janvier 2022
Carnets | janvier 2022
02 janvier 2022
Le mien est toujours intérieur. Et il englobe tout le plein extérieur. C’est une découverte valant le premier pas de l’homme sur la lune. Il n’y a de véritable vide que là, et dans lequel toutes les informations ressemblent à ces étoiles filantes qu’on imagine rêver. Parce que le rêve est sans doute la seule issue valable, celle que j’ai trouvée, pour faire face au trop plein comme au trop vide. C’est de ce vide je crois que mes mots viennent, ombres qui se meuvent indolentes et espiègles sous la surface de la conscience. Mais parfois une gerbe, un bond, des éclaboussures dépassent cette conscience elle-même, une joie qui approfondit encore plus ce vide lorsque tout disparaît soudain. Comme le mot fin au bout d’une série de phrases de chauffe. Un peu plus tard dans la journée : Le risque de vouloir faire de jolies phrases, des phrases percutantes, c’est qu’au bout du compte, il ne reste que ça : du joli, du percutant. Comme une journée d’été où il ne se passe absolument rien, à part du soleil. C’est un peu comme peindre un tableau en ne misant que sur l’habileté. Des coups d’épée dans l’eau. Tout en surface, sans jamais atteindre la spontanéité des profondeurs.|couper{180}
Carnets | janvier 2022
02 janvier 2022
Les fêtes, ça ne me dit rien, pas plus que les enterrements. Il ne reste que ce dimanche à passer. Traverser tout ça sans trop s’attarder, essayer d’éviter les paquets de confettis, même si ici, à Sète, on n’en voit pas beaucoup. La connexion internet est aussi mauvaise que mon humeur pour cette période. Je publie peu, je commente peu. Et le temps est gris. J’ai plaisanté en disant qu’on devrait porter plainte contre la météo — l’an dernier encore, ils nous promettaient du soleil à en attraper des coups de chaud. Mais bon, il en faut plus pour qu’on s’arrête. On a fini par marcher. On a marché longtemps, dans un air chargé de brouillard et de froid. On est arrivés au cimetière Le Py. Le cimetière des pauvres. Avant, c’était là qu’on enterrait les gens sans famille, pour libérer les fosses communes. Maintenant, les promoteurs se battent pour chaque mètre carré du bord de mer. On s’est arrêtés devant la tombe de Georges Brassens. Je me dis souvent que j’ai eu avec lui une sorte de relation père-fils. En regardant les noms autour de sa tombe, je me suis senti bizarre, un peu étourdi. Il y avait le nom d’une de mes ex, gravé en lettres dorées. J’ai allumé une cigarette. En quelques secondes, je nous ai revus tous les trois : le poète, elle, et moi, si l’on peut dire ça comme ça. J’ai eu un pincement au cœur. Une fois de plus, j’étais celui qui restait sur le carreau. Et puis la brume s’est dissipée. Je me suis senti léger, comme si je me débarrassais d’un poids qui traînait là depuis longtemps, sans que je m’en rende compte. J’ai réalisé que je ne pouvais plus en vouloir à personne. Juste à moi-même et à mon imagination débordante. Je me suis dit : « Voilà, enfin, c’est fini. » Je savais que ça ne m’apporterait pas de joie. Juste une paix étrange, comme celle qu’on ressent en sortant du boulot, après s’être fait virer. Sinon, fait divers pas loin de là : Ça a commencé le soir du 31 décembre. Une rave s'est installée quelque part au-dessus de la carrière, entre Villeveyrac, Loupian, et Poussan. On dit qu’il y avait entre 1 500 et 2 000 jeunes sur le site, venus à pied par les chemins qui traversent les vignes. Deux semi-remorques avaient été montés là-haut avec tout le matériel de sonorisation, et ça n’a pas pris longtemps pour que des camions, des camping-cars, et toutes sortes de véhicules s’y entassent. Des voisins décrivent une foule "très jeune. Beaucoup de mineurs. Des Français, mais aussi des Italiens, des Espagnols." Certains disaient même en voir qui rentraient à pied le long de la route, un peu à l’aveugle, avec le brouillard. "Ça nous inquiétait", disaient-ils. Le maire de Villeveyrac, Christophe Morgo, n'était pas vraiment surpris. Il a déjà vu ça. "Pour les déchets, on verra lundi", a-t-il dit, en soupirant. Ce qui l’agace, c’est aussi l’endroit où ils se sont installés. "Ce sont des terres communales, des terres qu’on avait replantées avec des nectarifères et des mellifères pour les abeilles." Il ajoute, presque soulagé : "Heureusement, le berger qui vient ici n'était pas encore arrivé !" En 2021, pas moins de 36 raves avaient eu lieu ici, dans ce coin de l’Hérault. Celle-là, c’est la première de 2022. Le maire a déjà porté plainte. Photos, vidéos, plaques d’immatriculation : tout a été pris en main par la gendarmerie. Morgo dit qu’il en appelle depuis des années aux pouvoirs publics pour trouver une solution, mais jusque-là, rien n’a vraiment changé. Les gendarmes sont là, postés aux trois entrées du site pour contrôler les véhicules. Le groupe avait d'abord tenté de s’installer sur le parking d’une zone commerciale à Saint-Jean-de-Védas, mais les gendarmes les ont suivis jusque tard dans la soirée, jusqu'à 22 heures. Après cet épisode de cache-cache, la rave s'est finalement installée. Les nuisances sont énormes. Le son traverse les collines et résonne jusque dans les villages voisins : Balaruc, Loupian, Poussan, et même Frontignan.|couper{180}
Carnets | janvier 2022
1 er janvier 2022
Fonds du photographe Louis Morin de Pougues-les-Eaux ainsi que des albums de famille Vérat-Baillet de Rouy dans la Nièvre. La saison des vœux revient, et avec elle, la grande parade des poncifs. Pour s’y aventurer, il faut presque un casque de spéléologue, prêt à plonger dans les profondeurs de la banalité pour dénicher les fameuses "pépites". Comme si certaines pépites valaient mieux que d’autres. Bonne santé, prospérité, succès au travail, amour sans limites, une pluie de "plein de ceci" et de "beaucoup de cela"… Comme si tout cela s’extrayait au kilo pour s’imaginer soudain béni des dieux, en train de distribuer des offrandes à la Providence, un sourire extatique aux lèvres. Admettons. On pourrait disserter longtemps, épiloguer sur cette mécanique collective. Après tout, les clichés sont là pour ça. Dire "bonne année", lancer un "meilleurs vœux", et entrer sans retenue dans la grande orgie votive du premier de l’an. Une pluie de souhaits qui éclate en feu d’artifice : jouissez bien ! etc. Puis, une fois le rituel accompli, on file ventre à terre dans son terrier , l’œil hagard, les moustaches frémissantes, les oreilles rabattues, en mode survie. Parfois, oui, les plus courtes sont les meilleures, surtout le 1er de l’an. Sinon, à part ça, fait divers dans le Berry : Le dernier jour de l’année, un homme est entré dans le tabac-presse de Saint-Martin-des-Champs avec un flingue à la main. C’était entre midi et une heure, juste avant la pause de midi. Il est venu en voiture, a garé son véhicule, a enfilé des gants de chirurgien, puis une capuche pour masquer ses cheveux, des lunettes de soleil, et un masque pour couvrir son visage. Le tabac-presse était calme. Juste la buraliste, seule derrière le comptoir, qui s’apprêtait sûrement à fermer pour sa pause. Mais il n’a pas attendu. Il a levé le bras, pointé son arme, et exigé la caisse. Il l’a forcée à s’agenouiller, à compter jusqu’à cent, et il a raflé le contenu de la caisse en silence. Elle a fermé les yeux, sans chercher à voir si le flingue était vrai ou non. Peut-être ne voulait-elle pas le savoir. Quand il a eu ce qu’il voulait, il est sorti du commerce aussi vite qu’il était venu, a sauté dans sa voiture et a filé vers La Charité-sur-Loire. La gendarmerie a été prévenue. Des patrouilles ont ratissé la région, mais ce samedi soir, on ne l’avait toujours pas retrouvé. La buraliste, elle, a été emmenée par les secours. Elle ne parlait plus.|couper{180}