\n\t\t
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>La toile est vide. Ennuyeux. Presque grossier. On ne peut pas laisser ce n\u00e9ant b\u00e9ant, cette surface nue, impolie, expos\u00e9e aux regards. Y poser quelque chose. Un signe. Un fragment. Ne pas donner l\u2019impression d\u2019abandonner les choses en plan. C\u2019est bien ce que je me dis, du moins ce que je suppose me dire, au moment d\u2019attaquer la peinture. Enfin, attaquer est un bien grand mot. Disons plut\u00f4t : disposer, effleurer, voir venir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on se met \u00e0 penser, tout devient une affaire d\u2019occupation, de strat\u00e9gie. L\u2019\u00e9veil de la conscience, ce petit capitaine d\u2019industrie qui, en un instant, met en cale s\u00e8che les r\u00eaves, les espoirs, les illusions de grandeur.<\/p>\n
Ce capitaine a des exigences. Il lui faut des serviteurs, des acolytes, une cour bien ordonn\u00e9e pour s’assurer qu’il existe bel et bien. Son existence ne tient qu\u2019\u00e0 cela : s\u2019entourer, cr\u00e9er du bruit autour du vide, donner l\u2019illusion qu\u2019il y a quelque chose. Et ce quelque chose, il faut bien le comparer, l\u2019\u00e9valuer, en construire une hi\u00e9rarchie. On ne peut pas simplement \u00eatre, il faut \u00eatre mieux, plus haut, plus fort, m\u00eame si l\u2019excellence demeure une abstraction vaporeuse. Alors on s\u2019appuie sur ce qui passe, les rumeurs, les « on dit », les \u00e9chos du dehors qui renvoient une image, fragile et instable, mais rassurante. Une conscience sans miroir n\u2019existe pas.<\/p>\n
Mais voil\u00e0. Tout tangue. On tr\u00e9buche. On grimpe. Les planches plient. Les cordes menacent. L\u2019\u00e9motion enserre. Le corps h\u00e9site. Il va tomber, peut-\u00eatre. Ou bien non. Les sentiments se m\u00ealent \u00e0 l\u2019histoire, viennent contrarier la belle m\u00e9canique. On aimerait avoir la ma\u00eetrise, mais ce ne sont que frottements, bruits parasites, variations inattendues. Et puis, surtout, il y a cette \u00e9vidence, ce d\u00e9tail que l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re repousser : un jour, le rideau tombe, et tout avec.<\/p>\n
Fixer le vide. Le d\u00e9fier. L\u2019insulter. Le frapper de mots. Le secouer. Le forcer \u00e0 parler. \u00c0 rendre gorge. \u00c0 crier plus fort que nous. Une forme. Une trace. Une balafre qui prouve qu\u2019on existe. Essayer diff\u00e9rentes embarcations, des rafiots plus ou moins solides pour tenir jusqu\u2019\u00e0 la fin. On exp\u00e9rimente : la musique, les filles, l\u2019\u00e9criture, la peinture, la marche, l\u2019alcool, la danse, la m\u00e9taphysique, les grandes th\u00e9ories, les rituels \u00e9tranges, les sciences oubli\u00e9es. On cherche, on bricole, on accumule. Mais rien ne fait tout \u00e0 fait l\u2019affaire. Pendant longtemps, on garde \u00e7a pour soi, par pudeur ou par honte, on se persuade que ces errances sont du temps perdu.<\/p>\n
Alors, ce temps qui file. Qui ronge. Qui grince sous les ongles. Peut-on le perdre ? Ou c\u2019est lui qui nous m\u00e2che, nous crache, nous recrache, encore et encore ? Peut-\u00eatre qu\u2019il s\u2019\u00e9gare tout seul. Peut-on \u00e9garer ce que l’on ne tient jamais vraiment en main ?<\/p>\n
Car enfin, j\u2019\u00e9tais \u00e9ternel, vous savez. Trop de temps et pas assez en m\u00eame temps. Comment occuper une absence ? Par l\u2019ennui, peut-\u00eatre. Oui, c\u2019est lui qui ram\u00e8ne le rythme, qui impose une respiration, une musicalit\u00e9. On tambourine sur des casseroles, c\u2019est ludique au d\u00e9but, puis beaucoup moins. Car l\u2019aube arrive toujours pour rappeler les obligations : \u00e9cole, travail, supermarch\u00e9, formation, maternit\u00e9, cimeti\u00e8re. Le temps, c\u2019est une chose qui se partage, qui s\u2019impose \u00e0 tous. Il faut l\u2019accepter, rejoindre la cadence collective, apprivoiser la peur du vide en lui donnant des rep\u00e8res.<\/p>\n
Mais sans se trahir. Laisser une br\u00e8che, une faille, un cri \u00e9trangl\u00e9, un spasme, une torsion. Laisser entrer l\u2019orage. Se cogner aux murs. Refuser le silence. Accepter cette enveloppe humaine avec ses incoh\u00e9rences, ses contradictions. Car l\u2019apparence est une affaire s\u00e9rieuse, autant que ce qu\u2019elle cache. Alors, continuer \u00e0 craindre un peu, sans se laisser paralyser. C\u2019est bien ce que fait la peinture, comme l\u2019\u00e9criture. Un m\u00e2t auquel s\u2019agripper, qui donne une direction, sans promettre d\u2019arriv\u00e9e. On s\u2019approche, on observe, on fr\u00f4le l\u2019incoh\u00e9rence et la peur pour voir comment tout cela se met \u00e0 parler.<\/p>\n
Reste \u00e0 savoir quoi faire de ce langage. Ces mots. Ces lambeaux. Ils ne tiennent pas. Ils tr\u00e9buchent. S\u2019\u00e9tripent. Se pulv\u00e9risent. Ils hurlent dans le vide et le vide ne r\u00e9pond pas. C\u2019est une cacophonie. Ou alors une forme de musique, brutale, \u00e9trangl\u00e9e, pr\u00eate \u00e0 \u00e9clater. Un hasard soigneusement laiss\u00e9 en suspens, comme un jeu o\u00f9 chacun pioche sa propre r\u00e8gle, sauf que le plateau est absent et les d\u00e9s pip\u00e9s. Un chaos trop vaste pour ceux qui ont des certitudes bien rang\u00e9es, pour qui croit encore \u00e0 l\u2019ordre et \u00e0 la clart\u00e9. Justement, ce que je n\u2019ai pas. Ce que, sans doute, je ne veux pas. Parce que le sens, lorsqu\u2019il se fige, devient un slogan, une instruction, un panneau indicateur au bord d\u2019une route rectiligne.<\/p>\n
Non. Qu\u2019il \u00e9clate. Qu\u2019il cogne. Qu\u2019il se r\u00e9pande en rafales. Comme la vie, qui d\u00e9borde, qui bave, qui suinte, qui hurle sa propre incoh\u00e9rence sans demander la permission. La peur du vide aura au moins conduit \u00e0 cela : une id\u00e9e de libert\u00e9. Un \u00e9lan qui ne soit ni orgueil ni humilit\u00e9 forc\u00e9e. Une r\u00e9volution qui s\u2019apaise en acceptant que le temps ne soit qu\u2019un pr\u00e9sent continu, un va-et-vient incessant d\u2019extinctions et de r\u00e9surgences.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Edvard Munch Le cri ( version 5) \nMusique<\/strong> : Meredith Monk-Gotham Lullaby <\/p>",
"content_text": "La toile est vide. Ennuyeux. Presque grossier. On ne peut pas laisser ce n\u00e9ant b\u00e9ant, cette surface nue, impolie, expos\u00e9e aux regards. Y poser quelque chose. Un signe. Un fragment. Ne pas donner l\u2019impression d\u2019abandonner les choses en plan. C\u2019est bien ce que je me dis, du moins ce que je suppose me dire, au moment d\u2019attaquer la peinture. Enfin, attaquer est un bien grand mot. Disons plut\u00f4t : disposer, effleurer, voir venir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on se met \u00e0 penser, tout devient une affaire d\u2019occupation, de strat\u00e9gie. L\u2019\u00e9veil de la conscience, ce petit capitaine d\u2019industrie qui, en un instant, met en cale s\u00e8che les r\u00eaves, les espoirs, les illusions de grandeur. Ce capitaine a des exigences. Il lui faut des serviteurs, des acolytes, une cour bien ordonn\u00e9e pour s'assurer qu'il existe bel et bien. Son existence ne tient qu\u2019\u00e0 cela : s\u2019entourer, cr\u00e9er du bruit autour du vide, donner l\u2019illusion qu\u2019il y a quelque chose. Et ce quelque chose, il faut bien le comparer, l\u2019\u00e9valuer, en construire une hi\u00e9rarchie. On ne peut pas simplement \u00eatre, il faut \u00eatre mieux, plus haut, plus fort, m\u00eame si l\u2019excellence demeure une abstraction vaporeuse. Alors on s\u2019appuie sur ce qui passe, les rumeurs, les \u00ab on dit \u00bb, les \u00e9chos du dehors qui renvoient une image, fragile et instable, mais rassurante. Une conscience sans miroir n\u2019existe pas. Mais voil\u00e0. Tout tangue. On tr\u00e9buche. On grimpe. Les planches plient. Les cordes menacent. L\u2019\u00e9motion enserre. Le corps h\u00e9site. Il va tomber, peut-\u00eatre. Ou bien non. Les sentiments se m\u00ealent \u00e0 l\u2019histoire, viennent contrarier la belle m\u00e9canique. On aimerait avoir la ma\u00eetrise, mais ce ne sont que frottements, bruits parasites, variations inattendues. Et puis, surtout, il y a cette \u00e9vidence, ce d\u00e9tail que l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re repousser : un jour, le rideau tombe, et tout avec. Fixer le vide. Le d\u00e9fier. L\u2019insulter. Le frapper de mots. Le secouer. Le forcer \u00e0 parler. \u00c0 rendre gorge. \u00c0 crier plus fort que nous. Une forme. Une trace. Une balafre qui prouve qu\u2019on existe. Essayer diff\u00e9rentes embarcations, des rafiots plus ou moins solides pour tenir jusqu\u2019\u00e0 la fin. On exp\u00e9rimente : la musique, les filles, l\u2019\u00e9criture, la peinture, la marche, l\u2019alcool, la danse, la m\u00e9taphysique, les grandes th\u00e9ories, les rituels \u00e9tranges, les sciences oubli\u00e9es. On cherche, on bricole, on accumule. Mais rien ne fait tout \u00e0 fait l\u2019affaire. Pendant longtemps, on garde \u00e7a pour soi, par pudeur ou par honte, on se persuade que ces errances sont du temps perdu. Alors, ce temps qui file. Qui ronge. Qui grince sous les ongles. Peut-on le perdre ? Ou c\u2019est lui qui nous m\u00e2che, nous crache, nous recrache, encore et encore ? Peut-\u00eatre qu\u2019il s\u2019\u00e9gare tout seul. Peut-on \u00e9garer ce que l'on ne tient jamais vraiment en main ? Car enfin, j\u2019\u00e9tais \u00e9ternel, vous savez. Trop de temps et pas assez en m\u00eame temps. Comment occuper une absence ? Par l\u2019ennui, peut-\u00eatre. Oui, c\u2019est lui qui ram\u00e8ne le rythme, qui impose une respiration, une musicalit\u00e9. On tambourine sur des casseroles, c\u2019est ludique au d\u00e9but, puis beaucoup moins. Car l\u2019aube arrive toujours pour rappeler les obligations : \u00e9cole, travail, supermarch\u00e9, formation, maternit\u00e9, cimeti\u00e8re. Le temps, c\u2019est une chose qui se partage, qui s\u2019impose \u00e0 tous. Il faut l\u2019accepter, rejoindre la cadence collective, apprivoiser la peur du vide en lui donnant des rep\u00e8res. Mais sans se trahir. Laisser une br\u00e8che, une faille, un cri \u00e9trangl\u00e9, un spasme, une torsion. Laisser entrer l\u2019orage. Se cogner aux murs. Refuser le silence. Accepter cette enveloppe humaine avec ses incoh\u00e9rences, ses contradictions. Car l\u2019apparence est une affaire s\u00e9rieuse, autant que ce qu\u2019elle cache. Alors, continuer \u00e0 craindre un peu, sans se laisser paralyser. C\u2019est bien ce que fait la peinture, comme l\u2019\u00e9criture. Un m\u00e2t auquel s\u2019agripper, qui donne une direction, sans promettre d\u2019arriv\u00e9e. On s\u2019approche, on observe, on fr\u00f4le l\u2019incoh\u00e9rence et la peur pour voir comment tout cela se met \u00e0 parler. Reste \u00e0 savoir quoi faire de ce langage. Ces mots. Ces lambeaux. Ils ne tiennent pas. Ils tr\u00e9buchent. S\u2019\u00e9tripent. Se pulv\u00e9risent. Ils hurlent dans le vide et le vide ne r\u00e9pond pas. C\u2019est une cacophonie. Ou alors une forme de musique, brutale, \u00e9trangl\u00e9e, pr\u00eate \u00e0 \u00e9clater. Un hasard soigneusement laiss\u00e9 en suspens, comme un jeu o\u00f9 chacun pioche sa propre r\u00e8gle, sauf que le plateau est absent et les d\u00e9s pip\u00e9s. Un chaos trop vaste pour ceux qui ont des certitudes bien rang\u00e9es, pour qui croit encore \u00e0 l\u2019ordre et \u00e0 la clart\u00e9. Justement, ce que je n\u2019ai pas. Ce que, sans doute, je ne veux pas. Parce que le sens, lorsqu\u2019il se fige, devient un slogan, une instruction, un panneau indicateur au bord d\u2019une route rectiligne. Non. Qu\u2019il \u00e9clate. Qu\u2019il cogne. Qu\u2019il se r\u00e9pande en rafales. Comme la vie, qui d\u00e9borde, qui bave, qui suinte, qui hurle sa propre incoh\u00e9rence sans demander la permission. La peur du vide aura au moins conduit \u00e0 cela : une id\u00e9e de libert\u00e9. Un \u00e9lan qui ne soit ni orgueil ni humilit\u00e9 forc\u00e9e. Une r\u00e9volution qui s\u2019apaise en acceptant que le temps ne soit qu\u2019un pr\u00e9sent continu, un va-et-vient incessant d\u2019extinctions et de r\u00e9surgences. **Illustration**: Edvard Munch Le cri ( version 5) **Musique**: Meredith Monk-Gotham Lullaby ",
"image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/edvard_munch_le_cri_-_version_5.webp?1748065148",
"tags": ["Autofiction et Introspection"]
}
,{
"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-mars-2025.html",
"url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-mars-2025.html",
"title": "10 mars 2025",
"date_published": "2025-03-10T06:00:31Z",
"date_modified": "2025-03-10T06:02:26Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "\n
\n\n \n\t\t
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nQuelque chose de semblable, comme on peut dire \"un semblable\", \"nos semblables\", un peu aussi comme le souligne R. G dans La Violence et le Sacr\u00e9<\/em>. Ce semblant qui effraie jusqu’\u00e0 le trouver monstrueux. \u00c7a nous ressemble mais quand m\u00eame pas jusque l\u00e0, et si. Et donc ce sont aussi nous les monstres. Bref.<\/p>\nLe paradoxe est comme la schizophr\u00e9nie le mod\u00e8le social impos\u00e9. Le double-bind est de mise, l’injonction contradictoire la moindre des choses. Mais en fait pourquoi s’acharne-t-on tant \u00e0 vouloir aller contre sa propre nature, pourquoi si on \u00e9prouve la v\u00e9rit\u00e9 ontologique de cette solitude cavale-t-on tant vers autrui ?<\/p>\n
C’est une \u00e9nigme qui se r\u00e9p\u00e8te tellement souvent que \u00e7a pourrait bien devenir une sorte de r\u00e9ponse m\u00e9taphysique.<\/p>\n
En fait je ne me sens pas enclin \u00e0 reprocher vraiment le paradoxe \u00e0 qui que ce soit. Apr\u00e8s tout je suis moi-m\u00eame tellement paradoxal. Quand par exemple je dis que je suis peintre et que je n’ai peint aucune toile depuis un an. Et cette fa\u00e7on aussi de me r\u00e9fugier, de me donner mille bonnes raisons pour ne pas le faire parce que j’enseigne les arts plastiques. Peut-\u00eatre que l’on doit avancer comme \u00e7a maintenant. En crabe. En tournant autour du pot.<\/p>\n
Personne d’autre que moi n’est mieux plac\u00e9 que moi pour \u00eatre moi. Ce qui peut se retourner contre n’importe qui que je pourrais croiser dans la rue.<\/p>\n
Aussi il ne faudrait pas en faire un jeu. \u00c0 partir du moment o\u00f9 juste un mot te terrasse, tu es capable de transformer \u00e7a en jeu pour \u00e9vacuer la trag\u00e9die de l’incompr\u00e9hension mutuelle. Tu t’enfuis si facilement dans ce jeu qu’ensuite tu ne sais plus du tout par o\u00f9 tu es pass\u00e9 pour y parvenir. Tu n’arrives plus \u00e0 retrouver ton chemin. Peut-\u00eatre est-ce un choix. Le choix de glisser en m\u00eame temps dans la solitude et la folie.<\/p>\n
Aujourd’hui j’ai d\u00e9cid\u00e9 de ne pas prononcer ici un mot en particulier. Je tourne autour depuis des heures. C’est un \u00e9picentre qui me rend derviche, je ne vais pas m’en plaindre.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Francis Bacon, Study for a head, 1952\nMusique<\/strong> : Arvo P\u00e4rt, Spiegel im Spiegel<\/p>",
"content_text": " Quelque chose de semblable, comme on peut dire \"un semblable\", \"nos semblables\", un peu aussi comme le souligne R. G dans *La Violence et le Sacr\u00e9*. Ce semblant qui effraie jusqu'\u00e0 le trouver monstrueux. \u00c7a nous ressemble mais quand m\u00eame pas jusque l\u00e0, et si. Et donc ce sont aussi nous les monstres. Bref. Le paradoxe est comme la schizophr\u00e9nie le mod\u00e8le social impos\u00e9. Le double-bind est de mise, l'injonction contradictoire la moindre des choses. Mais en fait pourquoi s'acharne-t-on tant \u00e0 vouloir aller contre sa propre nature, pourquoi si on \u00e9prouve la v\u00e9rit\u00e9 ontologique de cette solitude cavale-t-on tant vers autrui ? C'est une \u00e9nigme qui se r\u00e9p\u00e8te tellement souvent que \u00e7a pourrait bien devenir une sorte de r\u00e9ponse m\u00e9taphysique. En fait je ne me sens pas enclin \u00e0 reprocher vraiment le paradoxe \u00e0 qui que ce soit. Apr\u00e8s tout je suis moi-m\u00eame tellement paradoxal. Quand par exemple je dis que je suis peintre et que je n'ai peint aucune toile depuis un an. Et cette fa\u00e7on aussi de me r\u00e9fugier, de me donner mille bonnes raisons pour ne pas le faire parce que j'enseigne les arts plastiques. Peut-\u00eatre que l'on doit avancer comme \u00e7a maintenant. En crabe. En tournant autour du pot. Personne d'autre que moi n'est mieux plac\u00e9 que moi pour \u00eatre moi. Ce qui peut se retourner contre n'importe qui que je pourrais croiser dans la rue. Aussi il ne faudrait pas en faire un jeu. \u00c0 partir du moment o\u00f9 juste un mot te terrasse, tu es capable de transformer \u00e7a en jeu pour \u00e9vacuer la trag\u00e9die de l'incompr\u00e9hension mutuelle. Tu t'enfuis si facilement dans ce jeu qu'ensuite tu ne sais plus du tout par o\u00f9 tu es pass\u00e9 pour y parvenir. Tu n'arrives plus \u00e0 retrouver ton chemin. Peut-\u00eatre est-ce un choix. Le choix de glisser en m\u00eame temps dans la solitude et la folie. Aujourd'hui j'ai d\u00e9cid\u00e9 de ne pas prononcer ici un mot en particulier. Je tourne autour depuis des heures. C'est un \u00e9picentre qui me rend derviche, je ne vais pas m'en plaindre. **Illustration** : Francis Bacon, Study for a head, 1952 **Musique**: Arvo P\u00e4rt, Spiegel im Spiegel ",
"image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/francis-bacon-study-for-a-head-1952.jpg?1748065209",
"tags": ["Autofiction et Introspection"]
}
,{
"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-mars-2025.html",
"url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-mars-2025.html",
"title": "7 mars 2025",
"date_published": "2025-03-07T07:17:02Z",
"date_modified": "2025-03-07T07:17:11Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "\n
\n\n\n\t\t
\n<\/figure>\n<\/div>\nJe ne sais pas pourquoi je pense \u00e0 Gide. Si le grain ne meurt.<\/em> Voil\u00e0. Forc\u00e9ment, je pense \u00e0 la religion. Il faut donc crever pour se relier. <\/p>\nCe qui pourrait, avec un peu de mauvaise foi, expliquer ma fuite entre quatorze et trente ans dans le bouddhisme zen. Est-ce que \u00e7a explique quoi que ce soit ? Aucune id\u00e9e. Mais \u00e7a me semble d\u2019une logique implacable. <\/p>\n
Crever, donc. Mot d\u2019ordre adopt\u00e9 \u00e0 l\u2019adolescence. Pas physiquement, tout de m\u00eame. J\u2019aurais pu me pendre, comme mon cousin B. Mais la douleur me retenait. Crever, oui, mais mentalement. Et si possible sans souffrance. <\/p>\n
J\u2019ai donc commenc\u00e9 \u00e0 faire n\u2019importe quoi. De mani\u00e8re syst\u00e9matique.
\nUne d\u00e9cision m\u00fbrie lentement, prise un jour de coll\u00e8ge, apr\u00e8s trois ans d\u2019\u00e9checs r\u00e9p\u00e9t\u00e9s \u00e0 la barre fixe. Trois ans sans parvenir \u00e0 effectuer la moindre traction. Puis, un vendredi d\u2019avril, en fin d\u2019apr\u00e8s-midi, enfin une r\u00e9ussite. Une fois, une seule, j\u2019avais r\u00e9ussi \u00e0 me hisser. <\/p>\n
Et tout s\u2019\u00e9tait effondr\u00e9. <\/p>\n
L\u2019an\u00e9antissement de soi, c\u2019\u00e9tait \u00e7a. La fin du d\u00e9sir, la fin de l\u2019espoir, la fin de la peur. S\u2019\u00e9lever d\u2019un m\u00e8tre et comprendre d\u2019un coup tout le jeu du monde. <\/p>\n
Pendant que la nature renaissait, moi, mentalement, je crevais. <\/p>\n
\u00c0 quel moment les choses ont-elles commenc\u00e9 \u00e0 m\u2019\u00e9chapper ?<\/em> <\/p>\nD\u00e8s le d\u00e9part, sans doute. Je n\u2019ai pas vraiment eu mon mot \u00e0 dire. <\/p>\n
Il y avait d\u00e9j\u00e0 cette histoire du diable dans la peau. Une phrase lanc\u00e9e un jour, attrap\u00e9e au vol, et rest\u00e9e coll\u00e9e comme une \u00e9tiquette qu\u2019on ne peut plus arracher. Je n\u2019ai jamais su exactement ce que \u00e7a signifiait, mais j\u2019en avais tir\u00e9 une conclusion irr\u00e9futable : il ne pouvait pas m\u2019attraper aux toilettes.<\/em><\/p>\nJ\u2019ai donc pris mes dispositions. <\/p>\n
Aller souvent aux toilettes. Y rester longtemps. M\u00e9nager des retraites strat\u00e9giques. Le diable, aussi tenace soit-il, n\u2019irait pas me chercher l\u00e0. <\/p>\n
Ma m\u00e8re, elle, voyait \u00e7a autrement. Un probl\u00e8me digestif, une n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019assainissement. Il fallait me vider, me purifier, me d\u00e9barrasser de ce trop-plein qui manifestement m\u2019exaltait.
\nD\u2019abord par les m\u00e9thodes traditionnelles : d\u00e9coctions de radis noir, huile de foie de morue, traitements de grand-m\u00e8re \u00e0 grand renfort de cuill\u00e8res en fer. Une cure sans fin. <\/p>\n
Mais rien n\u2019y faisait. J\u2019\u00e9tais toujours l\u00e0, bondissant, surexcit\u00e9, insaisissable. <\/p>\n
Elle a fini par opter pour une approche plus radicale. Fenergan.<\/em><\/p>\nLe diable n\u2019avait peut-\u00eatre pas disparu, mais moi, je dormais. <\/p>\n
O\u00f9 commence l\u2019ext\u00e9rieur ? O\u00f9 finit l\u2019int\u00e9rieur ?<\/em>\nJ\u2019ai toujours cru que je choisissais, au d\u00e9but du moins. Mais quelques doutes se sont gliss\u00e9s dans les interstices. <\/p>\n