Une dureté qui jusque là fut prioritaire, nécessaire à la survie. Un impératif catégorique sur lequel par définition il m’aura été impossible de revenir. Une histoire ancienne de renard capable de s’amputer seul d’une patte une fois le constat établi du piège refermée sur elle. Cette dureté remonte à aussi loin que je puisse me souvenir. Même si autrefois, pour atténuer son emprise, j’avais trouvé fortuitement, inconsciemment la solution de me scinder en deux, créant soudain vers l’âge de 4 ou 5 ans un compagnon imaginaire. C’était un être assez terrifiant, toute la part d’ombre lui avait été attribuée afin que le peu de moi qui restait alors luise, bien qu’assez faiblement. Afin que je me permette de me réfugier tout entier dans cette faible lueur. D’ailleurs les grandes clartés m’éberluaient. Les jours de grand soleil m’aveuglaient. Toute ma vie j’ai toujours choisi des intérieurs peu éclairés, une formation du goût guidée par la nécessité, par la dureté. Il m’était impossible d’apparaître en pleine lumière. J’aurais été beaucoup trop visible et partant trop vulnérable. Mon père aussi préférait la pénombre. Les dernières années de sa vie il les a passées dans la chambre conjugale, après le décès de ma mère. Volets fermés lampe de chevet faible intensité. Il pouvait rester au lit toute la sainte journée après avoir accompli le minimum de rituels lui permettant encore d’apparaître un peu humain, un peu normal. Le café était programmé de la veille, prévu pour couler a 6 heures le lendemain. À six heures trente il pénétrait dans sa salle de bain, se douchait, se rasait, s’aspergeant d’un parfum que je peux encore sentir parfois lorsque je monte au grenier, que le courage me prend de farfouiller dans les cartons que j’ai à peine déballés depuis la vente de la maison, le déménagement. A sept heure promenade en forêt avec la chienne. A neuf heure courses chez Leader Price. C’était à peu près tout. Je crois que mon père possédait cette dureté et qu’il me l’a légué très tôt. Non par méchanceté, non par bêtise. Mais parce qu’il l’aura considérée comme sa meilleure alliée lui aussi, nécessaire à sa propre survie, puis à la survie de notre famille. L’éducation qu’il me dispensa fut abrupte. Ce fut comme se jeter du haut d’une falaise presque à chaque fois. Apprendre à nager par exemple ne se résolvait pas autrement que de me jeter à l’eau et m’encourager ensuite à me débrouiller. Étais-je curieux d’un objet, il me le mettait dans les mains pour que je l’expérimente dans ce qu’il considérait être une réalité. Ainsi l’allume-cigare de l’ami-8. Il me conseilla de mettre un doigt sur la partie cramoisie pour que je me crame la pulpe du doigt. Ainsi par cette expérience, cet enseignement il savait que je ne jouerais plus avec si par hasard il devait me laisser seul dans le véhicule pendant qu’il irait acheter le pain. Son jugement sur les gens était d’une dureté sans concession. Assez binaire toutefois quand j’y repense mais pas pire que ce que nous faisons tous plus ou moins hypocritement. Il y avait les cons, nombreux, et les types biens, rares. Quant aux femmes rares aussi étaient celles qui ne fussent pas des idiotes accomplies à commencer par ma mère. Ou des putes ce qui pour lui devait probablement être synonymes. En tous cas des emmerdeuses quasiment toutes sans exception cette fois. Il le disait si ouvertement d’ailleurs devant mon frère et moi que c’était devenu naturel, on n’y faisait plus attention vraiment. Comme l’habitude des trempes, naturelle aussi. Tout ce naturel qui s’engouffre en soi et que l’on fini par considérer naturel pour soi. Il faudra des années ensuite pour comprendre que ce naturel là n’est plus d’époque. Qu’il est est anachronique avant d’être relégué dans un non-dit, dans l’oubli. Même si finalement ce naturel appartient aussi à tout le réseau de liens qu’on établit avec la figure du père. L’oublier, le rejeter, c’est rejeter aussi tous les liens avec. Un jour j’ai quitté la maison familiale. A l’âge de 16 ans. Je n’en pouvais plus. Ce qui me peinait le plus je crois c’était d’avoir découvert que mon père était un énorme connard bouffi de faiblesses crasses. Partir fut un acte vital, du domaine de la survie. Réciprocité de la dureté. Pas un sou en poche, se retrouver soudain à la gare de Boissy-Saint-Leger. Juste le temps de respirer l’odeur des lilas sur le chemin qui menait tout en bas. Cette douceur soudaine perçue dans l’odeur du lilas. Un soulagement et une consolation bizarre tout en même temps. Puis la rame qui s’ébranle lentement, au ralenti, les différents arrêts, les silhouettes qui montent et descendent du RER. Et la bas, au bout l’inconnu, la ville, Paris. Et ne pas savoir où dormir. Sans cette dureté héritée je ne sais pas comment j’aurais pu jamais m’en sortir. Comment j’aurais survécu dans la ville. Comment aussi j’aurais pu m’abaisser à un tel point parfois sachant que je finirais toujours par retrouver tôt ou tard la possibilité de cette dureté pour continuer à avancer même si je n’ai jamais voulu décider vraiment d’une destination précise.
dureté
Pour continuer
Carnets | novembre 2022
Carnet 14
"Encore une fois, l’attendre, cette seconde qui voudra être écrite, conjonction de perceptions et sensations, distorsions et cahors (ou tout le contraire, un bruissement de vent dans des feuilles, à vous de positionner votre curseur d’abstraction), mais que ce soit cette phrase qui vous dise vouloir être écrite. Trop facile, sinon, se remémorer. Et la remémoration ne saurait pas isoler une durée d’une seconde, même si de prononcer simplement une phrase comme « je traverse le trottoir, pousse la porte de la Poste et m'avance jusqu'au guichet nouvellement décoré d’une et une seule guirlande de Noël » c’est déjà épuiser une seconde de ce qu’a été ma journée (qui en compte 86 400), et créer un texte qui demande une seconde pour être prononcé. Le texte que vous allez écrire n’obéit pas à cette contrainte : il épuise, si possible (et c’est ce qu’on nomme poésie qui va en tendre le trait). « ou, s’ils sont à pied, les bras en avant, comme s’ils allaient enfin dégager et débroussailler pour de bon cet Univers plein de difficultés et d’incidents qui se présente sans cesse devant eux » : ce qu’il y a d’incroyable, dans les Hizivinikis d’Henri Michaux, c’est qu’il n’y prononce jamais les mots vite ni vitesse. C’est la langue qui est devenue cette compression du temps, le mouvement saisi et avalé par la langue qui dit cette fraction de temps. Question technique aussi : oui, certainement. Avoir cela en permanence présent. Et, pour cela : eh bien, le faire ? Quand vous saurez, au cours de la journée de demain, qu’elle est là, précisément là, cette seconde qui va devenir votre texte, l’arrêter, l’écrire –– la différence avec l’exercice précédent ? On arrêtait tout mouvement, on saisissait une réalité fixe. Aujourd’hui vous en mouvement ou le contraire, ce que vous écrivez étant mouvement et vous non, c’est le mouvement qui sera la phrase. Comme on tombe." François Bon, Atelier d'écriture le grand Carnet 1h35. Sur l'exercice précédent le choix d'écrire une fiction pour installer une durée du moment, l'île était ce moment que l'on cherche à atteindre et qui à la fois ne se laisse pas voir aisément, mais de plus se dérobe ou est inhospitalier. (voir carnet 13) Désormais c'est tout l'inverse, prendre quelque chose de gros et le réduire à sa plus petite expression. Tout Platon en une phrase si on veut. Ou une ville, ou une histoire d'amour. Maintenant si cela doit se passer dans une seule de nos journées. L'effet peut être rigolo s'il arrive par la répétition ( une seconde sans fin) On peut aussi penser à exercices de styles de Queneau, la même scène, l'entrée dans l'autobus décrite plusieurs fois sur des tons différents avec des conjugaisons différentes, forme active, passive voire des détails qui surgissent soudain d'une version l'autre. Faire quelque chose que l'on doit faire, une chose simple, qui ne dure qu'une seconde. En une seconde, le rouge arriva pile poil où il devait se rendre sur la toile. En une seconde j'arrive a rouler une cigarette d'une main comme Lucky Luke, à grimper sur Jolly Jumper et à dégommer tous les chapeaux des Dalton. tout ça en fermant les yeux évidemment. En moins d'une seconde j'ai vu ma vie défiler toute entière, lorsqu'en arrosant les bégonias, mes jambes se dérobèrent. Une seconde à peine et il avait déjà aperçu simultanément la tuile se détachant du toit, la femme poussant le landau, et le point de rencontre probable de ces deux éléments à quelques mètres devant lui. Evidemment c'est trop facile d'évoquer que toutes ces actions se déroulent en une seconde. De quoi suis-je vraiment conscient lorsque l'aiguille de l'horloge avance d'un cran. La pensée va beaucoup plus vite que mes jambes, mais mon inconscient la double. si je trouvais un moyen par autohypnose de déballer tout ce qui est perçu durant l'écart entre ces deux positions de l'aiguille, alors je me situerais en méta position par rapport à l'écoulement du temps. Je verrais le temps tel qu'il est vraiment comme un flux d'imaginaire charriant des bouts de réel. ( à moins que ce ne soit le contraire ?!) Je serais au bord d'une rivière. et comme autrefois je lancerais ma ligne à l'eau, guetterais le bouchon coloré, puis ferrerais sitôt qu'il s'enfonce sous la surface de l'eau. Je me dirais que j'ai péché un poisson. Un poisson nage entre deux eaux, un ver surgit devant sa gueule qu'il ouvre et referme , puis l'hameçon lui perce la joue et il se sent soulevé violemment vers la surface, qu'il crève, gerbes d'eau, vaste ciel poisson volant, pour parvenir dans une main d'enfant, qui le dégorge, le jette dans une bourriche où il suffoque et finit par tourner de l'œil. L'enfant ferre en apercevant son bouchon plonger sous l'eau, puis le contact visqueux d'un poisson dans la paume de sa main. Un corps froid et vibrant de vie qui se débat dans la paume de la main. —c'est un gardon —se dit-il pour éloigner de lui l' étrange, le trouble qui surgit encore un peu de tenir un poisson dans sa main. c'est un gardon pense l'enfant en regardant le poisson gigoter dans sa main. Puis il décroche l'hameçon, flanque le gardon dans la bourriche, place un nouveau ver sur l'hameçon et jette à nouveau la ligne. Contraste de cette matinée de pèche, la tranquillité de la rivière, pas de vent, et soudain un poisson mord à l'hameçon. Les battements de cœur s'accélèrent, qu'est-ce qu'on peut bien avoir attrapé au milieu même de ce calme de cette tranquillité. Si je me mets à penser je freine quelque chose. Si je me mets à écrire je peux contrôler partiellement tout ce qui surgit au moment même où j'écris—l'écriture et la pèche— Puis quand je reviens chez moi, je vide les poissons en étalant une double feuille de papier journal, une de la montagne, journal local. Puis avec le temps il arrive un temps que je ne les vide plus. Qu'ils pourrissent dans la bourriche. Quelle raison puis-je trouver encore à cela. Que tout le monde se fichait de mon menu fretin. Que ma mère détestait l'odeur du poisson qui frit dans l'huile. Que mon père pêcheur n'était jamais là. Que j'avais toujours mille autres choses à faire. Que j'ai fini à partir de 7 ans et des raisons obscures par détester le monde et moi-même en laissant pourrir ainsi à peu près tout ce que je touchais et qui m'avait durant une ou deux secondes, réjoui Si je ne freine pas les choses, surgissent la plainte, la colère, le malheur en boucle. Je suis une réincarnation débile de Jules Roy. D'ailleurs j'y ai pensé pas plus tard qu'hier. Je ne sais plus pourquoi ça m'est venu, en observant mon malheur justement, le malheur de vieillir, d'avoir mal aux chevilles, de ne plus pouvoir marcher comme avant. D'être un vieux quoi. Et je crois aussi que j'ai voulu compter mes amitiés, à peine autant que les doigts d'une main. tout c'est déroulé vers l'heure du déjeuner, juste avant de traverser la cour qui mène à la maison, en posant la main sur la poignée de la porte avant de l'ouvrir. Une poignée froide, comme un poisson mort dans la main. Trois pas en arrière pour voir le tableau, je me roule une cigarette, je n'achète plus de toutes faites désormais, bien trop couteux, je ne mets pas de filtre non plus, économie. Et puis je crois que je m'en fous surtout. Oui c'est cela je m'en fous. Il y a des moments où l'image se fige et devient nette. Perdu pour perdu. J'avais travaillé depuis le matin sur ce tableau mais sans conviction vraiment, parce qu'il faut bien le faire. C'est désastreux d'en être parvenu là. Je me sens comme autrefois à la chaine, même si je lutte comme autrefois pour tenter de me défiler, la machinerie est belle et bien là, comme cette presse pour fabriquer des disques de résine, pas intérêt à rêvasser ni à dormir debout, sinon crac plus de main. tout me revient comme ça sans crier gare en touchant cette putain de poignée de porte. Comment on se sort de ça. avoir faim voilà comment. S'imaginer des odeurs de cuisses de poulet grillées au four ça devrait aller. Ce qu'il y a derrière cette invention, on verra plus tard un autre jour, mais pas maintenant, pas la force vraiment. Inversion des propositions dans la vieille langue. La grammaire n'était pas la même qu'aujourd'hui, alors évident qu'il fut utile, nécessaire de trouver des astuces pour indiquer une durée, un temps. Tant d'astuces surgissent, pêle-mêle en cet organe, icelui sis entre les deux oreilles, que d'abord s'en effraye, mais aguerri par luttes et misères, des mariages et des guerres, s'assoie , observe puis rit. Car le rire etc etc etc. Dans cette hypnose à laquelle on se soumet plus ou moins volontairement— Sur les réseaux— j'avise une publicité pour une machine à café De Longhi. Pour 1.95€ ! Une fébrilité formidable s'empare de moi tandis que je fais deux pas en dehors du canapé où j'étais assis. Je me fois remplir le formulaire, aller chercher mon portefeuille, en extirper ma carte bancaire, effectuer toutes les opérations fastidieuses mais nécessaires pour que le paiement soit validé. Puis je m'assoie à coté de moi-même et me montre les petits caractères de la fameuse annonce. Et là enfin, mon double s'aperçois que ce n'est qu'un putain de jeu concours. Que la probabilité pour qu'il gagne ce magnifique objet, au final inutile puisque nous possédons déjà deux cafetières, une de la marque Nespresso que nous n'utilisons que lorsque nous invitons des amis, et une autre plus basique que nous utilisons tous les jours, parfois même plusieurs fois par jour, que cette probabilité de l'obtenir donc, soit quasi nulle. Ensuite de se consoler comme on peut d'avoir été si con en allant chercher une banane et l'éplucher en silence avant de l'engloutir. Mais tout de même voilà comment on se fait voler 1.95€ et par soi-même, par pure faiblesse, par cupidité surement aussi, pour un seul instant d'inadvertance. A 10h30 hier je refais une tentative pour poster le colis que je n'ai pu poster l'avant veille. Toute la cartographie a changé en une nuit ou une journée. Le passage qui avait été crée pour les piétons au beau milieu de ce merdier formidable qu'est devenue la transformation de la Place Paul Morand, n'existe plus. Mais un nouveau chemin a été tracé pour rejoindre plus facilement la Poste, et je me dis qu'avec un peu de chance celle-ci daignera être ouverte. Double miracle puisque mon espoir et la rapidité pour l'atteindre ne dure qu'une centaine de mètres à peine. Et là je me rend compte dans quel monde nous vivons. " Sonnez pour entrer" même à la Poste il faut montrer patte blanche, c'est à dire se présenter face caméra. Enfin la porte s'ouvre. Personne sauf une employée, sorte de grande jument dégingandée qui me jette un bonjour c'est pourquoi. Je réponds même pas. Je sors mon colis du sac Lidl dans lequel je l'avais placé au cas où il pleuve et lui tend. Evidemment j'ai déjà tout préparé à partir de mon ordinateur, imprimé et collé l'étiquette, et lui tend le bordereau pour qu'elle le tamponne. Paf ! violence du coup de tampon. Et hop je ressors en disant quand même merci, bonne journée, parce que je suis poli. Arrivé dehors j'éprouve ce soulagement bizarre toujours quand je poste quelque chose. Mais là en plus je crois que la rapidité, la fluidité, l'enchainement de toutes les mini actions effectuées pour en arriver à l'éprouver de nouveau, participent d'une sorte de grâce, ou du grand art. Pour un peu je dirais merci merci tout le long du chemin pour revenir à ma maison. très tôt hier encore Mon épouse est la seule cliente du village à exiger que la boulangère lui coupe sa baguette tradi en tranches. Je crois qu'elle a beaucoup travaillé à l'acceptation de cette nouvelle réalité, tout du moins pour la commerçante, en se rendant elle-même et souvent dans cette boulangerie. Toujours la même. Mon épouse ne lâche pas facilement l'affaire quand elle veut obtenir quelque chose. Ne serait-ce qu'une baguette tradi tranchée. Alors que moi je suis beaucoup plus coulant. Si on me demandait quel intérêt de trancher une baguette, je serais assez faible de caractère pour être d'accord avec la première personne venue qui me dirait "aucun". En tous cas ce matin c'est moi qui m'y colle pour aller au pain. et donc il va falloir que je demande ( le plus naturellement du monde comme si c'était une formulation ordinaire, banale ) une baguette tranchée. Et ce alors que je suis connu de la même boulangère pour ne jamais acheter de baguette tranchée tradi ou pas. d'habitude je dis juste — une baguette tradi pas trop cuite s'il vous plait—. Et bien la boulangère avait l'air bien lunée, elle ne m'a pas posé de question, elle a juste dit —ah c'est pour la petite dame qui vient de bonne heure le matin. Comme si soudain elle avait compris quelque chose et le disait à haute voix. Puis elle a attrapé une baguette et je l'ai vu disparaitre dans le laboratoire à coté. à peine le temps pour le dire qu'elle était revenue et me rendait la monnaie de mon billet. J'en suis resté baba. Puis mon épouse me vit déposer comme un trophée mon sac en plastique rempli de tranches de pain, sur la table de la cuisine, elle a hoché la tête, et encore une fois, petite satisfaction, la journée démarrait bien. Hier une autre toile commencée en parallèle des autres. Toutes ces expos qui arrivent vite, février la première. Sur les femmes en plus. Comme si soudain je ne savais plus du tout peindre la trouille. Concomitamment aperçu une affiche d’expo Eugène Leroy, qui a eu lieu cette année sans que je ne puisse la visiter. Je crois que ce tableau est directement inspiré de lui. Comme quoi je suis d’une une éponge et deux que les femmes continuent toujours à me faire peur même à les peindre. Disons que j’en suis plus conscient qu’avant surtout. Privilège de vieillir.|couper{180}
Carnets | novembre 2022
De peindre
Cheminement de l'écriture le matin. Reprendre un vieux texte pour le réduire. écrire comme on se chauffe. En remettre une nouvelle couche. Tu n’es pas là, tu n’y arrives pas. Inspire. Profondément. Maintenant danse. Laisse danser le corps, le pinceau. Respire. Voilà tu y es. Tu y arrives. Et ce n’est plus toi. C’est un pinceau qui danse. Pas compris comment une pensée pouvait parvenir au bout de mon pinceau. J'ai toujours peint sans y penser. Près de l'étang de Saint-Bonnet de Tronçais dans l'Allier, les roseaux peignent sans pensée. Plus loin à Oullins sur le bord de l'Yseron, les longs bambous encore verts achèvent le tableau. toute toile commencée demande qu'on l'achève mais on n'est pas tenu de l'écouter tout le temps. L'inachevé c'est un chemin offert à l'autre. Rien n'est irrémédiable en peinture sauf si toi tu veux en décider autrement. On ne peint pas pour exposer son travail. on peint parce qu'on ne peut pas faire autrement. Dire je peins pour vivre est souvent plus juste que le contraire. La sensiblerie existe en peinture, mais tu ne la vois toujours que chez les autres. Elle te dégoute au début, puis tu comprends qu'elle est ta propre idée de la sensiblerie. Ce que tu appelles sensiblerie est cet obstacle que tu places inconsciemment sur le chemin vers l'autre. Ta mère, tout bien réfléchi, n'était que sensiblerie. Et elle te défendait de parler sitôt qu'elle reconnaissait dans tes propos sa propre sensiblerie. Elle disait : —arrête de te réfugier dans la sensiblerie. ta mère a toujours refusé une trop grande proximité avec l'autre quel qu'il soit. Et on peut bien dormir dans un même lit, avoir des enfants, les éduquer sans jamais se départir d'une tel règle que l'on s'impose comme on enfonce un clou dans sa paume.. Je crois que le refus de la proximité la renforce encore plus. Les enfants surtout le ressentent. ce qu'elle nommait sensiblerie était-ce vraiment de la sensiblerie, c'est plutôt ce qui lui appartenait le plus qu'elle ne cessait jamais de vouloir dissimuler. Parce qu'elle se faisait un idée d'elle de femme forte. Parce que mon père était un enfant colérique d'une sensiblerie monstrueuse. Il l'aurait dévorée toute entière si elle n'avait pas eu l'intuition de dissimuler ses véritables sentiments aussi bien à lui, à nous, et au bout du compte à elle-même. D'ailleurs si on s'appuie sur les faits seulement, sa volonté d'être incinérée, que ses cendres soient dispersées, indique bien à quel point elle s'éloignerait un jour définitivement. Qu'elle recouvrirait sa liberté, qu'elle serait à ce moment là, une inconnue pour nous tous. Lorsque mon épouse que j'ai connue quelques semaines avant le décès de ma mère, voit la scène, elle comprend aussitôt l'intensité de la tragédie. Nous sommes allés le jour même de l'incinération faire graver une plaque " ASTRID" et acheté une concession pour déposer ensuite la plaque. Ton père cependant a respecté à la lettre les volontés de ta mère. Les cendres furent malgré nos tentatives, mon épouse et moi de l'en dissuader, dispersées sur un ensemble de galets au milieu du jardin du souvenir. Et regarde un peu la sensiblerie ici : des années il se sera recueillit sur une tombe vide, face à la plaque que nous avions fait graver, sachant pertinemment qu'il n'y avait pas d'urne, pas de cendre ici. Il n'y avait là qu'un "ici-gît" extrêmement pathétique voire grotesque, un ci-gît sans dépouille. Cela en dit long sur l'imagination de chacun. Lui aura continué à s'imaginer avoir perdu la femme de sa vie alors que durant toute l'existence de celle-ci il l'a traitée comme une moins que rien. Parce qu'il en avait peur dans le fond. Le despotisme vient souvent de peurs irraisonnées. Quant à moi j'ai toujours eu un doute vis à vis de cette femme que j'ai appelée maman. Enfant je la sentais fausse. Mais elle n'était que seule, profondément, et vivait dans un malaise permanent de ne jamais pouvoir s'exprimer vraiment. Elle s'essaya à la peinture et y réussit. Du moins pour la reproduction, la copie, elle avait l'œil. Ce qui lui a manqué je crois c'est d'oser créer quelque chose qui lui appartienne. Mais comment y parvenir dans des conditions pareilles. Cela aurait nécessité qu'elle tombe le masque totalement. Qu'elle fut vraiment elle-même. et sans doute qu'ils se séparent mon père et elle. Elle devait penser qu'elle l'aurait tué. Car dans cette histoire elle aussi s'imaginait que son époux n'était qu'un enfant dissimulé dans une carapace d'ogre insatiable. Ainsi vont les imaginations et elles sont sans limites. la peur de le tuer ou de perdre un certain confort, peut-on jamais savoir. Enfin mon père changea du tout au tout après sa disparition il devint une sorte caricature de lui-même. . Mon père devint cet enfant égoïste à la sensiblerie désastreuse peu après qu'il fut seul. Il parlait à sa chienne comme à une vraie personne. Et c'était pathétique de voir cet homme qui fut à un moment de ta vie ton pire ennemi, ton Dieu, tomber le masque pour de vrai. tu devins le père de ton père par un étrange renversement des choses. Le grondant comme un enfant capricieux. Le remettant en place comme jamais avant tu n'aurais eu l'audace de le faire. A ces moments là il me semble que c'est cette partie scellée de ta mère et dont tu as héritée qui disait enfin sa vraie vérité. Mais à quoi bon s'acharner sur un vieil enfant. cela aussi tu l'auras vite compris. L'écriture sans doute t'aura aider à déballer ton sac à exprimer ta colère de nombreuses fois, bien que ce ne soit évidemment pas la même chose, et surtout parce que l'on ne règle pas ses compte en écrivant.|couper{180}
Carnets | novembre 2022
force et faiblesse
Ce que c’est que la force ce que c’est que la faiblesse, pas grand chose d’autre qu’une permutation, un interrupteur. Encore du binaire. Moi je dis que force et faiblesse sont des mots fourre-tout. Que l’invisible qu’ils voudraient nous imposer est incomplet, amputé, rabougris. Que derrière les mots force et faiblesse se tiennent des rires d’enfants, des gazouillis d’oiseau, le grand silence de l’hiver et les fanfares de juillet. tout autant. Une équidistance qui permet aux silences de prendre des couleurs ou des refroidissements. Une équidistance pour passer le temps. Cette toile faite dans la matinée par dessus une autre on pourra toujours me dire force et faiblesse, ça n’a pas vraiment d’importance. D’où elle surgit telle qu’elle est aujourd’hui c’est un état du silence qui peut changer demain. Comme change le temps, comme tout change et reste pareil si on regarde bien. Huile sur toile 60x80|couper{180}