06 décembre 2019

« Tout peut servir », c’est sa devise ; aussi il ne jette rien.

Tout ça a commencé il y a longtemps, quand il était gamin et qu’il se rendait à Chazemais chez les grands-parents. En fait ce n’est pas Chazemais même, mais Villevendret : un hameau du centre de la France, à quelques kilomètres, une centaine d’âmes.

Là vit Robert, ancien volailler, maître en stockage. On peut imaginer qu’il a acheté la ferme avec ses dépendances, ses hangars, l’immense grange, pour ça : stocker tout ce dont les gens ne veulent plus. Et ça s’accumule depuis des années.

Dans les champs derrière la ferme, une vingtaine de carcasses de voitures. Des marques que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître. L’idée était de remonter un modèle avec plusieurs, récupérer les pièces. Ça ne s’est jamais fait. Les épaves pourrissent lentement dans les herbes hautes. La rouille ronge les carrosseries et fabrique des “œuvres” que le gamin observe en fumant des brindilles de sureau. L’odeur de vieux cuir chauffé par le soleil d’été le rassure ; il s’endort parfois à l’arrière d’un véhicule, pas loin d’un nid de paille ou d’un œuf en plâtre — le coin sert de poulailler maintenant.

Le père de l’enfant, lui, déteste les vieilleries. Quand une chose a fait son temps, on s’en sépare. On la flanque à la poubelle. Si tu soulèves le couvercle, tu trouves de tout, pêle-mêle : godasses qui bâillent, rasoir électrique mort, ceinture dont la boucle a lâché. Et au milieu, les déchets alimentaires.

Et puis il y a le petit-fils, au milieu des deux versants : jeter ou conserver. Il regarde, il s’imprègne, et il ne choisit pas.

Au rez-de-chaussée de la maison familiale, dans le quartier de la Grave, la mère coud. Des morceaux d’étoffe tombent ; l’enfant les ramasse sans savoir pourquoi. Il les emporte au fond du jardin, dans un hangar, et les stocke dans une vieille caisse en bois. Dans cette caisse : bouchons décolorés de pêche, jouets cassés, bouts de chambre à air. Quand il a fini ses holsters de cow-boy, quand il revient de ses journées de pêche, il empile des souvenirs et des objets dont il ne se résout pas à se séparer.

Le stockage sert à la fois de collection et d’aide-mémoire.

Plus tard, la ferme du grand-père est vendue pour une bouchée de pain. Puis la maison de la Grave. Tout ce qui pouvait retenir la famille sur place disparaît ; restent des morts au cimetière, qu’on visitera presque jamais.

L’enfant devient un homme. Et lui aussi, un jour, doit vendre la maison familiale en région parisienne. Il vide. Même si le père avait déjà beaucoup jeté à la mort de la mère, il lui faut plusieurs allers-retours entre Lyon et Paris pour rapatrier meubles, linge, livres — tout ce qu’il n’arrive toujours pas à jeter, des années après.

Tout est là désormais : épars dans les dépendances, au grenier de la maison achetée en Isère. Il a bien tenté un brocanteur ; il a reculé au dernier moment. Il a prétexté que la somme proposée était dérisoire. Il préfère garder.

Dans le fond, sa vie s’est partagée en deux avec cette histoire-là. Dans sa jeunesse, faute de savoir où se placer — et parce que la douleur des lieux perdus l’obsédait — il n’a cessé de déménager, laissant à chaque fois meubles et livres, n’emportant presque rien. Et puis, sur le tard, grâce à l’héritage du père, il achète une maison. Il tente une synthèse : entre le grand-père qui stocke et le père qui jette.

Il a accumulé énormément. Et chaque matin il s’en délivre un peu : il écrit de petits textes, puis les déchire ou les brûle, pour en finir — au moins un instant — avec sa vieille caisse à souvenirs.

« Pour retrouver les choses, il faut savoir où elles sont », dit l’homme entre deux âges, accoudé au comptoir du Montana.

Il venait de passer une journée de merde et n’avait aucune envie de parler. Il le toisa donc poliment, sans sourire, en espérant que ça suffirait. Évidemment non : l’autre se rapprocha.

Dans la salle, la voix de Billie Holiday, les cuivres sirupeux, montaient doucement. La mélancolie exacte, celle à laquelle il résistait depuis des heures.

Ils se présentèrent. L’homme était formateur, “organisation”, dans une boîte de l’autre côté de la ville. Il alluma une cigarette en prononçant ça, comme une formule.

Il eut envie de rire, se retint, commanda un autre bourbon. Le barman au crâne d’œuf souriait sans cesse, aimablement, comme un bonze mordoré. Il nota qu’il revenait souvent ici pour cette lumière particulière sur les verres et sur l’antique zinc : chaleur qui donne au bourbon des notes de miel et d’ambre.

“Organisation”, ça tombait bien.

-- Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Savoir classer, établir des priorités, distinguer l’utile de l’inutile : l’autre récita ça comme une table de multiplication, avec la même petite mélodie — celle qu’il devait répéter toute la journée.

Puis la voix s’amenuisa. Il voyait les lèvres bouger, l’œil s’éteindre et se rallumer, mais il n’écoutait plus.

Il était déjà du côté de la Bastille, à des années-lumière du Montana. Il revoyait l’appartement : P. et lui. Et surtout ce meuble incroyable dégoté dans une brocante du Faubourg Saint-Antoine : un grand meuble de pharmacien, des dizaines de tiroirs.

C’est lui qui avait voulu l’acheter. Trop de trucs à ranger ; et, mieux encore, à classer.

Et à la séparation, elle avait tout embarqué pendant qu’il travaillait.

Le reste, il s’en foutait. Pas le meuble. Il s’était mis en colère, en silence, comme si elle lui avait volé quelque chose d’intime, un organe.

Il paya, salua à peine le barman et l’homme, sortit.

Dehors, une odeur de churros. Étonnant. Il marcha, repensa à elle, au meuble, alluma une cigarette. Et au moment de franchir le fleuve vers la porte Saint-Denis, il décida soudain de lui pardonner.

Il avait tapé : « priorité des opérations ».

En mathématiques, ça précise l’ordre dans lequel les calculs doivent être effectués dans une expression complexe. Voilà. La seule définition qu’il retint — et qui, comme toujours, l’emporta sur Wikipédia.

Le matin même, elle lui avait lâché : « Tu n’as absolument pas le sens des priorités. » Depuis, ça le taraudait.

C’était assez juste : il mettait des parenthèses partout. Il empilait des petites opérations qu’il aurait dû faire dans un ordre simple. Et, pendant ce temps, le but disparaissait. À la fin, montagne de parenthèses, et l’ensemble devenait du chinois.

En même temps, il se disait que ce n’était pas “pour rien”. Il avait lu des semaines sur l’ordre, le désordre, le chaos — parce que le sujet était devenu leur refrain de dispute.

Elle avait ce don : ranger, ordonner, classer. Les objets, les actions, même ses sentiments. Lui, non. Ce n’était pas tant l’envie de lui voler son pouvoir que le besoin de paix entre eux.

Elle l’avait sorti du pétrin à leur rencontre. Et si son salut avait un nom, ce serait “projet”. Voyager, par exemple : elle préparait tout des mois à l’avance. « Si on s’y prend bien, les billets sont moins chers. » Elle disait ça en bombant un peu le torse quand elle faisait une “bonne affaire”.

Au début, ça l’amusait.

Puis l’amusement devint des secousses. Un jour elle dit qu’elle portait tout, qu’elle aurait préféré “un homme” plutôt qu’“un gamin irresponsable”. Il serra les dents, ragea contre lui-même. Et finit par conclure qu’il devait donner un coup de collier : tenter une organisation, donc comprendre ses priorités.

Sa vie, soudain, se découpait en parties ; jusque-là elle avait été monolithique. Il fallait décider où vont les choses, dans quel tiroir, dans quel ordre — dans lui, dans leur couple.

Sauf que lui vivait de routines. Café, clope, et réfléchir à ce qu’il allait bien pouvoir peindre : une habitude si ancrée qu’il se demanda même s’il était possible de l’écarter.

Il imagina sa vie sans, une seconde. Puis il mit “tout ça” entre parenthèses, descendit à l’atelier, chercha une musique pour une journée qui commençait de travers. Et revint à la cuisine : café encore chaud. Nouvelle tasse. Nouvelle cigarette.

Le soir, quand elle récita la liste de ce qu’il aurait dû faire, il la regarda avec une admiration sans borne. Puis il prétexta qu’il n’avait pas fini “un truc” et la planta là, pour retourner écouter de la musique dans l’atelier.

Que pouvait bien signifier, pour lui, le mot « priorité » ?

Le dharma vient de la racine sanskrite « DHR » : “rester ferme”. Une piste, aussi, pour ne pas lutter contre l’impermanence — cette impermanence qui nous oblige à mourir puis à renaître, tout au long (tout au très long) des réincarnations successives.

Il existe des maîtres, des livres, des méthodes de tout acabit : une conduite, une liste de préceptes. Pas besoin de les ruminer ; il suffit de les appliquer aveuglément. Et l’aveuglement, ici, vient de la confiance, de la foi accordée à l’enseignement et à celui qui le dispense.

Une fois cela acquis, il fit une sieste. Et durant cette sieste il eut des rêves : des bribes de vies antérieures qui surgissaient puis disparaissaient aussitôt.

Rien d’extraordinaire : des scènes, des lieux, des visages familiers. Sa vie qui ressortait par endroits, comme des pics au-dessus de la surface de l’oubli. Des moments engloutis.

Il eut l’impression de s’être réincarné des milliers de fois dans l’espace d’une seule vie. Étrange sensation. Il aurait pu s’en glorifier, se croire élu. Il préféra se lever et se couler un café.

Après l’avoir avalé, il comprit qu’il avait enfreint une sorte de tabou, sans l’avoir vraiment voulu.

Le monde entier lutte contre l’impermanence. On construit des villes, des monuments, des œuvres ; on écrit des romans. Comme si “rester ferme” consistait à laisser une trace qui survivrait au laminage de la postérité.

Il trouva cela grotesque.

Lui avait toujours aimé l’impermanence. Le cerisier : blanc et rose le matin, et le soir les fleurs à terre. C’était l’ineffable — ou, simplement, l’ordre du monde.

Peu à peu, il était devenu comme ça avec presque tout : objets, lieux, êtres. Rien n’était solide à toute épreuve ; tout se dissolvait. Et certains jours il confondait cette impermanence avec la banalité et la médiocrité.

Dans le fond, il s’était ancré à une certitude — ce qui était un comble : la seule chose qui ne changerait jamais, c’était l’impermanence du monde et des êtres.

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Carnets | Atelier

À travers le sang et la couleur : Soutine

Tout pourrait venir, à première vue, d’une scène mythique, d’une origine sanglante qui, malgré toute l’épaisseur de peinture que l’on pourrait poser pour à la fois la retrouver et l’oublier, ne pourra jamais échapper — ni au peintre, ni au spectateur hébété contemplant l’œuvre de Chaïm Soutine. Soutine évoque un souvenir d’enfance dans une lettre : la lame d’un couteau tranchant, avec précision, avec netteté, la gorge d’une oie. Il voit encore le sang jaillir en flots épais, rouge rubis. Et l’on pourrait s’arrêter là. Tout est déjà là. Mais non. Car, au beau milieu de cette boucherie, l’œil du peintre est attiré par autre chose : la joie qu’il lit sur le visage du boucher, en pleine action. La joie, l’horreur, la violence, la stupeur. Voilà ce que contient chaque tableau de Soutine. Il y a ce petit livre d’Élie Faure sur Soutine que je devrais relire, ou piller sans vergogne, tant je ne me souviens de rien d’aussi juste écrit sur cet immigré juif-lituanien venu à Paris, qui fut un temps protégé par ce grand homme, ce médecin humaniste. Un temps seulement. L’affection du peintre pour la fille de Faure mit fin, brusquement, à leur relation. J’aurais pu commencer par le début, par la naissance de Soutine à Vilna. Une approche calme, chronologique. Mais il me fallait un déclencheur. Une raison d’écrire maintenant. Cette raison, c’est un souvenir vif de 2013, une visite au Musée de l’Orangerie, à Paris. L’exposition s’intitulait : Soutine, l’Ordre du chaos. C’était la première fois que je voyais ses tableaux en vrai. Avant cela, seulement des reproductions pâles et glacées. J’ai découvert un frère. Pas un combat, mais une harmonie née du chaos. Une magnifique harmonie disloquée. La peinture était liquéfiée, coagulée. Dure et molle à la fois. Les rouges et les turquoises entraient en collision. Les blancs craquelés comme du plâtre sec. Comment expliquer une émotion sans la trahir ? J’essaie. J’essaie toujours. Je cherche par les mots à atteindre ce qui ne se touche qu’en silence. Mais puisque j’ai commencé, continuons. Alors que l’avant-garde parisienne s’éparpillait dans toutes les directions — comme toujours —, Soutine s’enfermait. Il peignait. Il ne voulait pas être dérangé. Marc Chagall, peut-être, était pareil. Peut-être Soutine espérait-il hériter de l’atelier de Chagall. Absorber la solitude, l’obstination que Chagall avait laissées derrière lui. Il ne l’a pas fait. Il a raté le moment. Alors, il s’est tourné vers Rembrandt. Il a peint de la viande. De la chair. Mais plus que de la chair. Il faut traverser le dégoût pour atteindre la grâce. Les quartiers de bœuf de Soutine l’exigent. J’imagine que, si j’avais eu la chance de le rencontrer, l’odeur m’aurait d’abord repoussé. Et pourtant, à travers cette odeur, peut-être aurais-je atteint le parfum du miracle. La peinture de Soutine me rappelle quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont j’ai déjà parlé. Chomo. Un autre reclus. Plus récent. Tout aussi mort. Ils ne négocient pas. Ils sont repliés. Affamés. Indifférents. En contact direct avec le feu, la grâce, la vie, la terreur, le sublime. Leur seul axe est celui qui les relie à ces forces. Ils ont abandonné l’illusion des liens sociaux. Oui, quelque chose en eux me parle. Je t’écris cela rapidement ce matin. Parce qu’au fond, comme je l’ai dit, penser et écrire ne servent peut-être pas à grand-chose. Mieux vaut peindre. Everything could stem, at first glance, from a mythical scene, a bloody origin that, no matter how much paint one might apply to try to both recover it and forget it, will never escape either the painter or the stunned viewer contemplating the work of Chaïm Soutine. Soutine recalls a childhood memory in a letter : the knife's blade slicing expertly, cleanly, across the throat of a goose. He still sees the blood spurting out in thick, ruby-red jets. And it could stop there. Already, everything is there. But no. Because in the middle of the carnage, the painter's eye is caught by something else : the joy he sees on the butcher's face. In the act. Joy, horror, violence, and awe. That’s what you get in every Soutine painting. There’s that little book by Elie Faure about Soutine, which I should reread, or shamelessly pillage, because I remember nothing comparable being written about this Jewish-Lithuanian immigrant who came to Paris and who, for a while, found himself under the wing of that great man, the humanist doctor. Only for a while. The painter's affection for Faure’s daughter put an end to their relationship. Suddenly. I could have started at the beginning, with Soutine’s birth in Vilna. A calm, chronological approach. But I needed a trigger. A reason to write now. That reason is a vivid memory from 2013, a visit to the Musée de l’Orangerie in Paris. The exhibition was titled "Soutine, the Order of Chaos." It was the first time I saw his paintings in person. Before that, only pale, glossy reproductions. I discovered a brother. Not a battle, but a harmony made from chaos. A magnificent, disjointed harmony. The paint was liquefied, coagulated. Hard and soft at once. Reds and turquoises colliding. Whites cracked like dried plaster. How do you explain an emotion without betraying it ? I try. I do this all the time. I use words to reach what can only be touched in silence. But since I’ve begun, let’s keep going. When the Parisian avant-garde was tearing off in every direction, as it always does, Soutine locked himself away. He painted. He didn’t want to be disturbed. Marc Chagall might have been the same. Maybe Soutine hoped to inherit Chagall’s studio. To absorb the solitude and stubbornness Chagall had left behind. He didn’t. He missed the moment. So he turned to Rembrandt. He painted meat. Flesh. But more than flesh. You have to pass through disgust to reach grace. Soutine’s slabs of beef demand it. I imagine if I’d had the chance to meet him, the smell alone would have repelled me. And yet, through that smell, maybe I would have reached the miracle’s scent. Soutine’s painting reminds me of someone else. Someone I’ve written about before. Chomo. Another recluse. More recent. Just as dead. They don’t negotiate. They are curled inward. Starving. Unconcerned. In direct contact with fire, grace, life, terror, the sublime. Their only axis is the one that connects them to these forces. They have discarded illusions of social ties. Yes, something in them speaks to me. I write it to you quickly this morning. Because, in the end, as I said, thinking and writing may not be very useful. Better to paint.|couper{180}

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Chomo

À l’origine, il s’appelle Roger Chomeaux. Né le 28 janvier 1907 quelque part dans le Nord de la France, il meurt en 1999 à Achères-la-Forêt, en région parisienne. On décidera finalement de le qualifier de "sculpteur", puisqu’il faut bien ranger les choses quelque part. Je suis né un jour après lui — mais en 1960. Cette année-là, il expose pour la première fois à la galerie Jean Camion, rue des Beaux-Arts à Paris. C’est à la suite de cette exposition qu’il décide de quitter définitivement Paris pour la forêt de Fontainebleau. Son épouse a acheté là quelques hectares. Ils s’y installent. Chomo s’y retirera pour vivre, et peu à peu abandonner tout ce qui faisait, à l’époque, un "artiste reconnu". Écologiste avant la mode, il récolte le miel de ses abeilles — jusqu’à vingt ruches à cette époque. Il commence par détruire la forme conventionnelle du langage pour inventer une langue nouvelle, presque enfantine, fondée sur la phonétique. Une langue qui évoque, si l’on veut, la fameuse langue des oiseaux chère aux alchimistes. Quant aux matériaux, il délaisse le bronze, trop coûteux, ainsi que la terre cuite et le marbre qu’il pratiquait auparavant. Il s’oriente vers la récupération, cherchant ce qu’il appelle des "matériaux qui respirent". Il travaille alors le bois (ses fameux bois brûlés), les matières plastiques, la tôle, le béton cellulaire. Il dit sculpter ce dernier "comme on écrit un poème". Dans ce qu’il nomme son "village d’art préludien", il installe partout des pancartes, un peu à la manière de Cheval sur les murs de son Palais idéal. « Qèl anprint ora tu lésé sur la tèr pour qe ton Die soi qontan ? » Cette question de l’empreinte, du devenir de l’homme, le hante. Elle se répète, d’écriteau en écriteau, dans tous les recoins de son domaine. De bric et de broc aussi, les trois hangars qu’il construit pour abriter ses œuvres : le Sanctuaire des bois brûlés, l’Église des Pauvres, avec sa rosace spectaculaire faite de bouteilles de couleur, et le Refuge, recouvert de capots de voitures. C’est Clara Malraux qui attire l’attention du ministère des Affaires culturelles sur lui. Après une incursion dans la musique concrète, entre synthétiseur et poésie, Chomo devient cinéaste expérimental avec Le Débarquement spirituel, film réalisé avec Clovis Prévost et Jean-Pierre Nadau, dans lequel il se met en scène au milieu de ses œuvres. Il meurt en 1999, entouré de ses créations, veillé par sa seconde épouse. Dix ans plus tard, la Halle Saint-Pierre organise sa première grande rétrospective. Aujourd’hui, seuls les bâtiments subsistent dans la forêt. Ses œuvres transportables, elles, ont été déplacées — conservées ailleurs ou vendues. (Un Christ en croix, image torturée, est visible dans l’église de Milly-la-Forêt.) En revoyant les vidéos de Chomo sur YouTube, j’ai de nouveau été frappé par cette obsession que je retrouve chez les artistes que j’admire, et qui, de leur vivant, les fait souvent passer pour des fous. Amaigri, émacié, affûté comme une lame, son regard me traverse encore l’écran. Et chaque fois, je l’entends me répéter : "Arete de panser povre kon taka seulmant bausser" En 2013, une vente aux enchères sera organisée autour de son œuvre. illustration Chomo entre ses peintures et ses sculptures, devant l’Église des pauvres en construction, c. 1965|couper{180}

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Les fêtes

Je n'ai jamais aimé les fêtes. J'y ai détecté très tôt une férocité qui ne collait pas avec les belles images que les gens autour de moi désiraient montrer d'eux-mêmes. Même si, adulte, l'effroi premier m'en est passé et s'est transformé peu à peu en simple agacement, à chaque fois que je croise une fête quelconque j'ai tendance à bifurquer rapidement, à m'égarer comme on peut parfois par chance le faire dans les ruelles d'une Venise imaginaire. Les fêtes de fin d'année notamment sont un mauvais moment à passer. Alors pour aujourd'hui je vais faire du léger, et une fois les fêtes passées je reviendrai en meilleure forme Pour l'heure je vais m'enfouir dans un bouquin en attendant que ça passe Illustration : « Danse des Hassidim », série Dibbouk, 1924, par Samuel Cygler (Ziegler) © Photographie Grégoire Tolstoï / MAHJ|couper{180}