réflexions sur l’art
Ici, l’art n’est pas un objet figé mais un lieu de pensée en mouvement. Peinture, écriture, regard : tout devient matière à interrogation, parfois ludique, parfois grave. Ces réflexions empruntent autant à la philosophie qu’au souvenir de gestes, à l’anecdote d’atelier, à la mélancolie ironique. Peindre, c’est parfois rater ; dire, c’est souvent déformer ; l’œuvre est résidu de tentatives accumulées. L’artiste-écrivain avance en hésitant, creusant les mots comme la toile. Il ne cherche pas à expliquer l’art, mais à habiter ce qui se dérobe dans l’acte de créer. Chaque texte trace un sentier incertain, où l’intensité prime sur la clarté, où la seule vérité possible est celle de l’élan.
articles associés
Lectures
Se faire résumer par une machine
Lecture à chaud par le modèle 4o de ChatGpt — du texte écrit le 24 décembre 2024 ( entrée du carnet 2024-décembre-le 24)|couper{180}
Lectures
La médecine à l’époque Edo au Japon
Dans le cadre de mes explorations littéraires et documentaires, j’ai découvert un article intéressant sur la médecine Kampo, une pratique issue de la période Edo au Japon. Cette découverte m’a incité à approfondir le sujet, non seulement pour en comprendre les bases historiques, mais aussi pour explorer comment cette approche s’inscrit dans une réflexion plus large sur la tradition et la modernité|couper{180}
Carnets | décembre 2024
07 décembre 2024
Il y a un hiatus, entre ce que j'éprouve face au réel et ce que je suis en mesure, ou non, d'en dire. Quand je veux en dire quelque chose c'est rarement ce que je veux dire qui est dit. Cela peut s'en approcher. Je peux avoir l'impression d'avoir dit quelque chose qui colle à la réalité. Puis quand je relis ensuite non, pas du tout. C'est un oignon avec de nombreuses peaux, et parfois il n'y a même pas de germe.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
05 décembre 2024
Hier aprés-midi. Sur la route.Hier, j'hésite. Un ou une aprés-midi. Je ne savais plus mon genre. Et ma conjugaison. Plus trés sûr de rien. Plus sûr du tout. Ce qui me rappelle quelque chose. Chose. Un personnage. Le petit Chose de Daudet. Non. Chose qui croît au phallus de la mère. Chose comme dans Le Meurtrion. Il fait beau et voilà que tout à coup je pense à ce Chose ou cette Chose. Tout s'entrechoque. La langue. Et me voici face aux éoliennes. Du côté de Fay-le-clos. Je suis monté pour redescendre. Pas que ça m'enchante. C'est le boulot. Mais les arbres ne sont pas encore nus. Le soleil tape sur les feuilles jaunes. Le premier mot qui vient c'est l'or. Puis du métal en fusion. Une chose en fusion. Ce qui fut utile. Car à Saint-Donat, tout était glacé. J'ai dû voir au moins six personnes. Leur tête disparaissait. Leur tête était interchangeable. Un Cerbere divisé. s'essayant à l'autonomie. Individualisé. Mais tu gardes quoi comme enfer. Essouflé au bout de trois marches gravies de ce grand escalier. Observé une mouche qui montait.Observé la même qui descendait. Entre un panneau de bois frappé de soleil et la vitre dont le verre ( le mot m'échappe pour dire sa nature de verre qui rend le monde flou) Peut-être bien "dépoli". La mouche donc monte et descend. Le même trajet durant un bon quart d'heure. Et mes globes oculaires la même chose. On commence à devenir chose par l'oeil si ça se trouve. C'est à partir de là que le hiatus démarre. Dire ensuite ce que l'oeil voit si possible or voilà la plupart du temps, justement, c'est impossible. Et donc tout le jeu ( passionnant mais fatiguant, éreintant, exténuant) consiste à se rapprocher de ça en s'éloignant de papa, maman, la bonne et moi. C'est à peu près ainsi que le démoniaque se manifeste. Bouh ! Comment vas-tu vieille chose me dit-il. Pas très bien. Pas très bien. L'écart m'a eu. Pas encore jusqu'à la corde. Je m'y aggripe. Sacré Je, si je ne t'avais pas. Mon petit fil à la patte, mon lambeau de chair qui pend entre la gencive et la dent. Breloque.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
04 décembre 2024
"Ne pouvoir vivre sans représenter notre vie mais ne trouver dans aucun discours constitué l’exacte résonance de l’expérience que nous faisons du « réel » de cette vie : voilà la contradiction qui nous écartèle." ( lu dans l'introduction de "La langue et ses monstres" de Christian Prigent|couper{180}
Lectures
Autour de la chose
Ce texte est sans doute autre chose qu'une chronique littéraire, autre chose qu'un simple compte rendu de lecture. C'est autre chose, mais je ne sais pas vraiment où la ranger. Alors dans la catégorie "lecture" puisqu'il pourrait bien s'agit de ça finalement.|couper{180}
Carnets | novembre 2024
21 novembre 2024
Le mot émergence me poursuit depuis hier soir, il s’est enfoui dans mon sommeil, peut-être dans mes rêves, dans mes cauchemars. Je n’y ai pas fait attention tout de suite. Au début, il devait être dissimulé parmi tous les mots d’une phrase. Et ce n’est que ce matin, en descendant faire le café, que j’ai comme des flashs, que des choses émergent, comme issues des profondeurs d’un océan de stupeur. Des structures. En fait, j’ai découvert SpaCy hier en fin de journée, et les premiers résultats obtenus avec deux ou trois scripts Python sont bluffants. Il faudra que je fasse un récapitulatif de tout ce que l’on peut faire avec cet outil. Avec seulement un script, j’ai trié parmi 433 articles ceux traitant de l’écriture, créant d’abord un document de 1 500 pages, puis un autre, réduit à 34 pages en extrayant l’essentiel. Enfin, en regroupant les phrases par thématique, j’ai obtenu un texte de 500 pages, à la fois effarant et fascinant. SpaCy, c’est une bibliothèque Python dédiée au traitement du langage naturel. Un outil qui permet d’analyser, de trier, de structurer des textes. Avec SpaCy, il devient possible d’extraire des entités clés dans un texte, de reconnaître des motifs récurrents, ou encore de transformer un chaos de phrases et de textes en une organisation disons un peu plus claire. Pour quelqu’un comme moi, passionné par les mots et les structures qu’ils créent, cet outil ouvre des perspectives vertigineuses. Ce n’est pas seulement un programme informatique, c’est presque un assistant littéraire. Ce qui m’épate, c’est la manière dont un outil purement algorithmique peut révéler la poésie cachée dans ce que je nomme généralement le désordre. Les mots, que l’on croit figés dans leurs usages, apparaissent alors dans de nouvelles configurations. Recomposés ainsi, mis en relation de façon inattendue, on croirait qu’ils ne m’appartiennent plus. Que c’est un autre qui les a écrits. C’est comme si cet outil, SpaCy, m’offrait un point de vue nouveau, une possibilité de détachement supplémentaire vis-à-vis du langage, de ce que j’imagine souvent, à tort, m’appartenir : les mots et leur usage. Pas loin de me faire rêver, il me donne l’impression que ces mots, libérés de mes propres intentions, deviennent une matière vivante, presque organique. Comme si, sous l’œil de l’algorithme, les mots se déployaient dans une réalité qui m’échappe, réclamant une autonomie nouvelle. Est-ce que je leur ai insufflé cette vie toute neuve en les structurant, ou est-ce l’outil qui révèle ce que je n’aurais jamais vu seul ? SpaCy m’a fasciné par sa capacité à fragmenter un texte en unités fondamentales (tokens). C’est comme si chaque particule que sont les mots, les espaces, les points, les virgules, reprenait vie avec cette impression d’autonomie que l’algorithme confère aux symboles qu’ils sont, en définitive. Ainsi, chaque mot, isolé de son contexte habituel, devient une particule élémentaire d’un langage en reconstruction. Ce qui me surprend le plus, c’est cette reconnaissance d’entités nommées. SpaCy semble voir dans le chaos des phrases ce que l’œil humain peine parfois à percevoir : des noms, des lieux, des frontières invisibles. Une sorte de cartographe algorithmique qui redessine les paysages intérieurs d’un texte. L’autre dimension, tout aussi formidable, c’est la malléabilité de SpaCy. Non seulement il analyse, mais il s’adapte. On peut lui enseigner des nuances, lui demander d’affiner sa perception des mots, comme un élève doté d’une patience infinie. Le pipeline de SpaCy est une mécanique subtile. À chaque étape, il ajoute une couche de sens, comme si les mots passaient sous une série de lentilles successives, révélant leur texture, leurs contours, leurs interconnexions. Ce processus est assez proche de la distillation, où le brut devient limpide. SpaCy mesure la similarité entre des mots, des phrases, des idées, avec une précision effarante. Cela me fait réfléchir : est-ce une nouvelle façon de percevoir le langage, dépourvue de notre subjectivité humaine ? Ces vecteurs, ces rapprochements calculés, ouvrent-ils une voie vers une compréhension plus universelle des mots, ou au contraire plus abstraite, plus étrangère ? En cherchant une illustration pour ce billet je retombe sur cette photographie d'écorce de chène. L'écorce vue en gros plan a aussi quelque chose de fascinant. En s'approchant au plus près gràce à l'appareil photo on peut voir des détails qu'on ne voit généralement pas à l'oeil nu. De plus cette collaboration entre la technologie et l'intention humaine permet de créer des vues neuves ou inattendues de la réalité.|couper{180}
Carnets | juin 2024
13 juin 2024
Je perds de la distance. L’emploi du temps, peut-être parce qu’il n’est qu’employé, pèse sur les nerfs. En notant les dates de réception des classes à la médiathèque sur l’agenda, j’ai peur de me tromper. Je déteste écrire ces événements, je fais souvent des erreurs : orthographe des mots, horaires, ou même le mauvais jour. J’ai toujours été ainsi. Mon cahier de textes, de la maternelle au collège, était toujours en désordre. Une résistance futile à tout calendrier, tout emploi du temps. Les marges étaient criblées de gribouillis, envahissant la page et les tâches à faire. Ces gribouillis, ce désordre, cette maladresse, étaient mes armes de résistance enfantine, mais si vaines face à l’Organisation scolaire. J’explique encore trop, beaucoup trop. Hier, lors du discours, je parvins à ne dire presque rien en public, laissant la place au maire et à mes deux collègues peintres. Le ridicule de tout discours se répand dans ma cervelle, comme une gangrène. Sans doute parce que je ne cesse de discourir avec moi-même, en prenant tout le dérisoire de plein fouet. C’est bien de ma faute. Pourquoi chercher toujours au-delà des limites ? Dimanche tout entier consacré au stage sur le monotype, je n’ai pas préparé grand chose. Tant de faire le point avant qu’ils n’arrivent … me dépêche d’aller voter avant que ce ne soit l’heure. Encore un peu de temps. Ce gâchis de papier. Pas voulu y participer. Pris mon bulletin et l’ai fourré dans l’enveloppe avant même d’atteindre l’isoloir. A voté. Belle journée. Je crois que c’est Louise Bourgeois qui aura donné le top de départ. Ses monotypes ont séduit le groupe. Pour le reste le hasard, les morceaux de plastique que j’avais découpés à la hâte, les ardoises que j’ai retrouvées soudain sur une étagère de la remise, et le bloc de papier aquarelle aura fait tout le reste. Nous avons fini les restes du vernissage de la veille. La dernière heure le prétexte d’un goûter parachève la journée. Tout le monde est épuisé. Découverte de M. que G. a conviée. P. quant à lui allait partir encore sans payer, mais je l’ai gentiment retenu par l’épaule. Je n’ai fait aucune photographie des œuvres réalisées, je pense au mot résistance.|couper{180}
Carnets | août
17 août 2018
C'était un petit événement. Créer un site Wordpress, construire une galerie d'images, et c'est ainsi que sont venus les tous premiers mots. Comme issus de la découverte d'un mur.|couper{180}
Carnets | décembre 2023
6 décembre 2023
Quand j’entends aujourd’hui parler de réfugiés, de droit d’asile, d’abri devenu chimère, je pense aux frontières, aux centres d’accueil, aux mots usés de l’humanisme, mais je reviens toujours au même endroit : le trou sous la maison et les branches du cerisier. Enfant, je passais des heures à ramper dans cette cache creusée sous le sol ou à grimper le plus haut possible dans l’arbre derrière la maison. Chercher refuge, c’était ça : disparaître du regard des adultes, sentir la masse de la maison au-dessus de moi ou le vide sous mes pieds, entendre les bruits étouffés du monde et m’en croire provisoirement séparé. Plus tard, j’ai déplacé ce mouvement dans la peinture, la lecture, l’écriture. Je me suis réfugié dans des livres comme je me glissais autrefois sous les planches, j’ai cherché dans l’odeur de l’acrylique ou de l’encre la même sensation d’asile. À chaque fois que quelque chose ressemblait à un abri — une salle d’atelier, une bibliothèque, un coin de table —, une autre partie de moi s’empressait de le mettre à distance. Je sentais que si ce refuge devenait trop concret, trop stable, il se transformerait en piège. Je me surprends souvent à entretenir davantage l’idée du refuge que sa réalité : une arche, un lieu protégé, un “ailleurs” où l’on serait enfin en paix. Comme si je savais déjà qu’aucun endroit ne tiendrait cette promesse et que la seule chose qui me reste, c’est l’espérance en suspens, pas l’arrivée. Même la mort ne se présente plus comme un asile possible ; l’idée qu’elle réglerait tout a fini par se dissoudre. Qu’est-ce qui reste alors ? Pas grand-chose en apparence : lire, écrire, peindre. Et pourtant, c’est beaucoup. C’est là que se rejoue chaque fois la vieille scène : fabriquer un abri et le laisser filer. Je complique, j’invente des difficultés, je repousse le prochain texte, le prochain tableau, en jurant que je ne déciderai rien d’avance, que le refuge, s’il vient, devra surgir par surprise, comme un miracle qu’on n’a pas appelé. Devant la toile, cela donne des couches fines posées les unes sur les autres, une science de l’hésitation, de la maladresse assumée, pour atteindre une transparence qui serait une sorte de passage : voir à travers, ne pas se faire prendre. Puis vient le moment où je comprends que cette transparence-là n’abrite rien, qu’elle ne protège pas, qu’elle expose au contraire ce que je tente de cacher. Il faut alors “donner du corps”, épaissir une forme, assumer un volume au lieu de se contenter de voiles. Le refuge se dérobe à mesure que la peinture avance : l’asile que je croyais atteindre se révèle être simplement une nouvelle surface à traverser. Ce qui demeure, au bout du compte, ce n’est pas un lieu où se mettre à l’abri, mais ce mouvement obstiné vers un abri introuvable. C’est peut-être là, dans ce cheminement même — du trou sous la maison aux transparences d’aujourd’hui —, que je peux encore m’estimer chanceux : ne jamais avoir trouvé de refuge définitif, mais avoir eu de quoi tracer, texte après texte, tableau après tableau, la carte de cette impossibilité.|couper{180}
Carnets | décembre 2023
3 décembre 2023
Atelier du vendredi à R. Stable, une dizaine comme d’habitude, une nouvelle est arrivée sans bruit, elle s’est installée au fond, près du radiateur. Ça va, ça vient, certains disparaissent, d’autres reviennent après des mois, mais le noyau reste. Enseigner là, ce n’est pas transmettre une méthode, c’est tenir la présence : rester dans la pièce, avec eux, sans partir ailleurs. Si je commence à penser à mes factures ou à mes mails, le temps se fige, la séance traîne, tout le monde s’ennuie. Hier, les quatre heures ont filé d’un bloc. C. a fait moins d’humour que d’habitude, mais il était là, posé devant sa feuille, fidèle. La nouvelle m’explique à la pause qu’elle passe une semaine par mois à Milan pour traiter des blocages osseux, musculaires, nerveux. Elle vient en train, elle reviendra sans doute chaque semaine à l’atelier. Elle me dit : “Pour les blocages, c’est comme pour la peinture, à un moment on lâche, ça se dénoue.” Je sens un léger vertige : ce qu’elle dit de la colonne, des épaules, je pourrais le dire du poignet ou du regard. Pendant quelques minutes, tout circule entre les deux, son corps de thérapeute et ma manière de parler de couleur, comme si les expériences pouvaient se toucher là, sur un coin de table, avant de se séparer à nouveau. Le reste du temps, je surveille surtout ce réflexe : “Je sais, je l’ai déjà fait.” Il revient plus souvent avec l’âge, cette fatigue de celui qui croit avoir compris. En peinture, ce serait un bon exercice de repérer chaque fois où je me dis ça, chaque fois où je reprends un geste parce que je crois le connaître, et de pousser un peu plus loin jusqu’au doute, jusqu’à un déplacement minuscule qui m’oblige à regarder vraiment ce que je fais. Si la répétition tourne à la formule sur la toile, il faut aller voir ce qui se répète au-delà du cadre, dans ma façon d’être là. Le soir, j’ai ouvert le PDF qu’on m’a envoyé, quelques textes à lire pour un projet. J’en ai parcouru deux ou trois, je me suis demandé si j’avais envie d’y participer, et la même chose a coincé que pour les réunions Zoom : cette impression que tout nous pousse à être en représentation, sur la page comme devant une caméra, toujours de l’autre côté d’un cadre, en train de tenir un rôle. Je sens vite remonter l’ancien roublard, celui qui flairait les trucs et les postures, qui jouait avec. Aujourd’hui, je repère les mêmes roublardises partout et ça m’empoisonne la vie. À force de guetter la petite manœuvre chez les autres, je finis par ne plus voir que ça. Et puis parfois, au milieu d’un atelier ou d’une conversation, un regard passe, naïf, nu, pas encore corseté, et j’y crois encore. Je m’en veux presque d’y croire, je me demande ce que je risque à accorder foi à cette candeur-là, comme on croit à une fiction le temps de sa lecture, en sachant que le livre se refermera. L’innocence, au fond, reste un de mes sujets les plus dangereux. On a tendance à dire qu’on l’a “perdue”, alors qu’on l’a surtout recouverte de couches d’opinions, de commentaires, pour avoir l’air sérieux, adulte, crédible. Je repense à ces cadres qui passent la journée à se contenir en réunion et qui, le soir, lâchent tout : blagues lourdes, vulgarité, ivresse, concours de qui sera le plus grossier. Ils se croient en liberté, c’est souvent une autre forme de prison, une caricature d’amusement. Ils ont l’air de gamins surexcités, mais il y a là-dedans une misère qui fait presque mal au ventre. Je les regarde, je pense “des enfants”, et tout de suite après une autre question se glisse : est-ce que dire “ce sont des enfants” fait de moi un père, moi qui n’ai pas d’enfant ? Dans l’atelier du vendredi, cette question-là rôde en silence autour des tables, entre les feuilles, dans la façon d’encourager ou de me taire. Je ne sais pas si j’enseigne la peinture ou une manière de tenir debout sans trop se mentir, mais je sens que c’est là que se joue quelque chose, bien plus que dans n’importe quel PDF ou réunion en ligne.|couper{180}
Carnets | mai 2023
25052023
le progrès technologique se substitue au progrès moral par le biais de la croyance en un système , c'est l'erreur de Rousseau et de tous les théoriciens qui suivent. Mettons en place un système qui palliera la défaillance. Le politique ne peut pas pallier la morale au sens où il n'y a de morale véritable qu'individuelle. Que le progrès moral est sans cesse à redéfinir pour et par chaque nouvel individu qui naît. Ce que l'on nomme morale vis à vis d'un groupe n'est qu'un ensemble de règles, ou une tradition qu'on suit parce que c'est plus simple de la suivre que de s'y opposer. Est-ce que ce que je viens d’écrire m’appartient, où bien n’est-ce qu’une idée attrapée dans l’air du temps. Il est toujours difficile de discerner l’origine de nos pensées, pour autant qu’on s’intéresse à cette origine. Reprise de la lecture de Bergounioux, son carnet de la décennie 80-90 et stupéfait de voir à quel point je m’y retrouve, le style est différent, les préoccupations concernant entomologie et géologie sont parfois éloignées encore que j’avais bien mes lubies aussi. C’est plutôt une affaire de ton, le ton d’une époque. Pas étonné qu’il lise Jürger. Dans les années 80 beaucoup semblent avoir lu Jünger. Il faudrait vérifier s’il n’y a pas une réédition du traité du rebelle pile au moment des élections. Dans quelle mesure un homme qui écrit un journal ne se laisse t’il pas prendre à son propre piège. C’est à dire devient son personnage. Ne vit que pour ce personnage. Et aussi parfois l’impossibilité de cacher une grande naïveté ou candeur entre les lignes. « Une trentaine de pages à ce cahier. Que restera-t-il dans dix ans, dans vingt ans, si je suis encore là, de ces heures dont j’essaie de fixer la teneur ? Déjà ne subsiste plus, pour certaines, que la mention que j’en ai faite. Quinze jours, et la main de l’oubli a passé. Mais ce pâle témoignage est encore préférable à l’abîme qui nous talonne. » Extrait de Carnet de notes, 1980-1990 Bergounioux, Pierre l'âge et peut-être un léger progrès moral font que ces mots réactualisent, quelques instants, des préoccupations anciennes, désormais vidées de leur ancienne importance. Une brève nostalgie, mais pas de regret. Entendu qu’au Mexique- parait-il, il existe des joutes d'écriture, semblables à des tournois de catch. Les protagonistes sont masqués et leur prose est projetée sur écran géant. Plus spectaculaire qu'un blog. Écrire dans le vide, écrire à vide. Avide d’écrire et de lire, encore oui. Mais je ne crois plus à ces histoires de postérité , je n’en ai plus besoin, ni même à la publication d’un livre comme objectif ou carotte pour écrire. Dans quelle mesure la phrase juste au dessus de celle-ci dit-elle la vérité ? Le retour à un journal est tentant. Tenir son journal au jour le jour ou régulièrement, et y noter tous les petits faits du quotidien qui ont attiré l’attention. Mais dans quel but encore sinon pour se relire à un moment ou l’autre, se souvenir, ou vérifier éventuellement des faits dont nous ne sommes plus vraiment certains avec le temps. Un journal peut-être utile en cas de début d’Alzheimer. Si toutefois on se souvient que c’est soi qui l’a écrit, que ce n’est pas un roman. Le progrès moral consiste à réduire bien des croyances, comme autant d’ objets, et probablement d’êtres imaginaires, de choses vagues qui autrefois furent qualifiées d’essentielles, d’indispensables et qui ne le sont plus. Le progrès moral est directement en lien avec un progrès de l’imagination. Une imagination plus claire ? A moins qu’il ne soit la quintessence d’un parcours d’assassin. Hier soir entre deux ateliers j'ouvre la fenêtre de la salle et je plonge le regard dans les tilleuls du jardin d'en face. Plonger le regard comme pour le nettoyer. Une certaine luminosité de la pierre du mur, dans l'ombre des feuillages, ces verts sombres à coté des tendres éclairés par la la lumière de la fin de journée, un petit bouleversement. Petit parce que pas le temps de m'y installer qu'un élève entre dans les lieux. Mais instinctivement j'ai pris une photographie. Tout à fait le genre de petit bouleversement qu'on peut noter dans les pages d'un journal le lendemain.|couper{180}