octobre 2022
Carnets | octobre 2022
L’ ange gougnafier
Il y a des anges qui, tout anges qu’ils sont, sont des bons à rien. Ce sont les anges gougnafiers. Peu de textes les évoquent. Et encore c’est toujours à mi-mot, dans l’interligne. De l’étude des anges, l’angélologie, et ce quelque soit l’une de ses trois sources, le judaïsme, le christianisme, l’islam , on ne recueillera que très peu d’information sur les anges gougnafiers. Et encore avec beaucoup de peine. Alors peut-être faut-il se rendre en Perse pour en retrouver trace dans le zoroastrisme. Encore faut-il pour cela maîtriser les langues archaïques, comprendre chaque étymologie, et même la raison, l’emploi de chaque lettre pour commencer à éprouver le picotement lié à l’intuition. Désensevelir le concept sans quoi l’angélologie toute entière s’effondrerait irrémédiablement. A quoi peut bien servir comme part de l’agrégat, participant à la fondation des hiérarchies, cet ange qui de toute évidence ne sert à rien. Même si on l’ignore il convient cependant d’accepter qu’il n’est pas là pour rien. Qu’il possède autant que tous les autres y compris les archanges sa raison d’être et qu’entre tous, d’après ce que j’ai pu recueillir dernièrement, il serait dès l’origine éminemment respecté par tous ses pairs.|couper{180}
Carnets | octobre 2022
Neuf
Neuf possibilités de relations dans le couple. Et une portée de trois lignes. Un peu de silence entre les notes. Nature, intellect, reconnaissance de l’autre en tant que personne et donc de soi. Rare que cela s’accorde dans l’immédiateté par paire exacte. Encore tout un cheminement dans la nuit avant d’atteindre l’aube.|couper{180}
Carnets | octobre 2022
les beaux parleurs
Parfois un pas de côté, de face passer sur le flanc, et écouter, lire , les beaux parleurs. Pour quelle raison parlent-ils si bien, à qui s’adressent-t’ils. Se soucient-ils véritablement d’être compris lorsqu’ils utilisent des mots qu’on n’utilise jamais dans la vie ordinaire, la vie de tous les jours, on c’est à dire nous les taiseux, nous économes de mots, les buveurs de silence Rien dans la nature ne leur ressemble, ils sont une espèce à part. une anomalie dans le paysage. Pour un peu on comprendrait l’engouement que certains puissent entretenir de les écouter durant des heures. Pendant qu’on les écoute on ne pense à rien, on essaie de se rapprocher d’un phénomène naturel auquel nous pourrions nous habituer. Certains essaient même de les imiter pour savoir ce que ça peut faire d’être beau parleur. Ils reviennent ensuite encore plus muets que jamais.|couper{180}
Carnets | octobre 2022
de la rage dans l’écriture
Y a t’il une période pour exprimer sa rage au travers l’écriture.cette question après avoir écouté le texte de D. Lui qui dit sa rage à voix haute ou étouffée, entrecoupée de rafales de vent quelques part sur le bord de mer. Concernant son enfance, son adolescence. La rage. Une époque aussi pour son accueil. Peut-être dans les années 80, ou en tous cas bien avant la quarantaine. Ensuite la rage n’est sans doute plus qu’un bruit de fond, quelque chose qui ne nous apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Même accompagnée de belles images, de processus technologiques habiles, en vidéo, d’une autre façon, inédite voire même poétique. Tout cela ne fait que rejaillir soudain en soi, ce lieu cet espace battu par les vents, ces terres froides inhospitalières qu’on n’a guère envie de retrouver. Et ensuite à quoi bon ces relents compassion sterile au bout du chemin. Peut-être une impossibilité de livrer compassion d’autant. Vis à vis de la rage une fois qu’il est si tard, qu’elle est bien plus le prétexte de dire regarde j’existe, quand on ne se délivre pas de l’autre. La rage pour attirer l’autre dans un imaginaire qui ne sera d’ailleurs jamais le sien. Un artefact un filet à papillon. Un jour vient le temps où l’autre et le papillon ne s’attrapent plus. La lassitude ou l’absence d’envie.. Peut-être alors ne reste t’il que soi comme étranger et la mécanique de chercher à se convaincre seul pour mieux dissoudre le familier. Et avec lui la rage familière. J’envie ceux qui se sont dit à 20 ou 30 ans il est temps de s’y mettre et qui parce qu’ils y ont cru ont fait quelque chose de leur rage. Moi beaucoup trop poli, comme toujours, jamais voulu l’exploiter comme une esclave qui aurait, par ricochet fait de moi, un maître. juste retour de bâton ou de manivelle, elle se sera transformée en courtisane ouvrant ses cuisses au tout venant. Là aussi quel manque d’à propos de dédaigner épouser le rôle de maquereau. illustration :Une courtisane, vers 1830 · Qajar School|couper{180}
Carnets | octobre 2022
Blocage
Se bloquer, se braquer, à ban donner, saut poser, se rat masser, se re croque vriller, s’enfouir, fuite, fuguer, ne plus rien vouloir savoir, détourner le regard, panser autre chose que ça l’impensable, paniquer, aller dans tous les sens à partir du point d’impact, circonvolutions alambiquées, l’esprit bat la campagne sans autre but que de battre la campagne, diverger, être paralysé simultanément le corps ici ou là, la tête ailleurs, faire attention impossible, humiliation éprouvée aussi comme réflexe, impression d’être idiot, de ne pas valoir tripette, s’en vouloir de ne pas être comme les autres qui comprennent au quart de tour, les détester pour exister tout de même, les réinventer pires encore qu’ils sont, et se réinventer en creux par la même occasion, se distraire pour oublier. Enchaîner les échecs. Perdre confiance, se mésestimer, se haïr, s’isoler, vouloir mourir. Manquer d’humilité. Être orgueilleux, prétentieux, vaniteux. Marcher à côté de ses pompes. Ne pas vouloir rentrer dans le moule. Mathématiques. Changement brusque de l’arithmétique vers l’algèbre. Tant d’efforts effectués et puis soudain plus rien, tout cela ne servait à rien. Blocage. Impossible de se résoudre à l’algèbre. Une idiotie absolue et si soudaine. Une claque dans la figure encore. Pas la même que d’habitude. Pas préparé pour ce genre de claque. Celle-ci te met au ban. Te ridiculise. Ton orgueil en prend un coup. Tu ne peux pas montrer ta colère alors tu montres ta capacité à être idiot, une caricature de l’idiotie. Tu ne veux rien comprendre à l’algèbre d’autant que tu perçois qu’elle est un outil de tri, de sélection. Les intelligents d’un côté, la plupart du temps des gosses de riches, de l’autre les boulets fils ou filles de paysans ou d’ouvriers. Eux avaient encore une chance d’apprendre à compter, mais plonger ainsi dans l’abstraction algébrique ne fait pas partie de leur monde. Dans quel camps choisis-tu d’être, pas dans celui des riches. Tout leur est dû, la facilité en premier. Leur arrogance t’horripile. Leur naïveté aussi. Un ressentiment qui remonte à loin et qui surgit soudain en classe vers l’âge de 10 ans. Le refus de l’algèbre te permet de te ranger dans le camps des pauvres gens. Ce blocage débloque, même si tu n’en es pas conscient, un embryon de conscience politique. Tu ne peux pas généraliser comme ça non plus, c’est plus subtil. Certains appartenant aux camps des pauvres possèdent plus de rage que tu n’en as, ils s’accrochent, ils croient en la possibilité de devenir des transfuges. Peut-être se rabâchent-ils un désir qui lui aussi remonte à loin. Le désir de leurs parents, grand-parents, ancêtres qui eux aussi crûrent à l’école comme vertu républicaine. Comme vecteur d’ascension sociale. Ils sont pires que les riches, des traîtres mais déjà tu comprends leurs raisons leurs motivations. Simplement toi tu ne veux pas trahir. Tu veux rester soudé à une idée d’injustice que tu ne cesses pas d’entretenir car trop proche de l’injustice qu’est ton quotidien. C’est l’époque où tu lis la case de l’oncle Tom. C’est l’âge ou tu acquiert tes valeurs par les livres uniquement. Tu ne crois déjà plus à celles de la famille, de l’école, de la société toute entière. Partout où se pose ton regard tu ne perçois qu’hypocrisie, mensonges, trahisons, injustice. Lâchetés et fourberies. Alors le recours aux blocages en maintes occasions, et toujours l’idiotie. Tu finis par te dissimuler derrière cette stratégie pour finir par ne plus savoir qui tu es sauf cet idiot. C’est la primo création d’un personnage. L’idiot qui te permet d’observer encore plus attentivement la violence sans être touchée par celle-ci de plein fouet. Puis pour survivre malgré tout l’invention d’un second personnage, l’imitateur. Parvenir à imiter à la perfection le normal que tout le monde s’attend à voir. Rôle souvent intenable mais tu sers les dents et tu tiens. Face au monde tu tiens bon, quitte parfois à avoir recours à l’idiotie quand les choses se mettent à dérailler. Quand tu devines qu’ils devinent que tu n’es pas si normal qu’ils le voudraient. Dans la cour de récréation le jeu de chat, les gendarmes et les voleurs, les cow-boys et les indiens. Toujours du côté mineur. L’image de l’opprimé qui renforce celle du fort. Et le mépris creuse de plus en plus profond son sillon en toi. Avec les filles d’abord puis les femmes plus tard memes blocages. L’amour et les contingences ne font pas bon ménage. Tu es horrifié lorsque le maquillage dégouline, que leurs masques tombent et qu’elles ne cessent d’avoir à la bouche elles aussi le mot normal. Ce n’est pas normal le plus souvent. Une autre planète alors que tu pensais à chaque fois toucher la terre natale. L’inquiétude, la peur, depuis lesquelles toutes leurs actions et leurs pensées se tissent sans parler du confort qu’elles ne cessent de briguer comme les araignées les mouches captivent de leurs filet. L’amour ce n’est donc que cela, une aptitude à accepter les contingences pour rendre l’autre heureuse, paisible, épanouie parce qu’entourée de gadgets, par la chaleur d’un foyer, par tous les symboles d’une vie dite normale ? Toi tu rêvais de passion, d’étreintes, d’étancher de si vieilles soifs, regarde un peu ou tu en fus tout à coup pour essayer à chaque fois dans d’ineptes géométries de recomposer tes rêves… comme les fleurs la passion des femmes, que viennent l’abeille puis le bourdon, que le pollen voyage et c’est à peu près tout. quant à leur conscience politique elle s’arrêtait souvent en ouvrant la porte d’un réfrigérateur vide. Aux factures impayables, et ces sourires qui se dessinaient sur leurs visages pour attendrir les huissiers. N’as tu pas prononcé le mot chienne dans ton for intérieur à ces moments là, n’as tu pas aussi été ébranlé de toutes ces fragilités humaines. pourtant blocage encore. Malgré cela tu n’as pas obtempéré. Tu as souvent préféré partir quand tu les voyais si malheureuses de vivre avec toi. Alors bien sûr l’idiot prenait la place de l’imitateur. Et dans l’idiot tu découvrais aussi un autre personnage qui s’y dissimulait, le cruel, l’irascible, le têtu. En cas de tragédie ultime, quand il ne restait guère plus que ruines. Et tu en éprouvais un indicible soulagement à chaque fois. Comme si dans ces affaire de duo de couples tu t’étais égaré par faiblesse et que tragédies, drames, cris et pleurs n’avaient eu de cesse que de redessiner finalement ton chemin. Peut-être pas encore assez nettement puisque tu as recommencé de nombreuses fois la même comédie. Devenir le paria, assez proche dans ton esprit de l’ange déchu. revisite encore une fois l’image et l’idée. Ce blocage vis à vis d’une autorité quasi divine qui ne voudrait installer ici-bas que le meilleur des mondes mais qui ne se bâtit que grâce à la violence, au désespoir, au profit et dans le meurtre. S’écarter de cette mise en scène débile , cette comédie souvent burlesque à force de ne plus pouvoir en vomir ou d’en pleurer. Paria par amour d’une autre possibilité d’humanité comme d’une autre possibilité d’accéder à la poésie mathématique. Cela te semble bien naïf désormais. Une fois toutes les naïvetés traversées surtout que reste t’il encore comme possible sinon l’invention d’une naïveté encore plus grande que te propose l’écriture. Une naïveté qui ne dérangera personne. Car répète-le sans relâche : qui accorderait de l’intérêt de l’importance à ces textes qui pour toi sont devenus ta respiration. La naïveté et la respiration d’un mort enfin conscient d’être mort parmi les morts.|couper{180}
Carnets | octobre 2022
La loi
Depuis l’enfance et les cours d’histoire auxquels je me suis intéressé j’ai toujours été révolté par l’arbitraire que je ne cessais de déceler dans le mot loi. D’ailleurs la faire respecter nécessite encore et toujours le bâton ou la carotte, rien n’a vraiment changé depuis les premiers temps de l’humanité, même si parfois sous prétexte de gouvernement justement, de démocratie, on enrobe ce processus binaire d’un tas de fioritures. Respecter la loi par crainte d’être puni, ou au contraire pour obtenir la récompense de vivre en paix. Cela se limite en gros à cela. Ensuite que ces lois puissent protéger les plus faibles ressemble à un simple argument de réclame. Les dictatures de tout poil si critiquables soient-elles possèdent au moins une vertu. Le bâton apparaît presque immédiatement sitôt qu’on franchit la ligne. Peut-être ont-elles d’ailleurs le vent en poupe plus que jamais à cause de cela uniquement. Pour retracer un système de démarcation net sur la chaussée afin que chacun puisse bien voir la ligne et prendre en compte le risque. Le flou démocratique autant qu’artistique peut fatiguer les yeux, éreinter les meilleures volontés. on imagine alors que la netteté surgira de la précision comme de la maintenance d’un ordre venu d’en haut et dont les sbires se chargeront de propager sans traîner le mode d’emploi. Ce qui crée des situations forcément aussi ridicules que par la voie parlementaire. Je veux dire que l’être humain sitôt qu’il devient foule à qui l’on donne la parole bêle ou beugle à l’envie. Est-ce grotesque, tragique ? Peu importe. C’est à peu près tout ce qu’il sait faire. La loi véritable celle à laquelle on obéirait par intelligence, par amour, on ne l’a trouve plus guère que dans des configurations religieuses, littéraires, artistiques. Mais ici aussi gare aux gurus aux dictateurs et prophètes de tout acabit. Même les paysans, les ouvriers sont parvenus à un tel état d’isolement d’exténuation, que les syndicats ne sont plus que des coquilles vides. Sans parler de certains petits arrangements que j’ai pu découvrir non sans dégoût entre les responsables de certaines de ces factions et les patrons, et ce encore une fois par pur intérêt personnel. Comment croire à la loi, à l’impôt, aux charges, à la soi- disante collectivité une fois qu’on est frappé de lucidité après tout cela. Et bien justement on n’y croit plus vraiment. Il arrive même que l’on fasse à peu près tout consciemment ou pas afin de s’y opposer. Surtout lorsqu’on a compris que pour certains le passe-temps principal est de toujours chercher à la contourner. Quand la loi devient cette chose si ridicule au même titre que les institutions sensées la défendre que reste t’il alors ? La violence et rien d’autre, voilà tout ce qu’il reste. Les loups tuent quelques moutons et on repose l’ordre sur son piédestal tôt ou tard pour que tout recommence comme si rien ne s’était passé. La crainte des coups est remise à la mode, voilà la paix reformulée.|couper{180}