Elle allume la radio. Claquement de doigt. La voix péremptoire remplit l’espace de la cuisine. Tu ne dis rien. Elle attend. Qu’est-ce que je pourrais bien dire. Le mieux est justement de ne rien dire. Bon dit-elle en augmentant le volume. Ce qui est triste si l’on veut. Insupportable serait un meilleur mot. Mais on supporte déjà l’insupportable depuis si longtemps. Un peu plus un peu moins. C’est comme ça. Le gouvernement est tombé. ça me passe au-dessus. Tout ce brouhaha alors que l’on sait que de toute façon ça va continuer de la même manière. Avec une sauvagerie exacerbée. ça ne changera pas. Les mots sont sortis comme ça de ma bouche entre deux bouchées. Ce qu’il faudrait c’est qu’on sorte tous à poil dans la rue et qu’on en finisse. Une gigantesque partouze. Avant on se crèverait correctement les yeux et on se boucherait le nez. Elle me regarde. Toi à poil dans la rue ? Tu t’entends. Elle rit tristement. Je lui emboite le pas. Nous voilà tristes, désabusés dès le matin. C’est un comble. C’est sans doute à cause de tout ce manque. La radio continue à occuper tout l’espace. J’essaie de trouver ma place. Peut-être que si je fixe suffisamment longtemps le pot de confiture je reviendrai à l’état normal.
hypnose
Pour continuer
fictions
nom remis en relation
Une fable sèche sur l’adresse, la tenue, et ce que coûte un nom.|couper{180}
fictions
bouffées de clarté
Toujours en éveil, le mot bouffée revient tout à coup, probablement accroché encore à la journée d'hier où sortant dans la cour je levai les yeux au ciel qui venait d'être comme nettoyé de neuf par le vent. Une bouffée de clarté, j'ai alors pensé, comme un éclair de lucidité. Et tout de suite se sont enchaînés les instants semblables où j'avais ainsi levé la tête, éprouvé une sensation semblable. Il ne saurait y avoir de classement chronologique. ce n'est pas ça, c'est plus une idée de fil conducteur de l'éblouissement, un éblouissement du à un trop plein de clarté. Il serait sans doute utile de retrouver les contextes, les lieux, les êtres, les phrases prononcées et qui je n'en doute pas participent tous de la convergence d'un tel moment taxé de spectaculaire par la limpidité que j'y retrouve. Mais cela non plus serait probablement stérile, ce serait raconter des histoires. Une bien meilleure hypothèse serait celle d'un narrateur, un personnage renonçant systématiquement à décrire ou à vouloir expliquer ces infimes moments de grâce. Une forme d'avarice se mélangeant avec une pudeur augmentant au fil des années.|couper{180}
fictions
fait divers
La chaise a dû heurter le carrelage, bruit bref, net. Dans l’évier, deux tasses, marc collé au fond. Courbevoie, cinquième, fenêtre entrouverte, rideau qui remue à peine. Je dis “fait divers” pour me protéger du reste (comme si le mot suffisait). On raconte qu’ils se voyaient depuis un moment. Il aurait voulu “arrêter de parler”. Ou qu’elle se taise. Formule pratique. Ce serait plutôt se taire lui-même, mais je retire ce “plutôt”. Ce matin-là, la télévision chuchotait. Sur la table, un couteau à manche de bois, détail inutile, donc important. On aime ces détails quand on n’a plus accès au reste. On dira qu’il a eu peur. On dira qu’elle l’a poussé. On dira tout et son contraire. Est-ce qu’on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? La paix ou raison, c’est souvent la même manie, deux faces du même couteau : clore la scène, distribuer le silence, ranger vite le plan de travail et ne rien régler. On croit qu’une phrase finale mettra de l’ordre. Elle met un couvercle. Le lendemain, tout recommence, plus bas, plus sourd. Je regarde la fenêtre. L’air passe. Rien ne conclut.|couper{180}
