pour créer, ces artistes de l'art brut, ces artistes médianimiques ont trouvé une solution en prenant ce qu'ils nomment les esprits pour se laisser aller à créer ce qui de toutes façons doit se créer. En cela il s'agit encore une fois d'univers particuliers avec des grilles de lectures particulières du monde. J'ai toujours pensé que c'était cela l'essentiel à comprendre, ces langages, ces grilles de lecture. Qu'elles soient pertinemment perçues par le plus grand nombre comme la religion, la politique, la psychanalyse, où bien par une minorité comme le spiritisme, le chamanisme, la peinture intuitive, cela ne remet pas vraiment en question leur rôle de médiatrice avec l'inconnaissable. L'inconnaissable. Hier je me disais encore que j'aimerais voir une chose simple, une feuille, une goutte d'eau, un pot sans tout ce que je ne cesse de coller dessus comme interprétation, que ce soit par le mental et par mes propres perceptions. Je me posais cette question de savoir si ces choses simples existaient vraiment en dehors de moi, sans moi, et comment elles apparaitraient alors dans ce qu'imagine être encore un "absolu". Dans leur essence. C'est là l'extrême de mon orgueil encore très certainement que de vouloir voir au delà de l'être, sans doute au delà de Dieu également. C'est voir ce que Castanéda nomme le nagual au delà du tonal. Est ce vraiment de l'orgueil d'ailleurs, je crois qu'on utilise aussi ce mot comme on utilise le mot hasard. Ce que dissimule l'orgueil est encore autre chose, au delà de la superficialité que l'on attribue à la bêtise, au besoin d'être aimé, à la reconnaissance, à l'envie de dominer, à la peur d'être nu. Chez les grecs anciens, on n'aurait pas compris qu'un héros ne soit pas orgueilleux au même titre que les dieux eux-mêmes l'étaient. C'est de cet orgueil là dont il faudrait parler, un orgueil comme une force et qui n'aurait pas d'autre profit de celui de pouvoir se déployer comme la mer se déploie, comme le tonnerre tonne, comme le vent parcours le monde. Je demande pardon au lecteur pour la longueur inconsidéré de cet article que je devrais sans doute remanier comme de nombreux autres. Mais cela me semble aussi honnête de montrer la naissance d'une pensée, d'un projet à ses débuts. C'est aussi montrer d'une certaine manière un début d'obéissance à quelque chose qui s'écrit au travers de ce personnage de blogueur. Parce qu'il n'y a évidemment pas qu'en peinture que la possibilité médianimique s'opère, dans l'écriture aussi, cela je le sais depuis le début.|couper{180}

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Abondance et prolixité.

Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les mêmes choses ; Mais est-ce qu'on se plaint jamais De la prolixité des roses ? (Hugo,Chans. rues et bois, ). Trouver l'équilibre entre l'abondance et la prolixité n'est pas une mince affaire, en peinture comme dans le reste. L'abondance émerveille tandis que la prolixité agace, c'est le revers de toute médaille. On pourrait aussi dire plus simplement aller du tout au rien, et aussi tout ou rien comme s'il s'agissait de bornes à ne pas dépasser, à ne pas franchir, une sorte de cadre. C'est aussi une façon d'exprimer l'emploi que nous faisons de l'Energie. Sans canalisation, elle s'éparpille dans les champs et s'enfonce rapidement sous la terre pour rejoindre la nappe phréatique. Parfois elle n'a même pas le temps d'atteindre à la bonne profondeur, le jour se lève, avec lui la chaleur, et l'évaporation. Pourquoi cette bêtise d'ôter les haies, les arbres, les bocages si ce n'est pour courir vers la prolixité des moissons, et le profit. L'ignorance est souvent prolixe car ne sachant rien elle ne cesse de tâtonner dans toutes les directions sans jamais pouvoir se satisfaire d'un lieu, d'un temps où se poser. S'en rendre compte et crier Eureka ne règle qu'une petite partie du problème. On peut comprendre tellement de choses avant de les connaitre. L'abondance est souvent représentée par une corne en spirale large à la sortie, mince à son début. C'est exactement ce que disait mon bon maître Eckhart : Il faut qu’un homme devienne véritablement pauvre et aussi libre à l’égard de sa propre volonté de créature qu’il l’était lors de la naissance. Et je vous le dis, par la vérité éternelle, aussi longtemps que vous désirerez accomplir la volonté de Dieu, et que vous soupirerez après l’éternité et après Dieu, -tant qu’il en sera ainsi, vous ne serez pas véritablement pauvres. Celui-là seul a la véritable pauvreté spirituelle, qui ne veut rien, ne sait rien, ne désire rien. Mince à son début la corne d'abondance s'élargit en effectuant une spirale pour s'achever en une ouverture large. C'est en empruntant cette spirale, semblable à celle utilisée pour le jeu de l'Oie que la prolixité s'affaiblit peu à peu pour se métamorphoser en silence, en vide. C'est ainsi surement que naît la poésie, ce mot moderne de la Grâce. A cet instant il suffirait de presque rien pour qu'un big bang explose et que tout recommence, encore et encore. https://youtu.be/kKsxiwgKShA|couper{180}

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Abondance et prolixité.

Carnets | octobre 2021

Encore une tentative de discours. ( note pour le vernissage de l’exposition)

En tant que peintre il faut que je me souvienne d'une chose importante, tout comme un commerçant devrait encore s'en souvenir aujourd'hui : Le public comme le client est roi ! C'est à dire qu'il peut régner un instant sur ma notoriété, mon prestige, et même pour me le prouver parfois m'acheter quelques œuvres comme cela s'est déjà produit , et j'espère bien que cela arrivera encore. Mais tout roi qu'il est il ne règne pas sur la source de cette peinture, j'ai mis un certain temps à comprendre le mot liberté. Je ne suis pas obsédé par la notoriété, pas plus que par le prestige, et mon travail de professeur me permettant de vivre je ne cours pas non plus outre mesure vers le "chaland" Ce qui me préoccupe souvent en revanche c'est de trouver dans le particulier de ma propre vie, dans l'extraordinaire comme dans la banalité de ma propre vie quelque chose pouvant se décliner de façon universelle. Dans une époque où l'humanisme n'a plus vraiment le vent en poupe c'est assez gonflé je vous l'accorde. Ce soir c'est le vernissage de cette exposition que j'ai voulu nommer "voyage intérieur". Et si j'ai des doutes ils ne portent que sur la qualité de cette transmission du particulier vers l'universel, cet universel qui s'incarne en toi ( public chéri) venu malgré la pluie voir mes tableaux. Peut-être parlera t'on d'esthétique, de composition, de beau et de laid, de force ou de faiblesse, ce ne sera comme d'habitude que le brouhaha naturel accompagnant tout vernissage. Je ne me réjouis pas plus que je ne m'offusque . .et certainement j'essaierai de faire attention à la qualité de silence sous ce brouhaha, pour savoir si c'est un silence paisible ou autre chose. Car c'est à partir de ce silence que la musique, l'harmonie, peut naitre ou pas. Que dire vraiment à haute voix d'un tableau ? Comment dire l'intime ? C'est pour cela que la plupart d'entre nous utilisions les termes j'aime ou je n'aime pas, c'est beau, c'est moche. Quelque chose nous touche en bien ou en mal et nous avons souvent du mal à l'exprimer autrement qu'ainsi. Il n'est pas question pour moi de juger ce brouhaha, ni de me l'approprier en bien ou en mal, c'est l'émanation de cet universel tel qu'il arrive au monde par l'intermédiaire des personnes réunies dans une pièce face à un événement. Car c'est un événement, en tous cas pour moi que de montrer mon travail ici, au centre culturel de Champvillard, à Irigny. C'est un événement pour moi de montrer quelques étapes de ce voyage intérieur qu'est ma vie de peintre, ma vie tout simplement. Je prépare cette exposition depuis longtemps et je l'imaginais exhaustive comme une espèce de rétrospective tant cela me tient à cœur de partager enfin toutes ces découvertes , ces difficultés, ces écueils aussi. C'était évidemment exagéré. C'est là un défaut majeur de cette volonté de partage et probablement aussi des mes doutes perpétuels que de vouloir tout expliquer dans le menu. Ma compagne résume cela beaucoup plus simplement d'habitude , elle me donne un coup de coude discret accompagné d'un "arrête d'en faire des tonnes." J'ai rédigé de nombreux textes depuis plus de deux ans désormais autour de ce moment sans pour autant parvenir à la satisfaction de toucher vraiment au but par les mots. Et c'est normal finalement puisque je passe plus de temps à peindre qu'à écrire. Parmi toutes ces tentatives qui forment à elles seules un voyage intérieur du même tonneau que ce travail de peinture, je retiens un moment tout particulier : les retrouvailles avec l'Estonie, les retrouvailles avec ma mère, les retrouvailles avec cette branche de la famille, maternelle, que je tais parce que je sens, et je ne sais pas si c'est à tort ou raison, que c'est une patate chaude qui arrive de très loin, de bien avant ma naissance. Cette sensibilité exacerbée, l'effusion tout comme la profusion d'amabilité, de gentillesse, la gesticulation font partie de la culture de mes ancêtres baltes tels que je les imagine pour le meilleur et le pire à partir de bribes d'informations reçues dans l'enfance. Sans doute auront ils exagéré en arrivant sur le sol français parce que l'exagération leur permettait à ce moment là de mieux estimer la distance à parcourir avec la langue française, tellement riche de sens, de subtilité, de précision pour accompagner la clarté dans le mouvement de la pensée. Sans doute qu'à un moment donné en auront ils fait eux aussi des tonnes pour trouver leur place ici dans notre beau pays. Ce pays qui fait rêver tous ceux qui décident de voyager vers lui, de tout quitter pour aller vers lui. Ce pays qui se désigne encore comme le pays des droits de l'homme malgré tout ce que l'on peut en dire. Ce pays qui est une idée formidable tellement forte encore malgré le marasme qu'il traverserait et que l'on ne cesse de nous décrire. C'est en ayant à nommer mes tableaux pour des raisons d'assurance, ici même, au centre culturel d'Irigny, que j'ai eu cette idée de trouver des titres en estonien. Car d'ordinaire les titres que je donne à mes tableaux pour les classer sont arides, je n'éprouve pas la nécessité d'orienter vers un sens par un titre. je voudrais toujours que le tableau se suffise à lui-même. Encore une vanité de peintre certainement. Mais je me suis prêté à l'exercice de bonne volonté. Et d'ailleurs lorsqu'en français il faut parfois quatre mots, une phrase pour dire quelque chose, je me suis aperçu grâce au traducteur de Google qu'en Estonien il n'en nécessitait que 1 ou 2. Autant dire que tout à coup je suis tombé sur un paradoxe. Comment un peuple qui réduit autant le nombre de mots pour dire une idée peut il être aussi extraverti ? Puis je me suis souvenu que la seule véritablement extravertie était ma mère. Ma grand mère que j'ai connue lorsque j'étais enfant était une taiseuse, elle avait beaucoup de difficultés à s'exprimer en français. Par contre avait t'elle soudain l'occasion de s'exprimer en estonien elle possédait aussitôt le même débit qu'une italienne. Elle devenait soudain intarissable. Une fois aussi je l'ai vue parler en allemand, et en russe, avec une aisance que je n'aurais jamais pu soupçonner. Ce fut une question importante autrefois de comprendre pourquoi une femme ayant autant d'aptitudes à parler plusieurs langues était récalcitrante à s'exprimer dans la mienne. Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à cette question non plus. Peut-être parce que la question se suffit à elle-même, parce qu'elle m'aura entrainé à m'interroger sur cette grand-mère bizarre et c'est déjà formidable. Il ne faut pas que mon discours soit trop long pour répondre aux règles de l'élégance à la française. il faut que je conserve cette contrainte dans un petit coin de ma tête. Mes tableaux parlent exactement de ça pour résumer, de cette question essentielle : comment dire quelque chose qui ne soit pas trop pesant, ou ridicule, ou qui ne soit pas seulement dans l'emphase, la séduction. Je veux dire quelque chose qui parte du cœur pour rejoindre le cœur et si possible simplement. Il faudrait que je sois poète pour y parvenir ce qui est loin d'être le cas. Parfois je trouvais ma grand-mère peu chaleureuse en comparaison de ma mère. Elle n'exprimait pas ses sentiments et je crois que j'ai mis un certain temps à saisir que ce n'était pas parce qu'elle n'en avait pas à notre égard mon frère et moi, mais parce que sans doute les dire en français, pour elle n'aurait pas signifié la même chose qu'en estonien. il devait y avoir quelque chose de l'ordre de l'à quoi bon pour elle à user du français pour parler de sentiment. Ce qui est aussi la preuve d'une grande intelligence de sa part envers notre langue. Je n'ai pas pu tout mettre, le hasard qui fait toujours très bien les choses se sera servi d'une confusion pour que, dans l'urgence, j'ai encore à tout retrier le jour de l'accrochage. Car une exposition c'est aussi un langage que l'on construit, c'est un choix de vocabulaire, de syntaxe, de conjugaison. Je n'ai pas pu tout dire tout montrer j'ai du refaire un choix dans l'urgence et lorsque j'y pense c'est une chance. Une centaine de tableaux aurait été de trop, et même aujourd'hui que je revisite en pensée cette expo après avoir élagué la moitié c'est encore excessif. Je ne dis pas ça à la légère ou par effet de style. J'écris ce discours comme je peins. D'une façon résolument brouillonne pour me venger des annotations dans la marge d'autrefois aussi. Elève brouillon. je peux bien en sourire aussi désormais que je comprends d'où provient la majeure partie de la confusion dans laquelle je résidais à l'école, notamment en Français. J'ai donc résumé un résumé. Exercice difficile de par le renoncement et l'humilité qu'il faut dans la hâte réunir. Dans ce que j'avais préparé je voulais montrer un parcours qui s'étend depuis cette immense confusion, ce besoin d'amour, de reconnaissance, qui n'appartiennent pas qu'à moi mais à ceux qui un jour dans ma famille ont du tout quitter pour essayer de se faire accepter ici. Je voulais parler de mes débuts, de mes errances en usant de la séduction, de l'exagération comme de la performance en peinture, pour parvenir à la fin à quelque chose de plus brut mais de plus sincère. De plus humble aussi. Quelque chose qui m'appartienne vraiment. Ce voyage intérieur parle aussi d'identité, pas seulement de la mienne, mais de ce que peut être l'identité en général, de façon universelle, et qui n'a rien à voir avec l'identique. En même temps cette exposition n'est pas la première que je fais, j'allais sans doute refaire les mêmes erreurs qu'habituellement, parce qu'il est difficile d'exposer des œuvres, de les défendre lorsqu'elles ont été peintes il y a longtemps, que l'on est passé à autre chose. Le dédain ou la honte voilà aussi ce qui fabrique certaines habitudes par facilité. Mais l'accident a du bon et grâce à celui-ci non seulement je renoue avec l'Estonie mais aussi je découvre toute une poétique associée à mon travail. Ce voyage de peintre au travers la peinture je crois que chacun le vit dans son travail quel qu'il soit, j'en suis persuadé depuis toujours, depuis les murs que j'ai élevés sur les chantiers dans ma jeunesse, depuis la vie de bureau à laquelle j'ai participé. Mais tout cela s'évanouit presque aussitôt que c'est vécu, on en ressort souvent comme un étranger comme si cela avait été une sorte de rêve. Le seul avantage c'est qu'avec la peinture on en garde une trace, on peut l'accrocher au mur. On peut sentir la justesse et l'écart et avec l'expérience développer un instinct, une intuition et pourquoi pas au final de l'inspiration. Ce n'est rien d'autre que cela ce voyage intérieur : un voyage qui démarre dans le cliché, ce que j'appelle la séduction, l'égotisme de tout individu qui se perd dans un miroir aux alouettes par instinct grégaire le plus souvent. Puis qui fatigué se mettrait alors à glisser vers l'insolite, à s'éloigner des reflets pour parvenir à cet extérieur, ce dehors souvent par maladresse, par accident. Le dépaysement. Dont l'attention à la maladresse à l'accident comme au banal s'aiguiserait au fil du temps. Ce voyage est un dépaysement finalement qui ramène au pays. J'avais déjà compris cela il y a longtemps lorsque jeune homme j'étais parti avec mon appareil photo en Iran, puis au Pakistan, en Afghanistan, déjà en guerre à l'époque. Ma peinture parle de ce dépaysement de cet écart par rapport au confort d'une habitude d'habiter de ce manque d'attention nécessaire pour s'engouffrer dans ce confort qui finit par couter cher, qui coute même parfois la vie toute entière. Et à la fin j'ai de plus en plus la sensation que ce voyage intérieur, même réduit à sa plus simple expression constitue un pays, Le dépaysement aura été le ciment tout comme l'exploration de la maladresse de l'accident, et du hasard. C'est désormais un pays tranquille, bienveillant , un pays où nous avons décidé qu'il faisait bon vivre.|couper{180}

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Encore une tentative de discours. ( note pour le vernissage de l'exposition)

Carnets | septembre 2021

Sisemine teekond

Et maintenant l'idée surgit, tout d'abord ridicule évidemment comme souvent. J'ai fait une liste de titres pour mes tableaux, mais le français ne rend pas compte de l'étrangeté de ce voyage. Le français tellement épris de précision et de nuance, le français qui veut tout penser tout savoir... J'ai donc pensé à l'estonien. Déjà parce que je ne parle pas l'estonien. Et que j'imagine ne pas être le seul lorsqu'inscrits sur des cartels les titres apparaitront ainsi dans une phonétique singulière aux visiteurs. Ce voyage intérieur se transforme en Sisemine Teekond d'après le traducteur de Google. Et puis ce n'est pas si ridicule que ça dans le fond , je dois bien cela à mon grand-père parti de là-bas, à ma grand-mère et à ma mère. A toutes ces ombres vacillantes dans les longs jours d'été proches de Thulé où parait-t 'il on récoltait deux fois. Une façon saugrenue de régler des dettes en monnaie de singe j'ai d'abord pensé comme pour me dédouaner en me disant : "tu veux encore une fois de plus faire ton intéressant ?" Une part de moi est estonienne bien que je sois français. C'est ainsi. Maintenant la question se pose... dois je laisser le mot français près du mot estonien sur les cartels ? A mon avis oui ne serait-ce que pour me souvenir de la traduction si par hasard un visiteur me demande ce que ça veut dire. Ou bien justement ça ne veut rien dire du tout c'est simplement dans un but administratif, pour les assurances que l'on doit donner des titres, des dimensions, une technique... J'imagine déjà la tête de la secrétaire de la compagnie d'assurance qui va écrire Sisemond teekond et tous les autres titres en se relisant plusieurs fois pour être sure de ne pas faire d'erreur... Blague à part, en découvrant ces mots je les prononce à haute voix et l'écho que me renvoient les murs de l'atelier me sont familiers sans que je ne comprenne ni pourquoi ni comment. Cela ressemble à de l'italien parfois. Je ne parle pas plus l'italien pourtant. Mais mes premières amours provenaient de Sicile, de Naples, comme si déjà les sonorités avaient touché ce cœur si difficile à écouter sans distraction. Peut-être que si j'avais mieux écouté j'aurais poussé la barque jusqu'à Tallin et au delà, je n'en sais rien...|couper{180}

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Carnets | décembre

À travers le sang et la couleur : Soutine

Tout pourrait venir, à première vue, d’une scène mythique, d’une origine sanglante qui, malgré toute l’épaisseur de peinture que l’on pourrait poser pour à la fois la retrouver et l’oublier, ne pourra jamais échapper — ni au peintre, ni au spectateur hébété contemplant l’œuvre de Chaïm Soutine. Soutine évoque un souvenir d’enfance dans une lettre : la lame d’un couteau tranchant, avec précision, avec netteté, la gorge d’une oie. Il voit encore le sang jaillir en flots épais, rouge rubis. Et l’on pourrait s’arrêter là. Tout est déjà là. Mais non. Car, au beau milieu de cette boucherie, l’œil du peintre est attiré par autre chose : la joie qu’il lit sur le visage du boucher, en pleine action. La joie, l’horreur, la violence, la stupeur. Voilà ce que contient chaque tableau de Soutine. Il y a ce petit livre d’Élie Faure sur Soutine que je devrais relire, ou piller sans vergogne, tant je ne me souviens de rien d’aussi juste écrit sur cet immigré juif-lituanien venu à Paris, qui fut un temps protégé par ce grand homme, ce médecin humaniste. Un temps seulement. L’affection du peintre pour la fille de Faure mit fin, brusquement, à leur relation. J’aurais pu commencer par le début, par la naissance de Soutine à Vilna. Une approche calme, chronologique. Mais il me fallait un déclencheur. Une raison d’écrire maintenant. Cette raison, c’est un souvenir vif de 2013, une visite au Musée de l’Orangerie, à Paris. L’exposition s’intitulait : Soutine, l’Ordre du chaos. C’était la première fois que je voyais ses tableaux en vrai. Avant cela, seulement des reproductions pâles et glacées. J’ai découvert un frère. Pas un combat, mais une harmonie née du chaos. Une magnifique harmonie disloquée. La peinture était liquéfiée, coagulée. Dure et molle à la fois. Les rouges et les turquoises entraient en collision. Les blancs craquelés comme du plâtre sec. Comment expliquer une émotion sans la trahir ? J’essaie. J’essaie toujours. Je cherche par les mots à atteindre ce qui ne se touche qu’en silence. Mais puisque j’ai commencé, continuons. Alors que l’avant-garde parisienne s’éparpillait dans toutes les directions — comme toujours —, Soutine s’enfermait. Il peignait. Il ne voulait pas être dérangé. Marc Chagall, peut-être, était pareil. Peut-être Soutine espérait-il hériter de l’atelier de Chagall. Absorber la solitude, l’obstination que Chagall avait laissées derrière lui. Il ne l’a pas fait. Il a raté le moment. Alors, il s’est tourné vers Rembrandt. Il a peint de la viande. De la chair. Mais plus que de la chair. Il faut traverser le dégoût pour atteindre la grâce. Les quartiers de bœuf de Soutine l’exigent. J’imagine que, si j’avais eu la chance de le rencontrer, l’odeur m’aurait d’abord repoussé. Et pourtant, à travers cette odeur, peut-être aurais-je atteint le parfum du miracle. La peinture de Soutine me rappelle quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont j’ai déjà parlé. Chomo. Un autre reclus. Plus récent. Tout aussi mort. Ils ne négocient pas. Ils sont repliés. Affamés. Indifférents. En contact direct avec le feu, la grâce, la vie, la terreur, le sublime. Leur seul axe est celui qui les relie à ces forces. Ils ont abandonné l’illusion des liens sociaux. Oui, quelque chose en eux me parle. Je t’écris cela rapidement ce matin. Parce qu’au fond, comme je l’ai dit, penser et écrire ne servent peut-être pas à grand-chose. Mieux vaut peindre. Everything could stem, at first glance, from a mythical scene, a bloody origin that, no matter how much paint one might apply to try to both recover it and forget it, will never escape either the painter or the stunned viewer contemplating the work of Chaïm Soutine. Soutine recalls a childhood memory in a letter : the knife's blade slicing expertly, cleanly, across the throat of a goose. He still sees the blood spurting out in thick, ruby-red jets. And it could stop there. Already, everything is there. But no. Because in the middle of the carnage, the painter's eye is caught by something else : the joy he sees on the butcher's face. In the act. Joy, horror, violence, and awe. That’s what you get in every Soutine painting. There’s that little book by Elie Faure about Soutine, which I should reread, or shamelessly pillage, because I remember nothing comparable being written about this Jewish-Lithuanian immigrant who came to Paris and who, for a while, found himself under the wing of that great man, the humanist doctor. Only for a while. The painter's affection for Faure’s daughter put an end to their relationship. Suddenly. I could have started at the beginning, with Soutine’s birth in Vilna. A calm, chronological approach. But I needed a trigger. A reason to write now. That reason is a vivid memory from 2013, a visit to the Musée de l’Orangerie in Paris. The exhibition was titled "Soutine, the Order of Chaos." It was the first time I saw his paintings in person. Before that, only pale, glossy reproductions. I discovered a brother. Not a battle, but a harmony made from chaos. A magnificent, disjointed harmony. The paint was liquefied, coagulated. Hard and soft at once. Reds and turquoises colliding. Whites cracked like dried plaster. How do you explain an emotion without betraying it ? I try. I do this all the time. I use words to reach what can only be touched in silence. But since I’ve begun, let’s keep going. When the Parisian avant-garde was tearing off in every direction, as it always does, Soutine locked himself away. He painted. He didn’t want to be disturbed. Marc Chagall might have been the same. Maybe Soutine hoped to inherit Chagall’s studio. To absorb the solitude and stubbornness Chagall had left behind. He didn’t. He missed the moment. So he turned to Rembrandt. He painted meat. Flesh. But more than flesh. You have to pass through disgust to reach grace. Soutine’s slabs of beef demand it. I imagine if I’d had the chance to meet him, the smell alone would have repelled me. And yet, through that smell, maybe I would have reached the miracle’s scent. Soutine’s painting reminds me of someone else. Someone I’ve written about before. Chomo. Another recluse. More recent. Just as dead. They don’t negotiate. They are curled inward. Starving. Unconcerned. In direct contact with fire, grace, life, terror, the sublime. Their only axis is the one that connects them to these forces. They have discarded illusions of social ties. Yes, something in them speaks to me. I write it to you quickly this morning. Because, in the end, as I said, thinking and writing may not be very useful. Better to paint.|couper{180}

peintres peinture réflexions sur l’art

Carnets | décembre

8 décembre 2018

Il y a une différence majeure entre croire être parvenu à un niveau et y être véritablement. La peinture n'échappe pas à cette règle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas à un stade d'évolution, il faut accéder aux niveaux supérieurs, sans quoi le recul nécessaire fait défaut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s'agit d'apprécier honnêtement, à la lumière des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l'ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage. Ces derniers jours, j'ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l'important, le nécessaire qui fait levier, et l'inutile qui entrave. Dans des cartons, j'ai retrouvé une kyrielle de travaux de jeunesse. En découvrant cette feuille de journal tachée de couleurs, j'ai hésité avant de la froisser. Prenons le temps d'en reparler, comme à un ami. Je peignais alors dans des chambres de hasard, réchauffée seulement par la flamme de mes illusions. J'étais au niveau le plus bas de l'échelle - celui où l'on se préoccupe encore de l'environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir à mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussiéreux. La tâche était si facile que je disposais de longues périodes pour lire - Plutarque et bien d'autres, de façon aussi désordonnée que désespérée. Pour lutter contre l'ennui, j'avais élevé la rêverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir où je serais inéluctablement peintre, écrivain, riche... Sans organisation, sans plan d'action, je n'étais pas libre - je m'enchaînais davantage. Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd'hui. L'important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir à la racine de soi et considérer le mental comme un périphérique - souris, clavier, écran, mais pas l'ordinateur. Changer, c'est lâcher prise, terme aujourd'hui galvaudé au point que je n'y ajouterai rien. Hier encore, j'évoquais Ulysse attaché à son mât. Enfant, j'admirais son ingéniosité face aux Dieux. Aujourd'hui, je n'y vois qu'un homme prisonnier d'une fausse idée de la liberté. Alors, cette feuille froissée et tachée que personne n'a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ?|couper{180}

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