Le double voyage #04 | parlons étapes

d’après une idée de François Bon, atelier d’écriture , et un ouvrage commun Carol Dunlop et Julio Cortázar Les Autonautes de la cosmoroute

A moins d’être tenu par le temps comme un chien en laisse, et de ne pas pouvoir pisser, car sans arrêt les contingences financières prennent le pas sur les biologiques, prendre le temps de faire une halte, de respirer est souhaitable dans tout voyage. Je dirais même dans toute activité humaine. Il n’y a que les robots qui semblent ne pas en faire, mais même eux suivent des routines informatiques collées les unes au bout d’autres et ces points de colle ne sont rien d’autre que des étapes si on y réfléchit. Rien n’est jamais continu dans ce bas-monde, tout n’est que diastole et systole. entre les deux , un vide, un suspens, une étape . Je me souviens de cette année 1983 oú l ’hiver fut très rude à tout point de vue. D’abord parce j’avais démissionné de ce boulot de vendeur de bagnoles en porte en porte. j’avais remis les clefs de la Fuego flambant neuve que le patron m’avait confiée pour aller faire bisquer tous les prolos des cités entre Boissy Saint Léger et Brunoy. Grand secteur . dans lequel j’officiais, spécialisé dans le porte à porte. Déjà en matière d’étape, j’en connaissais un rayon. Des journées truffées de noms de rues, des numéros de bâtiments d’étages , de portes , des noms de toutes origines rédigés , fidèles comme j’entendais ou lisais en prononçant à haute voix par phonème ou onomatopées tout cela noircissait les pages de mon agenda en moleskine noir grand format. La veille je prenais rendez- vous par l’entremise de madame pour rencontrer monsieur l’après midi parfois mais souvent le soir . Je rencontrais une porte fermée, et il fallait décaler de façon habile une nouvelle visite pour économiser énergie, temps et carburant , la vente c’est cela, une affaire de ténacité, de patience et d’entregent sans oublier un peu de jugeote. A cette époque chaque journée était comme un voyage, on savait à quelle heure on partait, en principe 7h du matin, mais le retour était aussi incertain qu’un bulletin météo. On pouvait même être surpris de rentrer de bonne heure si on s’était bien défendu question timing. Il y eut ainsi des jours miraculeux où je remportais la vente d’une R20 au cinquième à 19h puis de cavaler derechef au septième et refourguer une Twingo à 20h. c’est ce que j’appelais "tôt" à cette époque. Des journées jackpot dirait- t’on ? Non. Ce n’était pas de la chance, c’était le timing, le fruit d’une sacrée organisation menée étape par étape , voilà tout. De la jugeotte. Le matin était alloué à la prospection de nouveaux clients ou la visite de réguliers, on ne se mettait pas en tête de vendre le matin, pas du tout. On prenait des notes,des numéros de téléphone , on exposait des faits, des documentations techniques, on exhibait et remettait prospectus et carte de visite puis on goûtait toutes sortes de breuvages, thé, café, chocolat chaud ; parfois accompagné de petits gâteaux. Les ménagères qui m’ accueillaient étaient plutôt aimables , elles semblaient même contentes de discuter le bout de gras. On ne parlait voiture qu’en préambule, juste pour avoir une raison, un prétexte d’entrer. Il n’était pas rare qu’on en vienne à des sujets plus terre à terre, comme par exemple la perte de boulot du mari, les enfants qui étaient intenables , "Dieu merci il y a l’école" , un feuilleton policier que la dame ou son mari appréciait, les soucis de santé de tout acabit, la délinquance, la peur, la drogue, les bris de glaces, les vols. les odeurs de pisse dans les cages d’escalier. Les sujets pouvaient s’étendre à l’infini mais, je ne passais jamais plus d’une heure maxi par appartement. Il faut un minimum de cadre à tout. Durant la conversation je cochais mentalement des cases pour savoir s’il serait pertinent de revenir ou de laisser tomber en attendant, pour les pauvres bougres, des jours meilleurs. La journée du vendeur en porte à porte est un voyage. Avec de nombreuses étapes toutes plus étonnantes les unes que les autres. Il serait ardu de toutes vouloir les décrire d’ailleurs. Notamment celles du début d’après-midi quand la somnolence nous guette , on aurait envie d’aller se garer quelque part loin des cités, dans un bois, près d’ un champ de colza et de piquer un roupillon, ou celles qui arrivent autour de cinq à sept quand la concupiscence , l’ennui, la lubricité s’y mettent. De ces étapes il me reste des souvenirs de papier peint, de moquette, d’odeur de proutt de chien, du ragoût qui bout dans la cambuse , tout cela mélangé à des odeurs de parfum bon marché ; des photographies en noir et blanc et en couleur pour agrémenter le vide d’un mur ou d’une vie, la tête d’un petit chien sur une commode avec son faux marbre qui dit toujours "oui oui" comme ceux que l’on met sur la plage arrière d’une berline ; des tâches de moisissures qui attaquent les plafonds, des odeurs de javel dans les hall d’immeuble, des crampes dans les mollets quand les ascenseurs tombent en panne, et quelques moments de tendresse d’amitié, de complicité comme des fleurs de lotus surnageant toute cette merde ambiante. J’étais mal à l’aise de gagner ma vie sur le dos de ces gens. Pourtant j’étais un bon vendeur, on me l’a souvent dit. Mais quelque chose m’empêcha. Une tristesse je crois. Bref c’est comme ça que je suis arrivé à la fin de cette expérience, un voyage avec beaucoup d’étapes, un calvaire même certains jours et dont je n’ai pas fait grand chose à par me le ruminer de temps à autre, en aparté. Comme tous les autres voyages.

2.

Donc c’est l’hiver 83 au vingtième siècle et on me prête cette 2CV poussive pour faire Paris- Avignon parce que ma petite amie a trouvé un boulot la- bas, on ne pouvait plus payer le loyer de la Bastille et, du coup, j’avais réuni quelques affaires que j’avais flanquées dans le coffre. Puis j’avais tiré le plus que je pouvais à la banque avant d’être interdit bancaire et roule ma poule. Pour économiser je n’avais pas pris l’autoroute mais la RN7. Par contre pas possible de mettre le chauffage ce qui fait que du côté de Péage de Roussillon vers 22 h au bord de la cryogenisation j’ai opté pour l’autoroute à Chanas, mon plan était de rouler jusqu’à trouver une station service , de boire un petit café, de rester au chaud quelques minutes le temps de me réchauffer puis de repartir. Il y a de nombreuses aires d’autoroute entre Chanas et Avignon et certaines ne comportent pas de lieu de vie pour se réchauffer, juste un parking où des gros- culs viennent se garer pour roupiller, et des gogues. Ces aires là, je les évitais. Parfois je me demandais si j’allais tenir le coup d’une station à l’autre car elles sont éloignées d’une cinquantaine de kilomètres en moyenne. c50 bornes interminables Je me souviens que pour me donner du cœur au ventre je pensais à jacques London, à ses bouquins sur le Grand-Nord, au courage des chiens et des hommes pour affronter le blizzard et la nuit. Je rigolais quand même de conduire cette putain de 2CV sans chauffage. Le genre de truc qui n’arrive qu’à toi je me disais... c’est à l’antépénultième étape que j’ai rencontré un type qui faisait le plein à côté de moi, il caille vachement que je dis tout haut en me frottant les mains pendant que l’ essence dévale dans le réservoir. Problème de chauffage il dit , j’acquiesce. Il s’amène , ouvre le capot avant, bouge un truc et il dit c’est normal que t’as pas de chauffage t’es en position été. J’ai eut l’air con mais j’étais joyeux en même temps. J’ai tout de même pris le temps de boire un petit café à la station. Tellement content et crevé aussi que je me suis arrêté à toutes les stations qui restaient jusqu’en Avignon. Le chauffage m’avait tellement réchauffé que désormais il fallait que je lutte contre l’endormissement.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre