Auteurs littéraires
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Carnets | octobre 2024
Capote : L’Écrivain qui a Réinventé le Réel
Truman Capote, figure incontournable du journalisme littéraire et du roman américain, a transcendé les genres. De "De sang-froid" à "Petit déjeuner chez Tiffany", son écriture oscille entre la beauté et l'horreur. Capote a dévoilé les marges de l'Amérique avec une précision et un lyrisme uniques, redéfinissant les récits du réel.|couper{180}
Carnets | octobre 2024
Joan Didion : Chroniqueuse du Chaos et de la Désillusion Américaine
Joan Didion, figure emblématique de la littérature américaine, a marqué son époque par une écriture à la fois froide et profondément humaine. À travers ses romans et essais, elle a dressé le portrait d'une Californie en déclin, d'une Amérique en crise et d'une vie personnelle marquée par la perte. Du chaos des années 60 à la douleur du deuil, Didion a observé le monde avec une lucidité implacable, laissant une œuvre inoubliable, fragmentée et essentielle.|couper{180}
Carnets | octobre 2024
Raymond Carver : Poète des Vies Écorchées
Raymond Carver, maître incontesté de la nouvelle courte, a marqué la littérature par son style concis et ses portraits de vies banales hantées par l’échec. De ses débuts modestes à son apogée avec Cathedral, il a su capter la douleur et la grâce des existences les plus simples. Derrière ses récits minimalistes se cache une vérité : l'âme humaine, même lorsqu’elle semble brisée, vibre toujours de fragilités et de petites lueurs d’espoir.|couper{180}
Carnets | octobre 2024
Nikos Kazantzákis : Entre engagement politique et quête spirituelle
Nikos Kazantzákis, auteur de Zorba le Grec et La Dernière Tentation, a parcouru de nombreuses idéologies au cours de sa vie. De ses sympathies communistes à sa critique du nationalisme, il a constamment cherché à transcender les systèmes politiques pour se concentrer sur une quête plus intime : celle de la liberté intérieure et de la vérité humaine. Cet article explore son engagement politique, ses désillusions, et la manière dont il a finalement opté pour une approche spirituelle et humaniste, marquant ainsi l’une des trajectoires intellectuelles les plus fascinantes du XXe siècle.|couper{180}
Carnets | juin 2022
14 juin 2022
La voiture Google passe au sud du mémorial Raymond Carver, on ne peut s’y rendre à pied via le petit bonhomme, et il n’est proposé qu’une vue aérienne puis dans un encart, en haut à droite de l’écran , deux photographies, l’une prise en avril 2021 par Neil w et la seconde par MeA en juin 2022. Un peu plus loin on peut repérer la présence de deux grands bâtiments au toits gris, l’un à dominante mauve l’autre vert tirant vers le kaki qui forment, d’après l’indication la bibliothèque municipale de Clatskanie, ville de naissance de l’auteur. On dirait un parc enclavé dans l’un des coudes de la rivière qui a donné son nom à la petite ville. On peut la regarder cette rivière dont l’eau semble presque noire par endroit, serpenter ici dans cette partie de l’´Oregon, anciennement territoire des Yakumas, peuple amérindien dont il ne reste que de vagues allusions sur le site de Wikipédia et une réserve un peu plus loin, au nord de la petite ville de Yakumis, on peut la regarder et dézoomer aussi pour la regarder encore un peu plus, la voici là- bas enfin, elle rejoint le fleuve Columbia Si on revient aux photographies prises par ces deux inconnus, on peut constater la présence d’un bosquet d’arbres près du mémorial, ce sont des prunus. Sur la dernière photographie, celle de juin, ils sont en fleurs. On peut aussi lire sur la plaque du monument une phrase appartenant à l’un des recueils de nouvelles de Carver, quelque chose de férocement ou de désespérément poli, du style : Pourrais tu te calmer s’il te plait. Près de cette phrase gravée dans le marbre, le portrait de l’auteur, ce n’est pas une photographie, ça semble fait à la main, dessiné visiblement. L’artiste lui a flanqué des cheveux crépus de couleur grise ou blanchâtre ce qui lui confère en même temps tête de nègre et négritude. Sur la légende de Google Earth ce lieu semble être la seule l’attraction touristique de la petite ville de Clatskanie, Orégon, Etats-Unis. A droite les bâtiments de la Carver middle School,quelque part dans le Missisipi, à gauche au delà d’un terrain boisé des bungalows blancs, au milieu une route qui s’élève, le tout strié par les lignes électriques, le dynamisme de leurs obliques apaise l’ennui, l’immobilité procuré par les verticales. Il faut beau, peut-être froid, le soleil est sur la gauche, à l’est. Les arbres correspondent à leurs ombres, sans doute un milieu d’après midi. A part cette voiture au loin on ne voit personne. Un bouquet de lilas au premier plan sur le sol aux dalles disjointes et un homme qui se tient derrière les mains dans les poches près d’un parcmètre. Derrière lui objet en bois, une sorte de petite palette et un baluchon à carreaux blancs et bleus, et derrière encore la vitrine, des livres sur des rayonnages qui se confondent avec les reflets des immeubles la place Clichy. Sur la façade encore à la gauche de l’homme, des carreaux de couleur beige, sorte de faux marbre, deux petites photographies sont collés là en diagonale. Encore plus loin une femme adossée à une paroi de verre, près de l’entrée, robe orange qui s’arrête à mi cuisses, elle semble photographier quelque chose ou bien se remaquiller. Une autre tourne au coin de la rue manteau rouge sombre foulard bleu, tandis qu’une passante surgit ou disparait de l’image, en jean et baskettes consultant son portable. Etrange que Google Earth me propose la librairie de Paris, Place Clichy, comme résultat de recherche sur Raymond Carver ? Peut-être pas vraiment en fin de compte. L'intelligence artificielle en connait désormais un sacré rayon sur chacun de nous, elle se gave de nos souvenirs les plus intimes. Ce lieu m'est familier, j'y ai vécu dans une chambre d'hôtel proche pendant presque une année. J'allais diner au self pas loin, de temps en temps j'y retrouvais une nonne qui venait spécialement là par gourmandise, elle adorait les têtes de nègre. On parlait de l'amour, c'est quoi l'amour pour vous ? m'avait-t 'elle demandé.— L'amour c'est tous les jours ! j'avais répondu du tac au tac, ce qui nous avait bien fait rire. Parlez moi d'amour, ce bouquin de Carver je l'ai acheté dans cette librairie, probablement aussi les vitamines du bonheur, et jours tranquilles à Clichy de Miller pendant que j'y étais|couper{180}
Carnets | novembre 2023
08 novembre 2023-3
On n’erre pas pour atteindre un but, même au hasard. On erre pour s’en libérer. Pour se délier des finalités qui ne sont pas les nôtres, mais des implants, des lignes de code sociales. On erre pour examiner la pente. Observer la chute des leurres. Les miroirs aux alouettes, en nous et autour de nous. Quelque chose, un jour, ne colle plus. Tu refuses. Tu te cabres. Tu sors du rang. Et te voilà sans objet, sans fonction, sans rôle. Pauvre. Cette pauvreté, tant redoutée par le clan, devient une valeur inversée. Le meilleur du pire. Une boussole détraquée qui, pourtant, t’indique la seule direction fiable : l’errance. Et cette pauvreté, que cache-t-elle ? Voilà la vraie question. Tu pars. Pour réparer, en tremblant, quelque chose de cassé. En toi. Avant toi. Tu changes de visage. Tu en voles. Tu survis en métamorphose. Et un jour, tu rencontres un noyau. Un moteur. Ce que tu crois être ton être. Mais il ne l’est pas. Il ne l’a jamais été. Et tu luttes. Contre l’ange. En sachant déjà que tu perdras. Tu vas au bout. Et là, rien. Rien ne t’attend. Et cette déception nue t’éclaire. Elle balaye d’un revers tous les espoirs mal fagotés. Tous ces espoirs qu’on t’avait vendus, gamin. Alors, que faire ? Ouvrir les mains. Les bras. Entièrement. T’offrir, malgré tout. Car tout le monde se trompe. Errant ou non. C’est comme dans Hesse. Le roman que tous les adolescents lisent, fiévreux. Et auquel ils ne comprennent rien. Et toi, tu souris. Le sourire d’idiot que tu tailles sur ton visage pendant que le monde court, affairé. Tu le regardes passer. Et tu restes là. sous-conversation … errer… pas pour trouver… non… pour fuir… mais non, pas fuir… pour désactiver… pour éteindre… ces buts… pas les tiens… jamais les tiens… insérés… programmés… et maintenant quoi ?… vide… sans objet… tu te tiens là… ridicule… et cette pauvreté… elle pue pour eux… mais pour toi, non… elle brille… changer de peau… encore… survivre, oui, mais à quoi bon… un noyau… non, une illusion… encore une… tu luttes… oui… tu sais déjà… tu perds toujours… mais tu continues… pourquoi… et ce rien, ce rien au bout… c’est presque beau… presque… alors tu ouvres les bras… tu n’attends plus rien… le monde court… toi tu souris… idiot ? peut-être… mais présent… note de travail Ce texte est une trajectoire. Une sortie du langage fonctionnel, du social, des injonctions. Il parle depuis un lieu reculé, un arrière-pays de l’âme. L’errance y est une forme d’éveil, mais aussi une douleur — celle de n’avoir plus de rôle à jouer, plus de masque à porter. Le sujet se sait hors du monde. Il ne le pleure pas. Il l’observe. Avec détachement. Il n’essaie pas de revenir. Il cherche une vérité nue, débarrassée de toute mise en scène. Le combat avec l’ange évoque Jacob. Il renverse la honte : ne pas gagner est ici un honneur. Ne pas avoir de but est une victoire paradoxale. Mais la phrase-clé est celle-ci : "tout le monde se trompe qu’il erre ou non." C’est une réconciliation. L’errant n’est pas un héros. Le fixe n’est pas un esclave. Tous se trompent. Et cette conscience partagée produit, chez le sujet, un sourire — ce fameux "sourire d’idiot". Un sourire de Bouddha, peut-être. Ou de clown. Ce texte est une forme de sagesse nihiliste. Il ne propose rien. Il ne sauve pas. Mais il voit. Il voit très bien. Et cela, dans notre époque aveugle, est déjà une réponse.|couper{180}
Carnets | novembre 2023
06 novembre 2023
Pluie, vent, et déjà ce froid mordant. La facture de régularisation EDF est tombée. Salée. On a beau faire attention — lumières, multiprises, ordinateurs — rien n’y fait. C’est le toit qu’il faudrait refaire. Mais impossible. On sent poindre une mentalité de pauvre. Celle que j’ai toujours fui, même dans les pires moments. Le rouleau compresseur avance, et l’âge nous rend plus vulnérable. On se plaint déjà des articulations. Et la jeunesse hante, comme un fantôme. Rien ne soulage. Pas même l’horreur du monde. Hier, une femme dans l’Ouest, maison inondée, dit : je voudrais partir… je voudrais mourir. Cela se comprend. Moi aussi, parfois, je l’ai pensé. Trop d’absurdité. Trop peu de recul. Le stoïcisme a ses limites. Une avidité louche à se plaindre. Faire face. Toujours ce mot d’ordre. Héritage ? Reflet d’une tradition de survie. Hier soir, au vernissage de X. Trois peintres. Hommage à leur ancien professeur, mort du pancréas. J’apprends que sa fille a bradé toutes ses toiles. Pas la place. X a récupéré deux dessins, encadrés chez Action. Plus de carburant. J’ai pris la Twingo. Pare-brise embué malgré la ventilation. Dix-sept kilomètres dans la buée. Face à moi, des phares plein feu. Sauvagerie générale. On y entre ou pas ? Allumer ses pleins phares, vaille que vaille ? Non. Refuser. Garder quelque chose. Un peu de fierté. De dignité. À l’exposition, beaucoup de monde. P. a exposé un tableau inspiré de Bram Van Velde. Belle tentative, mais trop de travail tue le geste. Lissage, essuyage, excès de contrôle. Je rêve de matière. D’Anselm Kiefer. Ce n’est pas la couleur ou la composition qui manquent : c’est la vie. Peut-être cette absence dépasse les toiles. Peut-être est-ce un prisme. Je rentre, ébloui par les phares. 7700 morts. Comment rendre ça en peinture ? Kiefer, encore. Ce paysage blanc, strié de noir. Une manière élégante de refuser la sauvagerie. J’apprends qu’il écrit beaucoup. Des livres. Je ne savais pas. Je l’ai vu à Avignon. Son père était nazi. Lui, parle un français impeccable. Hésite à peine. Impeccable. Je termine la journée avec La fin du monde en avançant de Bergounioux. Il parle de sa Corrèze qui disparaît. Il cite Michelet, Kant. Kant, à Königsberg, sa ponctualité légendaire. Les cuisinières réglaient leurs plats sur son passage. Jusqu’au jour où, poussé par l’actualité française, il sort plus tôt. Le rôti brûle. Le gâteau aussi. Querelles. Deux heures de sommeil. Un rêve. Mon père, torse nu sur le canapé, en pacha. Comme autrefois. Et ce texte de B. sur son aïeul, soldat de la Grande Guerre. Deux ans. Initiation virile. Bon pour le service, bon pour les filles. Une copie carbone du père. Et les guerres légitiment l’homme. Combien de meurtres, de trahisons, pour oser se dire "j’en suis un" ? Le même que mon père. Mais sans les légendes. On se réveille dans un corps étranger. Rien ne nous regarde. L’imaginaire est parti. Les démons aussi. Voilà comment on vieillit. Illustration : Il y a quelques jours, en allant poster une lettre recommandée, un rayon de lumière a frappé l’église de mon village. sous-conversation … encore cette facture… encore… malgré les efforts… toujours plus… et le toit… toujours pas… le froid passe… entre les lames… pauvre… ce mot… il colle… je ne veux pas… mais il est là… la femme… noyée… moi aussi… parfois… oui… mais pas de larmes… pas de drame… juste… l’impossibilité de rire… faire face… mais à quoi ?… toujours à quoi ?… le vernissage… les toiles… trop lisses… trop calmes… trop mortes… et moi… je veux du Kiefer… du noir… du vrai… le pare-brise… la buée… les phares… est-ce que je peux… juste une fois… allumer moi aussi… non… non… Kant… sa rigueur… son cabillaud… et pourtant un jour… même lui… il sort… trop tôt… père torse nu… rêve… souvenir… pacha… temps d’avant… et le rayon de lumière… là… sur l’église… juste ça… juste encore ça… note de travail Ce texte est un journal de veille. Une tentative de tenir face au froid, au réel, à la guerre, à la fatigue, à la mémoire. L’auteur se tient au bord — du manque, du rêve, du doute. Il regarde tout de biais, mais intensément. L’élément central : la matière. Ce qui manque aux toiles, ce qui fait défaut dans la vie : une épaisseur, une accroche, un grain. Tout semble trop lisse, trop effacé. Et lui cherche du Kiefer, du Van Velde, du Bergounioux — des hommes qui font face, avec le corps, avec les mots. La guerre revient comme une question de filiation. Qu’est-ce qu’un homme ? Celui qui part ? Celui qui tient ? Celui qui tue ? Le narrateur ne croit plus à la réponse. Il vieillit. Il ne se reconnaît plus. Il habite un corps qui n’est plus sien. Mais il écrit. Et l’écriture, elle, tient. Même dans le froid. Même dans la fatigue. Et puis ce rayon, sur l’église. C’est peu. Mais c’est là. C’est beaucoup.|couper{180}
Carnets | septembre 2023
Cormac McCarthy
Notes de lecture du Passager. « Le Thalidomide Kid la dénicha dans un meublé de Clark Street. Près du North Side. Il frappa à la porte. Pas dans ses habitudes. Elle savait qui c’était, bien sûr. Elle s’attendait à le voir. D’ailleurs ce n’étaient pas vraiment des coups à la porte. Plutôt de vagues gifles. » Extrait de Le passager McCarthy, Cormac Ce qui m'a donné l'idée du site. On peut imaginer que le Kid soit un dibbouk, une âme errante qui vient s'introduire dans le corps d'un vivant pour achever d'accomplir une tâche. Le dibbouk existe également sur Wikipédia "Le Dibbouk (ou Entre deux mondes ; en yiddish : דער דיבוק אדער צווישן צוויי וועלטן) est un drame en trois actes rédigé en yiddish par Shalom Anski, de son vrai Shloïme-Zaïnvl Rappoport, et créé à Vilna en 1917. Il s'inspire du thème folklorique du dibbouk qui est, dans la tradition juive kabbaliste, un esprit qui entre dans le corps d'un vivant pour le posséder, à la suite d'une erreur ou d'une mauvaise action. Shalom Anski, ethnographe russe, rédigea cette pièce d'abord en langue russe. Puis, lorsqu'il la montra au metteur en scène moscovite Constantin Stanislavski, celui-ci lui conseilla de la réécrire en yiddish, afin qu'elle puisse être jouée d'une manière authentique par des acteurs juifs. Le Dibbouk est une pièce essentielle dans l'histoire du théâtre yiddish. Son auteur s'est fondé sur des années de recherches dans les shtetls en Russie et en Ukraine, où il s'est documenté sur les croyances et contes des juifs hassidiques." A noter aussi l'artiste plasticien et musicien Rainier Lericolais, Leah’le, la voix du Dibbouk, film 2021|couper{180}
Carnets | septembre 2023
Les Voix et les Mues : Entre Écoute et Positionnement
À partir de la lecture de Quignard, ce fragment s'aventure dans une exploration personnelle du malaise face aux voix aigües, la quête d'une identité artistique et la complexité du positionnement en art. C’est une plongée dans les méandres de la pensée et de la création, où se mêlent fatigue, introspection et une forme de rébellion contre les attentes du monde.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Pessoa comme Lautréamont
Je l'avais lu tôt, l'intranquillité de Pessoa résonnait tellement bien avec la mienne. Trop tôt peut-être, j'aurais pu encore jouir un peu de la jeunesse si je l'avais lu vers la quarantaine. Mais cette phrase "vivre cela n'est rien, naviguer est précieux" ou encore celle-ci, "je ne suis rien mais en moi il y a tous les rêves du monde..." Elle auront achevé une grande partie de mes doutes sur le fait de vouloir être quelqu'un et certainement avant même que je commence à en prendre conscience. Pas étonnant de voir que Lautréamont évoque également cette nécessité d'anéantissement de l'auteur. Pessoa comme Lautréamont comme on pourrait dire étoile comme fleur. L'utilisation d'un comme nécessite une disparition, d'abattre certaines cloisons. Il ne s'agit plus de métaphore au sens où on utilise la métaphore par défaut ou par facilité. Tout au contraire. On use du comme comme d'une gomme. Maintenant concernant la conscience que l'on peut continuer à entretenir durant la mort comme de son vivant, il s'agit probablement de la même chose, c'est à dire se résoudre à passer par le goulot étroit de cet anéantissement. De mettre fin à une fiction. Cette fiction qui, pour exister, aurait besoin d'une réalité. Une absence parce que les mots viennent mieux ainsi, ils ne sont plus freinés. Les mots sont comme des bolides qui traversent l'espace intérieur, et partant rendent compte de l'existence d'un tel espace. Qu'on puisse les projeter ensuite vers l'extérieur nécessite l'invention d'un extérieur également. On pourrait dire alors l'intérieur comme l'extérieur. J'ai souvent pensé non pas à la mort mais à qui j'étais avant de venir au monde. Avant de naitre et après-vivre, n'est-ce pas tout comme, abstraction faite de toutes les péripéties. très métaphysique ce mardi.|couper{180}
Carnets | avril 2023
Les chroniques de voyage.
Certainement un art à part entière. Peut on vraiment s’improviser chroniqueur de voyage. Des tentatives effectuées, impression de malaise. C’est plus un bloc-notes qu’autre chose. Que devrait-on inscrire dans ces lignes qui ne paraissent pas aussitôt dérisoire, futile, soporifique. Se renseigner sur l’histoire et la géographie des lieux. Essayer de rejoindre une logique interne à ceux-ci. Peut-être. Ou alors utiliser un ton, la méchanceté par exemple. Me reviennent les propos de Stendhal sur Grenoble. Et non, aucun souvenir des chroniques italiennes. Par contre Grenoble, quelle hargne, quelle méchanceté, sans doute justifiée, puisqu’il y est né. Comme j’avais aimé lire ce genre de textes vers quarante…M’y intéresserais-je encore à plus de soixante… rien n’est moins sûr. D’ailleurs Henri Beyle, Stendhal, n’a jamais été un de mes auteurs favoris. Jamais haï, jamais adulé. Des souvenirs passables de Dominique Fernandez. Sur l’Italie également tiens. Mais trop ampoulé pour mon goût, trop de chichis, trop de littérature. Ce qui me fait remonter à des interrogations essentielles quant aux écrivains en général. On ne sait jamais trop pour la plus grande partie comment ces gens vivent, mangent, baisent et chient. Comment ils parviennent à gagner leur vie, comment ils vivent vraiment, et écrivent. C’est grâce aux romanciers américains, principalement Miller, Bukowsky, John Fante, que le rideau aura été tiré sur cette énigme. Encore que, c’est aussi de la littérature, que le narrateur n’est jamais tout à fait celui auquel on pense. Laurence Durrell ami d’Henri Miller et si opposé cependant dans la façon de raconter les voyages. Mac Orlan très poétique, trop sans doute, lorsque je l’avais lu jadis en même temps que Pierre Loti, et bien sûr Cendrars. Je n’ai pas cité Jack London. Pourtant il avait été d’un précieux secours lui aussi. Non pour écrire des chroniques de voyage, sauf si on considère qu’écrire est bel et bien une forme de voyage, d’aventure. Plus proche de notre époque il y a aussi Nicolas Bouvier et son merveilleux livre, « l’usage du monde », je l’avais emporté avec moi en m’en allant au delà du Bosphore en 1986. Un poids. Et puis j’ai du le prêter ou le donner à quelqu’un. Et en y repensant, c’est un livre qui me manque. Qu’il serait bon de retrouver|couper{180}
Carnets | avril 2023
Rabelais et la maison dorée
peinture Philippe MAYAUX c'est vers la fin du xv ème siècle que l'on redécouvre les peintures dites grottesques et dont le mot perdra un t avec les années. grottesques car elles ont été trouvées dans les sous-sols de la villa de l'empereur Néron à Rome , la villa Aurea, ou maison dorée. Il fallu pour les voir extraire bonne quantité de gravats car des thermes construites plus tardivement les occultaient. On en retrouve la trace dans les écrits de Vitruve, qui n'appréciait guère ce genre d'ornement , le considérant "immoral" au sens qu'on accordait à la morale de son époque- c'est à dire (déjà) une confusion entre morale et réalisme, notamment dans l'art pictural. ces peintures grotesques sont avant tout des ornements destinés à décorer des murs vides, de moindre importance dans les maisons et les palais. Les artistes de l'époque ont pu exprimer par leurs réalisations une forme de résistance à la doxa qui imposait de ne représenter que des figures aussi compréhensibles qu'harmonieuses ( au sens de l'harmonie comme goût d'une époque tout autant) On y trouve un mélange de formes appartenant à tous les règnes, végétal, minéral, animal, confondus. Comme ces figures d' ornements furent découvertes à la lueurs de torches dans des souterrains, proche de l'idée de grotte, elles furent nommées ainsi. Puis le sens premier aura dérivé vers une notion mêlant l'absurde, le risible et le monstrueux. On sait que Rabelais fit plusieurs voyages en Italie avec son protecteur. Jean du Bellay, il n'est donc pas délirant d'imaginer qu'il vit ces peintures et qu'il put alors goûter celles- ci avec un tout autre niveau de lecture que le fit ce pisse-froid de Vitruve. J'aime penser que son Pantagruel en bénéficia tout comme la forme et le contenu qu'il y insuffla. Car il y a bien quelque chose de grotesque au sens moderne du terme dans l'abracadabrant récit d'Alcofribas Nasier. En apparence seulement. Au delà de cette apparence il me semble tout à coup que c'est avec toute une métaphysique pré socratique voire néolithique que l'érudit se relie, et nous relie le lisant. On pourrait penser aussi à tout le mal qu'une nouvelle doxa fit à la peinture, et dont Duchamp fut le principal chantre avec son ready made. Mais d'un mal jaillit souvent un bien comme on le sait. Dans les années 60 la peinture de chevalet était devenue une sorte d'hérésie. L'anathème avait été jeté contre le motif, le sujet, la représentation essentiellement en France d'ailleurs. Certains peintres voulaient néanmoins continuer à peindre des tableaux, à raconter des histoires en peinture, je crois que j'ai déjà cité le cas de Gérard Garouste, on pourrait lui ajouter aussi celui de Philippe Mayaux. Sur l'illustration de ce billet, on voit des rats qui se sont rassemblés pour dissimuler le motif. Je pense qu'on pourrait rapprocher sa peinture comme celle de Garouste du genre grotesque dans le sens où ce n'est pas la réalité commune ( conditionnée politiquement, économiquement, esthétiquement ) qui impose le sujet de ce tableau mais là aussi une philosophie proche de cette même métaphysique dont je parle plus haut et qui relie l'homo sapiens depuis plus de 40 000 ans ã ces peintres grotesques, à Rabelais, Garouste, Mayaux, et, je l'espère vivement, moi-même.|couper{180}