Autour d’une démarche artistique
Paysage d’Estonie
L’intention première.
D’où vient l’envie de peindre ? D’où vient l’envie ? Je dis « envie » mais est-ce le bon mot ? Il s’agit sans doute plus d’une nécessité, encore que je me méfie de tout ce qui est nécessaire, trop proche à mon gout d’un autre mot tout aussi suspect : l’essentiel. Peut-être qu’avec l’âge la prudence s’installe ainsi, et on se rend compte qu’on ne peut guère formuler que des hypothèses. De là aussi cette difficulté toujours renouvelée à m’établir dans une démarche artistique telle qu’on est sensé en attendre une chez les peintres.
Peut-être que tout aura commencé en regardant ma mère peindre tout simplement.
Elle devait posséder quelque chose, du talent certainement, mais c’est un mot d’adulte, enfant je ne connaissais pas encore ce mot, j’appelais plutôt cela le « pouvoir magique » de créer de si beaux tableaux. Et comme c’était ma mère et que j’étais son fils, il m’apparaissait aussi comme une sorte de dû que la peinture un jour, et surtout le talent de peindre devrait m’appartenir un jour aussi.
L’histoire commence avant ma mère et moi évidemment. Le père de ma mère était peintre. Il s’était enfui d’Estonie peu après la révolution russe de 1917 et était devenu peintre de décors de cinéma dans les Studio d’Épinay sur Seine, en région parisienne. Peut-être que ma mère petite fille, tout comme moi, imaginait également que la peinture était un pouvoir magique dont il serait comme une évidence d’hériter. Peut-être mais nous n’en n’avons jamais vraiment parlé.
Les évidences dans lesquelles nous espérons sont souvent silencieuses. Comme si les dire à voix haute les relèguerait soudain dans l’espace du rêve, du fantasme, de l’imagination. D’ailleurs je me souviens, lorsqu’en pleine nuit j’étais réveillé par un cauchemar, et que je venais demander de l’aide, elle me conseillait de le lui raconter immédiatement pour que jamais ce cauchemar ne puisse prendre pied dans notre réalité.
Je n’ai jamais compris ma mère lorsque j’étais un enfant, pas plus que lorsque j’arrivais à l’adolescence, et encore plus tard à l’âge adulte. Et même lorsqu’elle disparu en 2003 emportée par un cancer, j’avais l’étrange sensation d’être passé totalement à côté de celle qui m’a donné la vie.
C’était une femme complexe. Elle pouvait souffler le chaud et le froid quasi instantanément. Aujourd’hui on parlerait de « double bind », de double contrainte. Elle était capable de tout ce que je découvris peu à peu en moi au fur et à mesure des années. Dans le fond nous sommes depuis toujours exactement semblables, tellement que nous n’arrivions tout bonnement pas à y croire ni à l’accepter.
Il n’y a pas que de l’amour, il y a aussi beaucoup de haine de part et d’autre dont la cause est cette ressemblance confondante.
Dans le fond ce qui nous rapproche le plus ma mère et moi aujourd’hui c’est une solitude constituée par toute une série d’événements que nous n’avons pas vécus mais qui nous ont été légués.
L’exil, et l’errance notamment.
Un empêchement chronique à nous assimiler pour protéger une mémoire qui aurait menacé de s’effacer sans doute si nous étions parvenus autant elle que moi à ne pas tirer parti de cet empêchement pour construire un semblant d’identité.
La peinture est donc un fil rouge qui nous relie tous, toute la partie Estonienne de la famille.
Et en ce sens, je crois que j’ai détecté assez rapidement que je ne peignais pas parce que j’en avais envie, ni parce que la peinture était pour moi une nécessité vitale, mais bien plus parce qu’elle était une sorte de canal, de rituel, pour honorer les morts, pour leur rendre une forme d’existence, pour valider leur existence et par ricochet la mienne, si l’on veut.
Évidemment je vous parle de cela à 62 ans je n’aurais probablement jamais eu le courage de l’exprimer ainsi si je l’avais découvert plus jeune. Il me serait apparu aussitôt une imposture.
—Comment ? vous qui êtes un artiste, vous ne peignez pas parce que c’est votre nécessité ? N’avez-vous donc pas lu Rilke ? N’avez-vous pas lu « lettres à un jeune poète ? »
Si bien sur je l’ai lu, plusieurs fois même. Avec un gout d’amertume dans la bouche car à l’époque j’essayais vaguement d’écrire des poèmes, des nouvelles, des romans, mais je n’y découvrais nullement de vraie nécessité. Je pouvais tout à fait vivre sans écrire une seule ligne. Comme je pouvais vivre sans poser une seule touche de couleur sur une toile.
C’est que l’on cherche toujours plus ou moins une authenticité, une vérité intrinsèque, ou ontologique qui n’existe pas et que l’on doit un jour ou l’autre s’inventer tout seul. Puis la seconde étape demande d’oublier ce mensonge, d’y croire enfin comme la seule vraie réalité pour soi.
Mais que se passe t’il lorsqu’on se souvient à chaque instant que cette croyance et un mensonge ? Lorsqu’on persiste dans cette croyance en l’honnêteté qui n’existe pas plus non plus….
Il se passe des années, il se passe un temps fou. Et dans ce temps nous ne cessons d’osciller entre le doute et la certitude envers cette intention première qui nous pousse à peindre.
Heureusement le temps n’est pas constitué que de douleur, il est aussi constitué de plaisir et de joie, de la joie de découvrir, d’apprendre, de travailler, de travailler à se rapprocher de soi que l’on finit par découvrir comme postulat premier pour mieux se rapprocher des autres.
Aujourd’hui je suis devenu professeur de peinture et je dis aussi artiste-peintre. J’en plaisantais encore il y a peu. Toujours cette sensation d’imposture qui ne me lâche jamais vraiment, et cette dérision de moi-même. Lorsqu’elle me flanque un peu la paix, je peux accepter d’être un artiste-peintre surtout lorsque je considère comment d’autres ne se gênent absolument pas le déclarer avec beaucoup moins de billes dans leurs poches.
Mais quelles sont ces billes dont je parle ? Les années passées à enseigner ? la technique ? Les expositions que j’ai réalisées ? Les toiles vendues ? des billes comme des preuves d’autorité ?
De quelles billes je parle pour me rassurer ? Ou plutôt pour ne pas évoquer le principal, le gros calot que j’ai dans le cœur ou l’âme, ce poids d’âne mort.
Je n’ai pas ce désir de peindre comme je le remarque chez de nombreux peintres, jeunes ou moins jeunes. Je n’ai pas la passion de la peinture vraiment. Sans doute parce que je sais à présent ce que valent ces désirs et passions là, qui servent surtout à entretenir notre propre légende, à nos propres yeux et à ceux des autres.
L’écueil fut la notion du beau je crois. Pour mon grand-père maternel et ma mère l’importance du beau était sans doute primordiale, c’était la fonction première de la peinture.
Je ne saurais dire s’il y avait une véritable intention artistique autre que de créer de belles choses. Et longtemps j’ai crû que le seul but de la peinture était ce beau.
J’en suis revenu. Ce qui m’intéresse désormais ce n’est pas tant le beau que ce qui pour moi le constitue, sa justesse. Evidemment, j’ai du mal dans le monde actuel. Mais ce n’est pas grave, j’ai accepté désormais tout un tas de choses, de perdre tout un tas de choses surtout pour m’engager dans cette idée de justesse, dans la vie et dans la peinture.
La peinture dans ma famille sert aussi bien à s’extraire d’un naufrage qu’à mettre en place toutes les conditions pour en créer un autre, comme si la victoire finalement devait être une défaite. Toute victoire effectivement, en y regardant de près est une vraie défaite., mais justement la victoire n’est pas faite pour être regardée à la loupe, elle est comme un tableau, ça se voit de loin, la plupart du temps. C’est ce que l’on m’a transmis, que je n’ai pas su comprendre vite, ou plutôt peut-être que j’ai trop bien compris et trop vite.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}