Le Dibbouk

Carnets autofictifs, explorations littéraires et réflexions sur l'art

Octobre 2025 | en guise de lettre d’information

Si octobre a été le mois des amorces et des expérimentations, novembre s’annonce comme celui de la consolidation. La structure en newsletter fait ses preuves, poursuivons donc sur cette lancée, en (…)
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Dernières publications

Carnets | Phrases

Novembre 2025| phrases

01 novembre 2025 Le vrai Bourgeois, c’est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules. --Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. [Mots-clés : borne, formule] L’enseignement est supérieur. La rentrée est littéraire. La dette est publique. Le secteur est privé. La défense est nationale. Les têtes sont chercheuses. L’intérêt est général. L’intelligence est artificielle. -- Guillaume vissac Septembre 2025 [Mots-clef : Antanaclase, parataxe, parodie] 02 novembre 2025 L’art, les préoccupations intellectuelles, les sciences de la nature, de nombreuses formes d’érudition florissaient très près, dans le temps et dans l’espace, des lieux de massacre et des camps de la mort. C’est la nature et la signification d’une telle proximité qu’il faut examiner. Pour quelles raisons les traditions et les modèles de conduite humanistes ont-ils si mal endigué la sauvagerie politique ? Ont-ils en réalité constitué un frein, ou bien est-il plus sage de reconnaître dans la culture humaniste des appels pressants à l’autoritarisme et à la cruauté ? -- George Steiner , Dans le château de Barbe Bleue [Mots-clef : Humanisme, barbarie] 04 novembre 2025 Et c’est alors que je vis le paon. Du toit en terrasse d’une maison voisine où flottait du linge mis à sécher, il sauta sur le rempart de sacs de sable, s’avança majestueusement jusqu’en son milieu, fit mine de déployer sa longue queue en une roue dont les nombreux yeux devaient simuler un monstre et effrayer tout agresseur potentiel, referma cependant son éventail de plumes à peine entrouvert, comme s’il venait seulement de remarquer que la ruelle trouée de nids-de-poule était déserte, déserte à l’exception d’un taxi qui rampait en arrière suivant une ligne serpentine, déserte : pas un rival en vue, pas un admirateur, pas un ennemi. -- Christoph Ransmeyr, Atlas d'un homme inquiet. [mot-clef : "je vis", Argos, Inde, Penjab, Atelier] Le pouvoir bourgeois fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage." -- Bernard Noël, blog de Joacquim Sené, via Karl Dubostet Descartes [Mots-clef : Sensure, bon sens ] 06 novembre 2025 Si je me réfère à ces pages, c’est parce qu’elles sont consacrées à une idée centrale concernant la possibilité d’une nouvelle poétique en rupture totale avec la « dictature du discours » : « Dans toute grammaire, il y a une logique, et dans toute logique il y a une métaphysique. Si on veut renouveler un langage, ce n’est donc pas en opérant des jongleries verbales, des variétés “novatrices”, à l’intérieur de l’état donné de la langue, c’est en remontant jusqu’à la métaphysique ». C’est ce qu’a fait Heidegger en décelant dans les langues occidentales une pensée métaphysique particulière, « onto-théologique », c’est-à-dire coupée du monde et tournée vers les arrière-mondes dénoncés par Nietzsche. -- Laurent Margantin sur la géopoétique de Kenneth White [Mots-clés : Dictature du discours, grammaire, métaphysique]|couper{180}

Carnets | novembre 2025

05 novembre 2025

Peu dormi, écrit plusieurs textes, dont un remisé dans la rubrique « carnet noir » que je n’ai pas osé publier à cause de la franchise nue que j’y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des réseaux. Même sensation que les jours où j’arrêtais de fumer : la même mécanique d’addiction. Le truc qui m’a servi alors : voir venir de l’horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres géantes, « TAXES ». Pour les réseaux, un seul mot suffit : « PERTE DE TEMPS ». Stage de peinture ce matin. Renoncement là aussi. Je sais être un bon professeur, mais c’est au détriment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-être des années. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma tête, c’était hier. Depuis les confinements de 2020 — oui, je sais — le temps s’est figé pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j’étais mort depuis cette date sans m’en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d’un monde qui n’existe plus. L’écriture aide à entrer dans cette intemporalité, elle aide à accepter la mort. J’écris mieux, peut-être parce que j’en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la térébenthine, je ramasse la poussière de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que « mieux » veut dire, et je m’en moque. J’écris comme un alpiniste à mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra.|couper{180}

peinture

Carnets | novembre 2025

04 novembre 2025

Entre deux catastrophes, l’oubli de la précédente, l’ignorance de la suivante, l’homme à tête de linotte bat des paupières en espérant s’envoler — ce qui n’arrive jamais. Par dépit, il donne sa langue au chat, en remarquant que c’est toujours bien difficile d’écrire « à la chatte » plutôt qu’« au chat ». Content, car après tout, pourquoi ne pas tenter de l’être, d’avoir à donner quelque chose plutôt que rien ? Enfin, il lève les yeux au ciel et voit le bleu. Il ne voit plus que du bleu. Il s’en remet tout entier au bleu ; cela finit par descendre sur lui. Il devient un de ces hommes bleus, calé entre deux bosses, entre deux dunes ; il traverse un grand désert à pas lents, toujours en se demandant : « Doit-on dire chameau ou dromadaire ? » Ou rien, pour avoir l’air, toujours l’air, alors qu’on étouffe, qu’on aurait bien des choses à dire, mais l’abondance — comme la pauvreté — se cachant derrière la facilité de la chose, l’épuise trop. J’ai remis hier ma copie pour l’atelier d’écriture. Je pense que l’atelier m’apporte surtout la vitesse d’exécution en ce moment. Mais il faut dire aussi que je baigne dans tout cela toute la journée et la nuit. Au dépens de tout le reste, j’en ai bien peur. Nouveau billet : phrases ouverture pour novembre. À relire octobre , bonne impression, quelque chose de tranquille, léger ; bien que ce soient des phrases seules, le blanc entre elles, sans doute, avec de moins en moins de doute. Et toujours cette ambiguïté fatigante de partager, de ne pas partager. Parfois je m’en tire sans me poser la question, c’est une affaire d’enchaînement de gestes, très rapides, sans réfléchir. Aujourd’hui la réflexion m’en empêche, je l’ai trop laissée prendre le dessus. Ici, prendre une nouvelle habitude : écrire court. Ménager le blanc entre les groupes de phrases. Patience, 40 jours suffisent pour prendre une nouvelle habitude, 40 nuits pour traverser un désert. illustration attraction à voir autour de Quarante (34)|couper{180}

Narration et Expérimentation

dialogues

conversation 1

(Un espace presque vide. Deux voix. Pas de décor, ou seulement un peu de lumière qui tremble. Silence avant chaque phrase.) LUI — Tu sais qui je suis ? L’AUTRE — Peut-être. Ou pas. Tu cherches encore. LUI — J’ai tout effacé. L’AUTRE — Ce n’est pas grave. Ce qui reste ne s’efface pas. LUI — Je ne cherche plus un nom. Je cherche ce qu’il y a avant. L’AUTRE — Avant quoi ? LUI — Avant le mot, avant moi, avant tout. L’AUTRE — Alors tu cherches le silence. LUI — Non. Ce qu’il y a juste avant le silence. L’AUTRE — L’air ? LUI — Oui, peut-être l’air. Ou ce qui bouge dans l’air. (Un temps.) L’AUTRE — C’est une drôle de conversation. LUI — Une conversation pour rien. L’AUTRE — Les meilleures le sont. LUI — C’est difficile pourtant. L’AUTRE — Parler sans but demande du courage. LUI — Je veux comprendre comment les choses commencent. L’AUTRE — Pour savoir comment elles s’achèvent ? LUI — Les deux en même temps. L’AUTRE — Alors tu ne veux pas comprendre. Tu veux voir. (Silence. La lumière baisse un peu.) LUI — Je ne sais pas. L’AUTRE — C’est déjà beaucoup. LUI — Tu me prends pour un mystique ? L’AUTRE — Non. Pour quelqu’un qui écoute trop bien. (Un léger rire.) LUI — Ce pourrait être du théâtre. L’AUTRE — Ça l’est déjà. (Ils se taisent. On entend presque leur respiration. Puis :) LUI — Je cherche un “moi”, je tombe sur une tenue. L’AUTRE — Tiens-toi comme tu écris. Écris comme tu respires. LUI — C’est une tentative. L’AUTRE — En vain. LUI — Oui. Et pourtant nécessaire. (Silence long.) L’AUTRE — Alors on continue ? LUI — Pour rien. L’AUTRE — Pour rien. (La lumière s’éteint lentement. On entend le bruit d’une tasse qu’on repose sur une table.) En 1945, Samuel Beckett publia un article intitulé « Le Monde et le pantalon », qui évoquait les peintres néerlandais Abraham et Gerardus Van Velde, plus connus sous les noms de Bram et Geer. Beckett a conclu : « Nous commençons à peine à dire du mal des frères Van Velde. J'ouvre la série. C'est un honneur. » référence site|couper{180}

dialogues