Digne d’être

« Ce livre ne sera publié intégralement que quand l’auteur aura acquis assez d’expérience pour en savourer toutes les beautés. » Alfred Jarry (à propos de Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien)

Pourquoi tu ne fais rien de tout ça ? Si « rien » signifie, pour toi, laisser tout ça — tous ces textes — tranquilles, en l’état. Ou encore si la difficulté première, celle de penser en faire quelque chose, touchait, comme on gratte une croûte pour raviver une plaie, à la dignité d’être de quoi que ce soit. L’embarras à la seule pensée de déranger le monde, vraiment. Vraiment, c’est-à-dire pas pour rire mais, au contraire, l’entraînant vers une tristesse encore plus grande. L’orgueil peut aller jusqu’à ce point de l’horizon, attirant ainsi à lui, par convergence, toute perspective.

Car peu de distance, en somme, entre le rire et la tristesse, dans la logique de ta syntaxe.

Les textes, en l’état, doivent donc encore, toujours, acquérir, pour toi, de la dignité. Ce qui signifie donc qu’à l’heure actuelle ils n’en ont pas, ou si peu. Mais qu’elle est donc cette dignité, quelle idée de dignité t’empêche et, simultanément, par l’effet des vases communicants, te pousse vers l’audace ? L’audace des timides, des moins que rien, des laissés-pour-compte. Aucun entraînement des nerfs acquis — péniblement — sur les bancs des écoles, des pensionnats, des chapelles, des entreprises, n’a jamais pu te convaincre d’une dignité digne de ce nom. Tu leur as opposé, à toutes, celles entendues, ces dignes dignités affichées et vues, bien vues, de beaux refus. En commençant par leur dire : — Oui, bien sûr, montrez-moi donc votre fameuse vertu. Je n’en vis aucune qui ne fût pas soutenue par autre chose qu’un vice. Le vice et la vertu, et vice versa. L’empressement à devenir digne ne vient-il pas toujours de la peur d’être indigne ? Et plus la peur sera grande, plus l’empressement brouillon. Mais au bout de tous ces brouillons, que nous reste-t-il ? Que te reste-t-il ? Sinon un doute sur ce qui les aura poussés à se produire, se reproduire, se multiplier et croître. La crainte de ne pas être ? Le désir d’être ? Deux erreurs de logique, de métaphysique.

Tentons alors la pataphysique.

Trouvons une solution purement imaginaire. Une hypothèse folle peut-elle apporter une sage certitude ? Et si l’erreur se logeait dans les mots d’abord : hypothèse et certitude. Sur ce qu’on ne saisit pas des mots. Qu’on ne saisit jamais l’insaisissable des mots.

Une forme de dignité, alors, pourrait naître sur le seuil de l’insaisissable. Un nouveau-né enveloppé dans des linges douteux que le désir de ne pas dépasser ce seuil recueille, emporte chez lui pour apprendre, ou prendre soin, de la dignité comme de l’insaisissable.

Et, cependant, le paradoxe est ce respect envers la chose qui surgit : le texte qui arrive de nulle part. Que tu n’oses qu’à peine modifier, pour ne pas mettre trop visiblement ton grain de sel. Pour ne pas te mettre en avant. Tu voudrais tellement ne pas te mettre en avant que c’est évidemment tout le contraire qui se produit, souvent. Dans ton monde à toi, pas de différence entre peur et désir, dignité et infamie, encore que tout cela ne soit, bien sûr, que des mots destinés à tenter de cerner l’insaisissable, en lui lâchant la bride, en l’observant s’ébrouer par-delà les remparts, les barrières, la phrase, le paragraphe, la page. En définitive, peux-tu dire que tu as compris quoi que ce soit à tout ça ? Parfois tu le crois, d’autres fois non, rien. Attraction, répulsion : c’est la loi. Il y a la dignité que l’on affiche et puis l’autre, à soi, qu’on n’exhibe pas. Entre les deux, ce n’est pas ton cœur qui balance, c’est plutôt la loi de l’attraction-répulsion qui commande.

En même temps, ce titre ne veut rien dire du tout ; je crois que c’est juste un pléonasme, voilà tout.

Pour continuer

Carnets | mai 2023

Disparitions

Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}

Carnets | mai 2023

31052023

Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mai 2023

Assemblage

Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}

Autofiction et Introspection