décembre

Carnets | décembre

9 décembre_2 2018

J'aime parfois m'arrêter sur un mot de notre langue. Aujourd'hui, « admirer » a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j'en profite. Superbe carrosserie, un peu désuète - car désormais on « kiffe » plus qu'on n'admire. Alors, admirer va-t-il disparaître, emporté par le corbillard d'une soi-disant « modernité » ? L'extinction d'un mot est toujours triste, mais elle correspond à de nouveaux usages. « The times are changing », comme dirait Bob... Je ne me souviens d'aucune femme m'ayant dit « Comme je t'admire » sans ironie. Mes amis le pensent peut-être, mais ne le diront jamais - et c'est tant mieux, car être admiré est aussi gênant qu'une eau de toilette qui laisse une trace olfactive désagréable. Le dictionnaire parle de considération enthousiaste, d'émerveillement. L'admiration relève plus de l'émotion que du « ciboulot ». On l'éprouve, comme on éprouve de l'enthousiasme. Ce sentiment me revient en écoutant ma playlist YouTube : ces jeunes de moins de 30 ans, armés d'un pragmatisme et d'une créativité redoutables, qui cherchent à me vendre des formations. J'achèterais presque, si je n'étais aussi dubitatif quant au bénéfice réel. Pourtant, je suis tenté - tellement c'est bien amené chez certains. Il y a là un art de la persuasion qui, pour sembler inné, a été énormément travaillé. Eux connaissent la valeur du mot « admirer » ; ils en ont fait leur carburant. Ils ont puisé chez leurs aînés des stratagèmes absents des écoles de commerce, même les plus prestigieuses. L'art de vendre ne s'apprend pas en classe - ces jeunes loups du digital savent que c'est l'échec qui forme véritablement. Certains flirtent avec le génie quand, ayant compris les faiblesses humaines, ils réduisent leur cercle de clients pour en extraire la substantifique moelle : la durée, la fidélité. À les écouter, on jurerait des amis - et les vrais amis, comme on sait, ne se comptent que sur les doigts d'une main. De la rigueur, ils n'en manquent pas, ni de toupet. Cette nouvelle manière de vendre ? Devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu - et ça, le contenu bien propre, n'a pas de prix. Rappelons-nous que l'enthousiasme était considéré par les Anciens comme un délire sacré, inspiré par le divin... Alors, tout bien considéré, ne lâchons rien, comme il est dit dans « Top Chef ». Je ne peux m'empêcher d'éprouver de l'enthousiasme, donc de l'admiration, alors que je ne « kiffe » que du bout des lèvres. Car le contenu, j'en produis moi-même en ce moment, peut-être trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurai averti. Pour conclure : on peut admirer sans aimer, et aimer sans admirer, c'est certain. Le véritable amour, après tout, ça ne nous regarde pas. Comme dirait Céline, des caniches et des étoiles, « on kiffe ».|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | décembre

8 décembre 2018

Il y a une différence majeure entre croire être parvenu à un niveau et y être véritablement. La peinture n'échappe pas à cette règle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas à un stade d'évolution, il faut accéder aux niveaux supérieurs, sans quoi le recul nécessaire fait défaut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s'agit d'apprécier honnêtement, à la lumière des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l'ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage. Ces derniers jours, j'ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l'important, le nécessaire qui fait levier, et l'inutile qui entrave. Dans des cartons, j'ai retrouvé une kyrielle de travaux de jeunesse. En découvrant cette feuille de journal tachée de couleurs, j'ai hésité avant de la froisser. Prenons le temps d'en reparler, comme à un ami. Je peignais alors dans des chambres de hasard, réchauffée seulement par la flamme de mes illusions. J'étais au niveau le plus bas de l'échelle - celui où l'on se préoccupe encore de l'environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir à mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussiéreux. La tâche était si facile que je disposais de longues périodes pour lire - Plutarque et bien d'autres, de façon aussi désordonnée que désespérée. Pour lutter contre l'ennui, j'avais élevé la rêverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir où je serais inéluctablement peintre, écrivain, riche... Sans organisation, sans plan d'action, je n'étais pas libre - je m'enchaînais davantage. Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd'hui. L'important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir à la racine de soi et considérer le mental comme un périphérique - souris, clavier, écran, mais pas l'ordinateur. Changer, c'est lâcher prise, terme aujourd'hui galvaudé au point que je n'y ajouterai rien. Hier encore, j'évoquais Ulysse attaché à son mât. Enfant, j'admirais son ingéniosité face aux Dieux. Aujourd'hui, je n'y vois qu'un homme prisonnier d'une fausse idée de la liberté. Alors, cette feuille froissée et tachée que personne n'a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ?|couper{180}

peinture