{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/28-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/28-janvier-2021.html", "title": "28 janvier 2021", "date_published": "2021-01-28T15:58:00Z", "date_modified": "2024-10-28T15:58:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\nQuelque chose cloche dans l\u2019espace-temps. Cela ressemble \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de tous les jours, mais ce n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Du moins, pas celle que l\u2019on connaissait, ou que l\u2019on croyait conna\u00eetre. Une h\u00e9sitation entre les deux. Et ce doute, cette oscillation semble s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer de plus en plus. On pressent que quelque chose ne va pas tarder \u00e0 nous tomber dessus. C\u2019est assez vague au d\u00e9but ; on pense \u00e0 l\u2019imagination qui fait des siennes. Il arrive m\u00eame qu\u2019on tente de blaguer pour exorciser cette mar\u00e9e silencieuse qui monte et ne va pas tarder \u00e0 nous submerger.<\/p>\n
Et puis, c\u2019est le choc. On apprend l\u2019in\u00e9luctable, on ne peut plus \u00e9luder. Quelque chose s\u2019en va, et c\u2019est irr\u00e9m\u00e9diable, \u00e9pouvantable. On l\u2019entend, mais on ne veut pas l\u2019entendre. On n\u2019y croit pas.<\/p>\n
Il faut quelques instants, parfois des jours, des semaines, pour faire le tour complet de ce qui vient de se produire. C\u2019est trop abstrait ; la pens\u00e9e ne peut s\u2019accaparer cela tout de suite. C\u2019est avant tout un non-sens. Un gouffre dans lequel tout le sens se perd. C\u2019est insens\u00e9. Quelque chose en relation avec l\u2019incroyable, le fantastique, la science-fiction. Tout cela encore ench\u00e2ss\u00e9 dans le banal : le froid mordant d\u2019un matin de janvier, l\u2019odeur du caf\u00e9 dans la cuisine, une cigarette qui nous d\u00e9go\u00fbte et qu\u2019on fume \u00e0 moiti\u00e9, tandis que la pr\u00e9sentatrice de la m\u00e9t\u00e9o d\u00e9bite ses minimales et maximales \u00e0 la radio allum\u00e9e machinalement, comme tous les matins. Cela a l\u2019air d\u2019un matin comme tous les autres pourtant. C\u2019est d\u2019autant plus stup\u00e9fiant.<\/p>\n
Mais tr\u00e8s vite, il faut se reprendre. On se rebiffe. Ce n\u2019est pas possible de d\u00e9marrer comme \u00e7a la journ\u00e9e. Aussi abattu, lessiv\u00e9, ruin\u00e9 totalement. On se l\u00e8ve, on fait quelques pas. Le corps doit bouger, s\u2019agiter. Comme si le mouvement pouvait d\u00e9placer les lignes, les fronti\u00e8res de l\u2019\u00e9v\u00e9nement, dans l\u2019espoir de l\u2019esquiver peut-\u00eatre, de l\u2019enjamber. Mais tout est tellement lourd, pataud, tout part \u00e0 volo.<\/p>\n
On se sent tellement lourd que c\u2019en est \u00e0 vomir. On s\u2019en veut d\u2019\u00eatre aussi lourd, ou on en veut au monde entier soudain. Il faut en vouloir, se dit-on, c\u2019est peut-\u00eatre l\u2019issue. Col\u00e8re froide ou gueulement intempestif, il faut absolument trouver un moyen de vider \u00e7a, de se d\u00e9barrasser de \u00e7a. On l\u2019esp\u00e8re tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que c\u2019est vain. Mais on esp\u00e8re.<\/p>\n
On est d\u00e9\u00e7u d\u2019\u00eatre aussi faible d\u2019esp\u00e9rer. L\u2019\u00e9go\u00efsme comme seul refuge, toujours. « \u00c7a ne peut pas m\u2019arriver \u00e0 moi ce matin, merde ! Mais qu\u2019est-ce que j\u2019ai fait au bon Dieu ? Pourquoi moi ? » On sent bien que l\u2019on glisse vers quelque chose de trouble, de minable. On se laisse glisser malgr\u00e9 tout faute de mieux. Peut-\u00eatre, apr\u00e8s avoir serr\u00e9 les dents, les poings, tap\u00e9 dans une cloison, se laisse-t-on glisser avec cette douleur musculaire, un h\u00e9matome naissant qui nous accompagne. La douleur physique est une compagnie \u00e0 la douleur morale, mentale, cordiale. On n\u2019ose pas se sentir seul face \u00e0 \u00e7a. Surtout si on est d\u00e9j\u00e0 seul.<\/p>\n
Quant \u00e0 l\u2019autre, il devient le responsable, un instant, quand on en a plus ou moins termin\u00e9 avec soi, avec la fatigue et la col\u00e8re m\u00eal\u00e9es. L\u2019autre qui nous laisse seul. L\u2019autre qui a disparu sans pr\u00e9venir vraiment. L\u2019autre qu\u2019on ne verra plus. Comment est-ce possible de ne plus voir ce qui a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0 ? On ne sait pas faire. On ne sait pas vivre \u00e7a. C\u2019est d\u2019une brutalit\u00e9 telle qu\u2019il faut s\u2019\u00e9lever ou s\u2019abaisser \u00e0 la m\u00eame fr\u00e9quence instinctivement. \u00catre brutal aussi pour simplement tenir le coup. La col\u00e8re comme bou\u00e9e de sauvetage. La col\u00e8re contre soi, contre l\u2019autre, contre tout. Le refus dont elle ne cesse de parler, le d\u00e9ni, comme on dit.<\/p>\n
« Je ne veux pas », voil\u00e0 ce que \u00e7a dit. En gros.<\/p>\n
Les jours passent. La digestion est lente. On est comme un boa qui a aval\u00e9 un ours. Mal au cr\u00e2ne, aux m\u00e2choires. \u00catre vache et ruminer jour et nuit la col\u00e8re, l\u2019absence, et tous les « si ». Le « si j\u2019avais su » permet l\u2019acc\u00e8s au souvenir et le d\u00e9marrage des n\u00e9gociations.<\/p>", "content_text": "Quelque chose cloche dans l\u2019espace-temps. Cela ressemble \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de tous les jours, mais ce n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Du moins, pas celle que l\u2019on connaissait, ou que l\u2019on croyait conna\u00eetre. Une h\u00e9sitation entre les deux. Et ce doute, cette oscillation semble s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer de plus en plus. On pressent que quelque chose ne va pas tarder \u00e0 nous tomber dessus. C\u2019est assez vague au d\u00e9but ; on pense \u00e0 l\u2019imagination qui fait des siennes. Il arrive m\u00eame qu\u2019on tente de blaguer pour exorciser cette mar\u00e9e silencieuse qui monte et ne va pas tarder \u00e0 nous submerger. Et puis, c\u2019est le choc. On apprend l\u2019in\u00e9luctable, on ne peut plus \u00e9luder. Quelque chose s\u2019en va, et c\u2019est irr\u00e9m\u00e9diable, \u00e9pouvantable. On l\u2019entend, mais on ne veut pas l\u2019entendre. On n\u2019y croit pas. Il faut quelques instants, parfois des jours, des semaines, pour faire le tour complet de ce qui vient de se produire. C\u2019est trop abstrait ; la pens\u00e9e ne peut s\u2019accaparer cela tout de suite. C\u2019est avant tout un non-sens. Un gouffre dans lequel tout le sens se perd. C\u2019est insens\u00e9. Quelque chose en relation avec l\u2019incroyable, le fantastique, la science-fiction. Tout cela encore ench\u00e2ss\u00e9 dans le banal : le froid mordant d\u2019un matin de janvier, l\u2019odeur du caf\u00e9 dans la cuisine, une cigarette qui nous d\u00e9go\u00fbte et qu\u2019on fume \u00e0 moiti\u00e9, tandis que la pr\u00e9sentatrice de la m\u00e9t\u00e9o d\u00e9bite ses minimales et maximales \u00e0 la radio allum\u00e9e machinalement, comme tous les matins. Cela a l\u2019air d\u2019un matin comme tous les autres pourtant. C\u2019est d\u2019autant plus stup\u00e9fiant. Mais tr\u00e8s vite, il faut se reprendre. On se rebiffe. Ce n\u2019est pas possible de d\u00e9marrer comme \u00e7a la journ\u00e9e. Aussi abattu, lessiv\u00e9, ruin\u00e9 totalement. On se l\u00e8ve, on fait quelques pas. Le corps doit bouger, s\u2019agiter. Comme si le mouvement pouvait d\u00e9placer les lignes, les fronti\u00e8res de l\u2019\u00e9v\u00e9nement, dans l\u2019espoir de l\u2019esquiver peut-\u00eatre, de l\u2019enjamber. Mais tout est tellement lourd, pataud, tout part \u00e0 volo. On se sent tellement lourd que c\u2019en est \u00e0 vomir. On s\u2019en veut d\u2019\u00eatre aussi lourd, ou on en veut au monde entier soudain. Il faut en vouloir, se dit-on, c\u2019est peut-\u00eatre l\u2019issue. Col\u00e8re froide ou gueulement intempestif, il faut absolument trouver un moyen de vider \u00e7a, de se d\u00e9barrasser de \u00e7a. On l\u2019esp\u00e8re tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que c\u2019est vain. Mais on esp\u00e8re. On est d\u00e9\u00e7u d\u2019\u00eatre aussi faible d\u2019esp\u00e9rer. L\u2019\u00e9go\u00efsme comme seul refuge, toujours. \u00ab \u00c7a ne peut pas m\u2019arriver \u00e0 moi ce matin, merde ! Mais qu\u2019est-ce que j\u2019ai fait au bon Dieu ? Pourquoi moi ? \u00bb On sent bien que l\u2019on glisse vers quelque chose de trouble, de minable. On se laisse glisser malgr\u00e9 tout faute de mieux. Peut-\u00eatre, apr\u00e8s avoir serr\u00e9 les dents, les poings, tap\u00e9 dans une cloison, se laisse-t-on glisser avec cette douleur musculaire, un h\u00e9matome naissant qui nous accompagne. La douleur physique est une compagnie \u00e0 la douleur morale, mentale, cordiale. On n\u2019ose pas se sentir seul face \u00e0 \u00e7a. Surtout si on est d\u00e9j\u00e0 seul. Quant \u00e0 l\u2019autre, il devient le responsable, un instant, quand on en a plus ou moins termin\u00e9 avec soi, avec la fatigue et la col\u00e8re m\u00eal\u00e9es. L\u2019autre qui nous laisse seul. L\u2019autre qui a disparu sans pr\u00e9venir vraiment. L\u2019autre qu\u2019on ne verra plus. Comment est-ce possible de ne plus voir ce qui a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0 ? On ne sait pas faire. On ne sait pas vivre \u00e7a. C\u2019est d\u2019une brutalit\u00e9 telle qu\u2019il faut s\u2019\u00e9lever ou s\u2019abaisser \u00e0 la m\u00eame fr\u00e9quence instinctivement. \u00catre brutal aussi pour simplement tenir le coup. La col\u00e8re comme bou\u00e9e de sauvetage. La col\u00e8re contre soi, contre l\u2019autre, contre tout. Le refus dont elle ne cesse de parler, le d\u00e9ni, comme on dit. \u00ab Je ne veux pas \u00bb, voil\u00e0 ce que \u00e7a dit. En gros. Les jours passent. La digestion est lente. On est comme un boa qui a aval\u00e9 un ours. Mal au cr\u00e2ne, aux m\u00e2choires. \u00catre vache et ruminer jour et nuit la col\u00e8re, l\u2019absence, et tous les \u00ab si \u00bb. Le \u00ab si j\u2019avais su \u00bb permet l\u2019acc\u00e8s au souvenir et le d\u00e9marrage des n\u00e9gociations. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/asger-jorn-1914-1973-1969-looking-for-a-good-tyrant-private-collection-1.jpg?1748065092", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-janvier-2021.html", "title": "25 janvier 2021", "date_published": "2021-01-25T15:53:00Z", "date_modified": "2024-10-28T15:53:29Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nL\u2019originalit\u00e9, c\u2019est quoi ? Une sacr\u00e9e pr\u00e9occupation, avant tout, pour les jeunes peintres ou pas. Pour les amoureux \u00e9perdus dans une passion toute neuve. C\u2019est tr\u00e8s exag\u00e9r\u00e9 tout \u00e7a. M\u00eame si, pendant un instant, \u00e7a fait du bien, \u00e7a nous place sur des \u00e9chasses \u00e0 contempler le bas-monde en dessous. \u00c7a peut m\u00eame souvent faire glisser vers le m\u00e9pris, je l\u2019ai constat\u00e9 maintes fois.<\/p>\n
\u00c0 force de d\u00e9tester le familier, il est possible qu\u2019il revienne soudain au galop. Qu\u2019il se rev\u00eate de tout l\u2019apparat de l\u2019original \u00e0 nos yeux aveugl\u00e9s par l\u2019absurdit\u00e9 de tous les renouveaux. Un soleil en chocolat qui fond dans l\u2019\u0153il et qui, une fois qu\u2019il l\u2019aveugle pour de bon, nous fasse chialer.<\/p>\n
L\u2019originalit\u00e9, ce n\u2019est peut-\u00eatre rien d\u2019autre que du familier retrouv\u00e9. Du familier aval\u00e9, mal dig\u00e9r\u00e9, qu\u2019on r\u00e9gurgite. Un petit tas de vomi \u00e0 trifouiller quand on n\u2019a plus rien d\u2019autre \u00e0 b\u00e9queter, \u00e0 b\u00e9coter.<\/p>\n
M\u00eame les \u00e9pluchures peuvent constituer d\u2019excellents mets, vous savez. Quand on n\u2019a plus la force de ramer pour payer les l\u00e9gumes, de se baisser pour les attraper dans les cageots d\u00e9fonc\u00e9s en fin de march\u00e9. On r\u00e9cup\u00e8re les \u00e9pluchures, dans une anorexie qui tombe \u00e0 pic, et on invente, voil\u00e0 tout. Les \u00e9pluchures, c\u2019est moins lourd \u00e0 trimballer. Personne n\u2019en veut, personne ne viendra les jalouser, les d\u00e9rober. On ne sera pas envi\u00e9.<\/p>\n
On cuisine et on go\u00fbte.<\/p>\n
Ce n\u2019est pas mauvais, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit go\u00fbteux. Du moins \u00e0 la premi\u00e8re cuiller\u00e9e. Le palais est encore encombr\u00e9 de souvenirs insistants, occup\u00e9 par la comparaison. C\u2019est la faim qui commande cependant. Le biologique, la survie.<\/p>\n
On entre dans une habitude comme on p\u00e9n\u00e8tre dans les miracles, sans bien s\u2019en rendre compte. La gratitude est de l\u2019ordre du superflu.<\/p>\n
C\u2019est par inadvertance qu\u2019on s\u2019en rend compte. Une pure inadvertance par laquelle toute pens\u00e9e et tout point de vue habituel s\u2019\u00e9chappent. On se retrouve la langue nue.<\/p>\n
Et l\u00e0, le go\u00fbt de la patate, de la courgette, du navet naissent enfin pour de bon. Tout comme soi-m\u00eame. Simultan\u00e9it\u00e9 et r\u00e9ciprocit\u00e9.<\/p>\n
L\u2019\u00e9pluchure nous rend \u00e0 la fois au l\u00e9gume, au fruit, et \u00e0 la vie.<\/p>\n
Alors, c\u2019est bien \u00e9trange de constater \u00e0 cet instant \u00e0 quel point l\u2019originalit\u00e9 et le familier se confondent dans l\u2019\u00eatre. Que tout cela, dans le fond, on le sait depuis toujours. On peut enfin se rendre compte de l\u2019\u00e9cart dans une solitude immense et apais\u00e9e par tous les autres encore en route pour venir s\u2019asseoir \u00e0 notre table. Peu importe le temps que \u00e7a prendra, il y aura toujours de quoi.<\/p>\n
La v\u00e9ritable abondance est l\u00e0, depuis toujours. On s\u2019en souvient. Comme c\u2019est original !<\/p>", "content_text": "L\u2019originalit\u00e9, c\u2019est quoi ? Une sacr\u00e9e pr\u00e9occupation, avant tout, pour les jeunes peintres ou pas. Pour les amoureux \u00e9perdus dans une passion toute neuve. C\u2019est tr\u00e8s exag\u00e9r\u00e9 tout \u00e7a. M\u00eame si, pendant un instant, \u00e7a fait du bien, \u00e7a nous place sur des \u00e9chasses \u00e0 contempler le bas-monde en dessous. \u00c7a peut m\u00eame souvent faire glisser vers le m\u00e9pris, je l\u2019ai constat\u00e9 maintes fois. \u00c0 force de d\u00e9tester le familier, il est possible qu\u2019il revienne soudain au galop. Qu\u2019il se rev\u00eate de tout l\u2019apparat de l\u2019original \u00e0 nos yeux aveugl\u00e9s par l\u2019absurdit\u00e9 de tous les renouveaux. Un soleil en chocolat qui fond dans l\u2019\u0153il et qui, une fois qu\u2019il l\u2019aveugle pour de bon, nous fasse chialer. L\u2019originalit\u00e9, ce n\u2019est peut-\u00eatre rien d\u2019autre que du familier retrouv\u00e9. Du familier aval\u00e9, mal dig\u00e9r\u00e9, qu\u2019on r\u00e9gurgite. Un petit tas de vomi \u00e0 trifouiller quand on n\u2019a plus rien d\u2019autre \u00e0 b\u00e9queter, \u00e0 b\u00e9coter. M\u00eame les \u00e9pluchures peuvent constituer d\u2019excellents mets, vous savez. Quand on n\u2019a plus la force de ramer pour payer les l\u00e9gumes, de se baisser pour les attraper dans les cageots d\u00e9fonc\u00e9s en fin de march\u00e9. On r\u00e9cup\u00e8re les \u00e9pluchures, dans une anorexie qui tombe \u00e0 pic, et on invente, voil\u00e0 tout. Les \u00e9pluchures, c\u2019est moins lourd \u00e0 trimballer. Personne n\u2019en veut, personne ne viendra les jalouser, les d\u00e9rober. On ne sera pas envi\u00e9. On cuisine et on go\u00fbte. Ce n\u2019est pas mauvais, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit go\u00fbteux. Du moins \u00e0 la premi\u00e8re cuiller\u00e9e. Le palais est encore encombr\u00e9 de souvenirs insistants, occup\u00e9 par la comparaison. C\u2019est la faim qui commande cependant. Le biologique, la survie. On entre dans une habitude comme on p\u00e9n\u00e8tre dans les miracles, sans bien s\u2019en rendre compte. La gratitude est de l\u2019ordre du superflu. C\u2019est par inadvertance qu\u2019on s\u2019en rend compte. Une pure inadvertance par laquelle toute pens\u00e9e et tout point de vue habituel s\u2019\u00e9chappent. On se retrouve la langue nue. Et l\u00e0, le go\u00fbt de la patate, de la courgette, du navet naissent enfin pour de bon. Tout comme soi-m\u00eame. Simultan\u00e9it\u00e9 et r\u00e9ciprocit\u00e9. L\u2019\u00e9pluchure nous rend \u00e0 la fois au l\u00e9gume, au fruit, et \u00e0 la vie. Alors, c\u2019est bien \u00e9trange de constater \u00e0 cet instant \u00e0 quel point l\u2019originalit\u00e9 et le familier se confondent dans l\u2019\u00eatre. Que tout cela, dans le fond, on le sait depuis toujours. On peut enfin se rendre compte de l\u2019\u00e9cart dans une solitude immense et apais\u00e9e par tous les autres encore en route pour venir s\u2019asseoir \u00e0 notre table. Peu importe le temps que \u00e7a prendra, il y aura toujours de quoi. La v\u00e9ritable abondance est l\u00e0, depuis toujours. On s\u2019en souvient. Comme c\u2019est original !", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/faire-confiance.jpg?1748065153", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-janvier-2021.html", "title": "16 janvier 2021", "date_published": "2021-01-16T15:49:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:05:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "