essai
Texte structuré, réflexif ou critique, souvent long, qui explore une idée, une intuition ou une problématique à travers une forme ouverte mais construite.
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Essais
La réalité truquée
Carte de la Tartarie indépendante (en jaune) et de la Tartarie chinoise (en violet), en 1806 par le cartographe britannique, John Cary. Carte de la Tartarie indépendante (en jaune) et de la Tartarie chinoise (en violet), en 1806 par le cartographe britannique, John Cary. La réalité truquée : Simulation, manipulations du temps et mythe de la Grande Tartarie Introduction : Le soupçon d’une réalité simulée En 2016, Elon Musk affirmait qu’« il y a une chance sur des milliards que nous ne vivions pas dans une simulation » 👉 The Guardian – Elon Musk sur la simulation Philip K. Dick, dès 1977, évoquait une réalité manipulée par des altérations perceptibles dans nos souvenirs. Ces idées, longtemps confinées à la philo et à la SF, suscitent désormais des réflexions sérieuses : et si notre monde était un programme, modifiable, repositionnable, voire réinitialisable ? C’est ce que soutient un courant actuel, liant la théorie de la simulation, la manipulation du temps, et l’effacement mystérieux de la Grande Tartarie. I. La théorie de la simulation : et si le monde n’était qu’un code ? En 2003, Nick Bostrom propose un argument célèbre : 👉 Simulation Argument – Bostrom Trois hypothèses : Les civilisations s’éteignent avant de simuler des consciences. Elles décident de ne pas le faire. Nous sommes déjà dans une simulation. Bostrom considère cette troisième option comme la plus vraisemblable statistiquement. Elon Musk ajoute qu'avec l'évolution rapide des jeux (de Pong à la VR), nous nous rapprochons d'une simulation indiscernable de la réalité. Ce thème résonne aussi en littérature : « Nous pourrions être dans le rêve d’un rêveur » — Jorge Luis Borges, Les ruines circulaires Philip K. Dick évoque un programmeur invisible dans son discours de Metz (1977) : II. Glitches, temps flexibles et Mandela Effect Le Mandela Effect désigne des souvenirs collectifs erronés : La mort de Mandela dans les années 80 Les Berenstain vs Berenstein Bears Des répliques cinématographiques modifiées Certains y voient des bugs de simulation ou une mise à jour temporelle. chercher des sources sur l'effet Mandela Notre mémoire collective pourrait donc être la trace d’une réécriture historique, un patch cosmique. Des traditions spirituelles véhiculent aussi ce thème : yugas hindous, changements d’ères, reset apocalyptique. III. Tartaria : l’empire effacé par le programme ? La « Tartarie » désignait historiquement l’Asie centrale sur les cartes anciennes. Depuis 2016, une communauté en ligne la présente comme un empire technologique occulté après un mystérieux mud flood. 👉 Reddit – r/Tartaria 👉 ExplorersWeb – Tartarian Empire :contentReference[oaicite:1]{index=1} Les éléments de preuve avancés : Architecture sophistiquée, jugée anachronique Expositions universelles (Chicago 1893, San Francisco 1915) interprétées comme vitrines Tartaria dissimulées Rez‑de‑chaussée enfouis (mud flood), considérés comme traces physiques Photos désertées de foule, vues comme preuve de dépeuplement d'après-cataclysme 👉 Wikipedia – Tartarian Empire (conspiracy) :contentReference[oaicite:2]{index=2} 👉 Bloomberg – “QAnon de l’architecture” par Zach Mortice :contentReference[oaicite:3]{index=3} Vidéaste populaire : Le canal Jon Levi est une référence visuelle pour les passionnés : chaine Youtube IV. Technologies disparues : que nous a-t-on volé ? Selon les partisans de Tartaria : Une énergie libre (éther, énergie atmosphérique) Des structures vibratoires (flux sonores, résonance) Une architecture fonctionnelle (clochers et dômes comme détecteurs ou capteurs) Des bâtiments emblématiques (tour Eiffel, cathédrales) seraient réemployés en masques technologiques. Les élites auraient dissimulé ces savoirs, imposé l’ère des énergies fossiles pour affaiblir les populations. 👉 ExplorersWeb – Tartaria exploration mysteries :contentReference[oaicite:5]{index=5} Conclusion : Des mythes pour survivre à la modernité La simulation et Tartaria offrent un même récit : la réalité peut être programmée, modifiée, effacée. Ces mythes alimentent notre intuition que quelque chose cloche dans notre histoire et nos sociétés. « Nous nous racontons des histoires pour vivre. » — Joan Didion Ils révèlent notre attrait pour le merveilleux, notre besoin de sens et de contrôle, même s’il est construit sur des hypothèses fragiles. Et si derrière ces mythes, quelqu’un modifiait ou modélisait notre perception du monde ?|couper{180}
Essais
Black Goo : Quand la fiction devient réalité conspirationniste
Une enquête réalisé par le dibbouk.net sur les mythes modernes.|couper{180}
Carnets | juin 2025
21 juin 2025-2
Fait trop chaud, n'arrive pas à dormir et repense à ce livre de Patrice Van Eersel terminé il y a peu : Le soleil est-il conscient ? Paru en avril 2025. La question vient du biologiste britannique Rupert Sheldrake, qui suggère que les champs électromagnétiques pourraient être le pont entre conscience et matière. Van Eersel, l'auteur de La Source noire, a repris cette interrogation dans une enquête de 452 pages. Un journaliste des années Actuel, des années Clés aussi, ou Nouvelles Clefs, c'est selon. Ce titre ne m'a pas quitté. Et c'est peut-être en tournant dans mon lit, cette nuit sans sommeil, que l'idée de cet article a commencé à prendre forme. Ai marché dans les rues du village ce matin. Mêmes boutiques fermées, à louer, à vendre, même désolation à chaque coin de rue, on finit par s'y habituer. Et au ciel bas et au mont Pilat qu'on entrevoit depuis le fond de la vallée, à travers les fumées d'usine. Mais ce matin, ça me revient, quelque chose clochait. Le silence était trop bruyant. Notifications à répétition qui dégringolaient des façades, des habitacles, des véhicules, moteurs plus ou moins éreintés. Échos d'une vie qui ne se pose jamais. Et ça m'a mis en rogne, c'est-à-dire dans une certaine forme d'énergie. Me suis dit que le pire qui pouvait nous être arrivé, c'est cette impression de tout savoir et de ne rien savoir de manière simultanée. Nous disposons d'applications en tout genre parmi lesquelles des podomètres qui calculent pour nous le compte de nos pas. Nous savons la vitesse d'une particule. Le temps qu'il reste avant la pluie. Et pourtant ne savons plus faire le plus simple : nous arrêter et écouter. Le silence ne disparaît pas, nous le recouvrons. Il s'effiloche à force de superpositions. Il s'aplatit ou nous croyons en finir ainsi avec lui. Le silence est devenu tellement insupportable que nous ne voulons plus l'entendre dans nos rues comme dans nos conversations, dans nos monologues. Nous en avons peur désormais. Alors nous le remplaçons. Chiffres, alertes, pixels, playlists. Nous inventons un masque qui nous aveugle et nous effraie. Nous appelons ça vivre. Ou encore la réalité. Ce que le silence, le masque, la réalité produisent en moi est très étrange. De vieux récits remontent. Ai l'impression de tracer mentalement une issue de secours. La Tartarie, l'Atlantide, la Terre creuse. D'autres encore, plus flous, plus muets. Ces vieux récits n'expliquent rien. C'est une porte de secours ou une mise en abyme. Et au fond de cet abyme il y a quelque chose d'ineffable, mais qu'il faut que je parvienne à suggérer malgré tout. Une forme de vertige. Une blessure qui ne saigne pas. Y verrais plutôt des bouées jetées et qui flottent au loin dans l'eau noire de ces journées. Non pour s'y accrocher, je ne me sens pas naufragé. Mais peut-être pour retrouver la sensation de dériver. Et c'est là que repense aux Kogis. Ces 16 000 descendants des Tayronas qui vivent dans la Sierra Nevada de Santa Marta, en Colombie. Les ai découverts dans un documentaire, ou peut-être un livre, ne sais plus. Ce qui m'a frappé, c'est cette phrase qu'ils nous adressent : ils nous appellent leurs "petits frères". Pas une moquerie. Une main posée sur l'épaule. Ils vivent depuis plus de cinq siècles entre 0 et 5 770 mètres d'altitude, là où nous avons désappris de regarder. Ce qui me trouble chez eux, c'est cette question qu'ils posent à l'orée d'une forêt : « Comment pouvez-vous entrer sans demander la permission aux maîtres des lieux ? » Et nous restons là, bêtes, sans mots, parce que nous ne savions même plus qu'il y avait des maîtres. Pense à ça parfois quand pousse une porte. Quand entre quelque part. Est-ce que demande ? Est-ce qu'écoute ? Ou est-ce que fonce, comme si le monde m'attendait ? Mais ce qui m'intéresse, c'est pas cette opposition facile entre eux qui "savent" et nous qui "ne savons plus". C'est plus simple et plus complexe. Eux mâchent la coca pour rester connectés à la Pachamama, pour être "en permanence dans un état de conscience avancé". Ils utilisent des rituels, des gestes, des mantras. Ils passent par une mythologie sans se poser de questions. Ce que nous ne savons plus faire. C'est peut-être ça qui me fascine. Nous cherchons tous des portes. Les Kogis les trouvent dans leurs rituels à la coca, dans leurs offrandes aux montagnes qu'ils considèrent comme "le cœur du monde". Moi, les cherche dans mes dérives nocturnes sur l'écran, dans mes obsessions pour l'Atlantide, dans ces synchronicités que note parfois dans un carnet. Le problème c'est pas qu'on a perdu le mythe, c'est qu'on l'a intellectualisé au point de ne plus pouvoir s'y abandonner. Me souviens de ce que j'ai ressenti en découvrant la théorie de Sheldrake sur la conscience du soleil. Cette petite vibration, ce frisson d'évidence. Comme si quelque chose en moi reconnaissait une vérité sans avoir besoin de preuve. Une équation bien posée, comme une phrase bien dite, nous relie à quelque chose de plus vaste. À cette étrange vibration qu'on appelle encore conscience, faute d'un meilleur mot. Hier soir, insomnie déjà. Ai regardé dehors. Les fenêtres d'en face étaient éteintes mais pas mortes. Il y avait quelque chose qui respirait encore. Pas les gens. Quelque chose d'autre. Le monde, peut-être. Qui attend. Qui ajuste. Qui respire sans demander la permission. Me pose souvent cette question : nous sommes tous à la recherche d'interfaces avec le mystère. Les chiffres nous disent que tout est affaire de juste mesure : à 21 % d'oxygène, nous vivons. À 22, tout s'enflamme. À 19, nous nous éteignons. Qui règle cela ? Quel souffle veille à cette équation-là ? Quelle forme de présence ajuste l'équilibre sans demander d'applaudissements ? C'est peut-être ça que les mythes tentent de nommer. Cette manière humble que nous avons trouvée pour poser la question. Pour désigner sans profaner. Ils sont pas là pour nous endormir, mais pour nous réapprendre à voir sans arracher. À nommer sans posséder. À deviner sans saisir. Rêver, alors, devient un acte de mémoire. Non la fuite, mais l'appel. L'écoute revenue. Demander la permission. Se taire. S'asseoir. Toucher une pierre comme on touche un front. Sentir qu'elle respire elle aussi, à son rythme. Imaginer que la conscience est pas logée dans nos crânes mais dissoute dans le monde. Que penser n'est qu'une forme de résonance parmi d'autres. Interfaces With Mystery Too hot, cant sleep and thinking of this book by Patrice Van Eersel finished not long ago : Is the Sun Conscious ? Published April 2025. The question comes from British biologist Rupert Sheldrake, who suggests electromagnetic fields could be the bridge between consciousness and matter. Van Eersel, author of The Black Source, took up this interrogation in a 452-page inquiry. A journalist from the Actuel years, the Clés years too, or Nouvelles Clefs, depends how you see it. This title hasnt left me. And maybe lying in bed, this sleepless night, the idea for this article began to take shape. Walked the village streets this morning. Same shuttered shops, for rent, for sale, same desolation at every corner, you get used to it. And the low sky and Mount Pilat glimpsed from the valley floor through factory smoke. But this morning, comes back to me, something was wrong. The silence was too loud. Notifications cascading from facades, from vehicles, from motors more or less worn down. Echoes of a life that never settles. And it made me angry, which is to say put me in a certain form of energy. Told myself the worst that could have happened to us is this impression of knowing everything and knowing nothing simultaneously. We have applications of every kind including pedometers that count our steps for us. We know the speed of a particle. The time remaining before rain. And yet no longer know how to do the simplest thing : stop and listen. Silence doesnt disappear, we cover it. It frays from layering. It flattens or we think to finish with it thus. Silence has become so unbearable we no longer want to hear it in our streets as in our conversations, in our monologues. We fear it now. So we replace it. Numbers, alerts, pixels, playlists. We invent a mask that blinds and frightens us. We call this living. Or else reality. What silence, mask, reality produce in me is very strange. Old stories rise. Have the impression of mentally tracing an escape route. Tartaria, Atlantis, the Hollow Earth. Others still, more vague, more mute. These old stories explain nothing. Its an emergency exit or an abyss. And at the bottom of this abyss there is something ineffable, but that I must manage to suggest despite everything. A form of vertigo. A wound that doesnt bleed. Would see rather bouoys thrown and floating in the distance in the black water of these days. Not to cling to, I dont feel shipwrecked. But perhaps to rediscover the sensation of drifting. And its there I think of the Kogis. These 16,000 descendants of the Tayronas who live in the Sierra Nevada de Santa Marta, in Colombia. Discovered them in a documentary, or maybe a book, no longer know. What struck me was this phrase they address to us : they call us their little brothers. Not mockery. A hand placed on the shoulder. They have lived for more than five centuries between 0 and 5,770 meters altitude, there where we have unlearned to look. What troubles me about them is this question they pose at the edge of a forest : How can you enter without asking permission from the masters of the place ? And we remain there, dumb, wordless, because we no longer even knew there were masters. Think of this sometimes when push a door. When enter somewhere. Do I ask ? Do I listen ? Or do I charge ahead, as if the world were waiting for me ? But what interests me isnt this easy opposition between them who know and us who no longer know. Its simpler and more complex. They chew coca to stay connected to Pachamama, to be permanently in an advanced state of consciousness. They use rituals, gestures, mantras. They pass through mythology without questioning. What we no longer know how to do. Maybe thats what fascinates me. We all seek doors. The Kogis find them in their coca rituals, in their offerings to mountains they consider the heart of the world. Me, I seek them in my nocturnal drifts on the screen, in my obsessions with Atlantis, in these synchronicities I sometimes note in a notebook. The problem isnt that we lost myth, its that we intellectualized it to the point of no longer being able to abandon ourselves to it. Remember what I felt discovering Sheldrakes theory on solar consciousness. This small vibration, this shiver of evidence. As if something in me recognized a truth without needing proof. An equation well posed, like a sentence well said, connects us to something vaster. To this strange vibration we still call consciousness, for lack of a better word. Last night, insomnia already. Looked outside. The windows across were dark but not dead. There was something still breathing. Not the people. Something else. The world, perhaps. Waiting. Adjusting. Breathing without asking permission. Often pose this question to myself : we are all searching for interfaces with mystery. Numbers tell us everything is a matter of proper measure : at 21 percent oxygen, we live. At 22, everything ignites. At 19, we extinguish. Who regulates this ? What breath watches over this equation ? What form of presence adjusts the balance without asking for applause ? Maybe thats what myths attempt to name. This humble manner we found to pose the question. To designate without profaning. Theyre not there to put us to sleep, but to reteach us to see without tearing away. To name without possessing. To divine without seizing. To dream, then, becomes an act of memory. Not flight, but call. The return of listening. Ask permission. Be silent. Sit down. Touch a stone as you touch a forehead. Feel that it too breathes, at its rhythm. Imagine that consciousness isnt lodged in our skulls but dissolved in the world. That thinking is only one form of resonance among others.|couper{180}
Essais
Atlantide
Atlantide Je crois que la première fois que j’ai entendu le mot, j’étais gamin. Atlantide. C’était à l’école, ou peut-être à la télé, je ne sais plus. Une île perdue. Avalée par la mer. Une civilisation disparue comme on efface un mot sur une ardoise. Je n’y ai pas pensé pendant des années. Et puis un soir, tard, sur mon téléphone, dans ce genre d’insomnie où le réel devient mou, j’ai vu passer une vidéo. Ça parlait d’une route sous-marine. Des blocs de calcaire alignés, pas très profonds, à Bimini. On voyait très bien les formes. Trop bien peut-être. Et la voix, douce, un peu trop calme pour être honnête, murmurait : on ne vous dit pas tout. J’ai regardé. Puis j’ai regardé encore. Et sans m’en rendre compte, je cherchais. Pas des preuves. Autre chose. Je crois que je cherchais à croire. Un peu. Pas complètement. Mais juste assez pour que ça tienne. Comme un fil invisible entre ce monde-ci et un autre, qu’on aurait perdu. C’est étrange, la manière dont les récits nous attrapent. On croit qu’on les regarde. Qu’on les choisit. Mais c’est eux qui nous choisissent. Je vis dans un village en Isère, tranquille, avec des collines, des nuages bas, et cette lumière de fin d’après-midi qui a parfois quelque chose d’indécidable. Ici, les maisons sont vieilles, pas toujours belles, mais elles tiennent. Elles racontent. Je marche souvent, surtout quand le monde me pèse. Et parfois, je regarde les pierres comme si elles avaient des secrets. Comme si elles venaient d’ailleurs. De plus loin que l’histoire. C’est idiot, je sais. Mais il y a des jours où l’on a besoin que les choses racontent plus que ce qu’elles montrent. Des jours où on aimerait qu’un mur soit aussi un vestige. Atlantide, c’est ce mot qu’on glisse entre deux silences. Ce mot qui revient quand tout le reste s’effondre. On pourrait dire que c’est une fable, une invention de philosophe. Un avertissement. Mais personne ne veut entendre l’avertissement. Ce qu’on retient, c’est l’image. Une cité engloutie. Belle. Sereine. Peut-être un peu trop parfaite. Et on la cherche. Encore aujourd’hui. Sur TikTok, sur Google Earth, dans les cartes anciennes, dans les rêves. Ce n’est plus de la recherche. C’est de la hantise. Une mémoire qu’on aurait sans l’avoir vécue. Une blessure avant la blessure. Je vois passer des vidéos : ruines immergées, voix doucereuses, zooms lents sur des anomalies géologiques. Je ne suis pas dupe. Je sais que tout ça flotte, que c’est instable. Mais j’y retourne. Comme on retourne dans une maison vide, juste pour sentir ce qu’il en reste. L’Atlantide est devenue une interface. Une surface sur laquelle chacun projette ses manques. Ceux qui y voient des technologies perdues, une énergie propre, une sagesse oubliée. Ceux qui y cherchent des réponses au monde d’aujourd’hui, à sa vitesse, à son indifférence. On pourrait en rire. Mais c’est trop sérieux pour être moqué. Parce que ce qu’on nomme Atlantide, aujourd’hui, ce n’est pas un lieu. C’est un refus. Un refus de l’architecture muette, des villes qui ne disent rien, des machines qui épuisent. Un refus de cette modernité sèche, sans promesse. Et dans ce refus, il y a de la beauté. Même dans l’excès. Même dans le flou. Quand je tombe sur ces images générées par IA, avec leurs arches translucides, leurs dômes lumineux, leurs places silencieuses, je ne peux pas m’empêcher d’y croire. Pas au sens littéral. Mais au sens du manque. Ce sont des cartes d’un monde qu’on voudrait mériter. Je pourrais parler de Tesla, de l’éther, de tous ces récits secondaires qui s’agrègent. Je pourrais analyser. Démonter. Mais je crois que ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est la façon dont tout ça résonne. Dont ça nous fait marcher. Chercher. Imaginer. Peut-être que la vérité, là-dedans, n’a jamais été la question. Peut-être qu’il s’agit juste d’avoir encore un espace pour espérer autrement. Parfois je me dis que l’Atlantide n’a pas disparu. Qu’elle est en nous. Fragmentée. Diffuse. Une sorte de négatif du réel. Quelque chose qu’on perçoit dans les marges, dans les plis, dans les silences. Je pense à ces vieux escaliers qui ne mènent nulle part. À ces portes murées qu’on croise dans certaines villes. À ces ruines qu’on ne regarde plus. Ce sont peut-être ça, les vraies preuves. Pas des vestiges. Des appels. Alors non, je ne crois pas à l’Atlantide comme on croit à un continent. Mais je crois à ce que ce mot déplace. Je crois à ce qu’il rend possible. Un espace mental. Une échappée. Une manière de continuer à désirer. Et dans un monde qui se rétrécit, c’est déjà beaucoup. Je crois que la première fois que j’ai entendu le mot, j’étais gamin. Atlantide. C’était à l’école, ou peut-être à la télé, je ne sais plus. Une île perdue. Avalée par la mer. Une civilisation disparue comme on efface un mot sur une ardoise. Je n’y ai pas pensé pendant des années. Et puis un soir, tard, sur mon téléphone, dans ce genre d’insomnie où le réel devient mou, j’ai vu passer une vidéo. Ça parlait d’une route sous-marine. Des blocs de calcaire alignés, pas très profonds, à Bimini. On voyait très bien les formes. Trop bien peut-être. Et la voix, douce, un peu trop calme pour être honnête, murmurait : on ne vous dit pas tout. J’ai regardé. Puis j’ai regardé encore. Et sans m’en rendre compte, je cherchais. Pas des preuves. Autre chose. Je crois que je cherchais à croire. Un peu. Pas complètement. Mais juste assez pour que ça tienne. Comme un fil invisible entre ce monde-ci et un autre, qu’on aurait perdu. C’est étrange, la manière dont les récits nous attrapent. On croit qu’on les regarde. Qu’on les choisit. Mais c’est eux qui nous choisissent. Je vis dans un village en Isère, tranquille, avec des collines, des nuages bas, et cette lumière de fin d’après-midi qui a parfois quelque chose d’indécidable. Ici, les maisons sont vieilles, pas toujours belles, mais elles tiennent. Elles racontent. Je marche souvent, surtout quand le monde me pèse. Et parfois, je regarde les pierres comme si elles avaient des secrets. Comme si elles venaient d’ailleurs. De plus loin que l’histoire. C’est idiot, je sais. Mais il y a des jours où l’on a besoin que les choses racontent plus que ce qu’elles montrent. Des jours où on aimerait qu’un mur soit aussi un vestige. Atlantide, c’est ce mot qu’on glisse entre deux silences. Ce mot qui revient quand tout le reste s’effondre. On pourrait dire que c’est une fable, une invention de philosophe. Un avertissement. Mais personne ne veut entendre l’avertissement. Ce qu’on retient, c’est l’image. Une cité engloutie. Belle. Sereine. Peut-être un peu trop parfaite. Et on la cherche. Encore aujourd’hui. Sur TikTok, sur Google Earth, dans les cartes anciennes, dans les rêves. Ce n’est plus de la recherche. C’est de la hantise. Une mémoire qu’on aurait sans l’avoir vécue. Une blessure avant la blessure. Je vois passer des vidéos : ruines immergées, voix doucereuses, zooms lents sur des anomalies géologiques. Je ne suis pas dupe. Je sais que tout ça flotte, que c’est instable. Mais j’y retourne. Comme on retourne dans une maison vide, juste pour sentir ce qu’il en reste. L’Atlantide est devenue une interface. Une surface sur laquelle chacun projette ses manques. Ceux qui y voient des technologies perdues, une énergie propre, une sagesse oubliée. Ceux qui y cherchent des réponses au monde d’aujourd’hui, à sa vitesse, à son indifférence. On pourrait en rire. Mais c’est trop sérieux pour être moqué. Parce que ce qu’on nomme Atlantide, aujourd’hui, ce n’est pas un lieu. C’est un refus. Un refus de l’architecture muette, des villes qui ne disent rien, des machines qui épuisent. Un refus de cette modernité sèche, sans promesse. Et dans ce refus, il y a de la beauté. Même dans l’excès. Même dans le flou. Quand je tombe sur ces images générées par IA, avec leurs arches translucides, leurs dômes lumineux, leurs places silencieuses, je ne peux pas m’empêcher d’y croire. Pas au sens littéral. Mais au sens du manque. Ce sont des cartes d’un monde qu’on voudrait mériter. Je pourrais parler de Tesla, de l’éther, de tous ces récits secondaires qui s’agrègent. Je pourrais analyser. Démonter. Mais je crois que ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est la façon dont tout ça résonne. Dont ça nous fait marcher. Chercher. Imaginer. Peut-être que la vérité, là-dedans, n’a jamais été la question. Peut-être qu’il s’agit juste d’avoir encore un espace pour espérer autrement. Parfois je me dis que l’Atlantide n’a pas disparu. Qu’elle est en nous. Fragmentée. Diffuse. Une sorte de négatif du réel. Quelque chose qu’on perçoit dans les marges, dans les plis, dans les silences. Je pense à ces vieux escaliers qui ne mènent nulle part. À ces portes murées qu’on croise dans certaines villes. À ces ruines qu’on ne regarde plus. Ce sont peut-être ça, les vraies preuves. Pas des vestiges. Des appels. Alors non, je ne crois pas à l’Atlantide comme on croit à un continent. Mais je crois à ce que ce mot déplace. Je crois à ce qu’il rend possible. Un espace mental. Une échappée. Une manière de continuer à désirer. Et dans un monde qui se rétrécit, c’est déjà beaucoup. nda : j'ai cherché des images de l'Atlantide et j'ai été stupéfié de voir que 90% des images sont désormais générées par IA. Atlantis I think the first time I heard the word, I was a child. Atlantis. It was at school, or perhaps on television, I no longer remember. A lost island. Swallowed by the sea. A civilization erased the way one erases a word from a slate. I didn't think about it for years. And then one evening, late, on my phone, in that kind of insomnia where reality becomes soft, I saw a video scroll by. It spoke of an underwater road. Limestone blocks aligned, not very deep, at Bimini. You could see the forms very clearly. Too clearly, perhaps. And the voice, gentle, a little too calm to be honest, murmured : "They don't tell you everything." I watched. Then I watched again. And without realizing it, I was searching. Not for proof. Something else. I think I was searching for belief. A little. Not completely. But just enough for it to hold. Like an invisible thread between this world and another we had lost. It's strange, the way narratives catch us. We think we're watching them. That we choose them. But they choose us. I live in a village in Isère, quiet, with hills, low clouds, and that light of late afternoon that sometimes has something undecidable about it. Here, the houses are old, not always beautiful, but they hold. They tell stories. I walk often, especially when the world weighs on me. And sometimes, I look at the stones as if they held secrets. As if they came from elsewhere. From further back than history. It's foolish, I know. But there are days when one needs things to tell more than what they show. Days when one would like a wall to also be a vestige. Atlantis is that word you slip between two silences. That word that returns when everything else collapses. You could say it's a fable, a philosopher's invention. A warning. But no one wants to hear the warning. What we retain is the image. A sunken city. Beautiful. Serene. Perhaps a little too perfect. And we search for it. Still today. On TikTok, on Google Earth, in ancient maps, in dreams. It's no longer research. It's haunting. A nostalgia without memory. I see videos pass by : submerged ruins, honeyed voices, slow zooms on geological anomalies. I'm not fooled. I know all this is floating, unstable. But I return to it. The way one returns to an empty house, just to feel what remains of it. Atlantis has become an interface. A surface onto which each person projects their lacks. Those who see in it lost technologies, clean energy, forgotten wisdom. Those who seek in it answers to today's world, to its speed, to its indifference. One could laugh at it. But it's too serious to be mocked. Because what we call Atlantis, today, is not a place. It's a refusal. A refusal of mute architecture, of cities that say nothing, of machines that exhaust. A refusal of this dry modernity, without promise. And in this refusal, there is beauty. Even in excess. Even in blur. When I come across these AI-generated images, with their translucent arches, their luminous domes, their silent squares, I can't help but believe in them. Not in the literal sense. But in the sense of lack. They are maps of a world we would want to deserve. I could speak of Tesla, of ether, of all these secondary narratives that aggregate. I could analyze. Dismantle. But I think that's not what matters. What matters is the way all this resonates. How it makes us walk. Search. Imagine. Truth, in all this, was never the question. It's just about still having a space where hoping functions. Sometimes I tell myself that Atlantis hasn't disappeared. That it's in us. Fragmented. Diffuse. A kind of negative of the real. Something we perceive in the margins, in the folds, in the silences. I think of those old staircases that lead nowhere. Of those walled-up doors we encounter in certain cities. Of those ruins we no longer look at. These are perhaps the real proofs. Not vestiges. Calls. So no, I don't believe in Atlantis the way one believes in a continent. But I believe in what this word displaces. I believe in what it makes possible. A mental space. An escape. A way to continue desiring. And in a world that shrinks, that's already a great deal.|couper{180}
Carnets | juin 2025
20 juin 2025
nouvelle phase d'organisation en préparation|couper{180}
Lectures
L’Empire Fantôme : Comment la Tartarie Révèle les Rêves Secrets de Notre Époque
English version Il y a d'abord cette image : Vladimir Poutine face à Tucker Carlson, dans ce bureau du Kremlin où l'on voit des drapeaux ornés de griffons, évoquant avec une précision troublante la Horde d'or, cet empire mongol du XIIIe siècle qui domina les steppes russes. L'entretien date de février 2024. Poutine parle d'histoire avec cette assurance particulière des hommes de pouvoir qui réécrivent le passé pour justifier le présent. Derrière lui, les symboles héraldiques scintillent sous les projecteurs. Cette scène, apparemment anodine, révèle quelque chose d'essentiel sur notre époque : comment les mythes alternatifs deviennent des armes géopolitiques. Car tandis que le président russe mobilise les références historiques devant les caméras américaines, dans les algorithmes de TikTok et les forums de Reddit, une autre version de cette histoire s'écrit. Elle s'appelle la Grande Tartarie, et elle obsède des millions d'internautes convaincus qu'un empire mondial a été effacé de nos mémoires. Sur TikTok, le hashtag #tartaria cumule trois cents millions de vues. Sur Reddit, quarante-trois mille membres scrutent chaque détail architectural, chaque anomalie urbaine, pour reconstituer les traces de cette civilisation supposée disparue. J'ai voulu comprendre comment nous en étions arrivés là. Comment une théorie du complot née dans les cercles nationalistes russes des années 1980 était devenue l'un des mythes les plus fertiles de notre époque numérique. Et surtout, ce que cette fascination révélait de nous-mêmes, de nos angoisses face à la modernité, de notre soif d'architectures vivantes et de technologies harmonieuses. L'histoire commence dans la Russie post-soviétique, dans le bureau d'Anatoly Fomenko. C'est un mathématicien respecté de l'université de Moscou, spécialiste de géométrie différentielle. Mais dans les années 1980, Fomenko développe une obsession qui va changer sa vie : l'idée que l'histoire conventionnelle est une vaste mystification. Il baptise sa théorie "Nouvelle Chronologie". Selon lui, les événements attribués à l'Antiquité grecque, romaine ou égyptienne se seraient en réalité déroulés au Moyen Âge, mille ans plus tard que ce qu'enseignent les manuels. Cette réécriture radicale trouve un terreau dans l'effondrement soviétique. Après 1991, une partie de la société russe cherche de nouveaux récits identitaires. La mythologie communiste s'est effondrée avec le Mur de Berlin. Que reste-t-il pour nourrir la fierté nationale ? Fomenko propose une alternative séduisante : faire de la Russie l'héritière directe d'un empire eurasiatique grandiose, la "Grande Tartarie", délibérément occultée par l'Occident jaloux. Nikolai Levashov enrichit cette matrice d'éléments occultistes. Dans ses écrits, la Tartarie devient une civilisation de surhommes aux capacités technologiques prodigieuses, anéantie par des forces obscures. Ces théories trouvent un public en Russie, où elles répondent à un besoin de grandeur blessée. Mais c'est avec internet que tout change. Vers 2016, les théories tartariennes migrent vers les plateformes anglophones. Le processus fascine : en se détachant de leur matrice nationaliste russe, elles subissent une mutation créative remarquable. Les nouveaux adeptes, majoritairement occidentaux, réinterprètent librement le mythe selon leurs propres obsessions. J'observe ce phénomène depuis mes écrans. Sur YouTube, des chaînes spécialisées accumulent des centaines de milliers d'abonnés en proposant des "enquêtes" sur l'architecture tartarienne. Les algorithmes amplifient tout. Une vidéo de trente secondes suffit à transformer la perception d'un monument familier : le Palais de Justice de New York devient soudain un mystérieux vestige tartarien, ses fenêtres partiellement enterrées la "preuve" d'un déluge de boue historique. Cette esthétique du fragment, caractéristique des réseaux sociaux, favorise une approche impressionniste où l'accumulation d'indices visuels remplace l'analyse rationnelle. Contrairement aux théories du complot centralisées, la Tartarie moderne fonctionne comme un récit ouvert où chacun peut apporter sa contribution. Cette dimension collaborative transforme la consommation passive en engagement actif. Face à cette déferlante, la réponse académique ne se fait pas attendre. La Société géographique russe elle-même démonte méthodiquement les affirmations tartariennes. Elle rappelle que la "Tartarie" des cartes anciennes n'était qu'une désignation géographique européenne pour les vastes steppes eurasiatiques. Jamais cette région n'a constitué un empire unifié. L'examen des sources cartographiques confirme cette réalité. Les cartes d'Abraham Ortelius du XVIe siècle, souvent citées comme "preuves", révèlent en fait l'état rudimentaire des connaissances géographiques européennes. Les vastes espaces marqués "Tartaria" correspondent aux zones mal connues où erraient les peuples nomades. Loin de désigner un royaume structuré, ces appellations traduisent l'ignorance européenne sur les confins orientaux. L'analyse architecturale démonte tout aussi efficacement les prétentions tartariennes. La cathédrale Saint-Isaac de Saint-Pétersbourg, souvent citée comme impossible à construire avec les techniques de l'époque, illustre parfaitement les capacités de l'ingénierie russe du XIXe siècle. Le fameux "déluge de boue", censé expliquer l'enfouissement des bâtiments, trouve des explications prosaïques dans l'évolution urbaine normale. Pourtant, cette déconstruction scientifique peine à endiguer l'attrait du mythe. Car les adeptes ne fonctionnent pas selon une logique de validation empirique. Ils développent ce que l'on pourrait appeler une poétique de l'erreur, où la beauté du récit prime sur sa véracité. Cette résistance révèle la véritable nature du phénomène : la Tartarie moderne relève de la mythologie, pas de l'histoire. Elle active des archétypes profondément ancrés dans l'imaginaire humain. L'âge d'or perdu, la catastrophe purificatrice, la sagesse oubliée, les géants civilisateurs : tous ces motifs traversent les cultures, du mythe de l'Atlantide aux légendes arthuriennes. La théorie tartarienne les réactualise dans un contexte technologique contemporain. Elle propose une version moderne du paradis perdu, où la technologie libère au lieu d'aliéner, où l'architecture unit au lieu de cloisonner, où l'énergie guérit au lieu de polluer. Dans un monde confronté à la crise écologique, le fantasme d'une "énergie libre" tartarienne offre un exutoire compensatoire. L'analyse psychosociologique révèle d'autres ressorts. Zach Mortice, architecte et journaliste, identifie dans la passion tartarienne une forme de rejet du modernisme architectural. Les adeptes privilégient systématiquement les styles ornementés au détriment de l'architecture moderne, jugée déshumanisante. Cette esthétique révèle une nostalgie pour un monde où beauté et fonctionnalité n'étaient pas dissociées. Au-delà de ses aspects conspirationnistes, le phénomène fonctionne comme un révélateur des angoisses contemporaines. Sa popularité coïncide avec une crise de confiance généralisée envers les institutions. Proposer une "histoire alternative" répond à un besoin psychologique : reprendre le contrôle sur un récit collectif perçu comme imposé. Cette dimension politique ne doit pas être sous-estimée. Quand Poutine évoque la Horde d'or face à Tucker Carlson, avec cette mise en scène soigneusement orchestrée des symboles, il mobilise exactement cette même matrice narrative. Certains contenus réinterprètent l'invasion de l'Ukraine comme une "reconquête" de territoires tartariens légitimes. Cette instrumentalisation illustre les dangers de toute réécriture pseudohistorique. Mais l'analyse ne peut s'arrêter aux dimensions problématiques. Car la Tartarie moderne génère une créativité artistique remarquable. Elle inspire une nouvelle grammaire visuelle qui influence l'art contemporain, le design de jeux vidéo, l'architecture spéculative. Cette esthétique "tartaro-steampunk" mélange les codes rétrofuturistes avec un mysticisme technologique inédit. Les artistes s'approprient cet univers pour explorer des questions contemporaines pressantes. Comment imaginer des technologies soutenables ? Peut-on concevoir des architectures qui soignent ? Le fantasme tartarien, avec ses machines éthériques et ses cités énergétiques, offre un terrain d'expérimentation. Cette fertilité créative s'observe dans l'univers du jeu vidéo, où plusieurs studios développent des projets inspirés de l'esthétique tartarienne. Ces œuvres permettent d'explorer concrètement les implications de technologies alternatives, de tester des modèles sociaux utopiques. Le medium ludique transforme la spéculation pseudohistorique en laboratoire prospectif. L'architecture expérimentale s'empare de ces codes visuels. Des projets conceptuels intègrent des éléments "tartariens" - dômes énergétiques, ornementations fonctionnelles - pour proposer des alternatives à l'architecture industrielle. Ces explorations enrichissent le vocabulaire architectural contemporain. Le mouvement artistique du "New Weird" trouve dans l'univers tartarien une source d'inspiration riche. Les paysages impossibles de la théorie - montagnes-arbres, canyons-racines, mesas-souches - offrent un répertoire d'images surréalistes qui questionnent notre perception géologique. Cette appropriation créative révèle une fonction inattendue : le mythe sert de "boîte à outils" imaginaire pour penser autrement notre rapport au monde. Ses technologies fantastiques stimulent la réflexion sur les énergies renouvelables, ses architectures organiques inspirent l'éco-construction. L'analyse du phénomène révèle finalement moins sur un empire fantasmatique que sur nous-mêmes. Ce "rêve éveillé collectif" fonctionne comme un test projectif où s'expriment nos frustrations et nos espoirs. D'abord, il révèle notre nostalgie d'un monde où technologie et harmonie n'étaient pas antinomiques. Face aux dégâts de l'industrialisation, le fantasme d'une "énergie libre" exprime notre soif de solutions non destructrices. Cette utopie technologique pointe vers un besoin réel : réconcilier progrès technique et respect environnemental. La passion pour l'architecture tartarienne traduit notre malaise face à la standardisation urbaine. L'éloge des styles ornementés révèle une aspiration à la beauté architecturale, trop souvent sacrifiée aux impératifs économiques. Plus profondément, le succès du mythe signale une crise du récit collectif occidental. Dans une époque de fragmentation culturelle, proposer une "histoire alternative" répond à un besoin anthropologique : donner du sens à l'expérience commune. La dimension géopolitique illustre les enjeux contemporains du "soft power" narratif. Dans un monde multipolaire, la capacité à proposer des récits alternatifs devient un instrument de puissance. La diffusion des théories tartariennes participe d'une stratégie de déstabilisation des consensus occidentaux. L'étude révèle l'urgence d'une éducation critique adaptée à l'ère numérique. Les mécanismes algorithmiques, la viralité des contenus visuels créent des conditions inédites de diffusion des pseudo-savoirs. La simple réfutation factuelle ne suffit plus. Paradoxalement, l'analyse suggère des pistes constructives. Sa capacité à générer de nouveaux imaginaires montre qu'il est possible de canaliser positivement l'énergie utopique qu'elle véhicule. Plutôt que de dénoncer ses aspects problématiques, la société pourrait s'inspirer de sa fertilité créative. Dans un monde confronté à des défis majeurs, nous avons besoin de nouveaux récits mobilisateurs qui associent rigueur scientifique et puissance imaginative. Le succès du mythe tartarien démontre l'appétit du public pour de telles narrations. Car au fond, la question que pose la Tartarie moderne n'est pas "cet empire a-t-il existé ?" mais "quel monde voulons-nous construire ?". Dans ses architectures impossibles se dessinent les contours de nos véritables aspirations civilisationnelles. À nous de les déchiffrer et de les traduire en projets concrets. Quand je repense à cette image de Poutine évoquant la Horde d'or, je me dis que nous assistons peut-être à quelque chose de plus large qu'une simple manipulation géopolitique. Nous assistons à la renaissance des mythes comme instruments de pouvoir, à leur résurgence dans un monde qui a perdu ses grands récits unificateurs. La Tartarie, dans sa version russe comme dans sa version globalisée, révèle notre soif de sens, notre besoin de transcendance, notre nostalgie d'un temps où l'homme et sa technique ne faisaient qu'un. Cela devrait nous inquiéter, bien sûr. Mais cela devrait aussi nous inspirer.|couper{180}