{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/fevrier-2025-3871.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/fevrier-2025-3871.html", "title": "F\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-12-21T18:59:35Z", "date_modified": "2025-12-22T23:40:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
1er f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — M. m\u2019a tendu un bout de papier \u00e0 la fin du cours. Deux adresses, des num\u00e9ros, et ce mot en capitales : POSSED\u00c9E. Je l\u2019ai gliss\u00e9 dans ma poche. Ce matin, il a disparu. J\u2019aurais pu le noter ailleurs. Je ne l\u2019ai pas fait. J\u2019ai bien peur que ce soit volontaire. Je dorm par morceaux, deux heures tout au plus. Cette nuit, j\u2019\u00e9tais graphiste pour un groupe de jazz. Une affiche parfaite. Disparue. Comme si quelque chose, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, d\u00e9cidait que rien ne devait rester. Hier soir, avec les R., nous avons compt\u00e9 les Alzheimer autour de nous. Un bon paquet. \u00c0 chaque nouveau nom, je me suis retenu de me toucher le front. Et puis cette pens\u00e9e : Alzheimer a peut-\u00eatre aussi ses bons c\u00f4t\u00e9s. J\u2019ai gard\u00e9 \u00e7a pour moi. Alors je pense \u00e0 partir. Prendre un sac tube. Ne rien dire. Mais pas aujourd\u2019hui. Aujourd\u2019hui, une part de tarte aux pommes. Quelques pages de L\u00e9viathan. Ne pas dispara\u00eetre tout de suite.<\/p>\n 2 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Visionn\u00e9 Le Journal du regard de Pierre M\u00e9nard. Red\u00e9couvre la ville telle que je l\u2019ai laiss\u00e9e depuis 1990. Le texte lu me rappelle la perte de mes carnets Clairefontaine. La v\u00e9rit\u00e9 est que je ne peux me passer des autres et que je ne peux en m\u00eame temps aller vers eux. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ? J\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 la rue Custine. Si je devais choisir un lieu qui caract\u00e9rise l\u2019impermanence, l\u2019intemporel, ce serait celui-ci. Ses platanes — \u00e0 moins que ce ne fussent des tilleuls. Et voil\u00e0 comment on revient au pr\u00e9sent : par le doute.<\/p>\n 3 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Tout ne sera pas \u00e9gal. Il y aura du long et du court, du gras et du maigre. Ce matin, j\u2019ai envie. Ma col\u00e8re se transforme. Ma peur change de masque. Mon d\u00e9sespoir a les fesses qui tombent. J\u2019ai envie. Je fais un feu. Recouvrir de rouge des toiles. Un temps de souffle de pigment. Un temps d\u2019aurochs et de gel. De grands gestes. Comme on dit au revoir, adieu, \u00e0 jamais. Le h\u00e9ros foire. Tout ce qu\u2019il y avait d\u2019h\u00e9ro\u00efque d\u00e9bande, tombe en quenouille. Il faut le vivre une fois. Ensuite, le monde se prend en grande piti\u00e9. La honte pour l\u2019esp\u00e8ce.<\/p>\n 5 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Il faut raconter ses cauchemars \u00e0 voix haute. Elle m\u2019avait dit \u00e7a. Profiter. Le mot r\u00e9sonnait partout. \u00c7a me rappelle saprophyte. Qui tire les substances des mati\u00e8res en d\u00e9composition. Tu es un point entre deux points. La faux te fauche la faute. Ensuite, rame sur la fa\u00e7on d\u2019organiser du CSS pour t\u2019apercevoir que \u00e7a ne sert \u00e0 rien. Que l\u2019organisation n\u2019est qu\u2019un leurre. Elle disait raconte-moi. Puis elle tournait les talons. Mes cauchemars se transformaient. Ils devenaient des envies honteuses. Ce n\u2019\u00e9taient pas mes envies. C\u2019\u00e9taient des envies de tout le monde, pour en dissimuler d\u2019autres encore plus effrayantes. Elle a dit tu as le diable dans la peau. Et je l\u2019ai crue. C\u2019est pour \u00e7a que je tue la toile. \u00c0 coups de ciseaux. \u00c0 coups de cutter. Hier soir, j\u2019ai vu un film de Chantal Akerman. Et peut-\u00eatre que j\u2019ai tout retrouv\u00e9. Les bruits. L\u2019organisation. Les pi\u00e8ces. On allume. On \u00e9teint. La routine est un parapet.<\/p>\n 6 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Le mot articule me fait pouffer. Puis abattis s\u2019am\u00e8ne avec sa t\u00eate de comptable. Num\u00e9rote tes abattis. Un oc\u00e9an d\u2019eau dans le cr\u00e2ne, voil\u00e0. \u00c7a me botterait. Moi qui ai toujours eu des vell\u00e9it\u00e9s de p\u00eacheur au harpon ou de baleine blanche. Hier, j\u2019ai soulev\u00e9 un loup. J\u2019\u00e9tais en train de relire Le Horla quand j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 La Ville sans nom. Figure-toi que L. ait lu Le Horla et s\u2019en soit inspir\u00e9. Le dibbouk a sorti un vieux mouchoir sale. \"Adieu raison, vaches et cochons !\"<\/p>\n 7 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Peu dormi. Feuillet\u00e9 Je m\u2019en vais d\u2019Echenoz. M. disait : \"Il faut de la maturit\u00e9 pour vouloir \u00e9crire.\" Peut-\u00eatre est-ce moins une question de maturit\u00e9 que d\u2019usure. Un degr\u00e9 de fatigue. Comme si \u00e9crire \u00e9tait un exercice d\u2019\u00e9puisement n\u00e9cessaire. Ma vie ne fut qu\u2019un \u00e9ternel brouillon. Il est 4h32 et toujours pas envie de dormir. Cette fatigue att\u00e9nue la brutalit\u00e9 du monde. Je ne dors pas pour me fatiguer, afin de me cr\u00e9er un scaphandre pour ne pas trop \u00eatre endommag\u00e9 par l\u2019irradiation de la journ\u00e9e. Je suis peu satisfait de mes textes. Jamais satisfait. Honte et \u00e0 quoi bon, voil\u00e0 la t\u00eate de l\u2019adversaire.<\/p>\n 8 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Des fois, j\u2019ai honte, des fois non. \u00c7a d\u00e9pend de la r\u00e9sonance du monde. Si j\u2019entends les oiseaux, oui. Si j\u2019entends le camion-poubelle, non. La honte ne d\u00e9pend pas que de moi. Honteux n\u2019est pas un \u00e9tat stable, mais volatile. Il faut attendre parfois des mois pour que certaines hontes se transforment en tr\u00e9sor. Pass\u00e9 une sale journ\u00e9e. Maux de gorge, nez coulant. Travail \u00e0 l\u2019encre de Chine le matin, collages l\u2019apr\u00e8s-midi. Et toujours ces phrases : \u00e7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais. La honte vient aussi du fait de se rendre compte que l\u2019on n\u2019est pas seul \u00e0 \u00e9prouver les m\u00eames hontes. Nos hontes sont nos m\u00e2nes, nos lares, nos l\u00e9mures, nos g\u00e9nies tout autant.<\/p>\n 9 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Davos, janvier 2025. La neige qui tombe sur les costumes Armani pendant que Trump pr\u00eate serment. Dans leurs salons feutr\u00e9s, les \u00e9lites se chient dessus. \"L\u2019\u00e2ge d\u2019or commence maintenant\", qu\u2019il gueule. Et pendant que les pontes s\u2019\u00e9touffent avec leurs petits fours, il balance ses mesures comme des uppercuts. Le plus dingue : tout part en vrille en m\u00eame temps. Les \u00e9lites qui flippent, Trump qui joue au m\u00e9galo, l\u2019Europe qui fait semblant d\u2019avoir une colonne vert\u00e9brale. Peut-\u00eatre que c\u2019est \u00e7a qu\u2019il nous fallait : que tout parte vraiment en couille pour qu\u2019on arr\u00eate de faire semblant.<\/p>\n 10 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Arr\u00eatons-nous sur cette facult\u00e9 qu\u2019a la langue d\u2019\u00eatre \"ductile\". Cette mall\u00e9abilit\u00e9 op\u00e8re sans jamais rompre le fil du sens. La langue ductile \u00e9pouse les mouvements int\u00e9rieurs de l\u2019\u00e2me. Cet effort, cette tension vers la justesse permet au texte d\u2019\u00e9chapper au soliloque st\u00e9rile. Ce 10 f\u00e9vrier, il pleut. F\u00e9vrier a une t\u00eate de TGV qui fonce vers Mars. Hier, B. et D. \u00e9taient l\u00e0. Soixante-dix-huit et soixante-dix-neuf ans. Conversation floue : maladies, difficult\u00e9s \u00e0 se mouvoir. Comme si l\u2019on glissait vers une fadeur indistincte. J\u2019ai tent\u00e9 une relance sur la question du paradis. Le silence fut sans appel. Puis le rouleau de PQ s\u2019est achev\u00e9. J\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 ailleurs. Effar\u00e9 de n\u2019avoir pas fait plus t\u00f4t le lien entre l\u2019homoncule d\u2019Echenoz et mon Dibbouk.<\/p>\n 12 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Visionn\u00e9 le replay d\u2019un Zoom. Me suis vite rendu compte que je m\u2019y ennuyais. Ai eu honte de m\u2019y ennuyer. Tout groupe normalement constitu\u00e9 a besoin d\u2019un ennemi. Tout comme moi, je fais de tout groupe un ennemi. Principe ontologique. Ce que je rejette furieusement, c\u2019est l\u2019envie de participer \u00e0 n\u2019importe quel groupe. \u00c0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, c\u2019est plus affaire de pudeur. L\u2019\u00e9criture est vraiment mon lieu. Je ne devrais jamais plus avoir \u00e0 en sortir.<\/p>\n 13 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Cette nuit, r\u00eave \u00e9rotique. D\u2019abord doux. Puis une sensation \u00e9trange. Comme si on me l\u2019accordait par charit\u00e9, en compensation d\u2019une fin imminente. Voil\u00e0 le fin mot : je r\u00e9fl\u00e9chissais trop parce que je ne faisais pas assez l\u2019amour. C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai repouss\u00e9 la succube. Elle avait le visage de P. Mais au moment o\u00f9 j\u2019ai compris l\u2019arnaque, elle a pris aussi la voix de P. Cette voix insupportable. Tout s\u2019est \u00e9clair\u00e9 : depuis toujours, tout \u00e9tait dans la voix. La voix ne ment pas. Apr\u00e8s tout, \u00e7a remonte \u00e0 plus de quarante ans. Il serait temps que je me l\u00e2che la grappe.<\/p>\n 14 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Relectures des carnets \u00e0 l\u2019occasion de la cr\u00e9ation des digests. \"Les ann\u00e9es Covid\". Tu n\u2019arrives pas \u00e0 souffrir en ch\u0153ur. Tu te r\u00e9jouis au lieu de te plaindre, et vice versa. Tu as beaucoup parl\u00e9 de peinture. Plus qu\u2019avant. Assez vite trop. Relectures, qu\u2019en dire. C\u2019est appliqu\u00e9, c\u2019est constant, c\u2019est habit\u00e9. Mais \u00e0 force d\u2019habiter, \u00e7a se meuble trop. Trop d\u2019introspection, trop de ressassement. Et puis, ce go\u00fbt du flou. \u00c0 force de d\u00e9crire des lieux qui changent, il n\u2019y a plus de point d\u2019ancrage. Il manque quelque chose : un accident, une cassure. Parfois, il faudrait que \u00e7a explose au lieu de s\u2019effriter lentement.<\/p>\n 15 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — [R\u00c9CIT]<\/strong> R\u00e9duction. Ce qui tombe. Ce qui reste. 109 \u00e0 7. Peut-\u00eatre 6. Mais 7. Parce que 7. Une id\u00e9e de peu. Ce qui survit. Le nom change. Le texte et la faille. Un \u00e9cho d\u2019avant. \u00c9crire ici. Juste \u00e9crire. L\u2019\u00e9criture suit le carnet. Elle h\u00e9site. Elle s\u2019arr\u00eate. Elle reprend. Comme l\u2019eau. Jamais directe. Toujours en travers. Re\u00e7u ce matin un texte. Beckett. Pour finir encore. On ne tue que le mensonge. Apr\u00e8s il reste une feuille. Fine. Cigarette. Une br\u00e8che. Existe-t-elle ? La porte ? Les portes sont des leurres. On tourne en nous-m\u00eames. Un labyrinthe sans fin. Marcher. Fixer un point. L\u2019arbre. Ou rien. Recommencer. Insister. Le corps fixe. Devant la fen\u00eatre. M\u00eame heure. Tout tremble. De partout. Presque rien. Mais tout. Lente respiration. Fr\u00e9missement continu. Les yeux s\u2019ouvrent. Se ferment. Fixer l\u2019arbre. Le h\u00eatre. Ombre qui insiste. Comme si tout devait dispara\u00eetre. Mais non. Rien ne s\u2019en va. C\u2019est autre chose qui bouge. En nous. Un vide qui occupe tout. Une main suspendue dans l\u2019air, une question sans r\u00e9ponse. Le jour tombe. Le noir monte. Le silence surtout. Tout en suspens. Tout tremblement. Un dernier fr\u00e9missement. Puis plus rien.<\/p>\n 16 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — R\u00eave. Inondation dans une cave. Je descends. Le fracas de l\u2019eau. Une silhouette bouge au fond sous un n\u00e9on intermittent. Un chien qui remue la queue. Totalement incongru. Si je ne crois plus en mes r\u00eaves, il me faut cesser de prendre mes cauchemars au s\u00e9rieux. Le lendemain, r\u00e9ception des petits-enfants \u00e0 Perrache. J\u2019ai mal aux dents surtout. \u00c7a me fait voir le monde encore plus laid. Une fois la famille reconstitu\u00e9e, nous regagnons le parking. Le soir, je tente de me raccrocher aux Grandes Blondes d\u2019Echenoz, mais l\u2019effort est vain. Je sombre dans le sommeil. Et me retrouve dans cette cave, face \u00e0 un chien qui remue la queue.<\/p>\n 17 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — C\u2019\u00e9tait il y a quarante ans. On traversait Le P\u00e9age-de-Roussillon. Personne ne s\u2019arr\u00eatait ici par plaisir. Une travers\u00e9e obligatoire. On se promettait que jamais on ne s\u2019arr\u00eaterait l\u00e0. Et pourtant. Aujourd\u2019hui, on y vit. On prend une rue, puis une autre, et quelque chose cloche. Les rues ne sont pas tout \u00e0 fait les m\u00eames que la veille. Leur alignement semble un peu d\u00e9plac\u00e9. La pharmacie \u00e9tait de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la place, non ? Les habitants empruntent les rues avec cette aisance de ceux qui ont accept\u00e9 que les lieux ne se laissent pas capturer facilement. Quarante ans plus t\u00f4t, on en sortait avec soulagement. Aujourd\u2019hui, on y habite. Et peut-\u00eatre qu\u2019un jour, on tentera d\u2019en partir, sans garantie de vraiment y parvenir.<\/p>\n 19 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Il pense que c\u2019est fini. Une douleur tenace — une dent — l\u2019emp\u00eache de penser correctement. Il r\u00e9siste, encore. Pendant ce temps, le monde s\u2019effondre. Une dystopie de s\u00e9rie B qui s\u2019\u00e9crit en temps r\u00e9el. La douleur de la dent ram\u00e8ne tout \u00e0 une \u00e9chelle plus proche. Un micro-drama dans un macro-chaos. Il n\u2019ira pas chez le dentiste. Pas encore. Il reste l\u00e0, dans cet entre-deux parfait. Et pourtant, il \u00e9crit. C\u2019est sa seule concession au mouvement. Une lucidit\u00e9 terrifiante certains jours, apaisante d\u2019autres. Pas gu\u00e9ri, pas fichu, pas sauv\u00e9. Juste l\u00e0. Quelques heures plus tard : Dans ces cas-l\u00e0, la sagesse impose de se rendre chez le dentiste. De base, il suffit de s\u2019y rendre pour ne plus savoir quelle dent fait mal. La douleur se d\u00e9robe au moment o\u00f9 elle devient soignable. \"Bon, je vois plusieurs caries. Mais avant, un petit d\u00e9tartrage.\" Non, il ne veut pas de ce \"petit\". Il veut l\u2019anesth\u00e9sie, tout de suite. \"Vous \u00eates s\u00fbr ?\" Il l\u2019est.<\/p>\n 21 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — [R\u00c9CIT]<\/strong> Un amour du pass\u00e9 qui hante. Mais quelque chose cloche. Sommes-nous hant\u00e9s par l\u2019attente de l\u2019amour plus que par l\u2019amour lui-m\u00eame ? Peut-\u00eatre est-ce cette promesse qui obs\u00e8de davantage que les \u00eatres aim\u00e9s. L\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019annonce immobile. G.-p. attend \u00e0 la gare. Premi\u00e8re nuit. Le tic-tac de l\u2019horloge. L\u2019\u00e9t\u00e9 sera long. Les journ\u00e9es s\u2019\u00e9tirent. Apr\u00e8s-midis \u00e0 retrouver P. pr\u00e8s de la mare. Puis un jour, B. appara\u00eet. Mais ce n\u2019est pas elle qui bouleversera cet \u00e9t\u00e9. Ce sera N., sa s\u0153ur a\u00een\u00e9e. Un soir de pluie, toute de blanc v\u00eatue. Tout en elle semble hors de port\u00e9e. Chaque soir, rendez-vous tacite derri\u00e8re la barri\u00e8re. Des marches sur les sentiers. Des mains s\u2019approchant sans jamais se toucher. Puis l\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019ach\u00e8ve. Une adresse \u00e9chang\u00e9e. Puis des lettres quotidiennes. L\u2019hiver passe. L\u2019\u00e9t\u00e9 revient. Le voyage entrepris seul. Huit kilom\u00e8tres sous le soleil, valise \u00e0 la main. Sur le chemin, la maison de N. appara\u00eet. Dans la cour, un homme. Une \u00e9treinte. Demi-tour. Les lettres restent longtemps dans une bo\u00eete, jusqu au jour o\u00f9 elles sont br\u00fbl\u00e9es. L\u2019amour s\u2019est transform\u00e9. \u00c0 la relecture des ann\u00e9es plus tard : l\u2019attente de l\u2019amour n\u2019est-elle pas plus pr\u00e9cieuse que l\u2019amour lui-m\u00eame ?<\/p>\n 22 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Coinc\u00e9 entre dystopie et utopie, \u00e9crire quelque chose qui ne serait pas compl\u00e8tement idiot. La b\u00eatise devient un vecteur. On s\u2019accroche \u00e0 la b\u00eatise comme \u00e0 une fus\u00e9e. Mais on s\u2019enfonce dans les profondeurs de la fosse des Mariannes. La blague tombe \u00e0 l\u2019eau au plus profond de l\u2019eau. Les maux de dents repartent. S\u2019il n\u2019y avait pas d\u2019\u00eatre humain, le monde existerait tel qu\u2019il est, sans bien ni mal. Le d\u00e9go\u00fbt monte. Non pas le d\u00e9go\u00fbt de l\u2019autre, mais le d\u00e9go\u00fbt de soi. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 la seule forme de transcendance possible : un ricanement \u00e9touff\u00e9 dans l\u2019ab\u00eeme. Nous ne nous envolons pas, nous coulons avec une certaine gr\u00e2ce.<\/p>\n 23 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Puis il arriva que je me mette \u00e0 lui imaginer des peurs. Comme si tout un pan du vocabulaire au sujet de la peur s\u2019\u00e9tait \u00e9vanoui. Nous vivions d\u00e9sormais dans un monde sans peur. M\u00eame la peur, on nous l\u2019avait vol\u00e9e. Admettons que X ait eu peur, un jour, au si\u00e8cle dernier. L\u2019invisible, l\u2019in\u00e9luctable, l\u2019abandon. Admettons que l\u2019invisible ne soit plus vraiment une valeur s\u00fbre. Peut-\u00eatre log\u00e9 dans des mots tout neufs : complot, fake news, \u00c9tat profond, Davos. On comprend ce lien entre la peur et le d\u00e9sir dans l\u2019imaginaire des biblioth\u00e8ques. La peur de l\u2019immensit\u00e9 d\u2019une biblioth\u00e8que et l\u2019in\u00e9luctable : on ne pourra jamais tout lire. L\u2019universalisme aussi est un mot caduque. De toutes les peurs qui auront disparu, l\u2019abandon seul subsiste encore. Les mots me manquent cruellement pour les exprimer.<\/p>\n 26 f\u00e9vrier<\/a><\/strong> — Hier soir, panne d\u2019ordinateur. Ubuntu en emergency mode. Probl\u00e8me de format. J\u2019ai bien gal\u00e9r\u00e9, et pour finir, j\u2019y suis arriv\u00e9. Le mardi reste un jour myst\u00e9rieux. Je suis seul jusqu\u2019\u00e0 16h. J\u2019oscille entre \u00e9criture et lecture. Hier, j\u2019ai suivi David Camus dans Autour de Lovecraft. Et soudain, une angoisse. Si ce r\u00e9cit \u00e9tait une fiction ? Si ce personnage n\u2019existait pas ? J\u2019ai compris que j\u2019\u00e9tais absolument capable de balader le lecteur sur des pages sans aucun scrupule. La pens\u00e9e m\u2019a tenu en \u00e9veil jusqu\u2019\u00e0 une heure avanc\u00e9e. \u00c0 la fin, je me suis moqu\u00e9 de ma candeur enfantine. Je l\u2019ai m\u00eame salu\u00e9e. Elle m\u2019a sembl\u00e9 pr\u00e9cieuse. Ce qui relance la question : qu\u2019est-ce que je fais de ma vie ? Qui suis-je ? Suis-je le personnage d\u2019un r\u00eave que je ne parviens pas \u00e0 r\u00eaver moi-m\u00eame ? En plissant les yeux j\u2019arrive \u00e0 lire le titre d\u2019un livre : \"Critique dans un souterrain\" de Ren\u00e9 Girard. Le d\u00e9sir et sa n\u00e9cessit\u00e9 triangulaire soudain me reviennent, et tout l\u2019effroi ancien. Puis je regarde l\u2019homme qui dort. Empathie soudaine. Et la petite phrase de D.C. \u00e0 propos de HPL : \"Il y a de l\u2019amour.\"<\/p>\n