Je sors dans la cour pour sentir le temps. Tasse de café aux lèvres, j’écoute les premiers oiseaux - ce chant venu du fond des âges, à la lisière de l’aube et de la nuit. Un divertissement qui m’éloigne de l’essentiel.
Une fois le seuil de l’atelier franchi, toujours ce même malaise. Cette épreuve entre l’« à quoi bon » et le « je ne sais pas quoi faire ».
Je fais des plans détaillés, documentés. Mais toute planification m’impose de me quitter, de retrouver ce moi qui ne sera pas moi. Cette apparence.
Puis j’envoie tout promener et m’installe devant la toile, vierge ou inachevée.
Je reste là sans rien faire. J’essaie de comprendre. Je ne comprends jamais. Mais je recommence chaque matin - sans cette tentative, à quoi bon renoncer ?
Désarmé par l’évidence, je prépare mes couleurs : les trois primaires et un peu de blanc au centre de la palette.
Et puis je disparais. Je réapparais. Au gré des effacements, des ajouts, des erreurs. Des tons gris ou sales, des excès de gras, des couleurs trop vives ou trop ternes.
Tout cela ne tient qu’à moi. Et moi, je tiens à lui - à ce désordre dont j’ai absolument besoin pour trouver l’ordre.
Le Graal, c’est un peu ça, la quête. Les pièges sont nombreux. J’y tombe sans cesse, sans doute parce qu’au fond, je sais très bien de quoi il retourne.
Il faut faire des centaines de tableaux pour le comprendre. Pour en être certain. Et quand on croit comprendre, surtout ne pas s’arrêter : ce n’est jamais cela, voyez-vous.
Chaque tableau n’est qu’un indice. Une coquille vide. Celle d’une défaite toujours renouvelée.
Rien d’important là-dedans. Rien à voir sur une seule toile - j’ai beaucoup espéré, mais c’est passé.
J’imagine que quelque chose se situe entre les tableaux. Cette histoire dont je vous parle - l’intimite du peintre, si l’on veut.
Ah, j’oubliais : n’essayez pas de faire comme moi. Vous n’y parviendriez pas. Je m’entraîne depuis trop longtemps.
Maintenant, je me tais. Il est l’heure d’y aller.