carnet 03

Proposition du jour :

« Je voudrais qu’on s’en tienne mentalement à la proposition précédente, Si loin, si loin, et qu’on se la remémore : fragment de réalité aux limites du souvenir conscient, qui restait lacunaire, incomplet, mais a surnagé dans la journée d’hier comme étant cela qu’on avait à attraper, respecter dans sa fragilité et son incomplétude, et rapporter là des deux mains dans le présent, palpitant et vibrant. C’était un souvenir comme sans bords, scène ou sensation ou objet, il est ambivalent : il donne accès à son contexte, on peut le franchir comme une porte pour atteindre à ce contexte, ou bien le détacher de son contexte pour en faire ce fragment de langage, le restituer ici et maintenant comme poétique. Mais une poétique qui aurait conservé ce caractère d’être « sans bords ». Alors, une fois refixée en nous cette démarche, et si on l’utilisait pour décrypter une nuance, un fragment, du réel même ? Non pas un exercice d’observation, mais se saisir, dans le réel traversé cette journée-ci, d’un détail de même sorte, un détail qui soit sans bords. C’est passé presque inaperçu, fenêtre éclairée dans la nuit, ou vitrine, ou visage. Derrière la vitre d’une voiture, ou au coin d’une rue. Une maison ou un balcon, et le temps d’un millième de seconde l’impulsion à y aller voir de plus près, ou l’illusion qu’on aurait pu franchir ou entrer. « Il aurait fallu ». Si on avait eu le temps de. Si on avait eu la permission de. Et bien sûr qu’on ne l’a pas. Bien sûr que même la peau la plus coriace du réel, du présent, inclut ces points de fissure ou de porosité. Ou d’appel tout simplement : fragment de réel qui aurait désiré qu’on s’y arrête, et on ne l’a pas fait. Est-ce que cela fait sens, de rester dans cet « il aurait fallu », dans cet « on aurait dû », et rapporter là, à la surface du texte, sans plus de justification ni de contextualisation ni d’explication, ce tout petit point du réel qui nous semblait « traversable » ? Et c’était si fugace, tellement à distance. Comment aurions-nous pu nous rendre à cet appel ? La réalité complexe traversée dans le temps que scandent ces propositions, l’appréhender non pas comme descriptible, mais comme potentialité d’exploration. Se projeter dans cette fissure ou cette porosité, cela serait fiction. Ramener là, dans une note, cette potentialité même, et on aura d’une part ce petit fragment fragile de réel, mais en tant qu’il est traversable, en tant qu’il recèle de la fiction. Nous, ici, parce que c’est le carnet et pas la fiction, on s’en tient à ce petit fragment. Et nul doute que l’ambivalence y sera présente, rémanente. »

00:02. Il aurait fallu, mais pas assez de temps, pas suffisamment d’audace, pas assez de curiosité, pas assez de confiance, pas assez de volonté, pas assez de concentration, d’attention, ignorant tout encore de la valeur du fugace, du sans-bord, pas suffisamment intelligent, pas encore assez grand, encore trop perméable, peut-être aussi trop occupé à me débattre avec moi-même, à éprouver cette peur irrationnelle de l’autre reflet permanent du désir tout aussi irrationnel, à me tenir perpétuellement ailleurs qu’ici, nourrissant tellement d’espoir pour des chimères, tout entier ramassé dans une idée d’attraper, de saisir, de posséder, aveuglé à force d’être arc-bouté dans l’obsession de voir, il aurait fallu tellement d’atouts que je me disais ne pas posséder. Et c’est exactement ainsi que j’ai laissé filer une vie presque entière à me demander ce qu’il aurait fallu que je possède vraiment pour ne plus jamais me demander ce qu’il aurait fallu que je possède.

00:36. Il aurait fallu que je lui dise la vérité, c’est à dire ce que je ressentais véritablement, c’est à dire une indifférence chronique quant à ses gesticulations, le ton souvent trop aigu de sa voix et qui me rappelait à ma propre idée de la fausseté, qu’elle était ce triste reflet de moi-même, insupportable reflet, caricature grotesque qui me revenait comme un boomerang en plein cœur. L’indifférence était le seul refuge que j’avais trouvé comme possibilité de quiétude, de sécurité, d’unité. Si soudain j’avais lâché prise, que je tente de faire un seul pas au-delà de cette forteresse, ma dispersion eut été absolument totale, j’aurais alors eu la sensation d’exploser en une myriade de morceaux de fragments qu’aucune force au monde n’aurait jamais pu recoller. Le pire est que je ne garde presque aucun souvenir des raisons qui m’ont poussé à cette époque vers cette indifférence, cette cruauté.

Elle avait le don de déclencher cet agacement que je considérais comme une agression, un danger capable de remettre en question toute la structure de l’édifice encore fragile de ce que j’ai peine à nommer ma personnalité. Ses observations ironiques qu’elle avait coutume d’énoncer avec cette fausse naïveté qui la caractérise encore dans mon souvenir, ses observations sur la maturité nécessaire, indispensable pour écrire, elle les lâchait comme des bombes, en passant, se foutant totalement de savoir ce qu’elles pouvaient déclencher chez l’orgueilleux que j’étais. C’est à dire des ravages inouïs, des réponses d’une perspicacité irréfutable, implacable quant à la plupart des doutes que je nourrissais en secret.

La hantise autant que le désir qu’on me mette le grappin dessus. La hantise que l’on m’achève autant que l’on me redonne la possibilité de vivre. J’étais probablement aussi timbré qu’elle. Derrière la façade de ce jeu amoureux que nous nous efforcions de jouer, impossible de ne pas voir les enjeux. Le surnaturel ne fut jamais aussi présent que lors de cet été 1989. Il ne fut surtout présent que parce que je l’´appelais depuis des années, parce que j’avais fait tout ce qu’il m’était humainement possible de faire pour qu’il surgisse soudain, concrètement dans ma vie.

Elle incarnait l’ Autre. Et ce que je nomme encore surnaturel aujourd’hui n’est sans doute rien d’autre que le saut dans le vide exigeant bravoure ou bêtise pour l’effectuer. Se donner tout entier à l’autre. L’expérience acquise du sujet m’avait conduit à conclure à l’ineptie, à une impossibilité ontologique. Rien de plus encombrant que de recevoir autant, et de ne rien savoir en faire, de rester tétanisé par l’offrande, avant de s’appuyer sur ce qu’il faut bien nommer la réalité pour s’en sortir.

Cette réalité est celle éprouvée des mes premiers jours, mes toutes premières respirations. Un ennui absolu. Je peux comprendre que le fait d’être né avant terme fut l’une des cartes reçues avec laquelle il fallait faire avec. Ces quelques semaines, mois, isolé derrière les vitres d’une couveuse. Ce peut être la raison principale, rationnelle. La raison pour laquelle l’autre est installé sur un piédestal. L’autre qui passe en coup de vent. On éprouve sa présence au moment même où il tourne les talons. Une frustration créant le socle, le piédestal, comme le rejet, l’envie de meurtre, le désespoir causé par la totale dissolution alors que l’on espérait au contraire se réunir. Les va et vient incessant de l’autre. Un objet insaisissable que l’on ébauche par petites douleurs régulières, une torture lente mais efficace. Et bien sûr on est inconscient de cette construction. On remplace l’inconscience par la tristesse, la colère, le désespoir, l’ennui, la rage. Alors qu’on ignore encore la définition précise des mots. On s’appuie sur les émotions innommables encore. Elles laissent d’indélébiles empreintes. A terme impossible de dire si le bien ou le mal est fait. Mais aussitôt que la solitude est présente la couveuse se recrée irrémédiablement. Sans doute parce qu’elle offre aussi un bénéfice malgré tous les déboires, l’acrimonie qu’on en conserve comme principal. La solitude développe l’imagination.

Il aurait fallu que je comprenne à quel point l’histoire, toujours la même se répéterait. Comme une mélodie allant d’octave en octave. Apprendre à détecter qu’il s’agit de la même chose à chaque fois représentée sur un ton, une fréquence différente. Le crescendo n’existerait que pour créer la nécessaire douleur accompagnant la lucidité.

L’installation, au sens artistique de l’Autre comme sommet et gouffre. Comme extase et affre, un insécable. Enfer et paradis réunis dans la figure de l’altérité.

Il aurait fallu continuer la marche, se perdre en forêt encore plus souvent, traverser des champs s’étendant à perte de vue sans âme qui vive. Se rapprocher de la nature. Ne pas la lâcher. Pénétrer la nature des arbres, trouver leurs noms imprononçables. Pas faute d’avoir essayer. Mais essayer insuffisamment réduit l’effort à rien, l’annule de façon irréversible. Sensation pénible d’avoir à chaque fois tout à reprendre depuis le début. Sensation de s’obliger à s’en remettre à une ignorance fondamentale. Essentielle. Une injonction intérieure irrépressible de devoir tout reprendre à partir de ce rien vers lequel la nécessité du retour semble impérieuse. Je n’ai jamais su faire autrement.

Déborder du cadre de l’exercice. Une impudeur. Une impolitesse. Une erreur. Un péché. Tout ce que je demande toujours implicitement à mes élèves. Tout ce que j’ai toujours demandé aussi à l’amitié. Tout ce que j’ai toujours demandé à mes compagnes. Déborder. Peut-être pour me rejoindre dans ce débordement incessant. Cette navigation sans sextant. Ce refus acharné de toute destination associée au familier, à cette prison que représente la familiarité. Familiarité synonyme de débauche, d’une autre version mortifère du laisser-aller

le débordement en contrepoint du laisser aller. Le *on s’en fout* pour contrer le *il aurait fallu.*

déborder comme vivre.

Il aurait fallu que je lui dise clairement à quel point le goût de ce rouge à lèvres, ce putain de « Rouge Baiser » faisait surgir en moi le dégoût de tout le trompe- couillon dont elle s’obligeait à s’enduire pour créer une image d’elle qui ne collait pas. Car au fond je la voyais, je la voyais clairement, je ne voyais qu’elle.

elle était cette petite sauvageonne, cet être aussi ruiné par les hasards et que le discernement me présentait comme un reflet de qui je suis, qui j’ai toujours été. Je me souviens, un seul verre d’eau m’aurait suffit pour que j’étanche toutes les versions de ma soif. Pour que le mot inextinguible disparaisse à jamais de mon vocabulaire. C’était là toute mon ignorance de l’autre, femme ou homme, aussi prisonnier que je l’étais encore d’un monde d’images, de stéréotypes, de schémas. Cependant que j’étais incapable de prendre suffisamment d’altitude, de tolérer, d’accompagner doucement. Tranquillement. Ma tranquillité ne le supportait pas encore. Et surtout il aurait fallu que je trouve la foutue balance pour peser le pour et le contre. Avoir raison ou être en paix.

4h35. Il aurait fallu que je me taise. Que je n’ajoute pas de la peine à la peine. Mais ce fut plus fort que moi. J’en avais marre, ras le bol, d’être un vieux sage. Je devins un vieux fou, pour voir ce que ça fait, pour changer de crémerie.

4h44. Il aurait fallu suivre ma première impression, mon intuition. Acheter coûte que coûte cette boîte vide de cigares. Panther. À la place j’ai craqué mon billet pour une belle boîte de peintures. A l’intérieur des fiasques en métal, des flacons de médium encore pleins, de vieux tubes de couleurs à l’huile extra fines. 10 euros l’ensemble. Ma mère de mémoire possédait une boîte semblable. Pas retrouvée non plus lors du déménagement.

12h19. Il aurait fallu trouver des formules encore plus simples pour expliquer aux élèves le but de l’exercice de ce matin. Ne les trouvant pas je leur ai fait un dessin peinture.

Acrylique sur papier format 21x29,7 cm

16h. Il aurait fallu que je pense à ce format plus tôt au cours de ce blog. En fait j’y avais songé en lisant l’excellent blog de Thierry Crouzet et ses carnets. Mais il est beaucoup plus costaud que je ne le suis en code informatique. Et puis je suis privé d’accès FTP étant donné qu’en novice j’ai pris un hébergement là où je ne recommanderai jamais désormais de le prendre.

Lu le texte sur le pragmatisme de William James. J’aurais du vivre dans ces années là, on se serait rencontrés et sans doute bien appréciés. Mais aussi il aurait fallu que je sois vieux, qu’on ne m’enrôle pas dans la boucherie de 14-18. Encore que mourir jeune à condition d’avoir pu écrire quelques textes résumant l’essentiel, est-ce plus intéressant que de vivre vieux sans avoir rien fichu, ça se discute. Comme ce doit modifier l’écriture une bonne fois pour toute en tous cas. Tous ces écrivains qui sont parvenus à se survivre ensuite… à quel prix… évidemment Céline, Apollinaire. Bon il faut que j’arrête ce carnet pour aujourd’hui, je commence à raconter vraiment des conneries.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre