Décrire le lieu, Gracq et Bergounioux
Comment proposer la description d’ un même lieu par différents personnages dans une fiction. D’une façon ambitieuse il pensa immédiatement à Julien Gracq , ou plutôt Louis Poirier Agrégé d’histoire-géographie. Œil de géographe : relief, hydrographie, expositions, axes. Les lieux sont pensés en structures, pas en décors. Echelle, cadrage. Il zoome et dézoome avec méthode : plan d’ensemble, lignes de force , points d’appui. Exemple : Un balcon en forêt construit l’Ardenne par crêtes, vallons, brumes, postes, puis replis. Géologie et hydrologie : Le terrain prime : affleurements, talwegs, méandres, nappes de brouillard, vents dominants. Les Eaux étroites est une leçon d’hydrologie intime sur l’Èvre, rive après rive, seuil après seuil. Toponymie et axes. Noms précis, directions, continuités. La Forme d’une ville arpente Nantes par rues, quais, ponts, pentes, et montre comment un tissu urbain impose ses trajectoires au corps. Atmosphère comme système : Météo, lumière, acoustique et odeurs forment un régime continu. Chez lui, un front de brouillard ou un contre-jour modifient la lisibilité d’un site comme le ferait un changement de carte. Syntaxe topographique : Périodes longues, appositions, reprises anaphoriques. La phrase dessine le plan : d’abord l’armature, puis les détails, puis la bascule sensible. Effet d’onde qui “contourne” l’objet avant de le saisir. Seuils et lisières Ports, bordures d’eau, franges forestières, talus, presqu’îles. Le “lieu” naît au contact des milieux. La Presqu’île et Le Rivage des Syrtes travaillent la tension entre terre et eau, connu et indécis. Réel et imaginaire raccordés Orsenna ou les Syrtes sont fictifs mais régis par des lois physiques crédibles. L’imaginaire garde une cohérence géographique, d’où la puissance d’immersion. Mémoire des formes : Le temps sédimente le site. La Forme d’une ville superpose âges urbains, démolitions, survivances. Le paysage devient palimpseste lisible. Poétique sans flou. Lexique exact, images parcimonieuses et orientées. Le lyrisme sert la lisibilité du relief, jamais l’inverse. Références rapides
Ville : La Forme d’une ville (Nantes).
Forêt/relief : Un balcon en forêt (Ardennes).
Cours d’eau : Les Eaux étroites (Èvre).
Littoral et seuils : La Presqu’île.
Géographie imaginaire crédible : Le Rivage des Syrtes.
Le Rivage des Syrtes
Un jeune aristocrate d’Orsenna, Aldo, est nommé « observateur » sur le rivage des Syrtes, frontière maritime face au lointain Farghestan, ennemi officiel mais endormi depuis trois siècles. Il découvre un État décadent qui a fait de l’attente sa politique : flottes désarmées, fortins en ruine, traités tabous. Aimanté par la mer interdite et par une grande dame de la cité, il franchit peu à peu les limites : patrouilles plus loin que la ligne fixée, exploration d’îles et de passes, interrogation des archives et des secrets d’État. Cette curiosité devient transgression ; un geste symbolique relance le jeu stratégique et provoque l’engrenage. Les signaux se rallument, les ports s’animent, les escadres sortent : la « veille » bascule en guerre. Roman d’atmosphère et de seuils, Le Rivage des Syrtes décrit la fin d’un monde figé, happé par le désir d’éprouver le réel. Thèmes centraux : fascination du dehors, fatalité historique, politique de l’évitement, géographie comme destin. Style : phrases longues, cartographie précise, métaphores de brumes, d’eaux et de lisières qui rendent perceptible la carte d’un empire au moment où il se réveille.
réflexion : métaphore de l’écriture
Correspondances clés
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Attente stratégique → gestation du texte, temps de veille avant la première phrase.
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Rivage/zone interdite → page blanche, seuil où l’on hésite.
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Cartes, passes, vents → plan, structure, contraintes formelles.
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Archives et secrets d’État → notes, lectures, matériaux enfouis.
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Décadence d’empire → formes usées qu’il faut dépasser.
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Transgression d’Aldo → acte d’écriture qui franchit le tabou initial.
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Signal rallumé, flotte qui sort → mise en mouvement du récit après l’incipit.
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Brume, brouillage des lignes → indétermination productive du brouillon.
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Lisières et seuils → transitions, changements de focalisation ou de temps.
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Surveillance du poste → relecture et vigilance stylistique.
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Geste minuscule qui déclenche la guerre → phrase pivot qui engage tout le livre.
Bilan Le roman modélise l’écriture comme passage du report à l’engagement, avec la géographie pour diagramme des choix poétiques.
La forme d’une ville
Un récit-essai de déambulation et de mémoire sur Nantes. Gracq y cartographie une ville vécue plutôt que décrite : axes, pentes, quais, ponts, passages, faubourgs. Il superpose les couches du temps (ville d’enfance, ville d’études, ville transformée) et montre comment la topographie, la toponymie et les circulations fabriquent des souvenirs. La Loire et l’Erdre (comblées, détournées, franchies) servent de moteurs de perception ; les démolitions et réaménagements modifient l’orientation intime. Le livre mêle géographie sensible, palimpseste urbain, littérature et rêves de lecteur surréaliste. Idée centrale : « la forme d’une ville » change, mais imprime au corps un plan secret qui persiste, d’où la mélancolie précise du retour.
Méditation : Métaphore opératoire de l’acte d’écrire et de réécrire.
Correspondances précises
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Déambulation urbaine → exploration mentale du matériau.
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Axes, pentes, quais → plan, architecture du texte, lignes directrices.
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Passages, ponts, carrefours → transitions, changements de focalisation, nœuds narratifs.
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Toponymie → lexique choisi, noms propres comme balises sémantiques.
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Rivières déplacées/comblées → versions successives, coupes, déplacements de paragraphes.
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Faubourgs et lisières → marges du projet, digressions contrôlées.
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Palimpseste urbain → mémoire des brouillons, strates d’écriture conservées-supprimées.
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Ruptures du tissu (démolitions) → renoncements formels, ablations stylistiques.
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Orientations corporelles (monter/descendre, rive gauche/droite) → rythmes phrastiques, périodisation des chapitres.
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Ville d’enfance vs ville présente → tension entre première impulsion et mise au net.
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Regarder, revenir, comparer → relecture, montage, critique interne.
Bilan La forme d’une ville propose un modèle : écrire, c’est cartographier des strates, tracer des trajets, poser des noms, puis accepter que la carte change et réoriente le texte à chaque retour.
Repères clés :
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Cadre : Nantes, rives et quais, passages, quartiers d’étude et de transit.
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Geste : marche, repérage, retour, comparaison des âges de la ville.
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Méthode : regard de géographe + mémoire personnelle + lexique exact.
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Thèmes : palimpseste, orientation, disparition, survie des noms, puissance des seuils.
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Effet : un atlas intime où l’espace refaçonne la mémoire et inversement.
Immédiatement Pierre Bergounioux après Gracq ( dans son esprit et à propos de ressemblances )
Points communs
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Enseignant de formation, écrivant “à côté” du métier.
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Ancrage provincial fort qui structure l’œuvre.
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Sens géologique du paysage et de ses lignes de force.
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Écriture de la marche, de l’arpentage, des seuils et des reprises.
Différences nettes
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Gracq (Louis Poirier) : imaginaire souverain, géographies littorales et frontières, décors transposés ou fictifs mais crédibles, lyrisme ample et continu.
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Bergounioux : Massif central et Corrèze, histoire sociale et dépossession, vocabulaire minéralogique/entomologique, carnets et enquêtes, cadence analytique plus sèche.
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Rapport au temps : Gracq travaille l’attente et le mythe ; Bergounioux la stratification mémoire-classe-technique.
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Dispositifs : romans d’atmosphère et essais de ville chez Gracq ; courts récits + “Carnets de notes” et atelier de métal chez Bergounioux.
Conclusion
Même “méthode du lieu” par savoir du terrain. Deux visées : le mythe géographique (Gracq) vs la radiographie historico-matérielle (Bergounioux).
Pour continuer
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Podcast-La honte comme boussole créative
Écouter l'entrée du carnet : Votre navigateur ne supporte pas ce lecteur.|couper{180}
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Giacometti disait
Pour sortir de la masse de mes journaux de veille — 190 Mo de doutes, de sueur et de peinture accumulés sur le disque dur — il me fallait un tamis. Un dispositif qui ne se contente pas de classer, mais qui transmute le plomb de la note d'atelier en l’or de la litanie. J’ai emprunté à l’écrivain François Bon son dispositif hypnotique utilisé pour son ouvrage Conversations avec Keith Richards, qui lui-même le tenait d’une longue lignée de « collecteurs d’instants ». J’ai choisi de placer mes propres certitudes fragiles dans la bouche d’Alberto Giacometti. Pourquoi lui ? Parce qu’il est le saint patron de la poussière, de l'effacement et du recommencement perpétuel. Ce « Giacometti disait » n'est pas une biographie, c'est une suture : ma voix sous son masque, pour atteindre ce « point zéro » où le geste devient enfin libre. I. L’Enseignement ou l’Art de Tenir la Présence Vider les mains pour laisser l'espace au vivant. Giacometti disait qu’enseigner la peinture n'est pas transmettre une méthode, mais simplement tenir la présence dans la pièce pour vider les mains de leur habileté trop propre. Giacometti disait qu'un bon professeur doit exiger un euro de ses élèves chaque fois qu'ils disent « c'est nul » ou « je n'y arriverai jamais », car c'est le prix de l'insulte faite au vivant. Giacometti disait que le cœur du métier est d'entraîner l'autre à reconnaître l'état de désorientation pour le rendre enfin confortable. Giacometti disait que le groupe finit par devenir un Simorgh, cet oiseau mythique qui s'élève au plafond porté par une fanfare tzigane. Légende : Tenir la présence. Entre l'ombre et la lumière, le geste cherche à déchiffrer les mystères du monde visible. II. Le Geste : Saborder le Cerveau Briser les outils. Chercher la faille. Giacometti disait que pour bien dessiner un visage, il vaut mieux utiliser un coin de bois plutôt qu'un pinceau pour s'assurer de ne pas être complice de sa propre dextérité. Giacometti disait qu'il faut relever le pinceau aussitôt qu'une pensée surgit, car la pensée est le flic qui arrive sur la scène du crime pour prendre des notes. Giacometti disait qu'il faut parfois porter un bandeau de pirate sur un œil pour briser les habitudes de vision et saborder le cerveau. III. La Sagesse de l’Échec : Le Domaine de la Boue L'éloge de la chute contrôlée. Giacometti disait qu'un tableau traverse trois mondes : celui de la boue (l'ignorance), celui du doute (la perte de soi), et celui de l'achèvement pour rien. Giacometti disait que le succès est un accident perturbateur et que seul l'échec permet de comprendre comment la lumière arrive vraiment. Giacometti disait qu’un tableau est vraiment achevé quand on peut enfin sourire et dire que tout cela a été fait « pour rien ». Légende : Le domaine de la boue. Là où les transitions sourdes créent une expression qui défie la définition. IV. La Chair et la Fissure : Ce qui ne pourrit pas Le voyage vers l'inconscient, là où l'être perce à travers la lettre. Giacometti disait que la peinture et l'écriture sortent par la même fissure, là où la fiente et l'être se mélangent enfin. Giacometti disait que tant qu'il y a de la honte, tout n'est pas perdu, car elle sert de balise dans le labyrinthe de nos épopées. Giacometti disait qu'on peint pour distinguer ce qui, en nous, finit par se décomposer et ce qui, pour une raison obscure, ne pourrit pas. V. La Dissidence : Rester dans la Boue Le refus des systèmes et de l'ordre moyen. Giacometti disait qu'il faut se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu pour pouvoir enfin rester dans la boue. Giacometti disait qu'il faut se méfier de l'intelligence artificielle, car elle ne produit qu'un « ordre moyen » aux mains moites, privé de la grâce du raté. Giacometti disait que le public peut régner sur votre notoriété, mais qu'il ne régnera jamais sur la source de votre liberté. Conclusion Ce plan n'est pas seulement l'architecture d'un hypothétique livre futur, c'est la boussole de mes Carnets. Vous trouverez, au fil des pages de ce site, les fragments bruts, les échecs fertiles et les traces de ces tableaux nés sous le signe du « pour rien ». Comme Giacometti disait : la porte est ouverte, mais n'entrez que si vous acceptez de ressortir avec de la boue sur les mains et une fanfare dans la tête. Carte mentale réalisée par Notebooklm à partir de trois compilations de fichiers textes. Mots-clés : #peinture , #réflexions sur l’art|couper{180}
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Perplexité active
Quand elle retire sa robe blanche et que son corps apparaît presque nu, le choc du vacillement, et avec lui la liste immédiate de tout ce qui pourrait me ramener au stable — Lorsqu’elle enlève sa robe blanche, son corps presque nu me ramène à ce vertige, et je reconnais, en même temps, toutes les manières de m’en tirer. — Elle ôte sa robe blanche, j’aperçois son corps presque nu : le même vacillement revient, et les mêmes solutions de fuite se présentent, prêtes à surgir de l'ombre. Le simple fait de répéter trois fois la phrase sous une forme légèrement différente permet de rester dans l'entre-deux, de ne pas fuir cette perpléxité et de la rendre active Au moment de l'accident je peux voir chaque détail de l'habitacle et en dehors de l'habitacle —Au moment du choc le temps s'élargit et je peux prendre le temps d'observer une foule de détails — Au moment où les véhicules se heurtent, l'étonnement provoqué par la lenteur de l'événement déclenche une curiosité froide, clinique. Répéter la phrase au moment de l’événement m’empêche de m’en échapper. Quand j’écris, la répétition avec nuance fixe l’événement dans un lieu précis. Quand il remonte, il est d’abord une bulle : elle reste ronde un instant à la surface de la signification, avant que les mots ne la percent.|couper{180}