Auteurs littéraires
articles associés
Carnets | décembre
14 décembre 2018
Intense mais calme, méditative, l'intention polarise le sable du chemin. Mieux : elle est le chemin lui-même. Sa prétendue ennemie, la distraction, lui est en fait ontologiquement liée. Comme un chauffeur de taxi avisé, l'intention parle de la pluie et du beau temps pour mieux reposer le voyageur en elle. Puis arrive le mot revers. Imaginons un lieu où son annonce serait célébrée par des fifres, des hautbois et le cliquetis des couverts dominicaux. Le vin coulerait à flots en l'honneur du Héros et de sa suite. Car le revers a tant à dire qu'il se présente buté de prime abord. Raison précisément de le fêter - comme on cogne sur une viande pour l'attendrir. Enivré par les louanges, confiant par l'attention des convives, il sortirait de sa poche le butin de sa quête : ce qu'il n'a pas atteint. Le rien deviendrait alors pour chacun un quelque chose à sa mesure. Génie du revers que de nous révéler ainsi le plan de table de l'Hôte qui nous convie. Suite à une panne soudaine - providentielle - me voici contraint à l'essentiel, écrivant sur mon smartphone. Cela me rappelle Villiers de l'Isle-Adam évoquant Sparte, « située à l'extrémité sud du Péloponnèse ». Chez les Lacédémoniens, le vol était le passage obligé pour gagner le regard de ses pairs. Gide note que cette cité, qui précipitait les enfants chétifs dans des oubliettes, produisit presque zéro artiste. Je comprends soudain d'où je viens. Si j'étais moi, je m'applaudirais presque. Mais restons laconicques. L'écuyère Entre ses cuisses douces et chaudes lorsqu'elle chevauche l'axe des limbes vers l'oubli ourdit l'orage et des espoirs œuf coupé immobile et vibrant <robuste énergiquement s'élance vers les sommets rêvés par la plus noire des profondeurs Se tient satin inouï orange amère l'amie, la mort, la vie.|couper{180}
Carnets | décembre
10 décembre_2 2018
Dans Le Chemin des Nuages Blancs du lama Anagarika Govinda – un Allemand converti au bouddhisme tibétain ayant vécu trente ans en Inde du Nord –, un passage décrit un vieux moine entretenant le temple où il a trouvé refuge. C’est un homme très âgé, qui reçoit une petite pension de la confrérie des moines. L’auteur comprend qu’il reverse presque tout cet argent pour l’entretien du temple. Pour vivre, le vieil homme ne conserve qu’une natte et un bol. Govinda esquisse ensuite son portrait par petites touches : sa générosité, lorsqu’il propose un breuvage mêlant thé et beurre clarifié – dégoûtant, mais coûteux pour celui qui ne roule pas sur l’or. Puis il évoque son occupation : le moine ne reste jamais inactif. On le voit enfiler des chaussons, briquer chaque dalle du temple, nettoyer les bols à offrandes, changer les chandelles… Un emploi du temps chargé, accompli simplement, comme une prière continuelle. L’auteur aborde aussi la puissance des mantras que le vieux moine lui enseigne : ces prières parlées, ces sons, s’adressent à la part la plus profonde des êtres, et non à leur mental ou leurs sentiments. Cela m’a donné matière à réflexion durant mes nuits d’insomnie, que j’occupe à classer mes toiles, balayer mon atelier, et surtout à mettre de l’ordre dans mes pensées en écrivant. Évidemment, c’est d’une limpidité et d’une simplicité inouïes. Si l’on considérait que tout ce que l’on touche, regarde, mange ou boit était une manifestation du divin ou de l’univers, si l’on accordait notre esprit et notre cœur à cette évidence magistrale – alors la vie deviendrait si simple, si limpide, que je crains de ne pas encore pouvoir soutenir une telle simplicité. Mais attendons un peu. Après tout, je ne suis pas encore si vieux que je n’aie d’autre choix que de l’accepter tout à fait.|couper{180}
Carnets | décembre
9 décembre_2 2018
J'aime parfois m'arrêter sur un mot de notre langue. Aujourd'hui, « admirer » a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j'en profite. Superbe carrosserie, un peu désuète - car désormais on « kiffe » plus qu'on n'admire. Alors, admirer va-t-il disparaître, emporté par le corbillard d'une soi-disant « modernité » ? L'extinction d'un mot est toujours triste, mais elle correspond à de nouveaux usages. « The times are changing », comme dirait Bob... Je ne me souviens d'aucune femme m'ayant dit « Comme je t'admire » sans ironie. Mes amis le pensent peut-être, mais ne le diront jamais - et c'est tant mieux, car être admiré est aussi gênant qu'une eau de toilette qui laisse une trace olfactive désagréable. Le dictionnaire parle de considération enthousiaste, d'émerveillement. L'admiration relève plus de l'émotion que du « ciboulot ». On l'éprouve, comme on éprouve de l'enthousiasme. Ce sentiment me revient en écoutant ma playlist YouTube : ces jeunes de moins de 30 ans, armés d'un pragmatisme et d'une créativité redoutables, qui cherchent à me vendre des formations. J'achèterais presque, si je n'étais aussi dubitatif quant au bénéfice réel. Pourtant, je suis tenté - tellement c'est bien amené chez certains. Il y a là un art de la persuasion qui, pour sembler inné, a été énormément travaillé. Eux connaissent la valeur du mot « admirer » ; ils en ont fait leur carburant. Ils ont puisé chez leurs aînés des stratagèmes absents des écoles de commerce, même les plus prestigieuses. L'art de vendre ne s'apprend pas en classe - ces jeunes loups du digital savent que c'est l'échec qui forme véritablement. Certains flirtent avec le génie quand, ayant compris les faiblesses humaines, ils réduisent leur cercle de clients pour en extraire la substantifique moelle : la durée, la fidélité. À les écouter, on jurerait des amis - et les vrais amis, comme on sait, ne se comptent que sur les doigts d'une main. De la rigueur, ils n'en manquent pas, ni de toupet. Cette nouvelle manière de vendre ? Devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu - et ça, le contenu bien propre, n'a pas de prix. Rappelons-nous que l'enthousiasme était considéré par les Anciens comme un délire sacré, inspiré par le divin... Alors, tout bien considéré, ne lâchons rien, comme il est dit dans « Top Chef ». Je ne peux m'empêcher d'éprouver de l'enthousiasme, donc de l'admiration, alors que je ne « kiffe » que du bout des lèvres. Car le contenu, j'en produis moi-même en ce moment, peut-être trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurai averti. Pour conclure : on peut admirer sans aimer, et aimer sans admirer, c'est certain. Le véritable amour, après tout, ça ne nous regarde pas. Comme dirait Céline, des caniches et des étoiles, « on kiffe ».|couper{180}
histoire de l’imaginaire
07 décembre 2018
L'étude des sirènes, ces créatures fascinantes de la mythologie, révèle une évolution captivante de leur représentation à travers les âges. Initialement décrites par les Grecs anciens comme des êtres dotés d'une tête, parfois d'un buste de femme sur un corps d'oiseau, ces figures mythologiques s'éloignent considérablement de l'image contemporaine popularisée par les studios Disney, qui les présentent comme des créatures mi-femmes, mi-poissons, dotées d'un caractère agréable. Cette transformation est notable dans des œuvres telles que La Lorelei de Heinrich Heine et la célèbre Petite Sirène de Copenhague. Cette divergence soulève la question de savoir si les sirènes, initialement perçues comme des êtres bienveillants, ont été réinterprétées en créatures malveillantes sous l'influence de périodes plus moralistes, peut-être en raison de la notion taboue d'inceste associée aux Néréides, proches parentes des sirènes dans la mythologie. La langue anglaise distingue ces interprétations avec deux termes : siren pour la sirène antique et mermaid pour la version plus moderne. Historiquement, les sirènes, présentes dans les récits depuis l'Antiquité jusqu'à Homère, étaient des musiciennes comparables aux Muses, un rôle bien éloigné de celui des séductrices dangereuses de l'Odyssée. Le lieu précis de résidence des sirènes reste incertain, bien que certaines théories suggèrent une localisation entre Sorrente et Capri ou près du détroit de Messine, des régions où elles étaient vénérées et craintes pour leur chant envoûtant, capable de détourner l'attention des marins et d'apaiser les vents. Les sirènes partagent également des liens de parenté avec d'autres créatures mythologiques, comme les Harpies, représentant une autre facette de la mythologie grecque où la capture et l'attraction vers un destin funeste prédominent. Ces êtres, serviteurs de Héra, illustrent une autre dimension de la perception des femmes dans la mythologie comme sources de malveillance. Le récit d'Ulysse, qui échappe au chant des sirènes grâce à la ruse et non à l'art, soulève des questions sur la nature de la connaissance et la quête humaine pour comprendre l'inconnu. Ce passage a été interprété de diverses manières, y compris à travers le prisme de la psychanalyse, suggérant une exploration de l'identité et de la personnalité. En conclusion, les sirènes, avec leur riche héritage mythologique et leur capacité à inspirer l'art et la littérature, nous invitent à réfléchir sur les thèmes de la séduction, du danger, et du mystère de l'inconnu. Elles nous rappellent que notre quête de compréhension peut nous conduire à des révélations surprenantes, où la frontière entre la réalité et le mythe s'estompe, nous offrant un aperçu de la complexité de l'existence humaine et de notre relation avec le monde naturel et surnaturel.|couper{180}