Rayonner
Peinture sans titre, Henri Goetz
Aujourd’hui je découvre avec plaisir un commentaire qui me propulse vers toute une série de souvenirs. L’évocation de la fac de Vincennes, d’Henri Goetz suffit à recréer tout un réseau neuronal, à retrouver même jusqu’à l’odeur de Paris, dans certains quartiers familiers. Particulièrement le parfum des plats épicés de mon ami le peintre Mouloud Aliouane, qui habitait à deux pas de cette université limitrophe.
Que savais-je de l’art à cette époque ? Rien, c’est à dire à peu près autant qu’aujourd’hui. Il représentait une curiosité naissante tout au plus. Et j’étais ouvert à tout vent lorsqu’une chose ou l’autre me traversait les tympans à son sujet.
— Achète moi un tableau, dans vingt ans tu ne le regretteras pas me disait Mouloud en plaisantant tout en préparant ses ragouts merveilleux que nous dévorions arrosés de Boulaouane, de Sidi Brahim.
Il était à fond dans le figuratif Mouloud, il s’appuyait sur Delacroix énormément, duquel il semblait tirer autant de hargne que de vigueur pour esquisser ses grands formats dans son tout petit salon. L’Orientalisme le galvanisait et aussi Matisse qu’il accusait d’utiliser des photographies, d’être tellement bourgeois, de tricher.
Et évidemment nous refaisions le monde. Il était un peu plus âgé que je ne l’étais, tout au plus 10 ans de différence et lui fréquentait la fac de Vincennes, à la poursuite d’une thèse de sociologie dont je ne me souviens plus très bien s’il y parvint ou non.
En même temps il travaillait dans des emplois hétéroclites, principalement de nuit, c’est sans doute là que nous nous étions rencontrés la toute première fois, au détour d’une ronde, d’une pause repas, dans ces immeubles bourgeois de la capitale que nous avions pour fonction dérisoire de protéger des intrus, voleurs, bandits espions.
Je n’ai jamais mis les pieds à Vincennes, à la fac de Vincennes. J’étais trop jeune et engagé sur de mauvais chemins déjà, à la Sorbonne du côté de Censier et de Tolbiac. Les études m’emmerdaient d’autant plus que j’avais énormément espéré qu’elles me libèrent, alors qu’en fin de compte je comprenais qu’elles ne faisaient que renforcer plus ou moins l’aliénation comme l’allégeance à un système bourgeois dont mon père incarnait principalement la figure.
J’aurais pu cavaler à Saint-Denis comme Mouloud me le conseillait mais une mentalité obstinée de pauvre finalement m’en empêcha. Une mentalité de pauvre qui ne veut pas se laisser faire faut il préciser. C’est à dire une rage fabuleuse à peu près contre tout, et rien. A cette époque je n’étais qu’une boule de rage roulant bord à bord d’une immaturité éblouissante.
Cependant que cette fac possédait une aura, un prestige déjà pour le révolté que j’étais, prestige notamment associé à Foucault et Deleuze car malgré mes airs de brute épaisse j’adorais la philo.
Les êtres dont je lisais ainsi des passages de leurs ouvrages à la bibliothèque de Beaubourg, quelques années plus tard, incarnaient aussi en grande partie l’espoir d’une société nouvelle qu’accompagnait l’élection de François Mitterrand à la même période.
— Achète moi un tableau, pense au prix des œuvres de Picasso me dit Mouloud en riant du fond de son désespoir.
— Et je le mettrais où ? je n’ai pas de mur assez grand, je répondais invariablement. Et ma foi c’était assez vrai. Mais la vérité est que la peinture figurative représentait surtout un ordre bourgeois où la notion de sujet me révulsait. Il fallait qu’un tableau raconte une double histoire à la fois visible et invisible je l’avais compris plus ou moins. Et cette ambiguïté, je la tenais pour responsable en grande partie de la misère du monde. Je rêvais de contact direct avec la réalité comme avec le monde et notamment les femmes.
Je venais de découvrir la photographie, notamment le noir et blanc et je ne cessais de m’acharner à prendre des clichés qui ne signifiaient rien. C’est à dire qu’à cette époque une bonne photographie pour moi était une photographie qui ne représentait rien d’autre qu’un espace et des formes puisant dans l’apparente réalité des choses et si possible la détruisant.
Cette obstination à représenter le rien, Mouloud essayait de me dire qu’elle était vaine, qu’elle ne faisait qu’indiquer ma jeunesse, mon immaturité, je n’en tenais pas compte.
J’étais obstiné au point parfois de m’évader durant de longues périodes dans la ville sans vouloir voir personne, me couper du monde totalement et n’être plus que l’œil de mon inconscient au travail.
La nuit, lorsque je ne travaillais pas, je développais mes négatifs, agrandissais certains clichés à la quête de cet infime détail que j’avais aperçu, semblable à l’objet insolite qu’il faut guetter au plus profond du rêve éveillé, dans les écrits de Castaneda, et qui, au bout du compte finissait pas s’évanouir me laissant dans un trouble, une angoisse quasi métaphysique.
Parfois la tentation de faire des photos classiques me prenait comme pour contrebalancer l’impact effrayant du vide que je découvrais. J’essayais de me raccrocher à une idée commune du beau que je laissais tomber très vite pour revenir à mes hantises. C’était bien plus un réflexe qu’une pensée approfondie. Peut-être que cette obstination vers l’inconscience me venait aussi de mes lectures anarchiques, celle justement de Foucault, De Deleuze et également des travaux d’André Masson qui m’avaient beaucoup impressionnés.
Cette forte impression d’ailleurs était truquée par le fait que ce peintre était l’ami du père de ma petite amie, un architecte qui s’essayait à la peinture et qui ne jurait que par l’art moderne.
Sans doute que mon élan vers la modernité dans ce domaine ne provint en premier lieu que de mon envie de plaire à cet hypothétique beau-père. Parfois il ne faut pas aller chercher midi à 14 h. La vie intérieure des êtres humains en ressort ainsi souvent bien plus simple.
Mais l’impulsion avait été donnée et c’est cela l’essentiel. Comme quoi même une intention bancale, un prétexte bizarre peuvent conduire quelque part sinon à Rome.
Cet art là, l’art moderne, l’art des révoltés si l’on veut, je ne comprenais pas à l’époque qu’il était naturellement issu en grande partie de la bourgeoisie elle-même. Qu’il n’était en fait qu’une réaction d’enfant trop gâté qui désirait prendre la place de leurs pères. Une histoire Œdipienne ni plus ni moins.
Le rayonnement que continuait toujours à produire la révolution de mai 1968 et qui avait fait choir De Gaulle de son piédestal ressemblait en tous points à cette lumière primordiale que les scientifiques traquent dans le vide interstellaire.
Le fait qu’il ce soit passé quelque chose à un moment donné pour rompre la continuité logique du monde, n’était il pas une sorte de miracle de la même espèce que le soufflé au fromage. Et comme je me sentais en retard, mécontent de ne pas avoir été là au bon moment, ce soufflé était retombé je ne voyais plus que ça, un magma informe avec lequel il allait falloir faire avec pour se sustenter au sein de mon chaos personnel.
Ce rayonnement produit par ces philosophes, ces artistes, son intensité était déjà affaiblie dans les années 80, mais que puis-je en dire aujourd’hui en 2021 ? Il me semble que son écho a presque entièrement disparu. Qui connait encore Michel Foucault, Deleuze, Goetz désormais mis à part toujours les mêmes finalement, c’est à dire une petite élite, qu’elle soit révolutionnaire ou pas importe peu, elle reste une élite.
Aujourd’hui dans ce système binaire que dire aussi de tous les écrivains humanistes qui peu à peu n’intéressent plus guère que les nostalgiques au sein de cette élite. Au bout du compte la nostalgie nous conduit à vivre dans des tours d’ivoire, ce que j’ai souvent refusé dans toute ma vie et que j’envisage comme mon risque majeur aujourd’hui.
Un lien vers un article qui aura déclenché certainement ce texte, Merci à Joël Hamm
Post-scriptum
hautPour continuer
import
Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
import
Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
import
Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}