{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/peinture-capitale-iconoclaste-du-21-eme-siecle.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/peinture-capitale-iconoclaste-du-21-eme-siecle.html", "title": "Peinture, capitale iconoclaste du 21 \u00e8me si\u00e8cle.", "date_published": "2022-07-22T04:28:32Z", "date_modified": "2025-09-19T00:18:42Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
<\/p>\n
Une ville qui serait l\u2019image d\u2019une ville, une image capitale d\u00e9truisant toute id\u00e9e de Capitale.<\/p>\n
Introduction \u00e0 la constitution d\u2019une table des mati\u00e8res.<\/p>\n
Toute cette fantasmagorie d\u00e9sormais, comme toujours, qui recouvre le mot peinture. M\u00eame la peinture en b\u00e2timent. Il s\u2019agirait pour avancer, c\u2019est \u00e0 dire peindre, de la rep\u00e9rer, de prendre au moins conscience de son impact sur le peintre comme sur la soci\u00e9t\u00e9 enti\u00e8re. Puis de la d\u00e9poser de son pi\u00e9destal, imaginaire tout autant.<\/p>\n
Pour reprendre une phrase de Walter Benjamin au d\u00e9but de Paris Capitale du 19eme si\u00e8cle<\/strong>, lorsqu\u2019il \u00e9voque l\u2019essence de l\u2019histoire au 19eme si\u00e8cle via Schopenhauer :<\/p>\n « L’OBJET de ce livre est une illusion exprim\u00e9e par Schopenhauer, dans cette formule que pour saisir l’essence de l’histoire il suffit de comparer H\u00e9rodote et la presse du matin. C’est l\u00e0 l’expression de la sensation de vertige caract\u00e9ristique pour la conception que le si\u00e8cle dernier se faisait de l’histoire. Elle correspond \u00e0 un point de vue qui compose le cours du monde d’une s\u00e9rie illimit\u00e9e de faits fig\u00e9s sous forme de choses. Le r\u00e9sidu caract\u00e9ristique de cette conception est ce qu’on a appel\u00e9 “l’Histoire de la Civilisation”, qui fait l’inventaire des formes de vie et des cr\u00e9ations de l’humanit\u00e9 point par point. Les richesses qui se trouvent ainsi collectionn\u00e9es dans l’aerarium de la civilisation apparaissent d\u00e9sormais comme identifi\u00e9es pour toujours. Cette conception fait bon march\u00e9 du fait qu’elles doivent non seulement leur existence mais encore leur transmission \u00e0 un effort constant de la soci\u00e9t\u00e9, un effort par o\u00f9 ces richesses se trouvent par surcro\u00eet \u00e9trangement alt\u00e9r\u00e9es. Notre enqu\u00eate se propose de montrer comment par suite de cette repr\u00e9sentation chosiste de la civilisation, les formes de vie nouvelle et les nouvelles cr\u00e9ations \u00e0 base \u00e9conomique et technique que nous devons au si\u00e8cle dernier entrent dans l’univers d’une fantasmagorie. Ces cr\u00e9ations « subissent cette “illumination” non pas seulement de mani\u00e8re th\u00e9orique, par une transposition id\u00e9ologique, mais bien dans l’imm\u00e9diatet\u00e9 de la pr\u00e9sence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories. »<\/p>\n Extrait de<\/p>\n Paris, capitale du XIXe si\u00e8cle<\/p>\n Walter BENJAMIN<\/p>\n<\/blockquote>\n S\u2019il fallait d\u00e9sormais imaginer une « capitale » de la peinture c\u2019est \u00e0 dire quelque chose d\u2019assez proche de l\u2019id\u00e9e premi\u00e8re que nous nous faisons aussit\u00f4t du mot, comme celle d\u2019une ville en t\u00eate de nombreuses autres quel en serait le plan, la table des mati\u00e8res, la structure,<\/p>\n Le fragment, l\u2019accumulation de fragments par th\u00e8mes et cat\u00e9gories, par mots clefs, semble \u00eatre d\u00e9sormais une solution viable, non pour pr\u00e9senter l\u2019exhaustivit\u00e9 d\u2019ailleurs fallacieuse d\u2019une nouvelle « exposition universelle » mais pour montrer au visiteur l\u2019absurdit\u00e9 d\u2019un tel but. Celui l\u00e0 m\u00eame qui perp\u00e9tuerait l\u2019illusion d\u2019exhaustivit\u00e9.<\/p>\n Tout au contraire par la multiplicit\u00e9 des th\u00e8mes, des cat\u00e9gories, des fragments indiquer la pr\u00e9sence d\u2019une histoire pr\u00e9sente depuis toujours mais occult\u00e9e car tordue, utilis\u00e9e par une minorit\u00e9 qui se sert du mot histoire comme du mot peinture, du mot Art pour prot\u00e9ger ses privil\u00e8ges, ses mensonges, comme un capital dont elle ne poss\u00e8de nul d\u00e9sir d,en d\u00e9voiler les tenants et aboutissants.<\/p>\n Des premi\u00e8res peintures rupestres jusqu\u2019au graffitis, le street art d\u2019aujourd\u2019hui il serait int\u00e9ressant de revenir aux faits, \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 objective, si tant est qu\u2019on puisse ne pas consid\u00e9rer cette objectivit\u00e9 comme une nouvelle fantasmagorie.<\/p>\n Quelle ville pourrait tenir lieu de Capitale de la peinture\u2026 aucune de toutes celles qui par r\u00e9flexe nous viendraient aussit\u00f4t \u00e0 l\u2019esprit. Ni Paris, ni New York, ni Tokyo ni Shanghai, pas m\u00eame Venise ni Florence,. Aucune de ces villes ne laisse un espace suffisamment « vierge » de toute fantasmagorie pour \u00eatre le creuset d\u2019une histoire diff\u00e9rente de toutes les autres \u00e0 propos de la peinture.<\/p>\n Pour la constitution d\u2019un tel ouvrage le format du livre serait presque aussit\u00f4t risible. Le livre tel qu\u2019on l\u2019aurait imagin\u00e9 jusqu\u2019ici en tant qu\u2019objet que l\u2019on pourrait s\u2019approprier afin de l\u2019avoir dans une biblioth\u00e8que. Puis que l\u2019on pourrait v\u00e9n\u00e9rer comme on v\u00e9n\u00e9rait autrefois les mannes et les idoles.<\/p>\n Internet pourrait \u00eatre un bon support dans ce qu\u2019il propose une image assez fid\u00e8le \u00e0 la monstruosit\u00e9 d\u2019un tel projet. Un site qui, a chaque fois qu\u2019on y p\u00e9n\u00e9trerait on en serait aussit\u00f4t comme expuls\u00e9 par la puissance de ses possibilit\u00e9s analogiques. Dont les id\u00e9es se propageraient comme autant de tra\u00een\u00e9es de poudre dans l\u2019\u0153il du lecteur, et qui en ferait ainsi le co cr\u00e9ateur anonyme.<\/p>\n Un site sur la peinture mais iconoclaste dans l\u2019id\u00e9e de d\u00e9truire des on dit, des rumeurs, des fables, en un mot l\u2019outil favori d\u2019un syst\u00e8me arrivant \u00e0 son terme et dont la survie ne tient qu\u2019aux images qu\u2019il d\u00e9tourne, iconoclaste lui-m\u00eame, selon son bon vouloir, son profit.<\/p>",
"content_text": "\n\nUne ville qui serait l\u2019image d\u2019une ville, une image capitale d\u00e9truisant toute id\u00e9e de Capitale.\n\nIntroduction \u00e0 la constitution d\u2019une table des mati\u00e8res.\n\nToute cette fantasmagorie d\u00e9sormais, comme toujours, qui recouvre le mot peinture. M\u00eame la peinture en b\u00e2timent. Il s\u2019agirait pour avancer, c\u2019est \u00e0 dire peindre, de la rep\u00e9rer, de prendre au moins conscience de son impact sur le peintre comme sur la soci\u00e9t\u00e9 enti\u00e8re. Puis de la d\u00e9poser de son pi\u00e9destal, imaginaire tout autant.\n\nPour reprendre une phrase de Walter Benjamin au d\u00e9but de Paris Capitale du 19eme si\u00e8cle, lorsqu\u2019il \u00e9voque l\u2019essence de l\u2019histoire au 19eme si\u00e8cle via Schopenhauer : \n\n\u00ab L'OBJET de ce livre est une illusion exprim\u00e9e par Schopenhauer, dans cette formule que pour saisir l'essence de l'histoire il suffit de comparer H\u00e9rodote et la presse du matin. C'est l\u00e0 l'expression de la sensation de vertige caract\u00e9ristique pour la conception que le si\u00e8cle dernier se faisait de l'histoire. Elle correspond \u00e0 un point de vue qui compose le cours du monde d'une s\u00e9rie illimit\u00e9e de faits fig\u00e9s sous forme de choses. Le r\u00e9sidu caract\u00e9ristique de cette conception est ce qu'on a appel\u00e9 \u201cl'Histoire de la Civilisation\u201d, qui fait l'inventaire des formes de vie et des cr\u00e9ations de l'humanit\u00e9 point par point. Les richesses qui se trouvent ainsi collectionn\u00e9es dans l'aerarium de la civilisation apparaissent d\u00e9sormais comme identifi\u00e9es pour toujours. Cette conception fait bon march\u00e9 du fait qu'elles doivent non seulement leur existence mais encore leur transmission \u00e0 un effort constant de la soci\u00e9t\u00e9, un effort par o\u00f9 ces richesses se trouvent par surcro\u00eet \u00e9trangement alt\u00e9r\u00e9es. Notre enqu\u00eate se propose de montrer comment par suite de cette repr\u00e9sentation chosiste de la civilisation, les formes de vie nouvelle et les nouvelles cr\u00e9ations \u00e0 base \u00e9conomique et technique que nous devons au si\u00e8cle dernier entrent dans l'univers d'une fantasmagorie. Ces cr\u00e9ations \u00ab subissent cette \u201cillumination\u201d non pas seulement de mani\u00e8re th\u00e9orique, par une transposition id\u00e9ologique, mais bien dans l'imm\u00e9diatet\u00e9 de la pr\u00e9sence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories. \u00bb\n\nExtrait de \n\nParis, capitale du XIXe si\u00e8cle\n\nWalter BENJAMIN\n\nS\u2019il fallait d\u00e9sormais imaginer une \u00ab capitale \u00bb de la peinture c\u2019est \u00e0 dire quelque chose d\u2019assez proche de l\u2019id\u00e9e premi\u00e8re que nous nous faisons aussit\u00f4t du mot, comme celle d\u2019une ville en t\u00eate de nombreuses autres quel en serait le plan, la table des mati\u00e8res, la structure, \n\nLe fragment, l\u2019accumulation de fragments par th\u00e8mes et cat\u00e9gories, par mots clefs, semble \u00eatre d\u00e9sormais une solution viable, non pour pr\u00e9senter l\u2019exhaustivit\u00e9 d\u2019ailleurs fallacieuse d\u2019une nouvelle \u00ab exposition universelle \u00bb mais pour montrer au visiteur l\u2019absurdit\u00e9 d\u2019un tel but. Celui l\u00e0 m\u00eame qui perp\u00e9tuerait l\u2019illusion d\u2019exhaustivit\u00e9. \n\nTout au contraire par la multiplicit\u00e9 des th\u00e8mes, des cat\u00e9gories, des fragments indiquer la pr\u00e9sence d\u2019une histoire pr\u00e9sente depuis toujours mais occult\u00e9e car tordue, utilis\u00e9e par une minorit\u00e9 qui se sert du mot histoire comme du mot peinture, du mot Art pour prot\u00e9ger ses privil\u00e8ges, ses mensonges, comme un capital dont elle ne poss\u00e8de nul d\u00e9sir d,en d\u00e9voiler les tenants et aboutissants. \n\nDes premi\u00e8res peintures rupestres jusqu\u2019au graffitis, le street art d\u2019aujourd\u2019hui il serait int\u00e9ressant de revenir aux faits, \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 objective, si tant est qu\u2019on puisse ne pas consid\u00e9rer cette objectivit\u00e9 comme une nouvelle fantasmagorie.\n\nQuelle ville pourrait tenir lieu de Capitale de la peinture\u2026 aucune de toutes celles qui par r\u00e9flexe nous viendraient aussit\u00f4t \u00e0 l\u2019esprit. Ni Paris, ni New York, ni Tokyo ni Shanghai, pas m\u00eame Venise ni Florence,. Aucune de ces villes ne laisse un espace suffisamment \u00ab vierge \u00bb de toute fantasmagorie pour \u00eatre le creuset d\u2019une histoire diff\u00e9rente de toutes les autres \u00e0 propos de la peinture.\n\nPour la constitution d\u2019un tel ouvrage le format du livre serait presque aussit\u00f4t risible. Le livre tel qu\u2019on l\u2019aurait imagin\u00e9 jusqu\u2019ici en tant qu\u2019objet que l\u2019on pourrait s\u2019approprier afin de l\u2019avoir dans une biblioth\u00e8que. Puis que l\u2019on pourrait v\u00e9n\u00e9rer comme on v\u00e9n\u00e9rait autrefois les mannes et les idoles.\n\nInternet pourrait \u00eatre un bon support dans ce qu\u2019il propose une image assez fid\u00e8le \u00e0 la monstruosit\u00e9 d\u2019un tel projet. Un site qui, a chaque fois qu\u2019on y p\u00e9n\u00e9trerait on en serait aussit\u00f4t comme expuls\u00e9 par la puissance de ses possibilit\u00e9s analogiques. Dont les id\u00e9es se propageraient comme autant de tra\u00een\u00e9es de poudre dans l\u2019\u0153il du lecteur, et qui en ferait ainsi le co cr\u00e9ateur anonyme.\n\nUn site sur la peinture mais iconoclaste dans l\u2019id\u00e9e de d\u00e9truire des on dit, des rumeurs, des fables, en un mot l\u2019outil favori d\u2019un syst\u00e8me arrivant \u00e0 son terme et dont la survie ne tient qu\u2019aux images qu\u2019il d\u00e9tourne, iconoclaste lui-m\u00eame, selon son bon vouloir, son profit.",
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"title": "L'horrible et le merveilleux Reprise",
"date_published": "2022-07-18T04:15:22Z",
"date_modified": "2025-11-03T15:05:27Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " L\u2019horrible, ce vieux mot, veut dire beaucoup plus que terrible. Un affreux accident comme celui-l\u00e0 \u00e9meut, bouleverse, effare : il n\u2019affole pas. Pour qu\u2019on \u00e9prouve l\u2019horreur il faut plus que l\u2019\u00e9motion de l\u2019\u00e2me et plus que le spectacle d\u2019un mort affreux, il faut, soit un frisson de myst\u00e8re, soit une sensation d\u2019\u00e9pouvante anormale, hors nature. Un homme qui meurt, m\u00eame dans les conditions les plus dramatiques, ne fait pas horreur ; un champ de bataille n\u2019est pas horrible ; le sang n\u2019est pas horrible ; les crimes les plus vils sont rarement horribles. Guy de Maupassant, l\u2019horrible Texte publi\u00e9 dans Le Gaulois du 18 mai 1884, puis publi\u00e9 dans le recueil posthume Le colporteur (pp. 181-196).<\/p>\n ------------------------------------------------\u2013<\/p>\n \u00c9tymologiquement, le merveilleux est un effet litt\u00e9raire provoquant chez le lecteur (ou le spectateur) une impression m\u00eal\u00e9e de surprise et d\u2019admiration. Dans la pratique, on ne peut pas en rester l\u00e0. La rh\u00e9torique classique limitait le merveilleux \u00e0 l\u2019intervention du surnaturel dans le r\u00e9cit et le d\u00e9crivait comme un ensemble de proc\u00e9d\u00e9s, ce qui a contribu\u00e9 \u00e0 le rejeter hors du cr\u00e9dible et finalement hors de l\u2019\u00e9criture. Une tendance plus r\u00e9cente l\u2019identifie \u00e0 cet \u00e9clair de ferveur qui est au c\u0153ur de toute exp\u00e9rience humaine : il en vient \u00e0 d\u00e9signer une qualit\u00e9 de pr\u00e9sence de l\u2019homme au monde et du monde \u00e0 l\u2019homme. Ou bien on finit par tout lui refuser, ou bien on finit par tout lui accorder. Il lui manque apparemment cette propri\u00e9t\u00e9 essentielle des concepts : occuper un champ d\u00e9termin\u00e9. Mais le probl\u00e8me est sans doute moins la contradiction dans les termes que le gouffre qui s\u00e9pare deux strat\u00e9gies d\u00e9finitionnelles : d\u2019un c\u00f4t\u00e9, un discours scolaire ; de l\u2019autre, une parole de l\u2019ineffable. Ces postures intellectuelles d\u00e9signent implicitement le m\u00eame point aveugle de nos constructions mentales : l\u00e0 o\u00f9 la poi\u00e8sis impuissante \u00e0 d\u00e9crire se r\u00e9fugie dans le montrer et au bout du compte montre seulement qu\u2019il y a du cach\u00e9, de l\u2019obscur. Le merveilleux nous fait acquiescer \u00e0 l\u2019impensable : c\u2019est peut-\u00eatre le point commun entre Aristote \u2013 qui pr\u00e9sente le thaumaston comme une r\u00e9cup\u00e9ration de l\u2019irrationnel par le vraisemblable \u2013, les th\u00e9oriciens de la Renaissance \u2013 qui cherchent un terrain d\u2019\u00e9quilibre entre le surnaturel et l\u2019ornement \u2013 et les modernes \u2013 qui, dans nos soci\u00e9t\u00e9s de simulation, r\u00e9actualisent le merveilleux comme rayonnement des possibles et clairi\u00e8re ouverte par l\u2019art dans le retrait de Dieu, de la v\u00e9rit\u00e9 et du monde. Encyclop\u00e9die Universalis<\/p>\n Tout serait arriv\u00e9 progressivement, par petites touches, comme un tableau \u00e9labor\u00e9 patiemment, jusqu\u2019\u00e0 ce jour d\u2019aout 1988, en fin d\u2019apr\u00e8s-midi, o\u00f9 je redescendais la rue Custine apr\u00e8s une longue promenade sans but. Je me mis \u00e0 penser soudain \u00e0 la Gr\u00e8ce et particuli\u00e8rement aux iles Cyclades et peu \u00e0 peu je fomentais le projet de me tirer de toute urgence si possible l\u00e0 bas.<\/p>\n Parvenu dans mon gourbi, une piaule de 3 par 3 crasseuse, au 4\u00e8me \u00e9tage d\u2019un h\u00f4tel borgne, rue des poissonniers, je m\u2019allongeais sur ma paillasse et fermais les yeux pour me calmer, compter mes respirations tant l\u2019excitation m\u2019avait gagn\u00e9.<\/p>\n Partir en Gr\u00e8ce, aller vers le soleil et la mer et les monts chauves ponctu\u00e9s \u00e7a et l\u00e0 de petits buissons et d\u2019oliviers repr\u00e9sentait plus qu\u2019un simple voyage d\u2019agr\u00e9ment. Et \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir aujourd\u2019hui, je crois que j\u2019aurais aim\u00e9 me rendre l\u00e0 bas par tous les moyens possibles et en finir en beaut\u00e9.<\/p>\n Soit en me jetant du haut d\u2019une falaise pour m\u2019\u00e9teindre dans la mer vineuse, de fa\u00e7on tout \u00e0 fait th\u00e9\u00e2trale, soit en me retirant sur je ne sais quel ersatz d\u2019un Olympe imaginaire et me vider de toute substance, peu \u00e0 peu en jeunant, afin de rejoindre, sec comme un coup de trique, l\u2019ineffable.<\/p>\n J\u2019avais \u00e0 cot\u00e9 de moi ma bible, « Les mythes grecs » de l\u2019excellent Robert Graves dans laquelle je piochais en cas de disette, ou quand la solitude s\u2019avan\u00e7ait dans un \u00e9tat de d\u00e9composition un peu trop avanc\u00e9e.<\/p>\n Et l\u00e0 je relu le mythe d\u2019Eurynom\u00e9e la d\u00e9esse qui danse sur les flots dans une lascivit\u00e9 aga\u00e7ante et un d\u00e9s\u0153uvrement quasi absolu et qui r\u00e9sout son probl\u00e8me en se laissant f\u00e9conder par le vent Bor\u00e9e.<\/p>\n De cette union na\u00eet un \u0153uf sans que l\u2019on s\u2019interroge sur un tel r\u00e9sultat de trop \u00e0 la lecture. Et comme les deux amants viennent de se rencontrer, qu\u2019ils veulent profiter tout leurs saoul de ce bonheur, ils confient l\u2019\u0153uf au serpent Ophion, qui par hasard \u00e9videmment passe dans le coin au bon moment.<\/p>\n Ce dernier pas bien malin finit par se vanter par ci par l\u00e0 d\u2019\u00eatre le g\u00e9niteur si bien qu\u2019il agace un peu tout le monde et qu\u2019il re\u00e7oit un coup de talon dans les gencives, lanc\u00e9 par la d\u00e9esse en question qui r\u00e9cup\u00e8re son bien dans la foul\u00e9e.<\/p>\n C\u2019est exactement ainsi que sont n\u00e9es les iles Cyclades, ce sont les dents perdues un peu partout dans la mer d\u2019un hurluberlu reptilien qui la ramenait un peu trop selon le gout des dieux et des d\u00e9esses.<\/p>\n Evidemment il y a comme pour toute bonne histoire divers niveaux de lecture et des questions surtout \u00e0 n\u2019en plus finir.<\/p>\n Qui donc \u00e9tait cette Eurynom\u00e9e et pourquoi dansait t\u2019elle sur l\u2019eau et non au bal des pompiers comme il se doit ?<\/p>\n Qui \u00e9tait ce vent Bor\u00e9e et comment le vent peut il f\u00e9conder quoi que ce soit ?<\/p>\n Et pourquoi donc un \u0153uf ?<\/p>\n Un \u0153uf que l\u2019on remet \u00e0 un serpent de surcroit pour qu\u2019il le couve.<\/p>\n Soudain allez savoir pourquoi je me suis souvenu de vieux textes lus dans Lovecraft et dans lesquels un narrateur relate toujours une d\u00e9couverte qu\u2019il vient de faire de lettres, ou d\u2019un vieux manuscrit trouv\u00e9 par une de ses connaissances \u00e9vapor\u00e9e la plupart du temps.<\/p>\n Cela parle de mondes obscurs, d\u2019un savoir perdu, de monstrueuses structures architecturales qui ne sont pas b\u00e2ties par la main humaine, bref : de mythes totalement absconses pour nous autres contemporains et il r\u00e9sulte \u00e0 chaque fois une sensation bizarre qui se situe entre l\u2019effroi et le merveilleux.<\/p>\n C\u2019\u00e9tait aussi cette sensation qui me tenaillait tandis que les yeux encore ferm\u00e9s je songeais \u00e0 ce voyage en Gr\u00e8ce, je songeais au merveilleux dans lequel mon imaginaire enveloppait ce p\u00e9riple tout en tenant en joue dans un recoin de mon esprit mon but v\u00e9ritable qui \u00e9tait de crever purement et simplement, autant que ce soit possible.<\/p>\n Ce paradoxe me fit ouvrir les yeux et apercevoir les dizaines de cafards qui cavalaient all\u00e8grement sur le papier peint des murs de la chambre. Une fr\u00e9n\u00e9sie affolante envers laquelle j\u2019\u00e9tais peu \u00e0 peu par habitude et par lassitude devenu presque totalement indiff\u00e9rent.<\/p>\n D\u2019un bond je me suis lev\u00e9 et muni de ma petite pelle en plastique j\u2019entrepris soudain de les \u00e9crabouiller les uns apr\u00e8s les autres dans une chor\u00e9graphie certainement totalement ridicule. Mais le cafard n\u2019est pas b\u00eate, il progresse d\u2019autant plus vite que l\u2019information du danger vient se loger entre ses deux antennes.<\/p>\n Soudain j\u2019aper\u00e7us ma t\u00eate dans le petit miroir au dessus du lavabo et je vis que je m\u2019\u00e9tais \u00e9gar\u00e9.<\/p>\n Comment peut on ainsi passer des iles Cyclades au ridicule achev\u00e9 me demandais je\u2026<\/p>\n Accabl\u00e9 j\u2019eus une envie de pleurer, totalement d\u00e9muni vis \u00e0 vis de ce choc qui continuait \u00e0 se propager en moi, je veux parler de cette fa\u00e7on qu\u2019\u00e0 le merveilleux de sauter du coq \u00e0 l\u2019\u00e2ne chez moi pour arriver \u00e0 l\u2019horrible, \u00e0 ce degr\u00e9 suppl\u00e9mentaire de l\u2019effroi.<\/p>\n Je pleurais donc autant qu\u2019il me l\u2019\u00e9tait encore possible tout en continuant \u00e9trangement \u00e0 observer la sc\u00e8ne. Comme si nous \u00e9tions deux finalement. L\u2019un qui vit comme il peut ce qu\u2019il doit vivre, et l\u2019autre qui l\u2019observe.<\/p>\n Cette clart\u00e9 soudaine concernant mon propre d\u00e9doublement m\u2019en boucha un coin.<\/p>\n J\u2019attrapais un mouchoir, s\u00e9chait mes larmes, puis comme si j\u2019avais accompli une chose prodigieuse, j\u2019eus faim.<\/p>\n Je me fis des pates et assis sur le lit avalais la gamelle enti\u00e8re tout en r\u00e9fl\u00e9chissant.<\/p>\n Le ventre plein et l\u2019esprit vide je pus enfin m\u2019allonger de nouveau et dormir quelques heures.<\/p>\n Evidemment je me r\u00e9veillai en pleine nuit, quelque chose grattait le mur et ce devait \u00eatre ce bruit qui m\u2019avait extrait peu \u00e0 peu de mon sommeil. Je pensais naturellement aux arm\u00e9es de cafards arpentant, cavalant, galopant sur les murs de la cambuse, mais c\u2019\u00e9tait trop fort pour que je retienne cette hypoth\u00e8se.<\/p>\n Soudain il y eu des coups sourds qui provenaient de derri\u00e8re le mur. Comme ceux d\u2019une horloge \u00e9touff\u00e9e.<\/p>\n Machinalement je me mis \u00e0 les compter, il y en eu 13.<\/p>\n C\u2019\u00e9tait ma voisine de palier, insomniaque et totalement cingl\u00e9e qui \u00e9tait revenue de sa vir\u00e9e quotidienne. C\u2019\u00e9tait aussi le code entre nous pour m\u2019avertir qu\u2019elle \u00e9tait rentr\u00e9e et que nous pouvions nous retrouver pour boire un th\u00e9.<\/p>\n Je me levais donc, enfilais quelques v\u00eatements \u00e0 la h\u00e2te et j\u2019allais traverser l\u2019espace dans le couloir entre nos deux portes lorsque je restais bouche b\u00e9e.<\/p>\n Tout avait disparu, je surplombais un gouffre immense qui s\u2019ouvrait \u00e0 l\u2019infini de tous c\u00f4t\u00e9s, et une fois de plus je pus observer tr\u00e8s attentivement comment l\u2019inqui\u00e9tude comme un ruisseau se rend vers l\u2019abime oc\u00e9anique de l\u2019effroi.<\/p>\n C\u2019est exactement \u00e0 ce moment l\u00e0 que j\u2019entendis une m\u00e9lop\u00e9e, sans doute celle du vent, et que je devins soudain Eurynom\u00e9e la d\u00e9s\u0153uvr\u00e9e magistrale, des ailes me pouss\u00e8rent presque aussit\u00f4t et d\u2019un l\u00e9ger coup de talon je quittais le seuil de la raison pour m\u2019envoler vers la plus merveilleuse des sensations, celle de pondre un \u0153uf.<\/p>\n Lost in the horizon 80x80 cm huile sur toile Patrick Blanchon <\/p>",
"content_text": " L\u2019horrible, ce vieux mot, veut dire beaucoup plus que terrible. Un affreux accident comme celui-l\u00e0 \u00e9meut, bouleverse, effare : il n\u2019affole pas. Pour qu\u2019on \u00e9prouve l\u2019horreur il faut plus que l\u2019\u00e9motion de l\u2019\u00e2me et plus que le spectacle d\u2019un mort affreux, il faut, soit un frisson de myst\u00e8re, soit une sensation d\u2019\u00e9pouvante anormale, hors nature. Un homme qui meurt, m\u00eame dans les conditions les plus dramatiques, ne fait pas horreur ; un champ de bataille n\u2019est pas horrible ; le sang n\u2019est pas horrible ; les crimes les plus vils sont rarement horribles. Guy de Maupassant, l\u2019horrible Texte publi\u00e9 dans Le Gaulois du 18 mai 1884, puis publi\u00e9 dans le recueil posthume Le colporteur (pp. 181-196). \u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2013 \u00c9tymologiquement, le merveilleux est un effet litt\u00e9raire provoquant chez le lecteur (ou le spectateur) une impression m\u00eal\u00e9e de surprise et d\u2019admiration. Dans la pratique, on ne peut pas en rester l\u00e0. La rh\u00e9torique classique limitait le merveilleux \u00e0 l\u2019intervention du surnaturel dans le r\u00e9cit et le d\u00e9crivait comme un ensemble de proc\u00e9d\u00e9s, ce qui a contribu\u00e9 \u00e0 le rejeter hors du cr\u00e9dible et finalement hors de l\u2019\u00e9criture. Une tendance plus r\u00e9cente l\u2019identifie \u00e0 cet \u00e9clair de ferveur qui est au c\u0153ur de toute exp\u00e9rience humaine : il en vient \u00e0 d\u00e9signer une qualit\u00e9 de pr\u00e9sence de l\u2019homme au monde et du monde \u00e0 l\u2019homme. Ou bien on finit par tout lui refuser, ou bien on finit par tout lui accorder. Il lui manque apparemment cette propri\u00e9t\u00e9 essentielle des concepts : occuper un champ d\u00e9termin\u00e9. Mais le probl\u00e8me est sans doute moins la contradiction dans les termes que le gouffre qui s\u00e9pare deux strat\u00e9gies d\u00e9finitionnelles : d\u2019un c\u00f4t\u00e9, un discours scolaire ; de l\u2019autre, une parole de l\u2019ineffable. Ces postures intellectuelles d\u00e9signent implicitement le m\u00eame point aveugle de nos constructions mentales : l\u00e0 o\u00f9 la poi\u00e8sis impuissante \u00e0 d\u00e9crire se r\u00e9fugie dans le montrer et au bout du compte montre seulement qu\u2019il y a du cach\u00e9, de l\u2019obscur. Le merveilleux nous fait acquiescer \u00e0 l\u2019impensable : c\u2019est peut-\u00eatre le point commun entre Aristote \u2013 qui pr\u00e9sente le thaumaston comme une r\u00e9cup\u00e9ration de l\u2019irrationnel par le vraisemblable \u2013, les th\u00e9oriciens de la Renaissance \u2013 qui cherchent un terrain d\u2019\u00e9quilibre entre le surnaturel et l\u2019ornement \u2013 et les modernes \u2013 qui, dans nos soci\u00e9t\u00e9s de simulation, r\u00e9actualisent le merveilleux comme rayonnement des possibles et clairi\u00e8re ouverte par l\u2019art dans le retrait de Dieu, de la v\u00e9rit\u00e9 et du monde. Encyclop\u00e9die Universalis \u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014\u2014 Tout serait arriv\u00e9 progressivement, par petites touches, comme un tableau \u00e9labor\u00e9 patiemment, jusqu\u2019\u00e0 ce jour d\u2019aout 1988, en fin d\u2019apr\u00e8s-midi, o\u00f9 je redescendais la rue Custine apr\u00e8s une longue promenade sans but. Je me mis \u00e0 penser soudain \u00e0 la Gr\u00e8ce et particuli\u00e8rement aux iles Cyclades et peu \u00e0 peu je fomentais le projet de me tirer de toute urgence si possible l\u00e0 bas. Parvenu dans mon gourbi, une piaule de 3 par 3 crasseuse, au 4\u00e8me \u00e9tage d\u2019un h\u00f4tel borgne, rue des poissonniers, je m\u2019allongeais sur ma paillasse et fermais les yeux pour me calmer, compter mes respirations tant l\u2019excitation m\u2019avait gagn\u00e9. Partir en Gr\u00e8ce, aller vers le soleil et la mer et les monts chauves ponctu\u00e9s \u00e7a et l\u00e0 de petits buissons et d\u2019oliviers repr\u00e9sentait plus qu\u2019un simple voyage d\u2019agr\u00e9ment. Et \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir aujourd\u2019hui, je crois que j\u2019aurais aim\u00e9 me rendre l\u00e0 bas par tous les moyens possibles et en finir en beaut\u00e9. Soit en me jetant du haut d\u2019une falaise pour m\u2019\u00e9teindre dans la mer vineuse, de fa\u00e7on tout \u00e0 fait th\u00e9\u00e2trale, soit en me retirant sur je ne sais quel ersatz d\u2019un Olympe imaginaire et me vider de toute substance, peu \u00e0 peu en jeunant, afin de rejoindre, sec comme un coup de trique, l\u2019ineffable. J\u2019avais \u00e0 cot\u00e9 de moi ma bible, \u00ab Les mythes grecs \u00bb de l\u2019excellent Robert Graves dans laquelle je piochais en cas de disette, ou quand la solitude s\u2019avan\u00e7ait dans un \u00e9tat de d\u00e9composition un peu trop avanc\u00e9e. Et l\u00e0 je relu le mythe d\u2019Eurynom\u00e9e la d\u00e9esse qui danse sur les flots dans une lascivit\u00e9 aga\u00e7ante et un d\u00e9s\u0153uvrement quasi absolu et qui r\u00e9sout son probl\u00e8me en se laissant f\u00e9conder par le vent Bor\u00e9e. De cette union na\u00eet un \u0153uf sans que l\u2019on s\u2019interroge sur un tel r\u00e9sultat de trop \u00e0 la lecture. Et comme les deux amants viennent de se rencontrer, qu\u2019ils veulent profiter tout leurs saoul de ce bonheur, ils confient l\u2019\u0153uf au serpent Ophion, qui par hasard \u00e9videmment passe dans le coin au bon moment. Ce dernier pas bien malin finit par se vanter par ci par l\u00e0 d\u2019\u00eatre le g\u00e9niteur si bien qu\u2019il agace un peu tout le monde et qu\u2019il re\u00e7oit un coup de talon dans les gencives, lanc\u00e9 par la d\u00e9esse en question qui r\u00e9cup\u00e8re son bien dans la foul\u00e9e. C\u2019est exactement ainsi que sont n\u00e9es les iles Cyclades, ce sont les dents perdues un peu partout dans la mer d\u2019un hurluberlu reptilien qui la ramenait un peu trop selon le gout des dieux et des d\u00e9esses. Evidemment il y a comme pour toute bonne histoire divers niveaux de lecture et des questions surtout \u00e0 n\u2019en plus finir. Qui donc \u00e9tait cette Eurynom\u00e9e et pourquoi dansait t\u2019elle sur l\u2019eau et non au bal des pompiers comme il se doit ? Qui \u00e9tait ce vent Bor\u00e9e et comment le vent peut il f\u00e9conder quoi que ce soit ? Et pourquoi donc un \u0153uf ? Un \u0153uf que l\u2019on remet \u00e0 un serpent de surcroit pour qu\u2019il le couve. Soudain allez savoir pourquoi je me suis souvenu de vieux textes lus dans Lovecraft et dans lesquels un narrateur relate toujours une d\u00e9couverte qu\u2019il vient de faire de lettres, ou d\u2019un vieux manuscrit trouv\u00e9 par une de ses connaissances \u00e9vapor\u00e9e la plupart du temps. Cela parle de mondes obscurs, d\u2019un savoir perdu, de monstrueuses structures architecturales qui ne sont pas b\u00e2ties par la main humaine, bref : de mythes totalement absconses pour nous autres contemporains et il r\u00e9sulte \u00e0 chaque fois une sensation bizarre qui se situe entre l\u2019effroi et le merveilleux. C\u2019\u00e9tait aussi cette sensation qui me tenaillait tandis que les yeux encore ferm\u00e9s je songeais \u00e0 ce voyage en Gr\u00e8ce, je songeais au merveilleux dans lequel mon imaginaire enveloppait ce p\u00e9riple tout en tenant en joue dans un recoin de mon esprit mon but v\u00e9ritable qui \u00e9tait de crever purement et simplement, autant que ce soit possible. Ce paradoxe me fit ouvrir les yeux et apercevoir les dizaines de cafards qui cavalaient all\u00e8grement sur le papier peint des murs de la chambre. Une fr\u00e9n\u00e9sie affolante envers laquelle j\u2019\u00e9tais peu \u00e0 peu par habitude et par lassitude devenu presque totalement indiff\u00e9rent. D\u2019un bond je me suis lev\u00e9 et muni de ma petite pelle en plastique j\u2019entrepris soudain de les \u00e9crabouiller les uns apr\u00e8s les autres dans une chor\u00e9graphie certainement totalement ridicule. Mais le cafard n\u2019est pas b\u00eate, il progresse d\u2019autant plus vite que l\u2019information du danger vient se loger entre ses deux antennes. Soudain j\u2019aper\u00e7us ma t\u00eate dans le petit miroir au dessus du lavabo et je vis que je m\u2019\u00e9tais \u00e9gar\u00e9. Comment peut on ainsi passer des iles Cyclades au ridicule achev\u00e9 me demandais je\u2026 Accabl\u00e9 j\u2019eus une envie de pleurer, totalement d\u00e9muni vis \u00e0 vis de ce choc qui continuait \u00e0 se propager en moi, je veux parler de cette fa\u00e7on qu\u2019\u00e0 le merveilleux de sauter du coq \u00e0 l\u2019\u00e2ne chez moi pour arriver \u00e0 l\u2019horrible, \u00e0 ce degr\u00e9 suppl\u00e9mentaire de l\u2019effroi. Je pleurais donc autant qu\u2019il me l\u2019\u00e9tait encore possible tout en continuant \u00e9trangement \u00e0 observer la sc\u00e8ne. Comme si nous \u00e9tions deux finalement. L\u2019un qui vit comme il peut ce qu\u2019il doit vivre, et l\u2019autre qui l\u2019observe. Cette clart\u00e9 soudaine concernant mon propre d\u00e9doublement m\u2019en boucha un coin. J\u2019attrapais un mouchoir, s\u00e9chait mes larmes, puis comme si j\u2019avais accompli une chose prodigieuse, j\u2019eus faim. Je me fis des pates et assis sur le lit avalais la gamelle enti\u00e8re tout en r\u00e9fl\u00e9chissant. Le ventre plein et l\u2019esprit vide je pus enfin m\u2019allonger de nouveau et dormir quelques heures. Evidemment je me r\u00e9veillai en pleine nuit, quelque chose grattait le mur et ce devait \u00eatre ce bruit qui m\u2019avait extrait peu \u00e0 peu de mon sommeil. Je pensais naturellement aux arm\u00e9es de cafards arpentant, cavalant, galopant sur les murs de la cambuse, mais c\u2019\u00e9tait trop fort pour que je retienne cette hypoth\u00e8se. Soudain il y eu des coups sourds qui provenaient de derri\u00e8re le mur. Comme ceux d\u2019une horloge \u00e9touff\u00e9e. Machinalement je me mis \u00e0 les compter, il y en eu 13. C\u2019\u00e9tait ma voisine de palier, insomniaque et totalement cingl\u00e9e qui \u00e9tait revenue de sa vir\u00e9e quotidienne. C\u2019\u00e9tait aussi le code entre nous pour m\u2019avertir qu\u2019elle \u00e9tait rentr\u00e9e et que nous pouvions nous retrouver pour boire un th\u00e9. Je me levais donc, enfilais quelques v\u00eatements \u00e0 la h\u00e2te et j\u2019allais traverser l\u2019espace dans le couloir entre nos deux portes lorsque je restais bouche b\u00e9e. Tout avait disparu, je surplombais un gouffre immense qui s\u2019ouvrait \u00e0 l\u2019infini de tous c\u00f4t\u00e9s, et une fois de plus je pus observer tr\u00e8s attentivement comment l\u2019inqui\u00e9tude comme un ruisseau se rend vers l\u2019abime oc\u00e9anique de l\u2019effroi. C\u2019est exactement \u00e0 ce moment l\u00e0 que j\u2019entendis une m\u00e9lop\u00e9e, sans doute celle du vent, et que je devins soudain Eurynom\u00e9e la d\u00e9s\u0153uvr\u00e9e magistrale, des ailes me pouss\u00e8rent presque aussit\u00f4t et d\u2019un l\u00e9ger coup de talon je quittais le seuil de la raison pour m\u2019envoler vers la plus merveilleuse des sensations, celle de pondre un \u0153uf. Lost in the horizon 80x80 cm huile sur toile Patrick Blanchon ",
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"title": "Entretenir une correspondance",
"date_published": "2022-07-17T04:56:36Z",
"date_modified": "2025-11-05T13:05:18Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Entretenir une correspondance, et non une suite d\u2019e-mails. Se peut-il d\u2019\u00e9prouver la nostalgie d\u2019un objet imaginaire au point de m\u2019en surprendre d\u2019y penser, ce matin aux alentours de sept heures. \u00c0 vrai dire une fois pourtant j\u2019ai bel et bien entretenu une correspondance. Cependant en m\u00eame temps que le souvenir de celle-ci se cr\u00e9e ou se recr\u00e9e, semblable est la sensation d\u00e9sagr\u00e9able ressentie lors de son ach\u00e8vement d\u00e9finitif, en mille neuf cent quatre vingt neuf. Et je suis presque certain que c\u2019\u00e9tait au milieu d\u2019octobre. Un paquet de vieilles lettres datant de mille neuf cent soixante quinze et seize. Une correspondance avec une jeune femme, et dont la relecture me paru tellement plate, apr\u00e8s que mon imaginaire se soit depuis belle lurette report\u00e9 sur d\u2019autres objets, que je br\u00fblai l\u2019ensemble dans un des deux bacs de l\u2019\u00e9vier en porcelaine, fa\u00efence ou acier inoxydable, de l\u2019atelier que l\u2019on l\u2019avait pr\u00eat\u00e9 au 135 ou 138 rue de Clignancourt.<\/p>\n Depuis je n\u2019ai plus \u00e9prouv\u00e9 ni l\u2019envie ni le besoin de recommencer. Malgr\u00e9 la lecture presque acharn\u00e9e de nombreuses correspondances entretenues par des c\u00e9l\u00e9brit\u00e9s : peintres, po\u00e8tes, \u00e9crivains, philosophes. Le sentiment d\u2019imposture totale qui s\u2019attache de fa\u00e7on ind\u00e9l\u00e9bile au genre de la correspondance m\u2019amuse, me d\u00e9tend, me divertit, ne m\u2019\u00e9meut toutefois que rarement et seulement par fatigue ou distraction.<\/p>",
"content_text": "Entretenir une correspondance, et non une suite d\u2019e-mails. Se peut-il d\u2019\u00e9prouver la nostalgie d\u2019un objet imaginaire au point de m\u2019en surprendre d\u2019y penser, ce matin aux alentours de sept heures. \u00c0 vrai dire une fois pourtant j\u2019ai bel et bien entretenu une correspondance. Cependant en m\u00eame temps que le souvenir de celle-ci se cr\u00e9e ou se recr\u00e9e, semblable est la sensation d\u00e9sagr\u00e9able ressentie lors de son ach\u00e8vement d\u00e9finitif, en mille neuf cent quatre vingt neuf. Et je suis presque certain que c\u2019\u00e9tait au milieu d\u2019octobre. Un paquet de vieilles lettres datant de mille neuf cent soixante quinze et seize. Une correspondance avec une jeune femme, et dont la relecture me paru tellement plate, apr\u00e8s que mon imaginaire se soit depuis belle lurette report\u00e9 sur d\u2019autres objets, que je br\u00fblai l\u2019ensemble dans un des deux bacs de l\u2019\u00e9vier en porcelaine, fa\u00efence ou acier inoxydable, de l\u2019atelier que l\u2019on l\u2019avait pr\u00eat\u00e9 au 135 ou 138 rue de Clignancourt.\n\nDepuis je n\u2019ai plus \u00e9prouv\u00e9 ni l\u2019envie ni le besoin de recommencer. Malgr\u00e9 la lecture presque acharn\u00e9e de nombreuses correspondances entretenues par des c\u00e9l\u00e9brit\u00e9s: peintres, po\u00e8tes, \u00e9crivains, philosophes. Le sentiment d\u2019imposture totale qui s\u2019attache de fa\u00e7on ind\u00e9l\u00e9bile au genre de la correspondance m\u2019amuse, me d\u00e9tend, me divertit, ne m\u2019\u00e9meut toutefois que rarement et seulement par fatigue ou distraction. ",
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"tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"]
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/disparitions.html",
"url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/disparitions.html",
"title": "Disparitions",
"date_published": "2022-07-11T14:12:39Z",
"date_modified": "2025-11-01T19:57:53Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je ne vois plus Bernard. Chaque jour pourtant, il postait un extrait d\u2019article politique, quelques nouvelles du temps du c\u00f4t\u00e9 de Salon, et deux ou trois astuces informatiques — utiles pour un n\u00e9ophyte comme moi. Nous n\u2019\u00e9tions pas d\u2019accord sur grand-chose, politiquement parlant, mais on \u00e9changeait quelques commentaires, de ci de l\u00e0. Une mani\u00e8re de s\u2019accompagner dans le fil des jours. On se souhaitait bon week-end, on plaisantait parfois. Mais je ne vois plus Bernard. Du moins, plus ses billets.<\/p>\n Je ne vois plus non plus untel ou unetelle, dans la vraie vie. Non que j\u2019aie quelque grief \u00e0 leur encontre. On s\u2019habitue, je crois, \u00e0 ces absences, ces effacements. Avec l\u2019\u00e2ge, on cesse de tenir les comptes. Il y a mille raisons, bonnes ou mauvaises. Et les gens disparaissent<\/a> sans fracas. M\u00eame ceux qui partent en claquant la porte s\u2019effacent, et au bout d\u2019un moment, tout se vaut.<\/p>\n Mon \u00e9pouse, elle, entretient les liens. C\u2019est naturel chez elle. Elle s\u2019\u00e9tonne, \u00e9videmment, que je ne sois pas fait de la m\u00eame \u00e9toffe. Elle dit que je suis comme un seigneur fig\u00e9 sur son tr\u00f4ne, attendant que le monde vienne \u00e0 lui. Si c\u2019\u00e9tait possible — magique, disons —, que des gens apparaissent l\u00e0, dans mon salon (modeste, soit dit en passant), je ne serais pas tr\u00e8s \u00e0 l\u2019aise.<\/p>\n On ne choisit pas vraiment son go\u00fbt pour les autres, ni le soin que cela demande. Autrefois, je me for\u00e7ais un peu, mais \u00e7a ne donnait rien. Je me retrouvais \u00e0 d\u00eener chez des gens qui, pour la plupart, m\u2019\u00e9taient aussi \u00e9trangers que je le reste \u00e0 moi-m\u00eame. Socrate, d\u00e9j\u00e0, posait un dr\u00f4le de paradoxe : “Connais-toi toi-m\u00eame”, mais aussi “je sais que je ne sais rien”.<\/p>\n On peut avoir des affinit\u00e9s sans \u00eatre li\u00e9s \u00e0 la vie \u00e0 la mort. Et si ces affinit\u00e9s exigent d\u2019\u00eatre cultiv\u00e9es dans le sens du poil, je pr\u00e9f\u00e8re encore les laisser \u00e0 d\u2019autres. C\u2019est mon d\u00e9faut, sans doute : je ne sais pas profiter des relations humaines. La plupart du temps, je m\u2019efforce d\u2019en ressentir le besoin, comme ces envies qu\u2019on nous inocule \u00e0 coups de marketing. Et d\u00e8s que je m\u2019en rends compte, je supprime — comme les mails ind\u00e9sirables du matin.<\/p>\n Un de ces jours, je dispara\u00eetrai aussi. C\u2019est dans l\u2019ordre. Me regrettera-t-on ? M\u00eame les plus proches ? Illusoire, sans doute. Chacun gardera ce qu\u2019il voudra de moi. \u00c7a ne me regarde plus. Ce sera leur affaire, une affaire de m\u00e9moire, miroir de leur propre disparition.<\/p>\n\n
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