On pourrait s’allonger, se dire que tout ce que l’on a tenté pour rester debout ne valait rien. S’étendre doucement au sol comme s’écroulent les apparences, une nappe recouvre la table au ralenti. Comme une fleur s’étiole sur la tige. Mais c’est l’été, ce n’est pas le moment. On trouve encore des raisons c’est fou.
7 juillet 2023
Pour continuer
Carnets | juillet 2023
31/07/2023
Lecture de Claude Simon, Les Géorgiques, et aussitôt emporté par le rythme, la musique, l’humour qui (pour moi) s’y dissimule à peine et le tout si terrien, bien terre à terre, alors que le sens d’un récit recherché par réflexe pavlovien s’éparpille dans chaque phrase en images fractales se déployant ainsi comme source et conséquence sans plus de conséquence que ce mot lui-même. Est-ce la connaissance d’un art équestre, une tradition de cavalerie, qui des deux chevauche l’autre de la langue ou de l’auteur, une alternance forcément, un coup l’un un coup l’autre. Il n’écrit qu’au présent son texte participe, témoigne, d’un présent de l’écriture d’être présent à. D’une offrande, d’être recueil, receptacle. En le lisant lentement avec circonspection on peut deviner des strates des couches géologiques se superposant d’un instant présent à un autre. La couche de correction, de réécriture étant issue du même impératif de justesse que celle du premier jet. Se précisant seulement par des critères de justesse d’obédience musicale. D’où une cohérence que le sens cherche en vain s’il ne se fie à l’oreille. Une destruction chirurgicale de la forme ancienne dont par lambeaux découpés au scalpel, il effectue « un collage » façon cubiste. La relation à la peinture comme à la musique c’est à dire à l’art sans la pensée sur l’art, mais par exercices pratiques, semblables à ceux proposés dans les ateliers de F. Quelque chose effectué en tous cas dans une régularité de métronome, très modestement, du matériel que l’on travaille, polit, assemble et ajuste comme le font les artisans, mais toutefois mué par une intention « aristocratique », d’ailleurs même intention relevée en son temps dans « les vies minuscules » de Pierre Michon. Mais peut-être « aristocratique » est exagéré ou en dessous, c’est une autorité dans l’acception de ce terme où l’auteur et la langue collaborent ensemble à la faire sourdre d’elle-même, une autorité qui s’accouche par la langue et celui qui se laisse conduire et la conduit. C’est maladroitement dit, mais suffisant pour le recreuser ensuite, ne pas l’oublier. Mais veut-on dire quelque chose en amont de l’écrire, de l’instant présent où une volonté qui souvent nous dépasse s’inscrit de façon plus ou moins hermétique. Ou bien dans ce cas n’est-ce pas là le travail de pénétrer par les sens dans l’hermétisme, et par le son, le rythme, la période non pas l’éventrer mais mettre au monde un objet d’apparence insensée si on le regarde avec de vieilles lunettes. Etrangement lire Claude Simon me réconcilie avec la peinture et la notion d’atelier tout entière. Le malentendu du journal, du carnet, s’il tombe sous les yeux d’un tiers s’y reconnaissant, y compris son auteur. Le même malentendu que dans la vie de tous les jours où sont émises des formes sonores, visuelles, sensorielles essentiellement et à qui on impose de vouloir dire quelque chose qui révélerait, dévoilerait une vérité bonne ou mauvaise… un sens. Alors qu’il ne s’agit que de son et d’images de rythmes qui s’entrelacent, se trouvent fortuitement des assemblages éphémères. A la simplicité romanesque s’oppose une résistance de tous les sens désormais en éveil. Une simultanéité de résistances contre l’illusion du linéaire. Cette simultanéité peut aussi bien être un synonyme du collectif. Alors que la temporalité nécessite un sens comme un sujet, une histoire.|couper{180}
Carnets | juillet 2023
30/07/2023
réveillé par le gout salé des larmes dans un rêve. Vers 3h, suis descendu en tâtonnant du premier étage de cette maison inconnue vers le rez de chaussée. Puis le coeur m’a fait mal d’observer que le paquet de dosettes de café avait été déposé en évidence près de la cafetière et trois sachets de sucre dans un ravier attenant. Il fallait que je pointe cela. Les petites attentions découleraient d’une logique pratique, d’un ordre, d’une organisation typiquement féminine. Ce dont la submersion dans le désordre, l’ébullition permanente dans la pensée, cette sorte d’agitation que l’on prend pour une pensée, me rend totalement incapable car inconscient. Il serait intéressant de pouvoir en pleurer après que les yeux se soient tout à coup embués, que toute l’émotion presse de la laisser sortir et que l’on en restât là, bras ballants, à voir un peu flou le liquide sombre s’écouler dans son receptacle pâle. Ainsi comme une fulgurance, un éclair, la foudre d’une prise de conscience soudaine de ce que peut valoir l’ordre comme source de beauté bonté calme luxe et volupté nous abat comme un vieux chêne. Si l’on pouvait quand même se résoudre à en pleurer, que les larmes enfin coulent, on le sent au fond des nerfs, bien des incendies s’éteindraient avant d’enrager de n’être point saisis pour ce qu’ils sont, un manque d’attention, une soif immense, un appétit insatiable, et que cette folie dans quoi ils s’élancent, cette ivresse par destruction due à un forme de dédain du dédain. Folie de ce dédain rejeton d’orgueil et d’ignorance, Hercule ainsi devient fou et tue toute sa famille avant de s’en remettre au nombre 12. Pas de fumée sans feu. La solution est de cesser toute lutte toute opposition, regarder l’instant le plus bravement que l’on peut, prêt d’en mourrir s’il le faut. Comme si l’on pouvait mourir une fois pour toutes. Laisser sourdre l’eau du corps une eau de vie distillée par l’émoi de façon honnête et brave du fin fond de notre sensation béate d’impuissance. Une béatitude coule comme une eau douce dans l’eau salée, extraite de notre impuissance acceptée. Et qu’est-qu’écrire si ce n’est cette béatitude que l’on recherche dans l’eau noire, on sait bien qu’elle est là quelque part quand les incendies ont fait table rase, elle coule, on ne peut la retenir, et qu’importe la littérature, écrire comme pleurer libère.|couper{180}
Carnets | juillet 2023
28 juillet 2023
En vue de l'éventuel arrêt de ce blog un nettoyage me semble judicieux. J’ai donc effacé une bonne partie des billets des années 2018, 2019, 2020 et 2021 est à mi-parcours. Pas vraiment d’état d’âme, le seul critère sur lequel je me suis appuyé est le nombre d’interactions pour chaque texte. Et le fait est qu’en lisant juste la première phrase de certains de ces billets qui laissent indifférent le lecteur , elle me saoule moi-même aussitôt. Je ne sais pas comment les choses vont évoluer par la suite. Je vais certainement perdre le nom de domaine puisque je refuse de le renouveler et je ne vois pas de solution gratuite pour continuer à maintenir mon activité en ces lieux. Peut-être ouvrir un nouveau blog sur Blogger. Hier lu une nouvelle courte de Lovecraft » Air froid » j’adore le début » Vous me demandez de vous expliquer pourquoi je crains l’air froid, pourquoi je tremble plus que les autres dès que j’entre dans une pièce froide, et parais malade, pris de nausées, lorsque la fraîcheur du soir s’insinue sous la chaleur d’un après-midi de fin d’automne. Il y en a qui disent que je réagis au froid comme d’autres à une mauvaise odeur ; je suis bien le dernier à les démentir. Ce que je vais faire maintenant, c’est vous rendre compte de l’incident le plus abominable qui me soit jamais arrivé et vous laisser le soin de juger, de dire s’il existe une explication satisfaisante à ces réactions qui vous étonnent. » D’emblée le pacte entre auteur et lecteur semble signé par » Vous me demandez de vous expliquer pourquoi je crains l’air froid »… Nous partons aujourd’hui à Robion pour décrocher l’exposition puis passerons voir les cousins à Grans où nous passerons la soirée de vendredi et toute la journée de samedi pour pouvoir repartir dimanche matin et récupérer aussi les toiles d’Avignon. J. passera pour donner à boire et à manger à la chatte. Ces derniers jours ont été éprouvant. Une paralysie générale où le moindre geste coute une énergie phénoménale. Sans doute est-il opportun de faire une pause de quelques jours sur ce blog. De plus pas sûr d’avoir du réseau là nous nous rendrons en août. L’ile d’Hvar en Croatie que nous avons visitée à l’aide de Google Earth semble idéale pour se reposer mais peu de commerces là où nous allons, le coin semble bien isolé. J’ai téléchargé Scrivener sur l’Ipad , abandonnant Ulysses devenu trop cher pour ma bourse, je pourrai donc continuer d’écrire malgré tout, et dans l’application Livres j’ai pris soin de rassembler tous les ouvrages de Didi-Huberman que j’ai pu trouver en format pdf ou epub. Je voudrais bien aussi prendre le temps de terminer la lecture des « Cormac McCarhty ». Tous ces incendies un peu partout m’impactent à un point tel que je m’imagine brûler en même temps que ces arbres un peu partout . J’entre dans la fournaise, ça ne dure guère je suis grillé en quelques secondes, juste un mauvais moment à passer mais très court. Je ne vaux pas plus qu’un des animaux de la forêt en flammes je brûle naturellement au même titre qu’eux. Ce qui me fait penser aux théories expliquant la fin de l’empire Akkadien, une météorite qui explose au dessus de la Mer Morte, dont la chaleur soudaine détruit toute vie à moins que ce ne soit l’ouragan El Nino de l’autre côté de l’Amérique du Sud qui ne soit déjà responsable de la sécheresse qui va durer des décennies, asséchant les deux fleuves mésopotamien détruisant tout effort d’irrigation jusqu’au Pakistan actuel, dispersant peu à peu l’armée de métier qu’on ne peut plus nourrir, laissant la barbarie envahir la plaine. Nous avons déjà vécu tant d’apocalypses que quelque chose au fond de moi semble s’y être habitué, ou être prêt à en subir une nouvelle. Je m’imagine aussi dans le Doggerland en train de pécher gentiment au harpon quand soudain la vague gigantesque arrive et nous engloutit tous, effaçant d’un coup ce merveilleux pays paradisiaque s’étendant entre les terres du Nord, Norvège, Suède Islande et le Royaume Uni Ce que l’on éprouve comme sensation d’insignifiance face à de telles dévastations et en même temps impossible de ne pas aussi éprouver de l’ admiration, un effroi sacré pour cette nature qui soudain reprend ses droits. Cet effroi sacré ce devrait être ça justement qui pousse les mots à sortir de la bouche ou du clavier. Cette force mystérieuse qui nous pousse à émettre des sons des signes du fond de notre insignifiance. En même temps que l’humour est omniprésent d’entendre ces mots sortir ainsi je me faisais la réflexion hier en écoutant F. lire des pages entières de Lazare Sainean comme il dit du Rabelais.|couper{180}
