janvier 2023
Carnets | janvier 2023
occurence et hypertexte
La familiarité que tu auras construite avec les mots est le résultat d'une urgence qui t'a contraint à devenir, durant la première partie de ta vie, un être parlé plutôt qu'un être parlant. Une familiarité de surface qui t'aura surtout aidé à te débarrasser d'une parole, ayant compris que la plupart des fois où tu l'utilisais, seuls quelques mots clefs étaient entendus. L'objet de cette parole que tu pourrais nommer fonctionnelle était d'indiquer un certain nombre d'objectifs et à te positionner toi ou autrui en tant que sujet se dirigeant vers l'un d'eux, et c'était sensé rassurer ainsi un entourage. En revanche s'interroger sur l'origine de tous ces mots de tous ces objets, personne ne trouvait cela utile. ce n'était que perte de temps, et vite classé dans une catégorie péjorative, -l'intellectuelle A l'école peu d'émulation non plus de la part de tes instituteurs, maîtresses et autres professeurs. Un programme scolaire à suivre pour atteindre également, ou à l'aide de moyennes pondérées, des objectifs. Des classes surchargées, et parfois aussi un manque d'enthousiasme assez flagrant pour toute notion de transmission se répercutant sur sa réception. Un essoufflement, une fatigue, un dégoût palpable des deux côtés semble t'il. Et tu te seras révolté assez tôt d'une façon inconsciente contre ce type d'enseignement. Tu te seras arc-bouté pour ne pas y pénétrer, refuser d'être ainsi englouti par ce que déjà tu pouvais alors considérer être une pensée formatée une pensée unique, une pensée vide. Et surtout contre l'autorité qui désirait te l'imposer. L'enseignement comme antichambre de l'usine, du bureau, de l'armée, destinée à fabriquer des morts convenables que tout rouleau compresseur pourrait laminer sans difficulté particulière, des ouvriers soldats employés citoyens dont la seule qualité requise était la docilité. L'enseignement comme préambule à la fosse commune dans laquelle on enfouirait tous les anonymes ayant atteint l'objectif qu'on attendait d'eux, travailler, faire des enfants, maintenir l'approvisionnement de l'espèce, consommer, le tout avec un minimum de vague. D'une certaine manière tu fus aussi prisonnier ou esclave qu'un juif en Égypte sous Pharaon. Donc pas très étonnant qu'à un moment où a un autre la notion d'exode, de désert te serve de recours. Mais comment as tu compris intuitivement l'étymologie de ces mots, voilà une énigme. Car c'est le mot liberté qui tout de suite se présenta en premier en tant que synonyme quand tu convoquais ces mots. c'est ainsi que l'exode, l'errance pénétrèrent en toi autrement que sous la forme commune d'une malédiction. Ce fut bien des années plus tard que te parvinrent les signes avant-coureurs, les prémisses d'une explication. D'une part en étudiant ton histoire familiale, la branche maternelle notamment et le soupçon de plus en plus insistant d'être contraint à y découvrir un secret, une judéité qui due être si inavouable pour celles et ceux qui durent la taire que jamais aucun indice ne te fut livré. D'autre part l'étude des mots vers quoi tu fus de façon irrépressible attiré. Ce voyage intérieur que tu effectuas comme poussé par une destinée étrange d'abord en toute inconscience, tu peux désormais en relever toutes les étapes majeures et mineures. Toutes les occurrences. jusqu'à la découverte récente d'un élément à l'apparence à la fois bénigne et en même temps extraordinaire, le CMS Spip via l'étude d'un site internet non moins bénin qu'extraordinaire. Il s'agit d'un site sur la littérature , le Tierslivre. Si tu déclares en même temps ces deux termes de bénin et d'extraordinaire c'est que ces deux mots paraissent expliquer un mouvement qui revient perpétuellement dans ton existence. Le fait de voir un objet, de penser ou imaginer savoir ce qu'il est en premier lieu puis t'apercevoir que derrière cette apparence bénigne, banale, si tu creuses un peu, l'extraordinaire ne tarde pas à en surgir Rien de magique ou de fantastique cependant mais simplement extraordinaire comme l'extraction d'un point de vue dans lequel tu te tiens figé la plupart du temps, oppressé, exténué. Un extraordinaire semblable à une respiration, mieux, un second souffle. Quand tu t'aperçois de l'architecture de ce site c'est toute une pensée qui soudain se retourne sur elle-même. L'horizontalité que tu y découvres est ce désert qui t'accueille, une vaste étendue fertile, un vert pâturage. Tu peux y faire paître ton troupeau le temps d'une vie entière que ça ne suffira pas pour en épuiser les richesses. Qui s'attendrait à ce que le désert ne soit pas toujours sec comme celui du Sahara, quelqu'un qui ne serait pas borné ou victime d'une pensée formatée justement. Quelqu'un qui se serait rendu dans le Sinaï et serait aussitôt tombé sur le cul d'y trouver autant d'animaux, de plantes de verdure et d'eau. Quelqu'un qui se serait penché sur l'étymologie des mots, sur leurs occurrences, leurs histoires. Tout cela tu l'auras fait en toute inconscience sans but véritable dans un égarement et une solitude incroyable quand tu y réfléchis désormais. Tu te souviens aussi tout à fait fortuitement en écrivant ce texte sans plan, sans idée préalable, que la racine hébraïque du mot désert étrangement est la même en hébreu que celle du mot pâturage, et aussi du mot parole.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
Etudes d’arborescences
Tu peux t'exercer à l'arborescence comme on vide une possibilité du choix. Du choix tel qu'on l'entends généralement, un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite ce que ça donne c'est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l'hyper lien ou l'hyper texte peut réunir dans de nouvelles formules. Non pour aller en quête d'une originalité, ce n'est pas ça et tu n'y crois pas de toutes façons. Mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour créer de nouveaux possibles afin que cette chose soit compréhensible dans un instant T une époque, une culture qui a oublié ses racines, sa raison d'être. Pourquoi la Torah et le Talmud existent sinon justement pour rester optimiste quand à ces possibilités de réorganiser le meme en autre chose. Autre chose qui serait à l'image de l'infini, c'est à dire qui ne s'arrêterait jamais que pour à chaque fois repartir. Un mouvement perpétuel. Te voici en ce moment en train de travailler six tableaux en même temps. Tu passes de l'un à l'autre quand tu cales sur un. Quand le coup de pinceau de trop te semble menaçant de trop en dire ou en faire. Et cette énergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile et ainsi de suite. Ce qu'il te faut accepter c'est le temps comme donnée fondamentale dans laquelle tu peux déployer une certaine quantité d'énergie par tableau. Mettons une heure, une fois celle-ci achevée une autre temporalité est de nouveau possible- une heure neuve. Ce qui ne change pas c'est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l'instant c'est elle qui crée le lien. Les possibilités d'agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte à chaque fois de l'espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit. Et parallèlement à cela une multitude de sujets d'idées sont là qui pressent pour sortir comme un troupeau de moutons ou de brebis. Ça bêle dans tout les sens à l'intérieur, mais tu ne l'es écoutes pas, tu t'en fous, une chose après l'autre. Et puis ce pari dont tu n'oses pas vraiment parler que le sujet viendra quand il devra venir, une fois l'assemblage achevé de tous les gestes successifs réalisés dans ce que tu nommes probablement à tort, l'aléatoire. Aléatoire tant que tu n'as pas confiance aveuglément en ce qui se passe voilà la vérité. Et intuition que confiance ou pas ça ne changerait rien, qu'en allant ainsi ton bonhomme de chemin il faut continuer d'écarter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui de toutes façons arrivera.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
11 janvier 2023-2
Les premières masses et couleurs d'une toile, janvier 2023 Tu peux t’exercer à l’arborescence comme on vide une possibilité du choix. Du choix tel qu’on l’entend généralement : un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite, ce que ça donne, c’est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l’hyperlien ou l’hypertexte peut réunir dans de nouvelles formules. Non pour aller en quête d’une originalité – ce n’est pas ça, et tu n’y crois pas de toute façon –, mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour créer de nouveaux possibles afin que cette chose soit compréhensible dans un instant T, dans une époque, dans une culture qui a oublié ses racines, sa raison d’être. Pourquoi la Torah et le Talmud existent-ils, sinon justement pour rester optimistes quant à ces possibilités de réorganiser le même en autre chose ? Autre chose qui serait à l’image de l’infini, c’est-à-dire qui ne s’arrêterait jamais, sauf pour repartir à chaque fois. Un mouvement perpétuel. Te voici, en ce moment, en train de travailler six tableaux en même temps. Tu passes de l’un à l’autre quand tu cales sur l’un. Quand le coup de pinceau de trop te semble menaçant : celui de trop en dire ou trop en faire. Et cette énergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile, et ainsi de suite. Ce qu’il te faut accepter, c’est le temps comme donnée fondamentale dans laquelle tu peux déployer une certaine quantité d’énergie par tableau. Mettons une heure. Une fois celle-ci achevée, une autre temporalité devient de nouveau possible – une heure neuve. Ce qui ne change pas, c’est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l’instant, c’est elle qui crée le lien. Les possibilités d’agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte, à chaque fois, de l’espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit. Et parallèlement à cela, une multitude de sujets, d’idées sont là, qui pressent pour sortir, comme un troupeau de moutons ou de brebis. Ça bêle dans tous les sens à l’intérieur, mais tu ne les écoutes pas, tu t’en fous : une chose après l’autre. Et puis, ce pari dont tu n’oses pas vraiment parler : que le sujet viendra quand il devra venir. Une fois l’assemblage achevé, tous les gestes successifs réalisés dans ce que tu nommes probablement à tort « l’aléatoire ». Aléatoire tant que tu n’as pas confiance aveuglément en ce qui se passe : voilà la vérité. Et intuition que, confiance ou pas, ça ne changerait rien. Qu’en allant ainsi ton bonhomme de chemin, il faut continuer d’écarter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui, de toute façon, arrivera.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
11 janvier 2023
Deguisement Aristocrate [Image fixe] : A ton pouvoir la Nation a mis des bornes Beau Masque on te connoit cache tes cornes : [estampe] / [non identifié] Images de la Révolution française : catalogue du vidéodisque, 1990, 2961-2962 = Vidéodisque, 2961-2962 ( dans BNF catalogue général) L’escargot est un des meilleurs symboles de la lenteur, mais pas seulement : il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut également évoquer le talmudiste, ou plus modestement celui ou celle qui se voue corps et âme à l’exercice singulier de l’écriture, de la lecture, voire de la peinture. Être en chemin et se hâter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille : la spirale, logarithmique comme celle que l’on découvre avec patience — dans les artichauts, si on ne la détecte pas tout de suite dans l’organisation de leurs feuilles — lorsque l’on parvient au cœur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini-maelströms, à la surface de ce cœur à la fois croquant et suave. Ensuite, après avoir relevé toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier, tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces dernières semaines. Tu t’es lancé dans la réalisation de fonds sur trois grandes toiles : 100×80, un format 60×80, et encore un autre 70×70. Après des jours de tâtonnement, de trituration de toute cette boue, du pour et du contre, quelque chose a lâché. L’escargot se transforme parfois, sitôt que l’on détourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis à peindre vite, au contraire, tu as fait tout ça au ralenti. Et c’est encore une particularité de ce type de lenteur que tu connais déjà, mais sur laquelle tu ne t’arrêtes jamais tant tu as toujours cette sensation désagréable de n’en avoir pas suffisamment fait, de n’avoir pas assez donné de toi-même. Tu imagines toujours si facilement être à côté de tes pompes, selon l’expression consacrée. C’est la définition de toi formulée depuis la nuit des temps par ces voix d’outre-tombe et dont l’écho continue à produire son petit effet troublant. On en revient encore à la notion de double : à celui qui marche sous les yeux du même qui l’observe marcher et, de temps en temps, pousse l’ensemble, comme par inadvertance, dans l’égarement. Mécanisme totalement inconscient pendant une vie entière et qui, tout à coup, se dévoile comme au terme d’un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l’on reste mi-figue, mi-raisin dans cet instant, cet entre-deux, où l’on ne sait si l’on a gagné ou perdu la mise. C’est d’ailleurs cet instant, extrêmement excitant, qui explique tout l’attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n’est rien de plus qu’une conséquence assez banale. Et surtout que l’on peut retourner comme un gant à loisir. N’est-ce pas cela, en fin de compte, la nature même de cet engouement pour la lecture, pour l’écriture, pour la peinture, si tu réfléchis bien ? Ce creux semblable à celui du clou qui pénètre l’argile d’un rouleau pour créer la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur lequel l’artiste aurait zoomé, dans le tableau de Malevitch. Ce que l’on ne voit pas à l’œil nu sur les photographies que l’on trouve sur le Net, c’est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laissées par l’homme et cette entité — appelle ça Dieu ou l’inconscient — qui, pour que cette figure naisse, s’oblige à se retirer, à laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan, "tout moins un", parce que tout seul rien n’est possible : si tout se suffit à lui-même, nulle nécessité d’humanité. Et c’est aussi la phrase de Kafka lorsqu’il dit : « Je regarde par la fenêtre » (de mémoire), qu’il considère comme une phrase parfaite. Ensuite, le temps que toute cette compréhension surgisse à partir du travail toujours en mouvement de l’intuition… est-ce important de se plaindre ou de se réjouir ? Sans doute n’est-ce pas utile, ni essentiel, de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d’égarement perpétuelle, dans laquelle tu n’as jamais voulu dévier d’un iota, est le chemin, le seul, l’unique que tu auras choisi d’emprunter et sur lequel — n’est-ce pas miraculeux ? — tu te tiens toujours.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
En chemin
L'escargot est un des meilleurs symbole de la lenteur, mais pas seulement, il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut être aussi évoquer le talmudiste, ou plus modestement celle où celui qui se voue corps et âme à l'exercice singulier de l'écriture, de la lecture, voire de la peinture. Être en chemin et se hâter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille, la spirale, logarithmique comme celle que l'on découvre avec patience- dans les artichauts, si on ne la détecte pas tout de suite dans l'organisation de leurs feuilles- lorsque l'on parvient au cœur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini maelströms, à la surface de ce coeur à la fois croquant et suave. Ensuite, après avoir relevé toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces dernières semaines. Tu t'es lancé dans la réalisation de fonds sur de trois grandes toiles 100x80 un format 60x80 et encore un autre 70x70. Après des jours de tâtonnement, de trituration de toute cette boue, le pour et le contre quelque chose à lâché. l'escargot se transforme parfois, sitôt que l'on détourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis à peindre vite, au contraire tu as fait tout ça au ralenti. Et c'est encore une particularité de ce type de lenteur que tu connais déjà, mais sur quoi tu ne t'arrêtes jamais tant tu as toujours cette sensation désagréable de n'en avoir pas suffisamment fait, de n'avoir pas assez donné de toi-même. Tu imagines toujours si facilement être à côté de tes pompesselon l'expression consacrée. C'est la définition de toi formulée depuis la nuit des temps par ces voix d'outre-tombe et dont l'écho continue à produire son petit effet troublant. On en revient encore à la notion de double, à celui qui marche sous les yeux du même qui l'observe marcher et de temps en temps pousse l'ensemble comme par inadvertance dans l'égarement. Mécanisme totalement inconscient pendant une vie entière et qui tout à coup se dévoile comme au terme d'un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l'on reste mi-figue mi-raisin dans cet instant, cet entre- deux, où on ne sait si on a gagné ou perdu la mise. C'est d'ailleurs cet instant qui extrêmement excitant explique tout l'attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n'est rien de plus qu'une conséquence assez banale. Et surtout que l'on peut retourner comme un gant à loisir. N'est-ce pas cela en fin de compte la nature même de cet engouement pour la lecture, pour l'écriture, pour la peinture, si tu réfléchis bien. Ce creux semblable à celui du clou qui pénètre l'argile d'un rouleau pour créer la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur quoi l'artiste aurait zoomé, du tableau de Malevich. Ce que l'on ne voit pas à l'œil nu sur les photographies que l'on trouve sur le net, c'est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laissées par l'homme et cette entité, appelle ça Dieu ou l'inconscient, qui pour que cette figure naisse s'oblige à se retirer, à laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan tout moins un parce que tout seul rien n'est possible, si tout se suffit à lui-même nulle nécessite d'humanité. Et c'est aussi la phrase de Kafka lorsqu'il dit : je regarde par la fenêtre ( de mémoire ) et qu'il considère comme une phrase parfaite. Ensuite le temps que toute cette compréhension surgisse à partir du travail toujours en mouvement de l'intuition... est-ce important de se plaindre ou de se réjouir. Sans doute n'est-ce pas utile, essentiel , de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d'égarement perpétuelle et dans laquelle tu n'as jamais voulu dévier d'un iota est le chemin, le seul, l'unique que tu auras choisi d'emprunter et sur lequel, n'est-ce pas miraculeux, tu te tiens toujours.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
10 janvier 2023
Le narrateur explore son décalage face aux récits de voyage, ces villes que l'on croit connaître mais qui se transforment sous les mots des autres. Une réflexion sur la subjectivité des souvenirs et l'art de la narration.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
lire Pierre Bergounioux.
Lu quelques pages du premier mot de Pierre Bergounioux, Gallimard 2001. Dés le début il m'est nécessaire de le lire à haute voix pour apprendre à connaître son souffle, sa respiration, sinon quasiment impossible de le lire en silence. Impression que les trois quart de l'importance de ses phrases m'échappent. Et comme à dire ses mots à lui ainsi avec ma voix à moi m'en rapproche. Sauf que cette part de moi-même qui se rapproche de ce texte est inédite dans sa plus grande présence. Je retrouve un désarroi infini d'enfant à cette lecture, un désarroi que ce texte met à jour sans brusquerie , aimablement, calmement, savamment. Et c'est bien là encore que je peux mesure l'écart entre ce que je voudrais parvenir à écrire, ce que j'imagine écrire et ce que j'écris réellement.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
La fabrique des voyages
Lorsque l'on me rapporte des récits de voyage je suis toujours étonné par la façon dont les personnes les relatent. Ils usent de noms de ville que pour la plupart je crois connaître pour y être une fois ou deux passé, mais le ton, le timbre de leur voix, la façon dont ils prononcent leurs noms les transforment presque à chaque fois en villes inconnues. Ainsi par exemple je me souvenais vaguement avoir été à La Havane, en 2006, à l'occasion d'un voyage de noces et quand j'ai écouté ce journaliste prononcer le mot, puis quand le documentaire a commencé ma curiosité s'éveilla car je ne reconnus pas la ville que l'on me présentait. Il en fut de même pour Lisbonne que je pensais connaître comme ma poche, De Berlin. De Prague, et même de Londres et de Jaipur. l'effet est régulier, m'interloque car au bout du compte à les écouter, à regarder les documentaires les photographies qu'ils en rapportent , c'est tout comme si je n'y avais jamais mis les pieds. Ainsi peut-être que si je rencontrais dix personnes différentes, et qui toutes sont sensées avoir été à La Havane chacune dresserait probablement les contours d'une ville imaginaire. Ensuite comment s'y prennent-elles ces personnes pour donner l'impression du vrai, il faut se pencher beaucoup sur le sujet pour commencer à le comprendre. Prendre par exemple pour appui quelques noms de quartiers ou d'artères, de rues, si possible en usant de l'idiome local, améliore grandement l'immersion de l'auditeur dans le récit. Il vaut bien mieux dire par exemple la Habana vieja que la vieille ville, où encore murmurer les yeux mi clos un humm je me souviens avoir traversé la plaza de la revolution à Vedado, cette place immense, sans doute parmi les plus vastes du monde, et là j'été tout de suite frappé par la similitude des gratte-ciels qu'on y aperçoit autour, tout à fait semblables à certains que l'on trouve à New York c'est le genre de détail qui validera pour la plupart des interlocuteurs la véracité de leur récit -sauf pour moi qui ne me souviens plus du tout de cette fameuse place ni de ces immeubles , qui n'ai seulement conservé en mémoire qu'un pauvre souvenir, associé à une pauvre place parmi tant d'autres pauvres places dans le monde. Voilà exactement ce qui se produit quand on me raconte avec force détails les voyages qu'on aurait effectués. Longtemps je dois l' avouer ce genre de récit m'agaça car aussitôt j'y découvrais mon handicap à ne rien pouvoir retenir de mes propres pérégrinations dans le vaste monde. Puis le temps passa, et, la répétition ajoutée à l'habitude et à l'ennui firent que je me réfugiais dans une presque totale indifférence quand on en venait à devoir écouter une telle, un tel, parler de voyage. Et encore s'il n'y avait pas de surcroît une projection de photographies à se farcir, je pouvais m'estimer heureux malgré tout. J'avais lu Cendrars, Pierre Loti, Alexandra David Ô'Neel, Pierre Mac Orlan et aussi et surtout le fameux Gustave le Rouge ce menteur beaucoup moins talentueux que tous les autres cités. Sans doute était-ce là la raison principale de ma défection régulière à m'intéresser aux récits, souvent très médiocres , de tous les autres narrateurs lambda. D'ailleurs c'est à partir de cette prise de conscience que j'ai commencé à entourer d'un silence épais tous les voyages que j'ai effectuées dans mon existence. Moi comme tout autre n'ayant qu'un arsenal de combines très limité pour évoquer et intéresser quelque interlocuteur que ce soit à ce propos.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
voyage figuratif, voyage abstrait
avancée du travail sur l'âne le classique et l'indien janvier 2023 Tout vient de l'œil et du temps pour bien ou mal voyager. À Lahore, au Pakistan où je parvins après un éreintant voyage au travers la chaleur, l'odeur du thé au lait brûlant , relevé de bergamote, et mon habituelle mélancolie, j'allais visiter le Fort Rouge . Plus par désœuvrement, parce qu'il faut amasser ce genre de faits d'arme comme un guerrier collectionne les dents de ses victimes et les exhibera ensuite en collier, que par véritable intérêt. Rouge, le fort ne le fut que peu avant qu'il ne devinsse, tout à coup, en quelques secondes à peine , une photographie passée, une image dans une boîte , imprimée en négatif sur un support de gélatine, censée immortaliser cet instant, mais une image trompeuse. Ce ne fut qu'un simple coup d'œil, au millième de seconde, un cliché comme toutes ces images capturées par les appareils photographiques des touristes. J'ai donc vu le Fort Rouge comme la plupart des gens qui furent là au même moment. J'ai vue une bâtisse, une construction visible avec ses dimensions précises mais dont la précision m'échappe encore aujourd'hui , tout comme les nécessités de sa géométrie apparente et secrète, son histoire, sa raison d'être. J'ai tout écarté en un clin d'œil de façon grossière, rétinienne, figurative dans l'acception la plus grossière du mot. De la plupart des lieux visités ainsi dans l'urgence de voir sans savoir, et-faut-il l'ajouter- une ignorance propre à la jeunesse, leur réalité m'aura échappée. De retour chez moi, à Paris ou ailleurs il m'en est resté une sorte de frustration et aussi une sorte d'étrange regret, comme de la culpabilité. Car à l'évidence et je me le suis souvent dit , ce fut comme si je n'avais rien vu du tout, que j'eusse vu les choses qu'en surface. Et même pire que je ne l'ai jamais vues autrement qu'en imagination. C'est pour cela que je peux dire aujourd'hui, je peux même le déclarer : que l'essentiel de tous ces lieux, sans aucun doute m'a échappé. C'est ainsi que, durant toute ma vie et durant ces voyages, j'ai amassé des trophées en toc dans ma mémoire. Et en réalité aujourd'hui quelle amertume de constater qu'elle n'est plus qu'une sorte de musée à l'abandon, peuplé d'œuvres que nul public ne regarde jamais, pas même moi. Et puis un jour j'ai pris le temps de regarder attentivement le corps de cette femme allongée près de moi dans cette chambre d'hôtel, à Karachi. Nous avions fait l'amour toute la nuit avec vigueur et même parfois avec un peu de tendresse et désormais elle dormait. Combien de temps suis-je resté là appuyé sur un coude à observer son visage, ses paupières closes, sa bouche légèrement entrouverte et son corps nu abandonné à la quiétude du sommeil, je ne saurais le dire. En revanche ce dont je me souviens avec une extrême précision c'est comment cette femme, ce corps, cette présence, tout cela se métamorphosa soudain en une vision abstraite. L'œil, adjoint à la durée que j'avais prise cette fois pour regarder avait eu le pouvoir étonnant de me montrer une version totalement inédite de ce que je croyais être la réalité avec laquelle je vivais jusque- là. Ce fut comme une trouée dans l'espace temps une émotion bouleversante car soudain des bribes de souvenirs totalement oubliés me revinrent par flots. La plupart appartenaient à la période de l'enfance où j'avais coutume de rester de longues heures à observer le ciel, un tronc d'arbre, des colonies d'insectes dans les herbes du jardin. La femme qui dormait près de moi n'était plus alors cette inconnue que j'avais rencontrée quelques jours à peine auparavant, elle était devenue une abstraction si j'ose dire un tel mot. Mais il n'est pas péjoratif du tout, bien au contraire. Je crois que c'est à ce moment là précisément que j'ai découvert le sens de ce mot. Je m'étais abstrait d'un espace temps pour pénétrer dans un autre beaucoup plus vaste et mystérieux. La seule explication de ce micro événement mais d'un intensité qui perdure encore, et que je peux livrer des années après, c'est une raison liée à l'œil et au temps pris par celui-ci pour s'ouvrir, pour voir ce qui ne se laisse pas voir dans la rapidité.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
Le Classique et l’indien
P.Blanchon 2023 , l'âne, le classique et l'indien. Tu n'es pas un cas isolé, et est-ce rassurant, non tant que tu ne feras pas quelque chose de ton propre cas. L apollinien et le dionysiaque, cette friction permanente n'est pas originale. Mais de se pencher sur les deux voix, écouter plus attentivement ce qu'elles gueulent à t'en boucher les oreilles - les commentaires qu'elles ne cessent d'émettre au sein de la contradiction comme un alliage qui bout dans ... sans relâche et cherche sa formulation, sa solidité. Ce que tu prends en pleine figure grâce à l'exposition de Gérard Garouste. Le choc nécessaire probablement pour te décoller du confort dans lequel tu t'es installé depuis un peu trop longtemps désormais. Convoque les deux, Le Classique et l'indien, rempli leur verre -mais toi reste sobre - et écoute les échanger dans l'ivresse. Il en résulte quoi de cette perception ce matin, juste un début, le travail d'un fond sombre d'où timidement mais aussi au ralenti tu cherches à poser de faibles lueurs. Puis tu observes les plis laissés par la toile de sac que tu as tendue sur un châssis, ils te gênent au début, tu cherches leur raison d'être, tu cherches l'âne, la matière, et bien il est là, sans même que tu n'aies besoin lui de le convoquer.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
Programmer la fin
illustration Le Grèbe. Tu n'as pas bien réussi le début, tu es resté médiocre dans le milieu, alors peut-être que tu peux faire un effort pour la fin. Nettoyer tout le bazar que tu laisserais derrière toi, un minimum pour partir sans être une charge pour les autres. Parfois cette pensée t'effleure et t'effraie et tu la laisses passer, bien sûr. Et puis tu as imaginé ta mort tellement de fois déjà, et toujours dans une imminence qui s'est avérée être mensongère qu'un jour où l'autre tu te mordras les doigts c'est sûr. Et ce jour là tu pourras t'en prendre à ton imagination ou à ta trouille de crever, ça ne changera pas grand chose. Toutes ces toiles ces dessins ces textes qui ont constitué l'essentiel de tes préoccupations durant toutes ces années tu devrais commencer à t'en débarrasser. Nettoyer, faire le vide, laisser propre derrière toi. Tu es le mieux placé pour savoir ce qu'il en coûte de s'attacher au passé, aux traces, et à la nostalgie douteuse. Partir en beauté. Juste prévoir le moment propice quelques instants auparavant pour avoir la force d'appuyer sur un bouton (imaginaire ?) et tout effacer. Et cependant regarde, tu es en ce moment même en train de faire tout le contraire encore une fois. Tous ces textes que tu rassembles sur un nouveau site en les relisant les corrigeant pour tenter de te convaincre qu'ils peuvent tenir dans une durée... Mais rassure-toi les hébergeurs de sites ne sont pas des philanthropes. Quand le robinet sera fermé tout disparaîtra sans même que tu n'aies à lever le petit doigt. Donc tant que tu es en vie fais ce que tu as à faire et fiche toi du reste, la nature ou la vie sont bien faites. Et puis il n'y a que toi qui attache une si grande importance à toi-même, en tant que cible perpétuelle, en tant que produit d'un monde, d'une époque complètement merdique. Donc la poussière retourne à la poussière c'est la règle et celle-ci tu ne pourras pas la contourner. Et c'est une joie sauvage qui t'attrape et te ferait danser, et pourquoi un conditionnel, danse là tout de suite dans ton atelier et fiche toi du reste ! La vie est plus forte que la mort et elle est un devoir envers nos morts.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
cancre un jour cancre toujours
La place du cancre est une place que l'on ne quitte pas facilement une fois trouvée. C'est si dur de trouver sa place n'est-ce pas, tu en sais quelque chose. Le voyage du cancre commence pour toi à tâtons, du premier rang à ceux du milieu pour s'achever tout au fond près du poêle et surtout de la fenêtre. Comment ce voyage ce sera t'il effectué, par reflux, refoulement, des houles successives qui auront poussé ta frêle embarcation vers le naufrage final. Non que tu considères avoir été victime d'une telle navigation, tu n'en veux à personne, pas même à toi-même quand tu te souviens de la grâce reçue, celle de pouvoir poser enfin paisiblement ton cul au dernier rang de la classe. Une place mais bon Dieu c'est une place et voilà le grand miracle de la localisation. Puis tu t'y es habitué parce que c'est ainsi que l'on s'habitue à tout. On ne fait plus attention, la grâce s'évanouit dans la répétition, l'habitude. Les centaines de dessins et les regards glissés depuis le dernier rang du monde vers les saisons qui défilent au-delà des vitres de la fenêtre. Et tu te souviens aussi de la fugacité des liens amicaux que tu pouvais tisser avec le merle sur la branche du platane de la cour de récréation. De ces amitiés sans promesse ni nécessité de preuves qui ne demandent comme engament que d'être présent à leur venue. De ces belles amitiés qui aident à encaisser parfois l'amertume ou la colère quand, glissant un regard vers le tableau noir, tu vois encore défiler bons points et belles images, récompenses qui te seront toutes passées sous le nez sans le moindre regret. Car c'est ainsi que l'on doit porter son propre nom commun sa fonction d'utilité sociale. L'assumer comme la part laissée au pauvres ou aux chiens. En hiver lorsque les premiers flocons venaient écraser de baisers les vitres tu éprouvais un soulagement de chat qui se détend après un long agacement d'attente. La neige recouvrait tout le paysage et ce blanc tel un tableau peint à la hâte et qu' encadrait la fenêtre était comme le frère jumeau mais facétieux du tableau noir. Tu pouvais y écrire avec un doigt des choses stupides ou merveilleuses et les effacer aussi vite d'un revers de main, mais pour recommencer dans la minute suivante en exhalant quelques bouffées d'haleine, fabriquer de la buée. Probable que c'est là que tu découvres ce plaisir ineffable de gommer plus meme que celui de dessiner. Ainsi quelle belle époque quand tu y repenses, n'était-ce pas un modèle admirable de micro société parfaite. Tout était d'une limpidité extraordinaire. Les bons élèves, les moyens et puis toi le cancre, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Rien n'a vraiment changé en toi et tu conserves obstinément ta place au fond de la classe. Oui, admets-le, peut-être le monde est-t'il devenu un peu plus brouillon, un peu plus compliqué, en apparence, et les platanes comme la cour ont disparu. Mais tu es désormais assis tout près d'une grande verrière et tu possèdes ton propre poêle, et aussi une chatte qui dort toute la sainte journée à deux pas sur sa chaise. Et cela bien sûr quand tu repenses à tout cela te fait rire, cette fidélité incroyable à tenir envers vents et marées ce que tu as découvert à tâtons si difficilement autrefois, ta place, ta vraie place. Tu l'as même écrit sur un vieux carnet que tu as retrouvé cancre un jour cancre toujours.|couper{180}