{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/31-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/31-aout-2024.html", "title": "31 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:56:25Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nToutes ces \u00e9motions m\u2019ont creus\u00e9. Il le dit, il r\u00e9p\u00e8te la phrase en boucle plusieurs fois, essaie d\u2019en rire, mais \u00e7a ne passe pas. Le rire reste bloqu\u00e9 quelque part entre l\u2019intention et la gorge. Comme si on pouvait s\u2019imposer l\u2019intention de rire ; alors, il en serait l\u00e0 encore, \u00e0 tout vouloir contr\u00f4ler, y compris ses rires. Il dit que les \u00e9motions l\u2019ont creus\u00e9, et bien s\u00fbr, si vous le regardez, il vous convaincra : ce ne sera qu\u2019un trou, une b\u00e9ance, et ce trou risque bien de vous aspirer totalement, sans rire. On dirait qu\u2019il a une t\u00eate de donut. Est-ce qu\u2019on a envie d\u2019envoyer une beigne \u00e0 un donut, m\u00eame pour rire, m\u00eame pour qu\u2019il nous fiche la paix, m\u00eame pour le jeu de mots ? Je n\u2019en sais rien, c\u2019est dr\u00f4le cette question, je ne m\u2019y attendais pas, je suis m\u00eame surpris de constater que quelque chose, encore, peut se poser ce genre de question. Cela ressemble \u00e0 de la distraction, n\u2019est-ce pas, un petit loisir que l\u2019on prend en douce, pas vu, pas pris ? Et quand il parle d\u2019\u00e9motions qui l\u2019ont creus\u00e9, de quoi parle-t-il vraiment ? On se le demande, vous n\u2019\u00eates pas d\u2019accord que c\u2019est difficile \u00e0 saisir ? Ce qu\u2019on nomme les \u00e9motions, c\u2019est toujours une fa\u00e7on de botter en touche, de r\u00e9pondre \u00e0 c\u00f4t\u00e9, comme ces femmes qui demandent encore « \u00c0 quoi penses-tu ? » alors qu\u2019elles savent que les hommes ne r\u00e9pondent pas \u00e0 ce genre de question. Et s\u2019ils n\u2019y r\u00e9pondent pas, ce n\u2019est pas toujours en raison de l\u2019intrusion que repr\u00e9sente cette question, c\u2019est tout simplement parce qu\u2019ils ne le savent pas eux-m\u00eames. « Toutes ces \u00e9motions m\u2019ont creus\u00e9 », c\u2019est ce que l\u2019on dit quand on a faim ; ils disent \u00e7a dans les familles, apr\u00e8s les mariages, les enterrements. Il faut vraiment un \u00e9v\u00e9nement particulier pour voir \u00e0 quel point une \u00e9motion est une d\u00e9pense d\u2019\u00e9nergie, souvent en pure perte. Pour rien, on se met soudain \u00e0 rire, \u00e0 pleurer, \u00e0 danser, \u00e0 courir, ou encore \u00e0 se vautrer sur un canap\u00e9, \u00e0 s\u2019\u00e9crouler sur un lit. Si ce n\u2019\u00e9tait le fait qu\u2019il faut remplir le ventre tout de suite apr\u00e8s, toutes ces \u00e9motions ne serviraient \u00e0 rien, comme vivre ne sert \u00e0 rien au bout du compte si vous calculez bien, si vous n\u2019omettez aucune virgule, si vous n\u2019oubliez pas les retenues : la vie ne sert \u00e0 rien, sauf \u00e0 la vie elle-m\u00eame. Et donc ces tabl\u00e9es sont aussi l\u00e0 pour s\u2019en remettre, pour s\u2019empiffrer, s\u2019en foutre plein la lampe. \u00c9coutez-les comme ils en parlent, il faut qu\u2019ils usent m\u00eame d\u2019un certain mode pour en parler, ce laisser-aller \u00e0 s\u2019en faire p\u00e9ter la sous-ventri\u00e8re, ils disent. Ils le r\u00e9p\u00e8tent m\u00eame plusieurs fois entre eux, comme pour se rassurer qu\u2019ils sont tout \u00e0 fait dans leur bon droit. « Toutes ces \u00e9motions nous ont creus\u00e9s, il faut qu\u2019on baffre pour se retaper, ne pas se laisser aller tout en se laissant aller. » Allez donc y comprendre quelque chose, surtout quand partout autour de vous, vous ne voyez que des donuts, des bouches grandes ouvertes \u00e0 la fa\u00e7on de ces cr\u00e9atures marines abyssales, biofluorescentes, toujours affam\u00e9es, et qu\u2019on ne trouve que dans la pleine obscurit\u00e9 des fosses oc\u00e9aniques d\u2019on ne sait quelle lucidit\u00e9 ou b\u00eatise. \u00c0 cette profondeur, j\u2019y pensais tout en l\u2019explorant r\u00e9guli\u00e8rement : tout ne se vaut-il pas ? Tout n\u2019est-il pas identique vraiment ? Et n\u2019est-ce pas de l\u00e0 que vient l\u2019effroi quand on revient \u00e0 la surface des mots, qu\u2019on d\u00e9sire les nommer ? On peut se le demander. Et quand on n\u2019arrive pas encore \u00e0 poser des mots, on sent ce trou, ce donut qui nous aspire. Et ce serait pu\u00e9ril de ne penser \u00e0 ce symbole uniquement comme am\u00e9ricain, colonialiste, imp\u00e9rialiste. Ce serait ridicule, \u00e9triqu\u00e9. \u00c7a parle de tout autre chose, de bien plus affolant, des gens comme vous et moi, j\u2019allais dire. Et pire encore, \u00e7a parle de moi, \u00e7a ne parle peut-\u00eatre que de moi.<\/p>\n
Pas question de les faire douter du bien-fond\u00e9 de leur app\u00e9tit, ce ne serait pas loyal. Apr\u00e8s tout, ils n\u2019ont souvent que \u00e7a pour tenir. Perdre l\u2019app\u00e9tit serait pour eux le pire de tout. Ils le disent entre eux \u00e0 mi-voix, elle ou lui ne va pas bien, il ou elle a perdu l\u2019app\u00e9tit, c\u2019est l\u2019un des premiers signes avant-coureurs d\u2019une fin qui dame le pion \u00e0 la faim. On n\u2019\u00e9duque pas les gens sur la faim, pas vraiment, ou si peu. Au contraire, on leur demande de consommer autant qu\u2019ils le peuvent, avec cette hypocrisie \u00e0 hurler, quand on y pense, les jours de promotion pour soi-disant lutter contre la vie ch\u00e8re. Il faut les voir, et je me mets bien s\u00fbr dans le lot, je ne suis pas exempt, je fais bien partie de cette entourloupette magistrale, celle des caddies \u00e0 remplir, des caisses enregistreuses, de la profusion apparente de marchandises qui d\u00e9borde de partout. Et ce n\u2019est pas tout. Regardez ces emballages, c\u2019est incompr\u00e9hensible. C\u2019est stup\u00e9fiant. L\u2019emballage plastique transparent des biscottes par exemple, ind\u00e9chirable avec les mains, essayez donc les dents, c\u2019est un risque, avec le temps on rep\u00e8re le tiroir o\u00f9 sont rang\u00e9s les ciseaux, il faut des outils pour s\u2019en sortir, surtout quand on prend de l\u2019\u00e2ge.<\/p>\n
Il a dit qu\u2019il voulait perdre du poids, je me souviens tr\u00e8s bien que c\u2019\u00e9tait en plein milieu de l\u2019\u00e9t\u00e9, \u00e7a ne s\u2019oublie pas des choses pareilles, ce sont des choses qu\u2019on dit surtout l\u2019\u00e9t\u00e9 je crois ; quand il s\u2019agit d\u2019aller \u00e0 la plage, d\u2019\u00f4ter sa chemise, son pantalon, de se mettre presque \u00e0 nu au milieu des foules, juste pour se pr\u00e9parer \u00e0 aller se baigner, \u00e0 rentrer dans le bain. Pourtant, on ne peut pas dire que les regards se portent sur lui, on serait m\u00eame tent\u00e9 de penser que tout le monde s\u2019en fout qu\u2019il soit gras ou maigre, et surtout vieux, mal fichu, chauve, d\u2019une vuln\u00e9rabilit\u00e9 aga\u00e7ante apr\u00e8s avoir men\u00e9 le monde o\u00f9 nous en sommes, \u00e0 cette d\u00e9b\u00e2cle, \u00e0 ce naufrage. Plus aucune tenue, le voyez-vous, mais regardez-le, c\u2019est exactement \u00e7a que l\u2019on \u00e9prouve \u00e0 le voir se d\u00e9barrasser de ses v\u00eatements, \u00e0 apercevoir ses bourrelets, son gras, son terrible laisser-aller de baby boomer. On est pris entre deux feux, l\u2019hypnose, la sid\u00e9ration ou la fuite. Mais c\u2019est encore lui qui pense \u00e0 ces choses-l\u00e0, autour de lui tout le monde s\u2019en fout, tout le monde a bien autre chose \u00e0 penser, et si possible \u00e0 ne pas penser. Si lui est distrait par le moindre geste, force est de constater avec un peu d\u2019honn\u00eatet\u00e9 qu\u2019il est vraiment le seul \u00e0 \u00eatre ainsi distrait. Peut-\u00eatre que c\u2019est la goutte qui fait d\u00e9border le vase, qui lui fait prendre conscience de sa tronche de donut, il est gros mais de vide, c\u2019est \u00e9vident d\u00e9sormais, comme son p\u00e8re, et son p\u00e8re avant lui, le vide autour des reins comme un rempart, et les femmes ne sont pas loin d\u2019\u00eatre leurs semblables, elles semblent compos\u00e9es d\u2019un m\u00eame vide, m\u00eame s\u2019il semble plus inoffensif, plus enveloppant, plus maternel, et que ce vide est un peu mieux r\u00e9parti sur l\u2019ensemble de la silhouette, qu\u2019il rappelle des figures tut\u00e9laires de l\u2019abondance, des moissons, des r\u00e9coltes, d\u2019une opulence fantasm\u00e9e. On pourrait si facilement oublier tout ce vide dont ces pens\u00e9es, ces \u00e9motions sont compos\u00e9es.<\/p>\n
Quand Marcel Proust d\u00e9cide de devenir asc\u00e8te, ce n\u2019est pas une lubie, c\u2019est qu\u2019il ne peut pas faire autrement. Peut-\u00eatre qu\u2019il en arrive l\u00e0 par fatigue, par d\u00e9go\u00fbt, par toute une s\u00e9rie de termes tellement spontan\u00e9s, si faciles \u00e0 poser sur ce myst\u00e8re ; on pose toujours des mots pour \u00e9vacuer quelque chose, pour tenter surtout de l\u2019\u00e9vacuer. Il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 entrer dans une biblioth\u00e8que, se rendre au rayon P, et constater \u00e0 quel point et avec quelle quantit\u00e9, beaucoup ont essay\u00e9 d\u2019expliquer ce myst\u00e8re. Et voyez-vous comme c\u2019est dr\u00f4le, \u00e9trange surtout, dr\u00f4le dans ce sens-l\u00e0, que plus il y en a, moins on y comprend quelque chose, plus on s\u2019y perd au final. Cette abondance, au final, est un signe de pauvret\u00e9 crasse, exactement le m\u00eame que l\u2019abondance des supermarch\u00e9s. Donc il y a des le\u00e7ons \u00e0 tirer de ces observations ; ce n\u2019\u00e9tait pas l\u2019intention de d\u00e9part, mais \u00e7a arrive avec le fait d\u2019examiner toutes ces choses, de leur pr\u00eater une attention accrue, de se distraire de tout le reste si l\u2019on veut. C\u2019est l\u2019un des avantages de cette fatigue que de pouvoir se concentrer en un seul point en \u00e9vacuant tout le reste. Avec toute la pression, toute la culpabilit\u00e9, la honte qu\u2019on en \u00e9prouve. Ensuite, tout est dans l\u2019objet de cette concentration, entre d\u00e9voration et adoration, une navigation c\u2019est certain, et la d\u00e9couverte de l\u2019int\u00e9rieur et de l\u2019ext\u00e9rieur se confondant eux aussi dans un point le plus infime possible. C\u2019est sans doute cette image d\u2019un point qui diminue de plus en plus au fur et \u00e0 mesure qu\u2019on s\u2019en approche qui fait perdre l\u2019app\u00e9tit, qui rend vaine la sensation de sati\u00e9t\u00e9, solution trop facile, on le sait d\u00e9sormais, pour stopper l\u2019impression de vide, de faim, de d\u00e9sir, de concupiscence, toute cette violence inutile.<\/p>", "content_text": "Toutes ces \u00e9motions m\u2019ont creus\u00e9. Il le dit, il r\u00e9p\u00e8te la phrase en boucle plusieurs fois, essaie d\u2019en rire, mais \u00e7a ne passe pas. Le rire reste bloqu\u00e9 quelque part entre l\u2019intention et la gorge. Comme si on pouvait s\u2019imposer l\u2019intention de rire ; alors, il en serait l\u00e0 encore, \u00e0 tout vouloir contr\u00f4ler, y compris ses rires. Il dit que les \u00e9motions l\u2019ont creus\u00e9, et bien s\u00fbr, si vous le regardez, il vous convaincra : ce ne sera qu\u2019un trou, une b\u00e9ance, et ce trou risque bien de vous aspirer totalement, sans rire. On dirait qu\u2019il a une t\u00eate de donut. Est-ce qu\u2019on a envie d\u2019envoyer une beigne \u00e0 un donut, m\u00eame pour rire, m\u00eame pour qu\u2019il nous fiche la paix, m\u00eame pour le jeu de mots ? Je n\u2019en sais rien, c\u2019est dr\u00f4le cette question, je ne m\u2019y attendais pas, je suis m\u00eame surpris de constater que quelque chose, encore, peut se poser ce genre de question. Cela ressemble \u00e0 de la distraction, n\u2019est-ce pas, un petit loisir que l\u2019on prend en douce, pas vu, pas pris ? Et quand il parle d\u2019\u00e9motions qui l\u2019ont creus\u00e9, de quoi parle-t-il vraiment ? On se le demande, vous n\u2019\u00eates pas d\u2019accord que c\u2019est difficile \u00e0 saisir ? Ce qu\u2019on nomme les \u00e9motions, c\u2019est toujours une fa\u00e7on de botter en touche, de r\u00e9pondre \u00e0 c\u00f4t\u00e9, comme ces femmes qui demandent encore \u00ab \u00c0 quoi penses-tu ? \u00bb alors qu\u2019elles savent que les hommes ne r\u00e9pondent pas \u00e0 ce genre de question. Et s\u2019ils n\u2019y r\u00e9pondent pas, ce n\u2019est pas toujours en raison de l\u2019intrusion que repr\u00e9sente cette question, c\u2019est tout simplement parce qu\u2019ils ne le savent pas eux-m\u00eames. \u00ab Toutes ces \u00e9motions m\u2019ont creus\u00e9 \u00bb, c\u2019est ce que l\u2019on dit quand on a faim ; ils disent \u00e7a dans les familles, apr\u00e8s les mariages, les enterrements. Il faut vraiment un \u00e9v\u00e9nement particulier pour voir \u00e0 quel point une \u00e9motion est une d\u00e9pense d\u2019\u00e9nergie, souvent en pure perte. Pour rien, on se met soudain \u00e0 rire, \u00e0 pleurer, \u00e0 danser, \u00e0 courir, ou encore \u00e0 se vautrer sur un canap\u00e9, \u00e0 s\u2019\u00e9crouler sur un lit. Si ce n\u2019\u00e9tait le fait qu\u2019il faut remplir le ventre tout de suite apr\u00e8s, toutes ces \u00e9motions ne serviraient \u00e0 rien, comme vivre ne sert \u00e0 rien au bout du compte si vous calculez bien, si vous n\u2019omettez aucune virgule, si vous n\u2019oubliez pas les retenues : la vie ne sert \u00e0 rien, sauf \u00e0 la vie elle-m\u00eame. Et donc ces tabl\u00e9es sont aussi l\u00e0 pour s\u2019en remettre, pour s\u2019empiffrer, s\u2019en foutre plein la lampe. \u00c9coutez-les comme ils en parlent, il faut qu\u2019ils usent m\u00eame d\u2019un certain mode pour en parler, ce laisser-aller \u00e0 s\u2019en faire p\u00e9ter la sous-ventri\u00e8re, ils disent. Ils le r\u00e9p\u00e8tent m\u00eame plusieurs fois entre eux, comme pour se rassurer qu\u2019ils sont tout \u00e0 fait dans leur bon droit. \u00ab Toutes ces \u00e9motions nous ont creus\u00e9s, il faut qu\u2019on baffre pour se retaper, ne pas se laisser aller tout en se laissant aller. \u00bb Allez donc y comprendre quelque chose, surtout quand partout autour de vous, vous ne voyez que des donuts, des bouches grandes ouvertes \u00e0 la fa\u00e7on de ces cr\u00e9atures marines abyssales, biofluorescentes, toujours affam\u00e9es, et qu\u2019on ne trouve que dans la pleine obscurit\u00e9 des fosses oc\u00e9aniques d\u2019on ne sait quelle lucidit\u00e9 ou b\u00eatise. \u00c0 cette profondeur, j\u2019y pensais tout en l\u2019explorant r\u00e9guli\u00e8rement : tout ne se vaut-il pas ? Tout n\u2019est-il pas identique vraiment ? Et n\u2019est-ce pas de l\u00e0 que vient l\u2019effroi quand on revient \u00e0 la surface des mots, qu\u2019on d\u00e9sire les nommer ? On peut se le demander. Et quand on n\u2019arrive pas encore \u00e0 poser des mots, on sent ce trou, ce donut qui nous aspire. Et ce serait pu\u00e9ril de ne penser \u00e0 ce symbole uniquement comme am\u00e9ricain, colonialiste, imp\u00e9rialiste. Ce serait ridicule, \u00e9triqu\u00e9. \u00c7a parle de tout autre chose, de bien plus affolant, des gens comme vous et moi, j\u2019allais dire. Et pire encore, \u00e7a parle de moi, \u00e7a ne parle peut-\u00eatre que de moi. Pas question de les faire douter du bien-fond\u00e9 de leur app\u00e9tit, ce ne serait pas loyal. Apr\u00e8s tout, ils n\u2019ont souvent que \u00e7a pour tenir. Perdre l\u2019app\u00e9tit serait pour eux le pire de tout. Ils le disent entre eux \u00e0 mi-voix, elle ou lui ne va pas bien, il ou elle a perdu l\u2019app\u00e9tit, c\u2019est l\u2019un des premiers signes avant-coureurs d\u2019une fin qui dame le pion \u00e0 la faim. On n\u2019\u00e9duque pas les gens sur la faim, pas vraiment, ou si peu. Au contraire, on leur demande de consommer autant qu\u2019ils le peuvent, avec cette hypocrisie \u00e0 hurler, quand on y pense, les jours de promotion pour soi-disant lutter contre la vie ch\u00e8re. Il faut les voir, et je me mets bien s\u00fbr dans le lot, je ne suis pas exempt, je fais bien partie de cette entourloupette magistrale, celle des caddies \u00e0 remplir, des caisses enregistreuses, de la profusion apparente de marchandises qui d\u00e9borde de partout. Et ce n\u2019est pas tout. Regardez ces emballages, c\u2019est incompr\u00e9hensible. C\u2019est stup\u00e9fiant. L\u2019emballage plastique transparent des biscottes par exemple, ind\u00e9chirable avec les mains, essayez donc les dents, c\u2019est un risque, avec le temps on rep\u00e8re le tiroir o\u00f9 sont rang\u00e9s les ciseaux, il faut des outils pour s\u2019en sortir, surtout quand on prend de l\u2019\u00e2ge. Il a dit qu\u2019il voulait perdre du poids, je me souviens tr\u00e8s bien que c\u2019\u00e9tait en plein milieu de l\u2019\u00e9t\u00e9, \u00e7a ne s\u2019oublie pas des choses pareilles, ce sont des choses qu\u2019on dit surtout l\u2019\u00e9t\u00e9 je crois ; quand il s\u2019agit d\u2019aller \u00e0 la plage, d\u2019\u00f4ter sa chemise, son pantalon, de se mettre presque \u00e0 nu au milieu des foules, juste pour se pr\u00e9parer \u00e0 aller se baigner, \u00e0 rentrer dans le bain. Pourtant, on ne peut pas dire que les regards se portent sur lui, on serait m\u00eame tent\u00e9 de penser que tout le monde s\u2019en fout qu\u2019il soit gras ou maigre, et surtout vieux, mal fichu, chauve, d\u2019une vuln\u00e9rabilit\u00e9 aga\u00e7ante apr\u00e8s avoir men\u00e9 le monde o\u00f9 nous en sommes, \u00e0 cette d\u00e9b\u00e2cle, \u00e0 ce naufrage. Plus aucune tenue, le voyez-vous, mais regardez-le, c\u2019est exactement \u00e7a que l\u2019on \u00e9prouve \u00e0 le voir se d\u00e9barrasser de ses v\u00eatements, \u00e0 apercevoir ses bourrelets, son gras, son terrible laisser-aller de baby boomer. On est pris entre deux feux, l\u2019hypnose, la sid\u00e9ration ou la fuite. Mais c\u2019est encore lui qui pense \u00e0 ces choses-l\u00e0, autour de lui tout le monde s\u2019en fout, tout le monde a bien autre chose \u00e0 penser, et si possible \u00e0 ne pas penser. Si lui est distrait par le moindre geste, force est de constater avec un peu d\u2019honn\u00eatet\u00e9 qu\u2019il est vraiment le seul \u00e0 \u00eatre ainsi distrait. Peut-\u00eatre que c\u2019est la goutte qui fait d\u00e9border le vase, qui lui fait prendre conscience de sa tronche de donut, il est gros mais de vide, c\u2019est \u00e9vident d\u00e9sormais, comme son p\u00e8re, et son p\u00e8re avant lui, le vide autour des reins comme un rempart, et les femmes ne sont pas loin d\u2019\u00eatre leurs semblables, elles semblent compos\u00e9es d\u2019un m\u00eame vide, m\u00eame s\u2019il semble plus inoffensif, plus enveloppant, plus maternel, et que ce vide est un peu mieux r\u00e9parti sur l\u2019ensemble de la silhouette, qu\u2019il rappelle des figures tut\u00e9laires de l\u2019abondance, des moissons, des r\u00e9coltes, d\u2019une opulence fantasm\u00e9e. On pourrait si facilement oublier tout ce vide dont ces pens\u00e9es, ces \u00e9motions sont compos\u00e9es. Quand Marcel Proust d\u00e9cide de devenir asc\u00e8te, ce n\u2019est pas une lubie, c\u2019est qu\u2019il ne peut pas faire autrement. Peut-\u00eatre qu\u2019il en arrive l\u00e0 par fatigue, par d\u00e9go\u00fbt, par toute une s\u00e9rie de termes tellement spontan\u00e9s, si faciles \u00e0 poser sur ce myst\u00e8re ; on pose toujours des mots pour \u00e9vacuer quelque chose, pour tenter surtout de l\u2019\u00e9vacuer. Il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 entrer dans une biblioth\u00e8que, se rendre au rayon P, et constater \u00e0 quel point et avec quelle quantit\u00e9, beaucoup ont essay\u00e9 d\u2019expliquer ce myst\u00e8re. Et voyez-vous comme c\u2019est dr\u00f4le, \u00e9trange surtout, dr\u00f4le dans ce sens-l\u00e0, que plus il y en a, moins on y comprend quelque chose, plus on s\u2019y perd au final. Cette abondance, au final, est un signe de pauvret\u00e9 crasse, exactement le m\u00eame que l\u2019abondance des supermarch\u00e9s. Donc il y a des le\u00e7ons \u00e0 tirer de ces observations ; ce n\u2019\u00e9tait pas l\u2019intention de d\u00e9part, mais \u00e7a arrive avec le fait d\u2019examiner toutes ces choses, de leur pr\u00eater une attention accrue, de se distraire de tout le reste si l\u2019on veut. C\u2019est l\u2019un des avantages de cette fatigue que de pouvoir se concentrer en un seul point en \u00e9vacuant tout le reste. Avec toute la pression, toute la culpabilit\u00e9, la honte qu\u2019on en \u00e9prouve. Ensuite, tout est dans l\u2019objet de cette concentration, entre d\u00e9voration et adoration, une navigation c\u2019est certain, et la d\u00e9couverte de l\u2019int\u00e9rieur et de l\u2019ext\u00e9rieur se confondant eux aussi dans un point le plus infime possible. C\u2019est sans doute cette image d\u2019un point qui diminue de plus en plus au fur et \u00e0 mesure qu\u2019on s\u2019en approche qui fait perdre l\u2019app\u00e9tit, qui rend vaine la sensation de sati\u00e9t\u00e9, solution trop facile, on le sait d\u00e9sormais, pour stopper l\u2019impression de vide, de faim, de d\u00e9sir, de concupiscence, toute cette violence inutile.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/20220429_162917-donuts-2_1_.jpg?1748065154", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/30-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/30-aout-2024.html", "title": "30 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:53:19Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>L\u2019intelligence lui faisant d\u00e9faut, ou exigeant de sa part un trop grand effort, ou les deux, il tourne \u00e0 vide. Il lui faut une occupation, l\u2019oisivet\u00e9 \u00e9tant la m\u00e8re de tous les vices. Dessiner et \u00e9crire sont les premiers mots qui lui viennent quand il s\u2019agit de s\u2019occuper. Sauf qu\u2019il ne sait pas vraiment comment s\u2019y prendre. On lui a dit qu\u2019il dessinait mal quand \u00e0 l\u2019\u00e9criture il vaudrait mieux que tu \u00e9vites, tu n\u2019y connais rien, et puis il faut une certaine maturit\u00e9 pour \u00e9crire, plus tard quand tu seras grand, peut-\u00eatre, si tu ne changes pas d\u2019avis d\u2019ici l\u00e0. F\u00e2ch\u00e9 par la situation, il a prit une feuille de papier et il gribouille, parce que le gribouillis c\u2019est l\u2019enfance de l\u2019art se dit-il. Il est \u00e9puis\u00e9, il refuse tout en bloc, il ne veut plus rien entendre. Il gribouille. Ici est le lieu de l\u2019origine, celui du dessin comme de l\u2019\u00e9criture.<\/p>\n
On l\u2019a fait s\u2019asseoir, assis-toi ici et ne bouge plus. Il a du mal, surtout au niveau des jambes. C\u2019est nerveux. Calme-toi. Maintenant parle moi de ton envie de lire, parce que nous voyons bien qu\u2019il y a un probl\u00e8me. Tu n\u2019arr\u00e8tes pas de dire que tu veux lire, mais tu passes ton temps \u00e0 regarder des vid\u00e9os idiotes. Tu t\u2019en rends compte j\u2019esp\u00e8re. C\u2019est comme si tu voulais gravir une montagne et que tu creusais un trou pour t\u2019enfouir dedans, tu esp\u00e8res quoi trouver la mer au fond du trou , la Chine ?<\/p>\n
Tout \u00e7a est effectivement du chinois, ou de l\u2019h\u00e9breu pour moi. La montagne et la mer ne sont que des mots, ils ne veulent rien dire que ce qu\u2019on m\u2019impose de vouloir en dire. Laissez-moi tranquille ! je pr\u00e9f\u00e8re gribouiller. Au moins dans mon d\u00e9sordre la montagne et la mer ont un sens, et peu importe que ce soit le m\u00eame que soleil et terre.<\/p>\n
Tu as le diable dans la peau. c\u2019est ce qu\u2019on ne cesse de lui dire de lui rappeler. Il est effray\u00e9 par cette remarque. Il s\u2019enferme dans les toilettes. Ici sans doute peu de chance que le diable vienne le d\u00e9ranger. En m\u00eame temps qu\u2019il essaie de se rassurer il sent que son raisonnement n\u2019est pas tr\u00e8s solide, il doute, le diable peut-il lui tomber dessus ici aussi ? il n\u2019en est plus du tout certain, l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 envahit le monde entier. Puis il r\u00e9fl\u00e9chit encore plus loin, si le diable est partout, que veut dire la phrase tu as le diable dans la peau, qui signifie qu\u2019il serait le seul \u00e0 vivre cet inconv\u00e9nient. Depuis il a d\u00e9cid\u00e9 de tout refuser en bloc de ce que les adultes lui disent. Il n\u2019en croit plus un seul mot. Pour occuper la place vide \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de lui d\u00e9sormais, cette place que tous cherchent \u00e0 remplir avec choses qui lui paraissent stupides ou inutiles, il prend une feuille de papier, un crayon et il gribouille.<\/p>\n
M\u00eame dans ce lieu dit d\u2019aisance tout est susceptible de mal tourner. On peut se retrouver constip\u00e9 ou au contraire \u00eatre victime de colliques, de diarh\u00e9es. Mais malgr\u00e9 tout on y retourne, c\u2019est une n\u00e9cessit\u00e9 biologique. Donc ce sera un second chez lui en quelque sorte, en attendant que \u00e7a vienne, que le diable lui tombe r\u00e9ellement dessus ou que Dieu le sauve, il va dessiner et \u00e9crire comme \u00e7a lui chante et tant pis si \u00e7a ne veut rien dire, si \u00e7a ne repr\u00e9sente rien, si \u00e7a ne ressemble \u00e0 rien. Il s\u2019enfuit dans la non repr\u00e9sentation des choses volontairement peu \u00e0 peu.<\/p>\n
Plus tard quelqu\u2019un a dit que la merde \u00e9tait chaude, qu\u2019elle \u00e9tait confortable, qu\u2019on pouvait \u00eatre une autruche et s\u2019en sentir tout \u00e0 fait bien. C\u2019est ne pas tenir compte de la logique. On ne se met pas dans la merde par plaisir ou par go\u00fbt. C\u2019est qu\u2019on ne peut pas faire autrement, c\u2019est le seul endroit qu\u2019il nous reste. On n\u2019arrive pas \u00e0 imaginer surtout un autre lieu que celui-l\u00e0. Avec le temps ce n\u2019est pas que l\u2019on s\u2019habitue \u00e0 la douleur, pas plus qu\u2019\u00e0 l\u2019odeur, mais comme on n\u2019 a rien d\u2019autre \u00e0 faire qu\u2019\u00e0 explorer ce lieu, on y d\u00e9couvre forc\u00e9ment des choses. Peut-\u00eatre que dans cet isolement on trouve une sorte d\u2019issue aux grands probl\u00e8mes de la soci\u00e9t\u00e9, peut-\u00eatre qu\u2019on parvient \u00e0 envisager celle-ci sous un autre angle. Un lieu propre si l\u2019on veut en apparence et qui peut m\u00eame faire envie de s\u2019y rendre, comme on se rend apr\u00e8s une d\u00e9faite, un combat sans espoir. Peut-\u00eatre qu\u2019une forme de compassion peut aussi advenir d\u2019un tel constat. Ils sont dans la merde mais ils ne le savent pas.( Sans doute qu\u2019il faut aussi d\u00e9passer la vanit\u00e9 de penser \u00e0 ce genre d\u2019imb\u00e9cilit\u00e9) . La soci\u00e9t\u00e9 n\u2019est pas une sin\u00e9cure c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9 mais c\u2019est tout m\u00eame un espace plus vaste qu\u2019un cabinet de toilettes, de plus \u00e7a ne sent pas toujours mauvais, il ne faut pas tout voir en noir.<\/p>", "content_text": " -* {{{Retour au gribouillis}}} L\u2019intelligence lui faisant d\u00e9faut, ou exigeant de sa part un trop grand effort, ou les deux, il tourne \u00e0 vide. Il lui faut une occupation, l\u2019oisivet\u00e9 \u00e9tant la m\u00e8re de tous les vices. Dessiner et \u00e9crire sont les premiers mots qui lui viennent quand il s\u2019agit de s\u2019occuper. Sauf qu\u2019il ne sait pas vraiment comment s\u2019y prendre. On lui a dit qu\u2019il dessinait mal quand \u00e0 l\u2019\u00e9criture il vaudrait mieux que tu \u00e9vites, tu n\u2019y connais rien, et puis il faut une certaine maturit\u00e9 pour \u00e9crire, plus tard quand tu seras grand, peut-\u00eatre, si tu ne changes pas d\u2019avis d\u2019ici l\u00e0. F\u00e2ch\u00e9 par la situation, il a prit une feuille de papier et il gribouille, parce que le gribouillis c\u2019est l\u2019enfance de l\u2019art se dit-il. Il est \u00e9puis\u00e9, il refuse tout en bloc, il ne veut plus rien entendre. Il gribouille. Ici est le lieu de l\u2019origine, celui du dessin comme de l\u2019\u00e9criture. -* {{{Imaginaire de la lecture}}} On l\u2019a fait s\u2019asseoir, assis-toi ici et ne bouge plus. Il a du mal, surtout au niveau des jambes. C\u2019est nerveux. Calme-toi. Maintenant parle moi de ton envie de lire, parce que nous voyons bien qu\u2019il y a un probl\u00e8me. Tu n\u2019arr\u00e8tes pas de dire que tu veux lire, mais tu passes ton temps \u00e0 regarder des vid\u00e9os idiotes. Tu t\u2019en rends compte j\u2019esp\u00e8re. C\u2019est comme si tu voulais gravir une montagne et que tu creusais un trou pour t\u2019enfouir dedans, tu esp\u00e8res quoi trouver la mer au fond du trou , la Chine ? Tout \u00e7a est effectivement du chinois, ou de l\u2019h\u00e9breu pour moi. La montagne et la mer ne sont que des mots, ils ne veulent rien dire que ce qu\u2019on m\u2019impose de vouloir en dire. Laissez-moi tranquille ! je pr\u00e9f\u00e8re gribouiller. Au moins dans mon d\u00e9sordre la montagne et la mer ont un sens, et peu importe que ce soit le m\u00eame que soleil et terre. -** {{{Origine du refus}}} Tu as le diable dans la peau. c\u2019est ce qu\u2019on ne cesse de lui dire de lui rappeler. Il est effray\u00e9 par cette remarque. Il s\u2019enferme dans les toilettes. Ici sans doute peu de chance que le diable vienne le d\u00e9ranger. En m\u00eame temps qu\u2019il essaie de se rassurer il sent que son raisonnement n\u2019est pas tr\u00e8s solide, il doute, le diable peut-il lui tomber dessus ici aussi ? il n\u2019en est plus du tout certain, l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 envahit le monde entier. Puis il r\u00e9fl\u00e9chit encore plus loin, si le diable est partout, que veut dire la phrase tu as le diable dans la peau, qui signifie qu\u2019il serait le seul \u00e0 vivre cet inconv\u00e9nient. Depuis il a d\u00e9cid\u00e9 de tout refuser en bloc de ce que les adultes lui disent. Il n\u2019en croit plus un seul mot. Pour occuper la place vide \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de lui d\u00e9sormais, cette place que tous cherchent \u00e0 remplir avec choses qui lui paraissent stupides ou inutiles, il prend une feuille de papier, un crayon et il gribouille. -* {{{Suite logique}}} M\u00eame dans ce lieu dit d\u2019aisance tout est susceptible de mal tourner. On peut se retrouver constip\u00e9 ou au contraire \u00eatre victime de colliques, de diarh\u00e9es. Mais malgr\u00e9 tout on y retourne, c\u2019est une n\u00e9cessit\u00e9 biologique. Donc ce sera un second chez lui en quelque sorte, en attendant que \u00e7a vienne, que le diable lui tombe r\u00e9ellement dessus ou que Dieu le sauve, il va dessiner et \u00e9crire comme \u00e7a lui chante et tant pis si \u00e7a ne veut rien dire, si \u00e7a ne repr\u00e9sente rien, si \u00e7a ne ressemble \u00e0 rien. Il s\u2019enfuit dans la non repr\u00e9sentation des choses volontairement peu \u00e0 peu. -* {{{Un tr\u00e9sor cach\u00e9 dans la merde}}} Plus tard quelqu\u2019un a dit que la merde \u00e9tait chaude, qu\u2019elle \u00e9tait confortable, qu\u2019on pouvait \u00eatre une autruche et s\u2019en sentir tout \u00e0 fait bien. C\u2019est ne pas tenir compte de la logique. On ne se met pas dans la merde par plaisir ou par go\u00fbt. C\u2019est qu\u2019on ne peut pas faire autrement, c\u2019est le seul endroit qu\u2019il nous reste. On n\u2019arrive pas \u00e0 imaginer surtout un autre lieu que celui-l\u00e0. Avec le temps ce n\u2019est pas que l\u2019on s\u2019habitue \u00e0 la douleur, pas plus qu\u2019\u00e0 l\u2019odeur, mais comme on n\u2019 a rien d\u2019autre \u00e0 faire qu\u2019\u00e0 explorer ce lieu, on y d\u00e9couvre forc\u00e9ment des choses. Peut-\u00eatre que dans cet isolement on trouve une sorte d\u2019issue aux grands probl\u00e8mes de la soci\u00e9t\u00e9, peut-\u00eatre qu\u2019on parvient \u00e0 envisager celle-ci sous un autre angle. Un lieu propre si l\u2019on veut en apparence et qui peut m\u00eame faire envie de s\u2019y rendre, comme on se rend apr\u00e8s une d\u00e9faite, un combat sans espoir. Peut-\u00eatre qu\u2019une forme de compassion peut aussi advenir d\u2019un tel constat. Ils sont dans la merde mais ils ne le savent pas.( Sans doute qu\u2019il faut aussi d\u00e9passer la vanit\u00e9 de penser \u00e0 ce genre d\u2019imb\u00e9cilit\u00e9) . La soci\u00e9t\u00e9 n\u2019est pas une sin\u00e9cure c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9 mais c\u2019est tout m\u00eame un espace plus vaste qu\u2019un cabinet de toilettes, de plus \u00e7a ne sent pas toujours mauvais, il ne faut pas tout voir en noir. 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<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nEspace carr\u00e9, temps circulaire. Un mur semble absent form\u00e9 de rien de vide de nuit et d\u2019air<\/p>\n
« Cette quatri\u00e8me surface est en quelque sorte pratiqu\u00e9e dans l\u2019air, elle permet aux paroles de se faire entendre, aux corps de se laisser regarder, on l\u2019oublie par cons\u00e9quent ais\u00e9ment, et l\u00e0 est sans doute l\u2019illusion ou l\u2019erreur. En effet, ce qu\u2019on prend ainsi trop facilement pour l\u2019ouverture d\u2019une sc\u00e8ne n\u2019en est pas moins un panneau d\u00e9formant, un invisible et impalpable voile opaque qui joue vers les trois autres c\u00f4t\u00e9s la fonction d\u2019un miroir ou d\u2019un r\u00e9flecteur et vers l\u2019ext\u00e9rieur (c\u2019est-\u00e0-dire vers le spectateur possible mais par cons\u00e9quent toujours repouss\u00e9, multiple) le r\u00f4le d\u2019un r\u00e9v\u00e9lateur n\u00e9gatif o\u00f9 les inscriptions produites simultan\u00e9ment sur les autres plans apparaissent l\u00e0 invers\u00e9es, redress\u00e9es, fixes. » Nombres P. Sollers.<\/p>\n
Parvenu l\u00e0 dans la pi\u00e8ce, il s\u2019asseoit encore une fois \u00e0 sa table ronde, il a prit soin auparavant d\u2019ouvrir la fen\u00eatre.<\/p>\n
Parvenu ici dans la chambre, il ouvre la fen\u00eatre en grand puis s\u2019asseoit \u00e0 la table rectangulaire pour \u00e9crire sur un cahier d\u2019\u00e9colier.<\/p>\n
Il referme soigneusement la porte de la chambre, se dirige vers le mur nord, ouvre la fen\u00eatre qui donne sur un mur aveugle, puis il s\u2019asseoit \u00e0 sa table, ouvre son cahier d\u2019\u00e9colier, la main qui tient le crayon en suspens.<\/p>\n
Il rel\u00e8ve la t\u00eate, son regard se dirige vers la fen\u00eatre. Au del\u00e0 de celle-ci, au-dessus du mur aveugle, un rectangle de ciel bleu.<\/p>\n
« D\u2019apr\u00e8s un passage des Rites de Tsheou, le magistrat charg\u00e9 de la surintendance de la divination avait dans ses attributions la surveillance des r\u00e8gles pos\u00e9es par les trois livres appel\u00e9s Yi, ou des Changements. Le premier de ces trois livres \u00e9tait intitul\u00e9 Lien shan, Cha\u00eene des montagnes, c\u2019est-\u00e0-dire succession ininterrompue de montagnes. Ce titre provenait de la classification adopt\u00e9e des hexagrammes, dont le premier figurait « la montagne sur la montagne » ; le symbole adopt\u00e9 \u00e9tait les nuages \u00e9manant des montagnes. Le second \u00e9tait intitul\u00e9 Kouei mang, Retour et Conc\u00e8lement, parce qu\u2019il n\u2019\u00e9tait aucune question qui ne p\u00fbt y \u00eatre ramen\u00e9e et que toutes s\u2019y trouvaient cach\u00e9es et contenues. Le dernier avait pour titre Tsheou [1] yi, Changements dans la r\u00e9volution circulaire, ce qui exprimait que la doctrine du livre des changements s\u2019\u00e9tend \u00e0 tout et embrasse toutes choses dans son orbe. Cette explication des titres de ces trois ouvrages est personnelle \u00e0 son auteur et n\u2019est appuy\u00e9e sur aucun texte faisant autorit\u00e9 ; elle n\u2019est plus admise par personne ; je la crois cependant plus pr\u00e8s de la v\u00e9rit\u00e9 que les autres, qui vont suivre. » Yi King P.- L.- F. PHILASTRE (1881)<\/p>\n
Alternance du r\u00e9cit et du commentaire. Trois pans \u00e0 l\u2019imparfait et un bloc au pr\u00e9sent en italique, \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019une note de bas de page directement incluse dans le fil du r\u00e9cit. Si on dispose de blocs suppl\u00e9mentaire autre que par convention quatre, on sort alors du carr\u00e9, d\u2019un espace \u00e0 quatre dimensions \u2013 on sort de quelque chose de connu.<\/p>\n
En Chine les nombres ont plus un pouvoir descriptif servant \u00e0 situer plus qu\u2019\u00e0 compter. D\u2019ailleurs \u00e0 l\u2019origine quand on place des cailloux dans un sac dans la m\u00e9thode dite terme \u00e0 terme, on r\u00e9alise moins un calcul qu\u2019une situation. Il se trouve que dix moutons sont remplac\u00e9s par des cailloux, l\u2019affaire est dans le sac.<\/p>\n
Le chiffre cinq marque un passage chez les mayas, apr\u00e8s l\u2019inscription de points on parvient \u00e0 une ligne d\u2019horizon. Ensuite tout ce qui se situe au-dessus de l\u2019horizon, six sept huit neuf traite d\u2019une aventure g\u00e9n\u00e9tique. C\u2019est \u00e0 dire d\u2019une \u00e9volution, jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9cimale, le neuf \u00e9tant l\u2019ultime \u00e9tape de la s\u00e9rie- quelque chose se renouvelant.<\/p>\n
L\u2019effort de faire des petits paquets de dix pour s\u2019aventurer dans l\u2019inconnu que repr\u00e9sente l\u2019innombrable.<\/p>\n
Et aussi ces carr\u00e9s- calqu\u00e9s sur ceux de la page de ce cahier d\u2019\u00e9colier- que l\u2019on dessine, dont on renforce les contours, enfant , en ajoutant des diagonales et croix \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. Dans un carr\u00e9 un flocon de neige. Sauf qu\u2019on ne d\u00e9passe pas le huit- l\u2019infini- ainsi.<\/p>\n
La m\u00e9thodologie du carr\u00e9 barr\u00e9 est mieux adapt\u00e9e pour parvenir \u00e0 l\u2019horizon d\u2019un \u00e9v\u00e8nement ( cinq).<\/p>\n
Je compte sur mes dix doigts pour arriver \u00e0 deux mains ( demain) mais difficile d\u2019\u00eatre carr\u00e9, je tourne en rond. Cela vient-il du fait que je suis plus constitu\u00e9 de temps que d\u2019espace ?<\/p>\n
La notion d\u2019empan- la largeur de la main, la largeur de l\u2019esprit, directement reli\u00e9e aux nombres.<\/p>\n
Ce blocage vis \u00e0 vis des math\u00e9matiques, des chiffres et des nombres, provient- c\u2019est l\u2019histoire qu\u2019il s\u2019inventa- d\u2019un passage intempestif de l\u2019arithm\u00e9tique \u00e0 l\u2019alg\u00e8bre. Mais peut-\u00eatre que c\u2019est faux, qu\u2019au del\u00e0 de cette invention, il cherche \u00e0 r\u00e9utiliser les chiffres comme le font les chinois, les anciennes civilisations. Non pour calculer des sommes, des profits, mais pour simultan\u00e9ment situer l\u2019existence des choses et des \u00eatres qui l\u2019entourent et lui-m\u00eame vis \u00e0 vis de ces choses et de ces \u00eatres. Pour tenter d\u2019\u00e9lucider la quadrature du cercle. Le cercle du temps inscrit dans le carr\u00e9 de l\u2019espace et vice versa.<\/p>\n
Peut-\u00eatre se disait-il : le hasard n\u2019est qu\u2019un synonyme de ce que repr\u00e9sente les lois de la g\u00e9n\u00e9tique.<\/p>\n
Dans le mot g\u00e9n\u00e9tique, le g\u00e9nie, l\u2019esprit, les eaux. Et cette r\u00e9miniscence soudaine, \u00e0 quel point les lois terrestres changent alors que la loi maritime ne change pas. L\u2019id\u00e9e que la mer est reposante en cela que les lois dans son espace restent immuables.<\/p>\n
Le fait que le profit s\u2019empare du vocabulaire de l\u2019eau. La banque d\u00e9riv\u00e9 de bank- berge, rive, canalise le flow, le flux, le contr\u00f4le. La d\u00e9livrance d\u2019une femme qui accouche et delivery la livraison d\u2019un produit, le certificat de livraison et de naissance.<\/p>\n
Ainsi on passe d\u2019une pr\u00e9occupation de situer les choses dans le monde \u00e0 leur comptabilit\u00e9, \u00e0 leur accumulation, \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9, au pouvoir. Et tout l\u2019\u00e9sot\u00e9risme li\u00e9 aux termes de droit et de comptabilit\u00e9. Encore une fois les initi\u00e9s et les ignorants. Les ignorants \u00e9tant aussit\u00f4ts exploit\u00e9s par les sachants.<\/p>\n
S\u2019enfermer entre quatre murs pour \u00e9crire. La page blanche, un espace rectangulaire aussi, mais peut-\u00eatre que celui qui \u00e9crit se confond avec l\u2019un des c\u00f4t\u00e9s de ce rectangle, celui le plus proche du clavier, le c\u00f4t\u00e9 bas de l\u2019\u00e9cran.<\/p>\n
Et cette image de F. qui dans une vid\u00e9o nous montre l\u2019acquisition d\u2019 un nouvel \u00e9cran ( vertical ) suppl\u00e9mentaire. On peut donc imaginer qu\u2019il y a bien un soucis de situation avant toute chose, avant toute r\u00e9flexion. Le fait de ne pas r\u00e9ussir \u00e0 s\u2019installer- m\u00eame temporairement- dans une situation cr\u00e9e une fatigue, une \u00e9rosion, une usure.<\/p>\n
Avoir de la suite dans les id\u00e9es, expression en relation avec ce mot de situation. O\u00f9 est-ce que je me situe dans la suite de ces id\u00e9es, dans le d\u00e9ploiement d\u2019une seule de ces id\u00e9es ? Si je n\u2019arrive pas \u00e0 le savoir, la fatigue me tombe dessus, une confusion s\u2019installe, je baisse les bras d\u2019avoir trop essay\u00e9 de r\u00e9soudre cette \u00e9nigme sans disposer d\u2019un savoir n\u00e9cessaire \u00e0 cette fin. C\u2019est pour cette raison que le 1 est en d\u00e9but de s\u00e9rie, le B A \u2013 BA. 1 engendre 2 qui ensemble engendrent le 3 etc.<\/p>\n
La mise \u00e0 mort de la repr\u00e9sentation doit se laisser repr\u00e9senter ; le refus du r\u00e9cit passe obligatoirement par le r\u00e9cit ( pileface.com)<\/p>\n
Encore une fois me voici perdu \u00e0 la fin de cette s\u00e9ance d\u2019\u00e9criture. Prise de conscience d\u2019une surchage cognitive dans le texte qui est le reflet de celle pr\u00e9sente dans ma caboche. Ce qui fait qu\u2019au bout du compte suis crev\u00e9 en imaginant la somme de travail encore \u00e0 produire pour clarifier ces textes. En cela il ne s\u2019agit que d\u2019un gigantesque brouillon, un salmigondis. Cela n\u2019apporte au monde qu\u2019un peu plus de confusion dont il n\u2019a pas besoin. Mais finalement si ce blogue, ce journal ne servent qu\u2019\u00e0 parvenir \u00e0 cette prise de conscience ce ne serait pas si tragique. A ce moment l\u00e0 une source possible de la fatigue vient de cette surcharge d\u00e9pos\u00e9e par l\u2019\u00e9criture dans l\u2019\u00e9criture. Peut-\u00eatre qu\u2019une p\u00e9riode de calme, de silence est la suite logique de ce mouvement. Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019\u00e9criture reprenne, d\u00e9barrass\u00e9e d\u2019un trop plein, du fantasme de l\u2019infini, proche d\u2019une toute puissance, laissant place \u00e0 un espoir de clart\u00e9.<\/p>", "content_text": "Espace carr\u00e9, temps circulaire. Un mur semble absent form\u00e9 de rien de vide de nuit et d\u2019air \u00ab Cette quatri\u00e8me surface est en quelque sorte pratiqu\u00e9e dans l\u2019air, elle permet aux paroles de se faire entendre, aux corps de se laisser regarder, on l\u2019oublie par cons\u00e9quent ais\u00e9ment, et l\u00e0 est sans doute l\u2019illusion ou l\u2019erreur. En effet, ce qu\u2019on prend ainsi trop facilement pour l\u2019ouverture d\u2019une sc\u00e8ne n\u2019en est pas moins un panneau d\u00e9formant, un invisible et impalpable voile opaque qui joue vers les trois autres c\u00f4t\u00e9s la fonction d\u2019un miroir ou d\u2019un r\u00e9flecteur et vers l\u2019ext\u00e9rieur (c\u2019est-\u00e0-dire vers le spectateur possible mais par cons\u00e9quent toujours repouss\u00e9, multiple) le r\u00f4le d\u2019un r\u00e9v\u00e9lateur n\u00e9gatif o\u00f9 les inscriptions produites simultan\u00e9ment sur les autres plans apparaissent l\u00e0 invers\u00e9es, redress\u00e9es, fixes. \u00bb Nombres P. Sollers. Parvenu l\u00e0 dans la pi\u00e8ce, il s\u2019asseoit encore une fois \u00e0 sa table ronde, il a prit soin auparavant d\u2019ouvrir la fen\u00eatre. Parvenu ici dans la chambre, il ouvre la fen\u00eatre en grand puis s\u2019asseoit \u00e0 la table rectangulaire pour \u00e9crire sur un cahier d\u2019\u00e9colier. Il referme soigneusement la porte de la chambre, se dirige vers le mur nord, ouvre la fen\u00eatre qui donne sur un mur aveugle, puis il s\u2019asseoit \u00e0 sa table, ouvre son cahier d\u2019\u00e9colier, la main qui tient le crayon en suspens. Il rel\u00e8ve la t\u00eate, son regard se dirige vers la fen\u00eatre. Au del\u00e0 de celle-ci, au-dessus du mur aveugle, un rectangle de ciel bleu. \u00ab D\u2019apr\u00e8s un passage des Rites de Tsheou, le magistrat charg\u00e9 de la surintendance de la divination avait dans ses attributions la surveillance des r\u00e8gles pos\u00e9es par les trois livres appel\u00e9s Yi, ou des Changements. Le premier de ces trois livres \u00e9tait intitul\u00e9 Lien shan, Cha\u00eene des montagnes, c\u2019est-\u00e0-dire succession ininterrompue de montagnes. Ce titre provenait de la classification adopt\u00e9e des hexagrammes, dont le premier figurait \u00ab la montagne sur la montagne \u00bb ; le symbole adopt\u00e9 \u00e9tait les nuages \u00e9manant des montagnes. Le second \u00e9tait intitul\u00e9 Kouei mang, Retour et Conc\u00e8lement, parce qu\u2019il n\u2019\u00e9tait aucune question qui ne p\u00fbt y \u00eatre ramen\u00e9e et que toutes s\u2019y trouvaient cach\u00e9es et contenues. Le dernier avait pour titre Tsheou [1] yi, Changements dans la r\u00e9volution circulaire, ce qui exprimait que la doctrine du livre des changements s\u2019\u00e9tend \u00e0 tout et embrasse toutes choses dans son orbe. Cette explication des titres de ces trois ouvrages est personnelle \u00e0 son auteur et n\u2019est appuy\u00e9e sur aucun texte faisant autorit\u00e9 ; elle n\u2019est plus admise par personne ; je la crois cependant plus pr\u00e8s de la v\u00e9rit\u00e9 que les autres, qui vont suivre. \u00bb Yi King P.- L.- F. PHILASTRE (1881) Alternance du r\u00e9cit et du commentaire. Trois pans \u00e0 l\u2019imparfait et un bloc au pr\u00e9sent en italique, \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019une note de bas de page directement incluse dans le fil du r\u00e9cit. Si on dispose de blocs suppl\u00e9mentaire autre que par convention quatre, on sort alors du carr\u00e9, d\u2019un espace \u00e0 quatre dimensions \u2013 on sort de quelque chose de connu. En Chine les nombres ont plus un pouvoir descriptif servant \u00e0 situer plus qu\u2019\u00e0 compter. D\u2019ailleurs \u00e0 l\u2019origine quand on place des cailloux dans un sac dans la m\u00e9thode dite terme \u00e0 terme, on r\u00e9alise moins un calcul qu\u2019une situation. Il se trouve que dix moutons sont remplac\u00e9s par des cailloux, l\u2019affaire est dans le sac. Le chiffre cinq marque un passage chez les mayas, apr\u00e8s l\u2019inscription de points on parvient \u00e0 une ligne d\u2019horizon. Ensuite tout ce qui se situe au-dessus de l\u2019horizon, six sept huit neuf traite d\u2019une aventure g\u00e9n\u00e9tique. C\u2019est \u00e0 dire d\u2019une \u00e9volution, jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9cimale, le neuf \u00e9tant l\u2019ultime \u00e9tape de la s\u00e9rie- quelque chose se renouvelant. L\u2019effort de faire des petits paquets de dix pour s\u2019aventurer dans l\u2019inconnu que repr\u00e9sente l\u2019innombrable. Et aussi ces carr\u00e9s- calqu\u00e9s sur ceux de la page de ce cahier d\u2019\u00e9colier- que l\u2019on dessine, dont on renforce les contours, enfant , en ajoutant des diagonales et croix \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. Dans un carr\u00e9 un flocon de neige. Sauf qu\u2019on ne d\u00e9passe pas le huit- l\u2019infini- ainsi. La m\u00e9thodologie du carr\u00e9 barr\u00e9 est mieux adapt\u00e9e pour parvenir \u00e0 l\u2019horizon d\u2019un \u00e9v\u00e8nement ( cinq). Je compte sur mes dix doigts pour arriver \u00e0 deux mains ( demain) mais difficile d\u2019\u00eatre carr\u00e9, je tourne en rond. Cela vient-il du fait que je suis plus constitu\u00e9 de temps que d\u2019espace ? La notion d\u2019empan- la largeur de la main, la largeur de l\u2019esprit, directement reli\u00e9e aux nombres. Ce blocage vis \u00e0 vis des math\u00e9matiques, des chiffres et des nombres, provient- c\u2019est l\u2019histoire qu\u2019il s\u2019inventa- d\u2019un passage intempestif de l\u2019arithm\u00e9tique \u00e0 l\u2019alg\u00e8bre. Mais peut-\u00eatre que c\u2019est faux, qu\u2019au del\u00e0 de cette invention, il cherche \u00e0 r\u00e9utiliser les chiffres comme le font les chinois, les anciennes civilisations. Non pour calculer des sommes, des profits, mais pour simultan\u00e9ment situer l\u2019existence des choses et des \u00eatres qui l\u2019entourent et lui-m\u00eame vis \u00e0 vis de ces choses et de ces \u00eatres. Pour tenter d\u2019\u00e9lucider la quadrature du cercle. Le cercle du temps inscrit dans le carr\u00e9 de l\u2019espace et vice versa. Peut-\u00eatre se disait-il: le hasard n\u2019est qu\u2019un synonyme de ce que repr\u00e9sente les lois de la g\u00e9n\u00e9tique. Dans le mot g\u00e9n\u00e9tique, le g\u00e9nie, l\u2019esprit, les eaux. Et cette r\u00e9miniscence soudaine, \u00e0 quel point les lois terrestres changent alors que la loi maritime ne change pas. L\u2019id\u00e9e que la mer est reposante en cela que les lois dans son espace restent immuables. Le fait que le profit s\u2019empare du vocabulaire de l\u2019eau. La banque d\u00e9riv\u00e9 de bank- berge, rive, canalise le flow, le flux, le contr\u00f4le. La d\u00e9livrance d\u2019une femme qui accouche et delivery la livraison d\u2019un produit, le certificat de livraison et de naissance. Ainsi on passe d\u2019une pr\u00e9occupation de situer les choses dans le monde \u00e0 leur comptabilit\u00e9, \u00e0 leur accumulation, \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9, au pouvoir. Et tout l\u2019\u00e9sot\u00e9risme li\u00e9 aux termes de droit et de comptabilit\u00e9. Encore une fois les initi\u00e9s et les ignorants. Les ignorants \u00e9tant aussit\u00f4ts exploit\u00e9s par les sachants. S\u2019enfermer entre quatre murs pour \u00e9crire. La page blanche, un espace rectangulaire aussi, mais peut-\u00eatre que celui qui \u00e9crit se confond avec l\u2019un des c\u00f4t\u00e9s de ce rectangle, celui le plus proche du clavier, le c\u00f4t\u00e9 bas de l\u2019\u00e9cran. Et cette image de F. qui dans une vid\u00e9o nous montre l\u2019acquisition d\u2019 un nouvel \u00e9cran ( vertical ) suppl\u00e9mentaire. On peut donc imaginer qu\u2019il y a bien un soucis de situation avant toute chose, avant toute r\u00e9flexion. Le fait de ne pas r\u00e9ussir \u00e0 s\u2019installer- m\u00eame temporairement- dans une situation cr\u00e9e une fatigue, une \u00e9rosion, une usure. Avoir de la suite dans les id\u00e9es, expression en relation avec ce mot de situation. O\u00f9 est-ce que je me situe dans la suite de ces id\u00e9es, dans le d\u00e9ploiement d\u2019une seule de ces id\u00e9es ? Si je n\u2019arrive pas \u00e0 le savoir, la fatigue me tombe dessus, une confusion s\u2019installe, je baisse les bras d\u2019avoir trop essay\u00e9 de r\u00e9soudre cette \u00e9nigme sans disposer d\u2019un savoir n\u00e9cessaire \u00e0 cette fin. C\u2019est pour cette raison que le 1 est en d\u00e9but de s\u00e9rie, le B A \u2013 BA. 1 engendre 2 qui ensemble engendrent le 3 etc. La mise \u00e0 mort de la repr\u00e9sentation doit se laisser repr\u00e9senter; le refus du r\u00e9cit passe obligatoirement par le r\u00e9cit ( pileface.com) Encore une fois me voici perdu \u00e0 la fin de cette s\u00e9ance d\u2019\u00e9criture. Prise de conscience d\u2019une surchage cognitive dans le texte qui est le reflet de celle pr\u00e9sente dans ma caboche. Ce qui fait qu\u2019au bout du compte suis crev\u00e9 en imaginant la somme de travail encore \u00e0 produire pour clarifier ces textes. En cela il ne s\u2019agit que d\u2019un gigantesque brouillon, un salmigondis. Cela n\u2019apporte au monde qu\u2019un peu plus de confusion dont il n\u2019a pas besoin. Mais finalement si ce blogue, ce journal ne servent qu\u2019\u00e0 parvenir \u00e0 cette prise de conscience ce ne serait pas si tragique. A ce moment l\u00e0 une source possible de la fatigue vient de cette surcharge d\u00e9pos\u00e9e par l\u2019\u00e9criture dans l\u2019\u00e9criture. Peut-\u00eatre qu\u2019une p\u00e9riode de calme, de silence est la suite logique de ce mouvement. Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019\u00e9criture reprenne, d\u00e9barrass\u00e9e d\u2019un trop plein, du fantasme de l\u2019infini, proche d\u2019une toute puissance, laissant place \u00e0 un espoir de clart\u00e9.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image_1_.jpg?1748065061", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Murs"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/28-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/28-aout-2024.html", "title": "28 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:47:18Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nLe jour existe encore dans mon souvenir o\u00f9 toute la fragilit\u00e9 du monde est ma seule force, ma r\u00e9volte. Plus la nuit avance, plus je per\u00e7ois au loin sa lueur qui peu \u00e0 peu dispara\u00eet. Comme si j\u2019avais laiss\u00e9 tomber. Comme si la b\u00eate devait avoir le dessus au final. La d\u00e9faite \u00e9tant inscrite d\u00e8s l\u2019origine, quand Noon \u00e0 son z\u00e9nith attribue \u00e0 chaque heure une partie du corps d\u2019Osiris pour qu\u2019Horus s\u2019en repaisse. L\u2019apr\u00e8s-midi, afternoon, voil\u00e0 les ombres qui s\u2019agrandissent, on se rejoue \u00e0 nouveau le spectacle de l\u2019angoisse et du d\u00e9sir. Puis vient enfin le soir, la nuit, et tout sombre dans le sombre. (Ces envol\u00e9es po\u00e9tiques, si aga\u00e7antes soient-elles, parergon de je ne sais quel ergon). Et si le parergon ne servait qu\u2019\u00e0 t\u00e9moigner de la pr\u00e9sence de l\u2019\u0153uvre sans qu\u2019on ne voie jamais celle-ci, quel fou rire. On se tiendrait les c\u00f4tes, et l\u2019on dirait comme je les ai tous bien eus. eux \u00e9tant soi comme toujours. Et cette immense tristesse de sortir de la ville vide, d\u2019une ville fant\u00f4me, devenu moi fant\u00f4me. Parfois, je m\u2019en prends encore \u00e0 de vieux espoirs, ces vieillards si aga\u00e7ants qu\u2019on a envie de les battre. Tout \u00e7a est de ta faute, je te le dis \u00e0 toi, \u00e0 toi aussi, et encore \u00e0 toi. Enfantillages. Le c\u0153ur est encore lourd d\u2019un \u00e9cho, d\u2019un poids qu\u2019on croit avoir port\u00e9, comme soudain il serait vide sans une telle r\u00e9sonnace, et comme on craint \u00e0 l\u2019avance la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 d\u2019une telle d\u00e9cision. S\u2019en d\u00e9tacher, s\u2019en foutre.<\/p>\n
Personne ne na\u00eet jamais nulle part, tout le monde est engendr\u00e9, nous l\u2019avons oubli\u00e9. L\u2019oxyg\u00e8ne nous manque, et nos mains ne savent plus compter sur nos 10 doigts \u2013 ni dire deux mains, demain. L\u2019aleph marche en t\u00eate en tirant sa lourde charge \u2013 toutes les lettres mortes \u2013 comme un b\u0153uf sa charrue sur un sol st\u00e9rile. Le geste auguste du semeur n\u2019est plus qu\u2019une peinture \u00e9caill\u00e9e. La lassitude rend triste \u00e0 en mourir. Les eaux d\u2019en haut, les eaux d\u2019en bas, la porte par laquelle passer pour te rejoindre- gait\u00e9- les bras m\u2019en tombent esprit, feu follet.<\/p>\n
Avec raison ils diront bien ce qu\u2019ils voudront, bons chevaux avancez droit dans vos sillons. Les regarde d\u00e9sormais s\u2019\u00e9loigner au loin, la musique s\u2019amenuise et les mots qui sortent de ma bouche g\u00e8lent en plein \u00e9t\u00e9.<\/p>", "content_text": "Le jour existe encore dans mon souvenir o\u00f9 toute la fragilit\u00e9 du monde est ma seule force, ma r\u00e9volte. Plus la nuit avance, plus je per\u00e7ois au loin sa lueur qui peu \u00e0 peu dispara\u00eet. Comme si j\u2019avais laiss\u00e9 tomber. Comme si la b\u00eate devait avoir le dessus au final. La d\u00e9faite \u00e9tant inscrite d\u00e8s l\u2019origine, quand Noon \u00e0 son z\u00e9nith attribue \u00e0 chaque heure une partie du corps d\u2019Osiris pour qu\u2019Horus s\u2019en repaisse. L\u2019apr\u00e8s-midi, afternoon, voil\u00e0 les ombres qui s\u2019agrandissent, on se rejoue \u00e0 nouveau le spectacle de l\u2019angoisse et du d\u00e9sir. Puis vient enfin le soir, la nuit, et tout sombre dans le sombre. (Ces envol\u00e9es po\u00e9tiques, si aga\u00e7antes soient-elles, parergon de je ne sais quel ergon). Et si le parergon ne servait qu\u2019\u00e0 t\u00e9moigner de la pr\u00e9sence de l\u2019\u0153uvre sans qu\u2019on ne voie jamais celle-ci, quel fou rire. On se tiendrait les c\u00f4tes, et l\u2019on dirait comme je les ai tous bien eus. eux \u00e9tant soi comme toujours. Et cette immense tristesse de sortir de la ville vide, d\u2019une ville fant\u00f4me, devenu moi fant\u00f4me. Parfois, je m\u2019en prends encore \u00e0 de vieux espoirs, ces vieillards si aga\u00e7ants qu\u2019on a envie de les battre. Tout \u00e7a est de ta faute, je te le dis \u00e0 toi, \u00e0 toi aussi, et encore \u00e0 toi. Enfantillages. Le c\u0153ur est encore lourd d\u2019un \u00e9cho, d\u2019un poids qu\u2019on croit avoir port\u00e9, comme soudain il serait vide sans une telle r\u00e9sonnace, et comme on craint \u00e0 l\u2019avance la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 d\u2019une telle d\u00e9cision. S\u2019en d\u00e9tacher, s\u2019en foutre. Personne ne na\u00eet jamais nulle part, tout le monde est engendr\u00e9, nous l\u2019avons oubli\u00e9. L\u2019oxyg\u00e8ne nous manque, et nos mains ne savent plus compter sur nos 10 doigts \u2013 ni dire deux mains, demain. L\u2019aleph marche en t\u00eate en tirant sa lourde charge \u2013 toutes les lettres mortes \u2013 comme un b\u0153uf sa charrue sur un sol st\u00e9rile. Le geste auguste du semeur n\u2019est plus qu\u2019une peinture \u00e9caill\u00e9e. La lassitude rend triste \u00e0 en mourir. Les eaux d\u2019en haut, les eaux d\u2019en bas, la porte par laquelle passer pour te rejoindre- gait\u00e9- les bras m\u2019en tombent esprit, feu follet. Avec raison ils diront bien ce qu\u2019ils voudront, bons chevaux avancez droit dans vos sillons. Les regarde d\u00e9sormais s\u2019\u00e9loigner au loin, la musique s\u2019amenuise et les mots qui sortent de ma bouche g\u00e8lent en plein \u00e9t\u00e9.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rose-noire-une_1_.jpg?1748065085", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/27-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/27-aout-2024.html", "title": "27 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:45:43Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nEnfin os\u00e9 recopier tous les textes \u00e9crits durant l\u2019atelier pour les coller dans le mod\u00e8le offert par F. Cependant, les ai ajout\u00e9s \u00e0 la suite de cet essai sur la fatigue. Au total, un bien long document de 310 pages, divis\u00e9 en 49 chapitres. Qu\u2019en faire maintenant ? Je ne vais certainement pas envoyer \u00e7a. Plusieurs id\u00e9es me viennent pour utiliser cette mati\u00e8re. D\u2019abord, j\u2019ai pens\u00e9 relire l\u2019ensemble pour \u00e9laguer un peu les passages trop personnels, supprimer les redites, corriger \u00e0 nouveau l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation, essayer au maximum de rester au pr\u00e9sent de l\u2019indicatif. \u00c0 partir de l\u00e0, cr\u00e9er un PDF et publier ce document sur Amazon tel quel, de fa\u00e7on \u00e0 obtenir un ISBN. Je crois qu\u2019ensuite, on peut modifier le manuscrit et le r\u00e9\u00e9diter autant de fois qu\u2019on le veut \u00e0 condition de ne pas changer le titre, voire la couverture (\u00e0 v\u00e9rifier). Cela me fera un livre que je pourrai ensuite commander pour moi seul, et \u00e0 partir de cet objet \u00e0 port\u00e9e de main, si je peux dire, le feuilleter autant que je le veux pour en extraire des passages \u2013 ce serait donc \u00e7a le vrai livre ensuite, quelque chose de r\u00e9duit, d\u2019\u00e9pur\u00e9. Je me rends compte que les titres des chapitres ne fonctionnent pas du tout. R\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 cette table des mati\u00e8res est un v\u00e9ritable travail, car cela demande de relire et relire encore jusqu\u2019\u00e0 trouver une coh\u00e9rence, une logique interne des diff\u00e9rents fragments qui m\u2019\u00e9chappe encore. Je ne peux m\u2019appuyer pour l\u2019instant que sur cette id\u00e9e vague, la th\u00e9matique de la fatigue. Laisser reposer peut aussi \u00eatre une option. Laisser ce texte tel quel et passer \u00e0 autre chose. Trouver un autre terme que la fatigue, qui, \u00e0 force de me le ressasser, finit par tout envahir. Or, la rentr\u00e9e arrive, il me faut revenir \u00e0 la pr\u00e9paration des cours et des ateliers. La retraite n\u2019\u00e9tant pas encore valid\u00e9e, il faut toujours penser \u00e0 l\u2019argent, aux factures, etc.<\/p>\n
L\u2019art de me mettre tout seul des b\u00e2tons dans les roues, il faut creuser \u00e7a. Cela fait deux ans que je retarde le moment de prendre cette retraite, que je me trouve un tas de mauvaises raisons pour tra\u00eener, reporter, rater la r\u00e9daction notamment de ce fameux dossier. En fait, que peut-il bien y avoir apr\u00e8s la retraite ? Pas grand-chose, me serine une voix int\u00e9rieure. Les jeux sont faits, plus qu\u2019\u00e0 pr\u00e9parer la fin. Ce qui est grotesque, \u00e9videmment. Mais si grotesque cela soit, \u00e7a continue \u00e0 se dire en t\u00e2che de fond : la retraite puis la mort, point final. Comme si je n\u2019allais plus rien faire une fois que j\u2019aurais mis le doigt dedans. L\u2019engrenage, une image de moulin \u00e9crabouillant du grain ou des olives. Ne subsiste qu\u2019une id\u00e9e d\u2019essence, cette affreuse notion de l\u2019essentiel comme toujours. Un essentiel qui viendrait de la vie en absence de toute volont\u00e9 de ma part.<\/p>\n
J\u2019\u00e9cris mal, la concentration n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus la m\u00eame, sensation de fatigue accompagn\u00e9e de n\u00e9gligence, et, en m\u00eame temps, sans savoir si c\u2019est bien ou mal, une absence de pudeur, de pr\u00e9caution.Un laisser aller ? -Peut-\u00eatre une forme encore larv\u00e9e de cette urgence qui n\u2019a jamais cess\u00e9e depuis mes tout premiers jours et contre quoi je ne dispose que de l\u2019inertie et de cette \u00e9trange forme de paresse pour y r\u00e9sister.<\/p>\n
Dans cinq jours, un cycle complet, 365 jours durant lesquels \u2013 chaque jour \u2013 un texte aura \u00e9t\u00e9 publi\u00e9 sur ce site. Cinq jours, le temps de r\u00e9diger sans doute une conclusion et de p\u00e9n\u00e9trer vraiment dans le travail. Il faut que j\u2019arrive \u00e0 mieux m\u2019organiser, \u00e0 trouver une place pour continuer le journal si j\u2019estime encore en avoir besoin, et parall\u00e8lement m\u2019enfoncer dans plus de discr\u00e9tion, plus de silence pour vraiment \u00e9crire cet essai sur la fatigue, aller peut-\u00eatre au bout du bout de cette fatigue qui me conduit d\u00e9j\u00e0, je le sens, \u00e0 un autre degr\u00e9 de solitude.<\/p>\n
lecture de cet article sur Diacritik : Parfois, je veux juste toucher \u2013 Chroniques, 2024 (14)Lecture d\u2019un article de G.B sur le site « diacritik » juste apr\u00e8s avoir \u00e9crit ce texte. Ce qui me donne imm\u00e9diatement envie de me rendre \u00e0 la salle de bain et de me tirer la langue.<\/p>\n
Dernier voyage \u00e0 I. pour remettre la clef. Reconnaitre les visages, un effort, et plus encore de placer un nom dessus. Att\u00e9r\u00e9 par la vitesse \u00e0 laquelle l\u2019oubli progresse. Ou alors autre hypoth\u00e8se il se passe tant de choses \u00e0 la seconde dans ma caboche que pas la possibilit\u00e9 de conserver la m\u00e9moire, ou encore plus rien du tout ne m\u2019int\u00e9resse vraiment, je ne retiens plus rien. Prisonnier en soi-m\u00eame. Comme le g\u00e9nie de la lampe d\u2019Aladin. Mon p\u00e8re \u00e9tait ainsi, refusant de voir les gens, il les jaugeait en moins de cinq secondes, puis leur tournait le dos. Il m\u2019avait jaug\u00e9 ainsi depuis belle lurette. Aujourd\u2019hui ne peux rien faire d\u2019autre que lui donner raison. G\u00e9nie et g\u00e9n\u00e9tique, ou encore selon l\u2019expression habituelle l\u00e0 o\u00f9 il y a de la g\u00e8ne etc.<\/p>\n
De plus en plus de mal en tous cas \u00e0 faire semblant, \u00e0 faire comme si tout \u00e9tait normal. A partir de ce constat deux solutions, tourner les talons d\u00e8s que je sens l\u2019agacement monter ou bien -si vraiment je ne peux faire autrement \u2013 montrer que je suis l\u2019individu le plus ridicule que je connaisse pour qu\u2019eux tournent les talons.<\/p>", "content_text": "Enfin os\u00e9 recopier tous les textes \u00e9crits durant l\u2019atelier pour les coller dans le mod\u00e8le offert par F. Cependant, les ai ajout\u00e9s \u00e0 la suite de cet essai sur la fatigue. Au total, un bien long document de 310 pages, divis\u00e9 en 49 chapitres. Qu\u2019en faire maintenant ? Je ne vais certainement pas envoyer \u00e7a. Plusieurs id\u00e9es me viennent pour utiliser cette mati\u00e8re. D\u2019abord, j\u2019ai pens\u00e9 relire l\u2019ensemble pour \u00e9laguer un peu les passages trop personnels, supprimer les redites, corriger \u00e0 nouveau l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation, essayer au maximum de rester au pr\u00e9sent de l\u2019indicatif. \u00c0 partir de l\u00e0, cr\u00e9er un PDF et publier ce document sur Amazon tel quel, de fa\u00e7on \u00e0 obtenir un ISBN. Je crois qu\u2019ensuite, on peut modifier le manuscrit et le r\u00e9\u00e9diter autant de fois qu\u2019on le veut \u00e0 condition de ne pas changer le titre, voire la couverture (\u00e0 v\u00e9rifier). Cela me fera un livre que je pourrai ensuite commander pour moi seul, et \u00e0 partir de cet objet \u00e0 port\u00e9e de main, si je peux dire, le feuilleter autant que je le veux pour en extraire des passages \u2013 ce serait donc \u00e7a le vrai livre ensuite, quelque chose de r\u00e9duit, d\u2019\u00e9pur\u00e9. Je me rends compte que les titres des chapitres ne fonctionnent pas du tout. R\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 cette table des mati\u00e8res est un v\u00e9ritable travail, car cela demande de relire et relire encore jusqu\u2019\u00e0 trouver une coh\u00e9rence, une logique interne des diff\u00e9rents fragments qui m\u2019\u00e9chappe encore. Je ne peux m\u2019appuyer pour l\u2019instant que sur cette id\u00e9e vague, la th\u00e9matique de la fatigue. Laisser reposer peut aussi \u00eatre une option. Laisser ce texte tel quel et passer \u00e0 autre chose. Trouver un autre terme que la fatigue, qui, \u00e0 force de me le ressasser, finit par tout envahir. Or, la rentr\u00e9e arrive, il me faut revenir \u00e0 la pr\u00e9paration des cours et des ateliers. La retraite n\u2019\u00e9tant pas encore valid\u00e9e, il faut toujours penser \u00e0 l\u2019argent, aux factures, etc. L\u2019art de me mettre tout seul des b\u00e2tons dans les roues, il faut creuser \u00e7a. Cela fait deux ans que je retarde le moment de prendre cette retraite, que je me trouve un tas de mauvaises raisons pour tra\u00eener, reporter, rater la r\u00e9daction notamment de ce fameux dossier. En fait, que peut-il bien y avoir apr\u00e8s la retraite ? Pas grand-chose, me serine une voix int\u00e9rieure. Les jeux sont faits, plus qu\u2019\u00e0 pr\u00e9parer la fin. Ce qui est grotesque, \u00e9videmment. Mais si grotesque cela soit, \u00e7a continue \u00e0 se dire en t\u00e2che de fond : la retraite puis la mort, point final. Comme si je n\u2019allais plus rien faire une fois que j\u2019aurais mis le doigt dedans. L\u2019engrenage, une image de moulin \u00e9crabouillant du grain ou des olives. Ne subsiste qu\u2019une id\u00e9e d\u2019essence, cette affreuse notion de l\u2019essentiel comme toujours. Un essentiel qui viendrait de la vie en absence de toute volont\u00e9 de ma part. J\u2019\u00e9cris mal, la concentration n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus la m\u00eame, sensation de fatigue accompagn\u00e9e de n\u00e9gligence, et, en m\u00eame temps, sans savoir si c\u2019est bien ou mal, une absence de pudeur, de pr\u00e9caution.Un laisser aller ? -Peut-\u00eatre une forme encore larv\u00e9e de cette urgence qui n\u2019a jamais cess\u00e9e depuis mes tout premiers jours et contre quoi je ne dispose que de l\u2019inertie et de cette \u00e9trange forme de paresse pour y r\u00e9sister. Dans cinq jours, un cycle complet, 365 jours durant lesquels \u2013 chaque jour \u2013 un texte aura \u00e9t\u00e9 publi\u00e9 sur ce site. Cinq jours, le temps de r\u00e9diger sans doute une conclusion et de p\u00e9n\u00e9trer vraiment dans le travail. Il faut que j\u2019arrive \u00e0 mieux m\u2019organiser, \u00e0 trouver une place pour continuer le journal si j\u2019estime encore en avoir besoin, et parall\u00e8lement m\u2019enfoncer dans plus de discr\u00e9tion, plus de silence pour vraiment \u00e9crire cet essai sur la fatigue, aller peut-\u00eatre au bout du bout de cette fatigue qui me conduit d\u00e9j\u00e0, je le sens, \u00e0 un autre degr\u00e9 de solitude. lecture de cet article sur Diacritik : Parfois, je veux juste toucher \u2013 Chroniques, 2024 (14)Lecture d\u2019un article de G.B sur le site \u00ab diacritik \u00bb juste apr\u00e8s avoir \u00e9crit ce texte. Ce qui me donne imm\u00e9diatement envie de me rendre \u00e0 la salle de bain et de me tirer la langue. Dernier voyage \u00e0 I. pour remettre la clef. Reconnaitre les visages, un effort, et plus encore de placer un nom dessus. Att\u00e9r\u00e9 par la vitesse \u00e0 laquelle l\u2019oubli progresse. Ou alors autre hypoth\u00e8se il se passe tant de choses \u00e0 la seconde dans ma caboche que pas la possibilit\u00e9 de conserver la m\u00e9moire, ou encore plus rien du tout ne m\u2019int\u00e9resse vraiment, je ne retiens plus rien. Prisonnier en soi-m\u00eame. Comme le g\u00e9nie de la lampe d\u2019Aladin. Mon p\u00e8re \u00e9tait ainsi, refusant de voir les gens, il les jaugeait en moins de cinq secondes, puis leur tournait le dos. Il m\u2019avait jaug\u00e9 ainsi depuis belle lurette. Aujourd\u2019hui ne peux rien faire d\u2019autre que lui donner raison. G\u00e9nie et g\u00e9n\u00e9tique, ou encore selon l\u2019expression habituelle l\u00e0 o\u00f9 il y a de la g\u00e8ne etc. De plus en plus de mal en tous cas \u00e0 faire semblant, \u00e0 faire comme si tout \u00e9tait normal. A partir de ce constat deux solutions, tourner les talons d\u00e8s que je sens l\u2019agacement monter ou bien -si vraiment je ne peux faire autrement \u2013 montrer que je suis l\u2019individu le plus ridicule que je connaisse pour qu\u2019eux tournent les talons.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/0ff6d1c6-71c3-4822-84c1-5b8ae339d1f0.jpg?1748065131", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/26-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/26-aout-2024.html", "title": "26 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:43:39Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
\n<\/figure>\n<\/div>\nIl faut compter une heure et trente minutes depuis chez nous pour arriver \u00e0 Mars, en Ard\u00e8che, par la route. S. nous a r\u00e9serv\u00e9 des places rien que pour nous deux, M. et moi. L. \u00e9tant \u00e0 Lyon avec sa marraine. Je remarque clairement la satisfaction de M. qui, pour la toute premi\u00e8re fois, est autoris\u00e9 \u00e0 s\u2019asseoir \u00e0 l\u2019avant de la Dacia. Je ne me souviens pas de ce grand \u00e9v\u00e9nement me concernant, comme je perds la m\u00e9moire, c\u2019est fou. Mais la solution existe : il faut que j\u2019arrive \u00e0 trouver de l\u2019essence de romarin. Un sniff le matin, un sniff le soir et hop — para\u00eet-il — la m\u00e9moire revient comme par miracle. Une histoire de neurotransmission. \u00c9patant, si \u00e7a marche — encore que si je me pose la question vraiment, je ne suis pas certain de vouloir recouvrer la m\u00e9moire. En tout cas, j\u2019imagine qu\u2019on ne peut pas choisir ce dont on veut se souvenir ou pas. Tout reviendrait en bloc, \u00e7a me flanquerait au sol pendant je ne sais combien de jours. Bref. Finalement, pas une si bonne id\u00e9e cette affaire de romarin. Gardons \u00e7a seulement comme condiment pour la cuisine. La soir\u00e9e fait partie du programme \u00e9tabli depuis je ne sais combien de semaines. Bref, nous sommes partis bien en avance et arriv\u00e9s de m\u00eame, ce qui fait qu\u2019il nous reste une bonne heure pour aller marcher autour de l\u2019observatoire. Cependant, le ciel se charge de nuages, c\u2019est r\u00e2p\u00e9 pour l\u2019observation des \u00e9toiles. Il y a une salle communale juxtant le b\u00e2timent surmont\u00e9 d\u2019une coupole. Un anniversaire, beaucoup de monde, des enfants en pagaille. M. n\u2019h\u00e9site pas longtemps pour se faire des copains. Je le regarde courir, s\u2019amuser, se rouler par terre, rire \u00e0 gorge d\u00e9ploy\u00e9e, s\u2019\u00e9gosiller, et je m\u2019assois un peu \u00e0 l\u2019\u00e9cart pour reprendre la lecture de Portrait d\u2019un inconnu de Sarraute.<\/p>\n
Cette fois, comme cela m\u2019arrive presque toujours quand c\u2019est all\u00e9 un peu trop loin, j\u2019ai eu l\u2019impression d\u2019avoir « touch\u00e9 le fond » — c\u2019est une expression dont je me sers assez souvent, j\u2019en ai ainsi un certain nombre, des points de rep\u00e8re comme en ont probablement tous ceux qui errent comme moi, craintifs, dans la p\u00e9nombre de ce qu\u2019on nomme po\u00e9tiquement « le paysage int\u00e9rieur ». « J\u2019ai touch\u00e9 le fond », cela m\u2019apaise toujours un peu sur le moment, me force \u00e0 me redresser, il me semble toujours, quand je me suis dit cela, que maintenant je repousse des deux pieds ce fond avec ce qui me reste de forces et remonte\u2026<\/p>\n
Cela me rappelle comment j\u2019utilise encore beaucoup l\u2019expression « dans le fond » \u00e0 la moindre occasion. Et aussi comment, prenant conscience de ces clich\u00e9s, de ces lieux communs tr\u00e8s t\u00f4t, je m\u2019en \u00e9tais m\u00e9fi\u00e9, puis les avais ensuite collectionn\u00e9s, en filigrane toujours cette interrogation sur le langage familier, que l\u2019on consid\u00e8re comme familier. Lieu commun comme transport en commun, ce qui n\u2019emp\u00eache pas la solitude, la t\u00eate appuy\u00e9e contre la vitre \u00e0 voir d\u00e9filer le paysage.<\/p>\n
\u00c9crire au pr\u00e9sent, je m\u2019y efforce, cependant parfois le pass\u00e9 ressurgit sans que j\u2019y prenne garde. D\u00e8s que je veux raconter une histoire, l\u2019imparfait, le pass\u00e9, de fa\u00e7on scolaire, ressurgissent.<\/p>\n
Cette soir\u00e9e n\u2019est agr\u00e9able au bout du compte que parce que nous sommes tous les deux, l\u2019enfant et le vieux. Les explications techniques sur le t\u00e9lescope n\u2019ont pas du tout fascin\u00e9 M. Il s\u2019assoit par terre et, bien s\u00fbr, de temps \u00e0 autre, jette un coup d\u2019\u0153il \u00e0 son portable. Bien qu\u2019il vienne d\u2019avoir 11 ans, pas grand-chose ne l\u2019int\u00e9resse hormis ses jeux vid\u00e9o. La couche nuageuse persistant, l\u2019astronome nous invite \u00e0 contempler le ciel sur un \u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision. Une femme est venue avec sa petite fille et se plaint : « Mais si, regardez, quand on a ouvert les panneaux de la coupole, on voit deux ou trois \u00e9toiles\u2026 Avec tous les virages qu\u2019on s\u2019est tap\u00e9, ce serait dommage de ne pas braquer l\u2019engin dessus. » Le type s\u2019excuse platement pour le contretemps, ajoutant que l\u2019astronomie est d\u00e9pendante du climat, que ce n\u2019est pas de sa faute. Il explique qu\u2019en parall\u00e8le, il lui faudrait trois quarts d\u2019heure pour mettre en route son biniou, avec le risque que les nuages cachent \u00e0 nouveau\u2026 On passe au plan B. En m\u00eame temps, cela nous permet de nous asseoir, car nous avons subi les explications techniques durant un peu plus d\u2019une heure debout.<\/p>\n
Au retour, la pluie nous accompagne, il y a beaucoup de virages, le GPS bugue, et nous arrivons \u00e0 1h30 du matin. S. nous attendait, elle \u00e9tait inqui\u00e8te malgr\u00e9 le SMS que j\u2019avais envoy\u00e9 en quittant l\u2019observatoire. Ce matin, je regarde mon carnet, j\u2019ai pris la pr\u00e9caution d\u2019\u00e9crire le nom du logiciel dont se sert l\u2019astronome pour regarder les \u00e9toiles. Il y a une version de « Stellarium » pour Linux.<\/p>\n
Surprise d\u2019entendre le mot par\u00e9idolie prononc\u00e9. En effet, ces constellations prenant la forme d\u2019une ourse, d\u2019un dragon, d\u2019un b\u00e9lier doivent tout \u00e0 cette capacit\u00e9 de notre cerveau \u00e0 vouloir toujours voir quelque chose, que ce soit sur un vieux mur, dans les nuages, ou dans les \u00e9toiles.<\/p>\n
Nouvel itin\u00e9raire de promenade, \u00e0 partir des cano\u00e9s, le premier parking apr\u00e8s le pont. On peut longer la rivi\u00e8re pendant presque une demie-heure puis emprunter une passerelle pour revenir par l\u2019autre rive. Nous testons avec les enfants dimanche en fin d\u2019apr\u00e8s-midi. Trouv\u00e9 des buissons de romarin, en avons coeuilli quelques brins que l\u2019on plantera dans des pots.<\/p>", "content_text": "Il faut compter une heure et trente minutes depuis chez nous pour arriver \u00e0 Mars, en Ard\u00e8che, par la route. S. nous a r\u00e9serv\u00e9 des places rien que pour nous deux, M. et moi. L. \u00e9tant \u00e0 Lyon avec sa marraine. Je remarque clairement la satisfaction de M. qui, pour la toute premi\u00e8re fois, est autoris\u00e9 \u00e0 s\u2019asseoir \u00e0 l\u2019avant de la Dacia. Je ne me souviens pas de ce grand \u00e9v\u00e9nement me concernant, comme je perds la m\u00e9moire, c\u2019est fou. Mais la solution existe : il faut que j\u2019arrive \u00e0 trouver de l\u2019essence de romarin. Un sniff le matin, un sniff le soir et hop \u2014 para\u00eet-il \u2014 la m\u00e9moire revient comme par miracle. Une histoire de neurotransmission. \u00c9patant, si \u00e7a marche \u2014 encore que si je me pose la question vraiment, je ne suis pas certain de vouloir recouvrer la m\u00e9moire. En tout cas, j\u2019imagine qu\u2019on ne peut pas choisir ce dont on veut se souvenir ou pas. Tout reviendrait en bloc, \u00e7a me flanquerait au sol pendant je ne sais combien de jours. Bref. Finalement, pas une si bonne id\u00e9e cette affaire de romarin. Gardons \u00e7a seulement comme condiment pour la cuisine. La soir\u00e9e fait partie du programme \u00e9tabli depuis je ne sais combien de semaines. Bref, nous sommes partis bien en avance et arriv\u00e9s de m\u00eame, ce qui fait qu\u2019il nous reste une bonne heure pour aller marcher autour de l\u2019observatoire. Cependant, le ciel se charge de nuages, c\u2019est r\u00e2p\u00e9 pour l\u2019observation des \u00e9toiles. Il y a une salle communale juxtant le b\u00e2timent surmont\u00e9 d\u2019une coupole. Un anniversaire, beaucoup de monde, des enfants en pagaille. M. n\u2019h\u00e9site pas longtemps pour se faire des copains. Je le regarde courir, s\u2019amuser, se rouler par terre, rire \u00e0 gorge d\u00e9ploy\u00e9e, s\u2019\u00e9gosiller, et je m\u2019assois un peu \u00e0 l\u2019\u00e9cart pour reprendre la lecture de Portrait d\u2019un inconnu de Sarraute. Cette fois, comme cela m\u2019arrive presque toujours quand c\u2019est all\u00e9 un peu trop loin, j\u2019ai eu l\u2019impression d\u2019avoir \u00ab touch\u00e9 le fond \u00bb \u2014 c\u2019est une expression dont je me sers assez souvent, j\u2019en ai ainsi un certain nombre, des points de rep\u00e8re comme en ont probablement tous ceux qui errent comme moi, craintifs, dans la p\u00e9nombre de ce qu\u2019on nomme po\u00e9tiquement \u00ab le paysage int\u00e9rieur \u00bb. \u00ab J\u2019ai touch\u00e9 le fond \u00bb, cela m\u2019apaise toujours un peu sur le moment, me force \u00e0 me redresser, il me semble toujours, quand je me suis dit cela, que maintenant je repousse des deux pieds ce fond avec ce qui me reste de forces et remonte\u2026 Cela me rappelle comment j\u2019utilise encore beaucoup l\u2019expression \u00ab dans le fond \u00bb \u00e0 la moindre occasion. Et aussi comment, prenant conscience de ces clich\u00e9s, de ces lieux communs tr\u00e8s t\u00f4t, je m\u2019en \u00e9tais m\u00e9fi\u00e9, puis les avais ensuite collectionn\u00e9s, en filigrane toujours cette interrogation sur le langage familier, que l\u2019on consid\u00e8re comme familier. Lieu commun comme transport en commun, ce qui n\u2019emp\u00eache pas la solitude, la t\u00eate appuy\u00e9e contre la vitre \u00e0 voir d\u00e9filer le paysage. \u00c9crire au pr\u00e9sent, je m\u2019y efforce, cependant parfois le pass\u00e9 ressurgit sans que j\u2019y prenne garde. D\u00e8s que je veux raconter une histoire, l\u2019imparfait, le pass\u00e9, de fa\u00e7on scolaire, ressurgissent. Cette soir\u00e9e n\u2019est agr\u00e9able au bout du compte que parce que nous sommes tous les deux, l\u2019enfant et le vieux. Les explications techniques sur le t\u00e9lescope n\u2019ont pas du tout fascin\u00e9 M. Il s\u2019assoit par terre et, bien s\u00fbr, de temps \u00e0 autre, jette un coup d\u2019\u0153il \u00e0 son portable. Bien qu\u2019il vienne d\u2019avoir 11 ans, pas grand-chose ne l\u2019int\u00e9resse hormis ses jeux vid\u00e9o. La couche nuageuse persistant, l\u2019astronome nous invite \u00e0 contempler le ciel sur un \u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision. Une femme est venue avec sa petite fille et se plaint : \u00ab Mais si, regardez, quand on a ouvert les panneaux de la coupole, on voit deux ou trois \u00e9toiles\u2026 Avec tous les virages qu\u2019on s\u2019est tap\u00e9, ce serait dommage de ne pas braquer l\u2019engin dessus. \u00bb Le type s\u2019excuse platement pour le contretemps, ajoutant que l\u2019astronomie est d\u00e9pendante du climat, que ce n\u2019est pas de sa faute. Il explique qu\u2019en parall\u00e8le, il lui faudrait trois quarts d\u2019heure pour mettre en route son biniou, avec le risque que les nuages cachent \u00e0 nouveau\u2026 On passe au plan B. En m\u00eame temps, cela nous permet de nous asseoir, car nous avons subi les explications techniques durant un peu plus d\u2019une heure debout. Au retour, la pluie nous accompagne, il y a beaucoup de virages, le GPS bugue, et nous arrivons \u00e0 1h30 du matin. S. nous attendait, elle \u00e9tait inqui\u00e8te malgr\u00e9 le SMS que j\u2019avais envoy\u00e9 en quittant l\u2019observatoire. Ce matin, je regarde mon carnet, j\u2019ai pris la pr\u00e9caution d\u2019\u00e9crire le nom du logiciel dont se sert l\u2019astronome pour regarder les \u00e9toiles. Il y a une version de \u00ab Stellarium \u00bb pour Linux. Surprise d\u2019entendre le mot par\u00e9idolie prononc\u00e9. En effet, ces constellations prenant la forme d\u2019une ourse, d\u2019un dragon, d\u2019un b\u00e9lier doivent tout \u00e0 cette capacit\u00e9 de notre cerveau \u00e0 vouloir toujours voir quelque chose, que ce soit sur un vieux mur, dans les nuages, ou dans les \u00e9toiles. Nouvel itin\u00e9raire de promenade, \u00e0 partir des cano\u00e9s, le premier parking apr\u00e8s le pont. On peut longer la rivi\u00e8re pendant presque une demie-heure puis emprunter une passerelle pour revenir par l\u2019autre rive. Nous testons avec les enfants dimanche en fin d\u2019apr\u00e8s-midi. Trouv\u00e9 des buissons de romarin, en avons coeuilli quelques brins que l\u2019on plantera dans des pots.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1312909-voie_lactee.jpg?1748065116", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-aout-2024.html", "title": "25 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:40:18Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nL\u2019id\u00e9e que toute violence puisse \u00eatre nomm\u00e9e, qualifi\u00e9e comme une maladie ou un mal-\u00eatre, cette volont\u00e9 de pr\u00e9cision dans les termes, de distinction, avec une \u00e9chelle d\u2019intensit\u00e9 ou de notation — en un mot, cet effort perp\u00e9tuel de classement en bien ou en mal — quelle fatigue. Le classement n\u2019a jamais rien r\u00e9solu de la violence, qu\u2019elle soit sp\u00e9cifique ou g\u00e9n\u00e9rale. De m\u00eame, les hi\u00e9rarchies sont fabriqu\u00e9es pour et par le pouvoir. Quand le pouvoir change, la hi\u00e9rarchie change aussi, mais la violence demeure. Nous pensons \u00eatre toujours les m\u00eames \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ce corps, ce vaisseau, et nous disons « mon corps, ma t\u00eate, mes pieds, mes yeux », m\u00eame si nous ne le formulons pas toujours \u00e0 voix haute. Nous le pensons, nous le croyons, nous l\u2019esp\u00e9rons. Mais \u00e0 y regarder de plus pr\u00e8s, ce n\u2019est pas tout \u00e0 fait exact. Hier, dans le r\u00e9troviseur, le regard de L. n\u2019\u00e9tait pas son regard habituel. C\u2019est comme si, fortuitement, j\u2019avais surpris en elle une pr\u00e9sence hostile qui transforma ses ricanements en quelque chose d\u2019insupportable. \u00c0 ce moment-l\u00e0, j\u2019avais envie de me garer sur le bas-c\u00f4t\u00e9, de sortir du v\u00e9hicule, de prendre une grande respiration et de dire : « Sors de l\u00e0, va-t\u2019en, fiche-nous la paix », ou quelque chose dans ce genre.<\/p>\n
Et, tandis que le v\u00e9hicule continuait \u00e9videmment tout droit sur la nationale 7, je voyais clairement cette seconde sc\u00e8ne dans le r\u00e9troviseur, au-del\u00e0 du regard mal\u00e9fique de L., puis de la vitre arri\u00e8re, comme un effet de dissociation du r\u00e9el ou de la fiction. Ce d\u00e9ploiement de plusieurs possibles au m\u00eame moment n\u2019est pas exceptionnel, mais il l\u2019est de l\u2019\u00e9crire. C\u2019est surtout cela qui importe : le fait que cela s\u2019\u00e9crive au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins. C\u2019est un effet de cette lassitude, de cette persistance, cette continuit\u00e9 de vouloir encore maintenir en soi cet aspect rationnel, normal. \u00c0 cet instant, quelque chose s\u2019insinue en moi, dans ce corps, et me fait voir d\u2019autres versions de cette pr\u00e9tendue r\u00e9alit\u00e9. Me voici spectateur impuissant, horrifi\u00e9 par toutes les sensations, les sentiments, et toutes les possibilit\u00e9s d\u2019effectuer des actes effroyables. Comme si cette part mal\u00e9fique profitait de la fatigue d\u2019une autre (b\u00e9n\u00e9fique ?) pour prendre le pouvoir sur les pens\u00e9es, sur le corps, sans toutefois aller jusqu\u2019\u00e0 passer \u00e0 l\u2019acte. Encore que cela soit mal exprim\u00e9, mal dit, pas assez creus\u00e9 — car pas suffisamment clair. Trop binaire. Plus audacieux, plus foutraque, serait de dire que plusieurs personnages, chacun avec toute une galaxie de nuances, tentent \u00e0 cet instant de prendre la parole, la pens\u00e9e, le pouvoir — un chaos, une confusion s\u2019installe, et ce que je nomme la raison profite de cette confusion pour neutraliser l\u2019ensemble. Ce que je nomme la raison, il lui suffit de reculer, d\u2019effectuer quelques pas en arri\u00e8re par rapport \u00e0 cette sc\u00e8ne, de la voir dans son ensemble, de s\u2019en d\u00e9tacher, de ne pas rester li\u00e9 \u00e0 elle, d\u2019estimer que cette sc\u00e8ne appartient \u00e0 l\u2019imagination seulement et ainsi de la renvoyer \u00e0 celle-ci.<\/p>\n
Puis tout ce raisonnement s\u2019\u00e9croule quand je tombe sur ce paradoxe : il y a toujours ce foutu « je », celui du narrateur. \u00c0 ce moment-l\u00e0, l\u2019\u00e9nergie vitale s\u2019\u00e9chappe, quelque chose se d\u00e9gongle, un ballon de baudruche virevolte pour aller heurter le plafond du bureau et retombe, enveloppe frip\u00e9e, sur le sol. Il faut alors de toute urgence recourir \u00e0 une position horizontale, fermer les yeux, se concentrer sur le fait de respirer, tout oublier, s\u2019\u00e9vanouir, dispara\u00eetre, s\u2019an\u00e9antir. Il s\u2019agit d\u2019un paroxysme de la fatigue, et rien d\u2019autre n\u2019est possible que d\u2019y c\u00e9der. Exactement comme lorsque l\u2019enfant est battu comme pl\u00e2tre par le p\u00e8re, exactement comme quand la b\u00eate du G\u00e9vaudan s\u2019am\u00e8ne sur des patins \u00e0 roulettes pour d\u00e9vorer chaque nuit le potentiel de fragilit\u00e9, de na\u00efvet\u00e9 qu\u2019il cherche encore \u00e0 retenir. Au bout de cet \u00e9puisement, l\u2019id\u00e9e d\u2019une lib\u00e9ration.<\/p>\n
En relisant ce passage, je r\u00e9alise une maladresse : le manque de clart\u00e9 concernant la mani\u00e8re dont la fatigue affaiblit peu \u00e0 peu les barri\u00e8res mentales ou \u00e9motionnelles, permettant ainsi \u00e0 cette violence int\u00e9rieure de prendre forme. C\u2019est le premier point que je rel\u00e8ve, me sentant fautif d\u2019avoir laiss\u00e9 trop d\u2019implicite dans cette description. Et aussit\u00f4t, je suis envahi par la conscience du travail colossal qu\u2019il reste \u00e0 accomplir pour rendre ce texte plus clair, plus compr\u00e9hensible. \u00c0 cet instant pr\u00e9cis, je ressens une sorte de lassitude intense. Mais ce n\u2019est pas tant l\u2019effort \u00e0 produire qui m\u2019effraie ou m\u2019\u00e9puise, c\u2019est le doute qui surgit simultan\u00e9ment, ce doute profond sur l\u2019utilit\u00e9 r\u00e9elle de cet effort. Cette question lancinante : pourquoi s\u2019efforcer de clarifier, d\u2019am\u00e9liorer, alors que le r\u00e9sultat final reste toujours incertain ? C\u2019est un doute qui \u00e9rode peu \u00e0 peu la volont\u00e9, amplifi\u00e9 par la fatigue accumul\u00e9e, et qui transforme chaque tentative d\u2019avancer en un acte de r\u00e9sistance contre cette tendance naturelle \u00e0 c\u00e9der.<\/p>\n
Concernant le « je » du narrateur, il semble maintenir une unit\u00e9 de ton \u00e0 travers tous les textes d\u00e9j\u00e0 \u00e9crits dans cet essai. Cependant, c\u2019est le th\u00e8me m\u00eame de la fatigue qui produit ce « je ». Et plus la lassitude met en question la stabilit\u00e9 du narrateur, plus elle cherche \u00e0 la d\u00e9sint\u00e9grer dans ce qu\u2019elle contient de temporaire et d\u2019anecdotique, et plus elle renforce paradoxalement sa pr\u00e9sence et une certaine coh\u00e9rence \u00e0 travers tous les textes. Il est int\u00e9ressant de constater que cette fatigue agit sur la construction narrative et identitaire de cet essai.<\/p>\n
Persiste cependant le manque \u00e0 relire le tout premier paragraphe. Mais est-ce vraiment relire que de se replacer dans ce qui l\u2019a fait na\u00eetre, dans ce lieu o\u00f9 les mots sortent en d\u00e9sordre pour tenter d\u2019accompagner non pas encore une pens\u00e9e, mais des bribes de sensations ? Ce th\u00e8me de la violence, ce qui cr\u00e9e la fatigue imm\u00e9diate \u00e0 l\u2019\u00e9voquer, c\u2019est bien plus tout le pass\u00e9 qui s\u2019y associe, tout cet implicite qui devient une masse informe, l\u2019incarnation m\u00eame de l\u2019\u00e9puisement d\u2019avoir si souvent crois\u00e9 cette violence sous d\u2019autres noms.<\/p>\n
Je cherche le livre de Jean-Louis Chr\u00e9tien, De la fatigue, sans le retrouver. L\u2019id\u00e9e alors d\u2019aller fouiller dans la mythologie \u00e0 la recherche d\u2019une incarnation divine de la fatigue, mais aucun dieu n\u2019incarne jamais celle-ci, car elle est r\u00e9serv\u00e9e aux hommes. Aux dieux l\u2019infatigable, \u00e0 l\u2019humanit\u00e9 la lassitude. Puis une intuition me pousse \u00e0 chercher aussi chez les pr\u00e9socratiques ces passages concernant la nuit, la nuit primordiale, pr\u00e9sente avant toute chose et dans laquelle toute chose revient. Mais l\u00e0 encore, ne trouve rien. Je m\u2019aper\u00e7ois alors du grand d\u00e9sordre dans lequel j\u2019ai laiss\u00e9 ma biblioth\u00e8que. Je m\u2019assois face \u00e0 elle, tentant d\u2019estimer le temps qu\u2019il faudrait pour en faire l\u2019inventaire, la ranger. Une torpeur m\u2019envahit aussit\u00f4t, m\u2019accable.<\/p>\n
P\u00e9n\u00e9trer dans la parole, cette parole qui existe bien avant nous, voil\u00e0 aussi une source de fatigue oblig\u00e9e. Traverser le tacite, l\u2019implicite que cette parole contient, qui n\u2019appartient \u00e0 personne mais \u00e0 tous. C\u2019est cette pr\u00e9sence de la parole qui attire et repousse tout \u00e0 la fois, on ne peut que venir vers elle, s\u2019en approcher, on ne peut d\u00e9sirer se l\u2019accaparer qu\u2019elle nous tient d\u00e9j\u00e0 avant m\u00eame que ce d\u00e9sir soit conscient.<\/p>\n
Soudain, chercher la fatigue dans la peinture classique et ne rien trouver d\u2019autre que le sommeil. A notre \u00e9poque non plus, peu d\u2019oeuvres traite de ce th\u00e8me, alors que la fatigue est sans doute ce qui caract\u00e9risera le plus notre temps. Pour illustrer ce billet choisi une peinture de Ram\u00f3n Casas<\/p>", "content_text": "L\u2019id\u00e9e que toute violence puisse \u00eatre nomm\u00e9e, qualifi\u00e9e comme une maladie ou un mal-\u00eatre, cette volont\u00e9 de pr\u00e9cision dans les termes, de distinction, avec une \u00e9chelle d\u2019intensit\u00e9 ou de notation \u2014 en un mot, cet effort perp\u00e9tuel de classement en bien ou en mal \u2014 quelle fatigue. Le classement n\u2019a jamais rien r\u00e9solu de la violence, qu\u2019elle soit sp\u00e9cifique ou g\u00e9n\u00e9rale. De m\u00eame, les hi\u00e9rarchies sont fabriqu\u00e9es pour et par le pouvoir. Quand le pouvoir change, la hi\u00e9rarchie change aussi, mais la violence demeure. Nous pensons \u00eatre toujours les m\u00eames \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ce corps, ce vaisseau, et nous disons \u00ab mon corps, ma t\u00eate, mes pieds, mes yeux \u00bb, m\u00eame si nous ne le formulons pas toujours \u00e0 voix haute. Nous le pensons, nous le croyons, nous l\u2019esp\u00e9rons. Mais \u00e0 y regarder de plus pr\u00e8s, ce n\u2019est pas tout \u00e0 fait exact. Hier, dans le r\u00e9troviseur, le regard de L. n\u2019\u00e9tait pas son regard habituel. C\u2019est comme si, fortuitement, j\u2019avais surpris en elle une pr\u00e9sence hostile qui transforma ses ricanements en quelque chose d\u2019insupportable. \u00c0 ce moment-l\u00e0, j\u2019avais envie de me garer sur le bas-c\u00f4t\u00e9, de sortir du v\u00e9hicule, de prendre une grande respiration et de dire : \u00ab Sors de l\u00e0, va-t\u2019en, fiche-nous la paix \u00bb, ou quelque chose dans ce genre. Et, tandis que le v\u00e9hicule continuait \u00e9videmment tout droit sur la nationale 7, je voyais clairement cette seconde sc\u00e8ne dans le r\u00e9troviseur, au-del\u00e0 du regard mal\u00e9fique de L., puis de la vitre arri\u00e8re, comme un effet de dissociation du r\u00e9el ou de la fiction. Ce d\u00e9ploiement de plusieurs possibles au m\u00eame moment n\u2019est pas exceptionnel, mais il l\u2019est de l\u2019\u00e9crire. C\u2019est surtout cela qui importe : le fait que cela s\u2019\u00e9crive au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins. C\u2019est un effet de cette lassitude, de cette persistance, cette continuit\u00e9 de vouloir encore maintenir en soi cet aspect rationnel, normal. \u00c0 cet instant, quelque chose s\u2019insinue en moi, dans ce corps, et me fait voir d\u2019autres versions de cette pr\u00e9tendue r\u00e9alit\u00e9. Me voici spectateur impuissant, horrifi\u00e9 par toutes les sensations, les sentiments, et toutes les possibilit\u00e9s d\u2019effectuer des actes effroyables. Comme si cette part mal\u00e9fique profitait de la fatigue d\u2019une autre (b\u00e9n\u00e9fique ?) pour prendre le pouvoir sur les pens\u00e9es, sur le corps, sans toutefois aller jusqu\u2019\u00e0 passer \u00e0 l\u2019acte. Encore que cela soit mal exprim\u00e9, mal dit, pas assez creus\u00e9 \u2014 car pas suffisamment clair. Trop binaire. Plus audacieux, plus foutraque, serait de dire que plusieurs personnages, chacun avec toute une galaxie de nuances, tentent \u00e0 cet instant de prendre la parole, la pens\u00e9e, le pouvoir \u2014 un chaos, une confusion s\u2019installe, et ce que je nomme la raison profite de cette confusion pour neutraliser l\u2019ensemble. Ce que je nomme la raison, il lui suffit de reculer, d\u2019effectuer quelques pas en arri\u00e8re par rapport \u00e0 cette sc\u00e8ne, de la voir dans son ensemble, de s\u2019en d\u00e9tacher, de ne pas rester li\u00e9 \u00e0 elle, d\u2019estimer que cette sc\u00e8ne appartient \u00e0 l\u2019imagination seulement et ainsi de la renvoyer \u00e0 celle-ci. Puis tout ce raisonnement s\u2019\u00e9croule quand je tombe sur ce paradoxe : il y a toujours ce foutu \u00ab je \u00bb, celui du narrateur. \u00c0 ce moment-l\u00e0, l\u2019\u00e9nergie vitale s\u2019\u00e9chappe, quelque chose se d\u00e9gongle, un ballon de baudruche virevolte pour aller heurter le plafond du bureau et retombe, enveloppe frip\u00e9e, sur le sol. Il faut alors de toute urgence recourir \u00e0 une position horizontale, fermer les yeux, se concentrer sur le fait de respirer, tout oublier, s\u2019\u00e9vanouir, dispara\u00eetre, s\u2019an\u00e9antir. Il s\u2019agit d\u2019un paroxysme de la fatigue, et rien d\u2019autre n\u2019est possible que d\u2019y c\u00e9der. Exactement comme lorsque l\u2019enfant est battu comme pl\u00e2tre par le p\u00e8re, exactement comme quand la b\u00eate du G\u00e9vaudan s\u2019am\u00e8ne sur des patins \u00e0 roulettes pour d\u00e9vorer chaque nuit le potentiel de fragilit\u00e9, de na\u00efvet\u00e9 qu\u2019il cherche encore \u00e0 retenir. Au bout de cet \u00e9puisement, l\u2019id\u00e9e d\u2019une lib\u00e9ration. En relisant ce passage, je r\u00e9alise une maladresse : le manque de clart\u00e9 concernant la mani\u00e8re dont la fatigue affaiblit peu \u00e0 peu les barri\u00e8res mentales ou \u00e9motionnelles, permettant ainsi \u00e0 cette violence int\u00e9rieure de prendre forme. C\u2019est le premier point que je rel\u00e8ve, me sentant fautif d\u2019avoir laiss\u00e9 trop d\u2019implicite dans cette description. Et aussit\u00f4t, je suis envahi par la conscience du travail colossal qu\u2019il reste \u00e0 accomplir pour rendre ce texte plus clair, plus compr\u00e9hensible. \u00c0 cet instant pr\u00e9cis, je ressens une sorte de lassitude intense. Mais ce n\u2019est pas tant l\u2019effort \u00e0 produire qui m\u2019effraie ou m\u2019\u00e9puise, c\u2019est le doute qui surgit simultan\u00e9ment, ce doute profond sur l\u2019utilit\u00e9 r\u00e9elle de cet effort. Cette question lancinante : pourquoi s\u2019efforcer de clarifier, d\u2019am\u00e9liorer, alors que le r\u00e9sultat final reste toujours incertain ? C\u2019est un doute qui \u00e9rode peu \u00e0 peu la volont\u00e9, amplifi\u00e9 par la fatigue accumul\u00e9e, et qui transforme chaque tentative d\u2019avancer en un acte de r\u00e9sistance contre cette tendance naturelle \u00e0 c\u00e9der. Concernant le \u00ab je \u00bb du narrateur, il semble maintenir une unit\u00e9 de ton \u00e0 travers tous les textes d\u00e9j\u00e0 \u00e9crits dans cet essai. Cependant, c\u2019est le th\u00e8me m\u00eame de la fatigue qui produit ce \u00ab je \u00bb. Et plus la lassitude met en question la stabilit\u00e9 du narrateur, plus elle cherche \u00e0 la d\u00e9sint\u00e9grer dans ce qu\u2019elle contient de temporaire et d\u2019anecdotique, et plus elle renforce paradoxalement sa pr\u00e9sence et une certaine coh\u00e9rence \u00e0 travers tous les textes. Il est int\u00e9ressant de constater que cette fatigue agit sur la construction narrative et identitaire de cet essai. Persiste cependant le manque \u00e0 relire le tout premier paragraphe. Mais est-ce vraiment relire que de se replacer dans ce qui l\u2019a fait na\u00eetre, dans ce lieu o\u00f9 les mots sortent en d\u00e9sordre pour tenter d\u2019accompagner non pas encore une pens\u00e9e, mais des bribes de sensations ? Ce th\u00e8me de la violence, ce qui cr\u00e9e la fatigue imm\u00e9diate \u00e0 l\u2019\u00e9voquer, c\u2019est bien plus tout le pass\u00e9 qui s\u2019y associe, tout cet implicite qui devient une masse informe, l\u2019incarnation m\u00eame de l\u2019\u00e9puisement d\u2019avoir si souvent crois\u00e9 cette violence sous d\u2019autres noms. Je cherche le livre de Jean-Louis Chr\u00e9tien, De la fatigue, sans le retrouver. L\u2019id\u00e9e alors d\u2019aller fouiller dans la mythologie \u00e0 la recherche d\u2019une incarnation divine de la fatigue, mais aucun dieu n\u2019incarne jamais celle-ci, car elle est r\u00e9serv\u00e9e aux hommes. Aux dieux l\u2019infatigable, \u00e0 l\u2019humanit\u00e9 la lassitude. Puis une intuition me pousse \u00e0 chercher aussi chez les pr\u00e9socratiques ces passages concernant la nuit, la nuit primordiale, pr\u00e9sente avant toute chose et dans laquelle toute chose revient. Mais l\u00e0 encore, ne trouve rien. Je m\u2019aper\u00e7ois alors du grand d\u00e9sordre dans lequel j\u2019ai laiss\u00e9 ma biblioth\u00e8que. Je m\u2019assois face \u00e0 elle, tentant d\u2019estimer le temps qu\u2019il faudrait pour en faire l\u2019inventaire, la ranger. Une torpeur m\u2019envahit aussit\u00f4t, m\u2019accable. P\u00e9n\u00e9trer dans la parole, cette parole qui existe bien avant nous, voil\u00e0 aussi une source de fatigue oblig\u00e9e. Traverser le tacite, l\u2019implicite que cette parole contient, qui n\u2019appartient \u00e0 personne mais \u00e0 tous. C\u2019est cette pr\u00e9sence de la parole qui attire et repousse tout \u00e0 la fois, on ne peut que venir vers elle, s\u2019en approcher, on ne peut d\u00e9sirer se l\u2019accaparer qu\u2019elle nous tient d\u00e9j\u00e0 avant m\u00eame que ce d\u00e9sir soit conscient. Soudain, chercher la fatigue dans la peinture classique et ne rien trouver d\u2019autre que le sommeil. 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<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nLecture cette nuit \u2013 ou plut\u00f4t survol, car m\u00eame mon mode de lecture change \u2013 du premier volume de la biographie de Kafka, Le Temps des d\u00e9cisions de Reiner Stach aux \u00e9ditions du Cherche Midi. Sur quoi se base-t-on pour dire qu\u2019une vie est bien v\u00e9cue, remplie, ou au contraire rat\u00e9e ? Dans l\u2019introduction, Reiner Stach r\u00e9duit la vie de Kafka \u00e0 des chiffres : 40 ans et 11 mois, 45 jours \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, 3 fois la mer, 3 fian\u00e7ailles, 6 mois v\u00e9cus avec une femme, et 350 pages d\u2019\u00e9crits jug\u00e9es dignes d\u2019int\u00e9r\u00eat, contre 3400 pages de journaux et autres fragments litt\u00e9raires, dont 3 romans inachev\u00e9s.<\/p>\n
« Comment \u00e7a va ? » \u2013 toi \u00e0 64 ans, et que penses-tu de ta vie ? Le bilan ne te para\u00eet-il pas encore plus accablant ? Tu n\u2019as pas l\u2019excuse de n\u2019avoir pas eu assez de temps. Voici le sous-texte de ce survol, en gros. Et je serais bien en peine de r\u00e9duire ma vie \u00e0 des chiffres, m\u00eame si m\u2019y risquais. Le fait d\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit bien plus que 3400 pages me procure d\u00e9j\u00e0 des sueurs froides, car je doute d\u2019\u00eatre capable d\u2019en trier le bon grain de l\u2019ivraie. L\u2019\u00e9chec serait donc le point commun, la sensation de l\u2019\u00e9chec, d\u2019avoir v\u00e9cu « pour rien », en vain. Toujours cette tendance \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans cette dr\u00f4le de comp\u00e9tition que repr\u00e9sente l\u2019\u00e9lan vers le pire, toujours plus pire. Peut-\u00eatre suis-je parvenu \u00e0 ce point de fatigue o\u00f9 tout cela ne m\u2019int\u00e9resse plus, o\u00f9 la notion de comparaison n\u2019est plus qu\u2019une sorte de passe-temps inoffensif. Ce qui n\u2019emp\u00eache pas la m\u00e9ditation concernant les crit\u00e8res de r\u00e9ussite ou d\u2019\u00e9chec qui nous cernent sans rel\u00e2che, surtout sur un plan inconscient. Et, sans transition, je me souviens enfant \u00e0 quel point l\u2019effroi me saisissait quand je plongeais dans la lecture \u2013 et l\u00e0 je lisais vraiment, de fa\u00e7on lin\u00e9aire \u2013 dans les contes et l\u00e9gendes, ce que l\u2019on r\u00e9sume par l\u2019expression « contes de f\u00e9es », puis « contes \u00e0 dormir debout » une fois une certaine aigreur ou d\u00e9sabusement atteints.<\/p>\n
Cette id\u00e9e que le merveilleux est une sorte de champignon, de moisissure, qui doit sa raison d\u2019\u00eatre aux r\u00eaves en putr\u00e9faction, elle est quasi imm\u00e9diate d\u00e8s les toutes premi\u00e8res pages tourn\u00e9es. Instinctivement, il est \u00e9vident que quelque chose ne va pas, que le plaisir \u00e9prouv\u00e9 provient de la perversion produite par le texte. Que la peur est un \u00e9l\u00e9ment indispensable sans lequel le plaisir deviendrait fade. J\u2019ai lu autrefois Bettelheim et Propp pour tenter de comprendre ce qui m\u2019avait tant attir\u00e9 dans cette litt\u00e9rature lorsque j\u2019\u00e9tais enfant. Peut-\u00eatre que ces lectures m\u2019aident \u00e0 rebours plus de cinquante ans plus tard \u00e0 m\u2019interroger aujourd\u2019hui une fois encore sur cet engouement. Ce fut une activit\u00e9 que l\u2019on qualifie de compulsive d\u00e9sormais. Lire alors \u00e9tait une fonction li\u00e9e \u00e0 la fois \u00e0 l\u2019\u00e9vasion et \u00e0 une qu\u00eate de sens, comme aussi \u00e0 la travers\u00e9e de ces plaisirs troubles. Avec le recul, la lecture de r\u00e9cits \u00e9rotiques par la suite, durant l\u2019adolescence, conserve cet int\u00e9r\u00eat pour l\u2019\u00e9vasion et la recherche du trouble, mais ce qui diff\u00e8re, c\u2019est le sous-texte, la manipulation n\u2019a pas le m\u00eame but. Si les contes de f\u00e9es nous formatent dans un imaginaire commun de ce que peut \u00eatre la vie, les r\u00e9cits \u00e9rotiques nous formatent pareillement dans notre relation \u00e0 l\u2019imaginaire de l\u2019autre, et plus sp\u00e9cifiquement celui du sexe oppos\u00e9 qui n\u2019est jamais si diff\u00e9rent qu\u2019on le croit du n\u00f4tre. Ensuite vient l\u2019imaginaire de ce que peut \u00eatre ou pas la litt\u00e9rature. Cependant, le point commun est bien cette notion de fonction du r\u00e9cit. Tout texte publi\u00e9 poss\u00e8de une fonction, au m\u00eame titre que les fonctions qu\u2019utilise Vladimir Propp pour classifier les h\u00e9ros de contes de f\u00e9es russes. Un autre point commun qui surgit presque aussit\u00f4t est une image d\u2019emballage, aussi nette que tout ce qui emballe, conf\u00e8re une allure, du d\u00e9sir \u00e0 un produit en rayon dans un supermarch\u00e9. Toute l\u2019industrie du livre \u00e0 laquelle il est rare de penser au moment m\u00eame o\u00f9 l\u2019on s\u2019enfonce dans une for\u00eat en accompagnant le Petit Poucet, ou encore dans Madame Bovary, et m\u00eame dans cette biographie de Kafka. Et sans doute la lecture conserve-t-elle sa vigueur de n\u2019en rien savoir. Que l\u2019int\u00e9r\u00eat, quel qu\u2019il soit, la finalit\u00e9 de tout \u00e7a, est \u00e0 la fois l\u2019argent et la vanit\u00e9. Voil\u00e0 tout \u00e0 fait l\u2019ennui qui pointe et qui, la plupart du temps, ab\u00eeme l\u2019\u00e9lan. Il en va d\u00e9sormais de la lecture comme de l\u2019aspiration au merveilleux, qu\u2019il tiennent de la magie ou de l\u2019\u00e9rotisme, une fatigue.<\/p>\n
Peut-\u00eatre est-ce une fatigue g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e, peut-\u00eatre ne suis-je pas le seul \u00e0 la ressentir, et ce n\u2019est pas seulement une question d\u2019\u00e2ge mais de si\u00e8cle, d\u2019\u00e9poque. Quand Svevo \u00e9crit Une vie en 1892, Eiffel dessine les plans de la tour Eiffel, on pr\u00e9pare la grande Exposition de 1900, l\u2019euphorie capitaliste bat son plein avec la r\u00e9volution industrielle. Aujourd\u2019hui, les progr\u00e8s de la m\u00e9decine nous informent d\u2019une long\u00e9vit\u00e9 pouvant « normalement » atteindre 80 ans chez les hommes, un peu plus chez les femmes. Une vie r\u00e9ussie est d\u00e9j\u00e0 une vie v\u00e9cue jusqu\u2019\u00e0 cette limite. Plus, et l\u2019on en est \u00e9bloui, il ne se passe pas une semaine sans qu\u2019on nous parle de la profusion de centenaires dans nos campagnes, dans nos villes d\u00e9sormais. Comme si le simple fait de vivre le plus longtemps possible \u00e9tait le principal crit\u00e8re de r\u00e9ussite d\u2019une vie. Or, la plupart des \u00e9crivains qui comptent pour le m\u00eame laps de temps \u2013 mettons depuis la fin du 19\u1d49 si\u00e8cle \u2013 sont morts jeunes. 40 ans, c\u2019est jeune lorsqu\u2019on se souvient qu\u2019on a atteint 64 ans. Probable aussi qu\u2019on n\u2019est pas loin d\u2019\u00e9prouver le syndrome du survivant. Si, dans notre imagination, on poss\u00e8de un statut d\u2019\u00e9crivain forg\u00e9 \u00e0 partir de tout cet imaginaire que propose l\u2019industrie de la culture, et plus sp\u00e9cifiquement de la litt\u00e9rature. Je me souviens que pour la peinture, c\u2019est aussi la m\u00eame chose. Inutile d\u2019esp\u00e9rer une reconnaissance pass\u00e9e la cinquantaine, la plupart des collectionneurs estimant qu\u2019on est d\u00e9j\u00e0 vieux, que l\u2019investissement sera inutile. D\u2019ailleurs, on estime qu\u2019un peintre de talent qui meurt jeune ne peut produire qu\u2019un nombre limit\u00e9 d\u2019\u0153uvres, ce qui rend chaque acquisition d\u2019autant plus pr\u00e9cieuse et rentable surtout, au contraire de ces vieux peintres dont l\u2019\u0153uvre d\u00e9borde de tous c\u00f4t\u00e9s et qui g\u00e9n\u00e9ralement finit dans une brocante de quartier, dans des vide-greniers. \u00c9prouver de l\u2019amertume face \u00e0 cette situation ne serait que se rallier \u00e0 la vision que nous impose le march\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral, sa vision binaire de la r\u00e9ussite et de l\u2019\u00e9chec. Le fait est qu\u2019on peut r\u00e9sister par tous les moyens qu\u2019on invente, cette vision s\u2019insinue en nous et nous mine. Le fait d\u2019avoir acquis une certaine lucidit\u00e9 sur un tel \u00e9tat de fait, notamment depuis 2019 et l\u2019effondrement produit par la pand\u00e9mie, notamment l\u2019impression de manipulation g\u00e9n\u00e9rale qui a suivi, l\u2019apparition des termes complot, conspiration, n\u2019est que la continuit\u00e9 d\u2019une progression qui prend sa source \u00e0 mon avis, en 2001. Ce basculement, je m\u2019en souviens parfaitement. Je suis en Suisse, \u00e0 Yverdon-les-Bains, je rentre du travail, c\u2019est la fin d\u2019une journ\u00e9e assez ensoleill\u00e9e, la t\u00e9l\u00e9vision est allum\u00e9e dans le salon, et ma premi\u00e8re impression est qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un film catastrophe. Il me faut un certain temps avant d\u2019assimiler le fait que c\u2019est de l\u2019actualit\u00e9, du r\u00e9el. C\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 qu\u2019un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds, c\u2019est ce que j\u2019appelle ce basculement. Quand le r\u00e9el, pour une raison ou une autre, rejoint la fiction, quand on n\u2019est plus en mesure d\u2019\u00e9tablir de fronti\u00e8re entre les deux. Ensuite, on peut rester traumatis\u00e9 par la pr\u00e9cision de ces images, par cette d\u00e9couverte qu\u2019une fronti\u00e8re s\u2019est \u00e9croul\u00e9e, et ce ne sont pas ces images pr\u00e9cis\u00e9ment qui sont importantes, mais surtout le fait que cette fronti\u00e8re s\u2019est \u00e9vanouie. Quand le Covid fait son apparition, on \u00e9prouve aussi le m\u00eame vertige, mais l\u2019habitude, si l\u2019on peut dire, est prise de ne plus savoir faire la diff\u00e9rence entre r\u00e9el et fiction. Quelle sera la prochaine \u00e9tape ? L\u2019arriv\u00e9e de vaisseaux extraterrestres ? Les cavaliers de l\u2019apocalypse paradant dans le Quartier Latin ? J\u00e9sus-Christ ressuscit\u00e9 l\u00e9vitant sur les Champs-\u00c9lys\u00e9es ? L\u2019Ant\u00e9christ ricanant de notre b\u00eatise, de notre insignifiance ? La prise de pouvoir de l\u2019IA ? Tout est possible. Et c\u2019est cela qui cr\u00e9e ce malaise, car quand tout est possible, comme dans un conte de f\u00e9es, on sent bien intuitivement que rien ne l\u2019est. L\u2019\u00e9puisement d\u2019une civilisation enti\u00e8re surgit alors, de se rendre compte de ce tout et rien, qu\u2019il n\u2019y a plus aucune diff\u00e9rence entre tout et rien.<\/p>", "content_text": "Lecture cette nuit \u2013 ou plut\u00f4t survol, car m\u00eame mon mode de lecture change \u2013 du premier volume de la biographie de Kafka, Le Temps des d\u00e9cisions de Reiner Stach aux \u00e9ditions du Cherche Midi. Sur quoi se base-t-on pour dire qu\u2019une vie est bien v\u00e9cue, remplie, ou au contraire rat\u00e9e ? Dans l\u2019introduction, Reiner Stach r\u00e9duit la vie de Kafka \u00e0 des chiffres : 40 ans et 11 mois, 45 jours \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, 3 fois la mer, 3 fian\u00e7ailles, 6 mois v\u00e9cus avec une femme, et 350 pages d\u2019\u00e9crits jug\u00e9es dignes d\u2019int\u00e9r\u00eat, contre 3400 pages de journaux et autres fragments litt\u00e9raires, dont 3 romans inachev\u00e9s. \u00ab Comment \u00e7a va ? \u00bb \u2013 toi \u00e0 64 ans, et que penses-tu de ta vie ? Le bilan ne te para\u00eet-il pas encore plus accablant ? Tu n\u2019as pas l\u2019excuse de n\u2019avoir pas eu assez de temps. Voici le sous-texte de ce survol, en gros. Et je serais bien en peine de r\u00e9duire ma vie \u00e0 des chiffres, m\u00eame si m\u2019y risquais. Le fait d\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit bien plus que 3400 pages me procure d\u00e9j\u00e0 des sueurs froides, car je doute d\u2019\u00eatre capable d\u2019en trier le bon grain de l\u2019ivraie. L\u2019\u00e9chec serait donc le point commun, la sensation de l\u2019\u00e9chec, d\u2019avoir v\u00e9cu \u00ab pour rien \u00bb, en vain. Toujours cette tendance \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans cette dr\u00f4le de comp\u00e9tition que repr\u00e9sente l\u2019\u00e9lan vers le pire, toujours plus pire. Peut-\u00eatre suis-je parvenu \u00e0 ce point de fatigue o\u00f9 tout cela ne m\u2019int\u00e9resse plus, o\u00f9 la notion de comparaison n\u2019est plus qu\u2019une sorte de passe-temps inoffensif. Ce qui n\u2019emp\u00eache pas la m\u00e9ditation concernant les crit\u00e8res de r\u00e9ussite ou d\u2019\u00e9chec qui nous cernent sans rel\u00e2che, surtout sur un plan inconscient. Et, sans transition, je me souviens enfant \u00e0 quel point l\u2019effroi me saisissait quand je plongeais dans la lecture \u2013 et l\u00e0 je lisais vraiment, de fa\u00e7on lin\u00e9aire \u2013 dans les contes et l\u00e9gendes, ce que l\u2019on r\u00e9sume par l\u2019expression \u00ab contes de f\u00e9es \u00bb, puis \u00ab contes \u00e0 dormir debout \u00bb une fois une certaine aigreur ou d\u00e9sabusement atteints. Cette id\u00e9e que le merveilleux est une sorte de champignon, de moisissure, qui doit sa raison d\u2019\u00eatre aux r\u00eaves en putr\u00e9faction, elle est quasi imm\u00e9diate d\u00e8s les toutes premi\u00e8res pages tourn\u00e9es. Instinctivement, il est \u00e9vident que quelque chose ne va pas, que le plaisir \u00e9prouv\u00e9 provient de la perversion produite par le texte. Que la peur est un \u00e9l\u00e9ment indispensable sans lequel le plaisir deviendrait fade. J\u2019ai lu autrefois Bettelheim et Propp pour tenter de comprendre ce qui m\u2019avait tant attir\u00e9 dans cette litt\u00e9rature lorsque j\u2019\u00e9tais enfant. Peut-\u00eatre que ces lectures m\u2019aident \u00e0 rebours plus de cinquante ans plus tard \u00e0 m\u2019interroger aujourd\u2019hui une fois encore sur cet engouement. Ce fut une activit\u00e9 que l\u2019on qualifie de compulsive d\u00e9sormais. Lire alors \u00e9tait une fonction li\u00e9e \u00e0 la fois \u00e0 l\u2019\u00e9vasion et \u00e0 une qu\u00eate de sens, comme aussi \u00e0 la travers\u00e9e de ces plaisirs troubles. Avec le recul, la lecture de r\u00e9cits \u00e9rotiques par la suite, durant l\u2019adolescence, conserve cet int\u00e9r\u00eat pour l\u2019\u00e9vasion et la recherche du trouble, mais ce qui diff\u00e8re, c\u2019est le sous-texte, la manipulation n\u2019a pas le m\u00eame but. Si les contes de f\u00e9es nous formatent dans un imaginaire commun de ce que peut \u00eatre la vie, les r\u00e9cits \u00e9rotiques nous formatent pareillement dans notre relation \u00e0 l\u2019imaginaire de l\u2019autre, et plus sp\u00e9cifiquement celui du sexe oppos\u00e9 qui n\u2019est jamais si diff\u00e9rent qu\u2019on le croit du n\u00f4tre. Ensuite vient l\u2019imaginaire de ce que peut \u00eatre ou pas la litt\u00e9rature. Cependant, le point commun est bien cette notion de fonction du r\u00e9cit. Tout texte publi\u00e9 poss\u00e8de une fonction, au m\u00eame titre que les fonctions qu\u2019utilise Vladimir Propp pour classifier les h\u00e9ros de contes de f\u00e9es russes. Un autre point commun qui surgit presque aussit\u00f4t est une image d\u2019emballage, aussi nette que tout ce qui emballe, conf\u00e8re une allure, du d\u00e9sir \u00e0 un produit en rayon dans un supermarch\u00e9. Toute l\u2019industrie du livre \u00e0 laquelle il est rare de penser au moment m\u00eame o\u00f9 l\u2019on s\u2019enfonce dans une for\u00eat en accompagnant le Petit Poucet, ou encore dans Madame Bovary, et m\u00eame dans cette biographie de Kafka. Et sans doute la lecture conserve-t-elle sa vigueur de n\u2019en rien savoir. Que l\u2019int\u00e9r\u00eat, quel qu\u2019il soit, la finalit\u00e9 de tout \u00e7a, est \u00e0 la fois l\u2019argent et la vanit\u00e9. Voil\u00e0 tout \u00e0 fait l\u2019ennui qui pointe et qui, la plupart du temps, ab\u00eeme l\u2019\u00e9lan. Il en va d\u00e9sormais de la lecture comme de l\u2019aspiration au merveilleux, qu\u2019il tiennent de la magie ou de l\u2019\u00e9rotisme, une fatigue. Peut-\u00eatre est-ce une fatigue g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e, peut-\u00eatre ne suis-je pas le seul \u00e0 la ressentir, et ce n\u2019est pas seulement une question d\u2019\u00e2ge mais de si\u00e8cle, d\u2019\u00e9poque. Quand Svevo \u00e9crit Une vie en 1892, Eiffel dessine les plans de la tour Eiffel, on pr\u00e9pare la grande Exposition de 1900, l\u2019euphorie capitaliste bat son plein avec la r\u00e9volution industrielle. Aujourd\u2019hui, les progr\u00e8s de la m\u00e9decine nous informent d\u2019une long\u00e9vit\u00e9 pouvant \u00ab normalement \u00bb atteindre 80 ans chez les hommes, un peu plus chez les femmes. Une vie r\u00e9ussie est d\u00e9j\u00e0 une vie v\u00e9cue jusqu\u2019\u00e0 cette limite. Plus, et l\u2019on en est \u00e9bloui, il ne se passe pas une semaine sans qu\u2019on nous parle de la profusion de centenaires dans nos campagnes, dans nos villes d\u00e9sormais. Comme si le simple fait de vivre le plus longtemps possible \u00e9tait le principal crit\u00e8re de r\u00e9ussite d\u2019une vie. Or, la plupart des \u00e9crivains qui comptent pour le m\u00eame laps de temps \u2013 mettons depuis la fin du 19\u1d49 si\u00e8cle \u2013 sont morts jeunes. 40 ans, c\u2019est jeune lorsqu\u2019on se souvient qu\u2019on a atteint 64 ans. Probable aussi qu\u2019on n\u2019est pas loin d\u2019\u00e9prouver le syndrome du survivant. Si, dans notre imagination, on poss\u00e8de un statut d\u2019\u00e9crivain forg\u00e9 \u00e0 partir de tout cet imaginaire que propose l\u2019industrie de la culture, et plus sp\u00e9cifiquement de la litt\u00e9rature. Je me souviens que pour la peinture, c\u2019est aussi la m\u00eame chose. Inutile d\u2019esp\u00e9rer une reconnaissance pass\u00e9e la cinquantaine, la plupart des collectionneurs estimant qu\u2019on est d\u00e9j\u00e0 vieux, que l\u2019investissement sera inutile. D\u2019ailleurs, on estime qu\u2019un peintre de talent qui meurt jeune ne peut produire qu\u2019un nombre limit\u00e9 d\u2019\u0153uvres, ce qui rend chaque acquisition d\u2019autant plus pr\u00e9cieuse et rentable surtout, au contraire de ces vieux peintres dont l\u2019\u0153uvre d\u00e9borde de tous c\u00f4t\u00e9s et qui g\u00e9n\u00e9ralement finit dans une brocante de quartier, dans des vide-greniers. \u00c9prouver de l\u2019amertume face \u00e0 cette situation ne serait que se rallier \u00e0 la vision que nous impose le march\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral, sa vision binaire de la r\u00e9ussite et de l\u2019\u00e9chec. Le fait est qu\u2019on peut r\u00e9sister par tous les moyens qu\u2019on invente, cette vision s\u2019insinue en nous et nous mine. Le fait d\u2019avoir acquis une certaine lucidit\u00e9 sur un tel \u00e9tat de fait, notamment depuis 2019 et l\u2019effondrement produit par la pand\u00e9mie, notamment l\u2019impression de manipulation g\u00e9n\u00e9rale qui a suivi, l\u2019apparition des termes complot, conspiration, n\u2019est que la continuit\u00e9 d\u2019une progression qui prend sa source \u00e0 mon avis, en 2001. Ce basculement, je m\u2019en souviens parfaitement. Je suis en Suisse, \u00e0 Yverdon-les-Bains, je rentre du travail, c\u2019est la fin d\u2019une journ\u00e9e assez ensoleill\u00e9e, la t\u00e9l\u00e9vision est allum\u00e9e dans le salon, et ma premi\u00e8re impression est qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un film catastrophe. Il me faut un certain temps avant d\u2019assimiler le fait que c\u2019est de l\u2019actualit\u00e9, du r\u00e9el. C\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 qu\u2019un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds, c\u2019est ce que j\u2019appelle ce basculement. Quand le r\u00e9el, pour une raison ou une autre, rejoint la fiction, quand on n\u2019est plus en mesure d\u2019\u00e9tablir de fronti\u00e8re entre les deux. Ensuite, on peut rester traumatis\u00e9 par la pr\u00e9cision de ces images, par cette d\u00e9couverte qu\u2019une fronti\u00e8re s\u2019est \u00e9croul\u00e9e, et ce ne sont pas ces images pr\u00e9cis\u00e9ment qui sont importantes, mais surtout le fait que cette fronti\u00e8re s\u2019est \u00e9vanouie. Quand le Covid fait son apparition, on \u00e9prouve aussi le m\u00eame vertige, mais l\u2019habitude, si l\u2019on peut dire, est prise de ne plus savoir faire la diff\u00e9rence entre r\u00e9el et fiction. Quelle sera la prochaine \u00e9tape ? L\u2019arriv\u00e9e de vaisseaux extraterrestres ? Les cavaliers de l\u2019apocalypse paradant dans le Quartier Latin ? J\u00e9sus-Christ ressuscit\u00e9 l\u00e9vitant sur les Champs-\u00c9lys\u00e9es ? L\u2019Ant\u00e9christ ricanant de notre b\u00eatise, de notre insignifiance ? La prise de pouvoir de l\u2019IA ? Tout est possible. Et c\u2019est cela qui cr\u00e9e ce malaise, car quand tout est possible, comme dans un conte de f\u00e9es, on sent bien intuitivement que rien ne l\u2019est. L\u2019\u00e9puisement d\u2019une civilisation enti\u00e8re surgit alors, de se rendre compte de ce tout et rien, qu\u2019il n\u2019y a plus aucune diff\u00e9rence entre tout et rien.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_2913.jpg?1748065092", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/23-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/23-aout-2024.html", "title": "23 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:36:22Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nIl fait plus frais, ce qui rend les promenades quotidiennes plus agr\u00e9ables. Hier, nous sommes retourn\u00e9s \u00e0 Saint-Pierre-de-Boeuf avec les enfants. Nous avons relev\u00e9 dix-huit degr\u00e9s sur un barom\u00e8tre accroch\u00e9 \u00e0 une fa\u00e7ade. Eux aussi sont inquiets de la rentr\u00e9e qui approche. M. entre en sixi\u00e8me, et de plus, dans une nouvelle \u00e9cole \u00e0 Melun, o\u00f9 il ne conna\u00eet encore personne, ce qui repr\u00e9sente pour lui un grand changement, une angoisse dont il se d\u00e9fausse. Le ton exag\u00e9r\u00e9ment fort et haut de sa d\u00e9sapprobation lorsque je lui demande s\u2019il n\u2019a pas un peu peur de cette rentr\u00e9e en dit long. Pour L., pas de souci en apparence ; elle affiche un visage toujours aussi lisse face aux \u00e9v\u00e9nements, le visage d\u2019une petite fille de huit ans qui en dit d\u00e9j\u00e0 long sur la fabrication des masques. Mais quand ils jouent ensemble, se taquinent, chahutent, les masques tombent, et toute la candeur et la cruaut\u00e9 de l\u2019enfance r\u00e9apparaissent. Ainsi est la raison des saisons qui reviennent : ce qu\u2019on n\u2019a pas encore tout \u00e0 fait per\u00e7u l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re, on le percevra un peu mieux cette ann\u00e9e. Le programme de la journ\u00e9e, de ce jeudi \u2013 il faut toujours un programme \u2013 est d\u2019occuper M. en vidant quelques inutilit\u00e9s de la maison et de la remise, de les charger dans le v\u00e9hicule et de les transporter \u00e0 la d\u00e9ch\u00e8terie. J\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 repousser ce moment en fin de matin\u00e9e. En attendant, les deux enfants dorment encore \u00e0 poings ferm\u00e9s. Ensuite, les courses, la pr\u00e9paration du repas, puis le fameux temps mort en d\u00e9but d\u2019apr\u00e8s-midi, une vacance instaur\u00e9e pour toute la maisonn\u00e9e. Hier soir, je me suis empress\u00e9 de survoler Penser librement d\u2019Hannah Arendt pour m\u2019engouffrer dans son Walter Benjamin, la version am\u00e9ricaine traduite par Agn\u00e8s Oppenheimer-Faure et Patrick L\u00e9vy, Allia \u00c9ditions, 2007. Mais il y a eu des parutions ant\u00e9rieures chez Gallimard, dans Vies politiques, en 1971.<\/p>\n
Le mot « fameux », son \u00e9tymologie, provient de Fama, la r\u00e9putation, la renomm\u00e9e. C\u2019est ce tout premier mot, Fama, avec lequel commence le Walter Benjamin d\u2019Arendt, et l\u2019observation que la gloire posthume ne tient pas tant \u00e0 un coup de d\u00e9s qu\u2019\u00e0 la reconnaissance la plus haute de la part de leurs pairs pour un homme ou une femme de leur vivant. Chance donc pour Walter Benjamin d\u2019avoir eu des amis tels que Gershom Scholem et Theodor Wiesengrund Adorno, responsables par la suite de l\u2019\u00e9dition posthume de ses \u0153uvres et correspondances.<\/p>\n
J\u2019\u00e9cris « chance », mais la chance n\u2019a peut-\u00eatre rien \u00e0 voir avec la qualit\u00e9 des amiti\u00e9s, pas plus que la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9 posthume avec le hasard. La chance ici est ce mot fourre-tout cr\u00e9\u00e9 par le ressentiment de celui qui pense en \u00eatre exclu. Sans doute parce qu\u2019il est encore persuad\u00e9 que l\u2019amiti\u00e9 est due \u00e0 la magie, au hasard, \u00e0 la destin\u00e9e. C\u2019est sans doute un peu vrai, en partie, \u00e0 l\u2019\u00e9tape cruciale de la rencontre. L\u2019\u00e9blouissement de la rencontre, dont on regrette presque instantan\u00e9ment que son \u00e9clat diminue avec ce mauvais point de vue d\u00fb \u00e0 la familiarit\u00e9, \u00e0 l\u2019habitude, \u00e0 la paresse, \u00e0 un aveuglement finalement, dont on esp\u00e8re que l\u2019\u00e9blouissement nous extraira. L\u2019effet flash des \u0153uvres qu\u2019on ne supporte plus de voir au bout d\u2019un jour ou deux accroch\u00e9es \u00e0 un mur. La fatigue, surtout celle subie par les fatigu\u00e9s de naissance, aspire \u00e0 ce genre d\u2019\u00e9blouissement, les cr\u00e9e au besoin, puis se h\u00e2te de les d\u00e9truire comme pour mieux renforcer sa position dans la lassitude du monde. De l\u00e0, tous ces livres, ces vid\u00e9os, ces formations, ces programmes co\u00fbteux ayant pour but une m\u00e9thode infaillible pour « se faire » des amis. J\u2019ai toujours m\u00e9pris\u00e9 ce genre d\u2019information, \u00e0 mon sens trop li\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019une arnaque, \u00e0 l\u2019int\u00e9r\u00eat purement p\u00e9cuniaire de leurs instigateurs, bougnats, fouchtras et tout leur charabia. Parfois, je me suis dit toutefois que j\u2019exag\u00e9rais, que je voyais tout en noir, que peut-\u00eatre ce n\u2019\u00e9tait pas si toxique que je pouvais le penser. N\u2019est-il pas naturel, voire souhaitable, de gagner son pain en apportant aide et comp\u00e9tence aux autres ? Cependant, toujours je rebrousse chemin, je reviens \u00e0 ma premi\u00e8re impression, \u00e0 cette notion d\u2019abus, de tromperie. Il s\u2019agit l\u00e0 essentiellement d\u2019un rapport personnel \u00e0 l\u2019argent, j\u2019en suis tout \u00e0 fait conscient. Cette critique, au bout du compte, n\u2019est qu\u2019une projection \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur d\u2019un conflit d\u2019int\u00e9r\u00eat int\u00e9rieur. L\u2019habitude de penser qu\u2019on doit \u00eatre r\u00e9mun\u00e9r\u00e9 pour tout, et que le monde \u00e9tant fait \u00e0 ma propre image, les autres pensent de m\u00eame. Et qu\u2019\u00e0 partir du d\u00e9pit, de l\u2019agacement que provoque une telle prise de conscience, apr\u00e8s la chasse aux responsables possibles d\u2019un tel \u00e9tat de fait, je ne puisse encore que tomber sur moi seul comme source d\u2019erreur, comme p\u00eacheur. Et qu\u2019ensuite l\u2019ennui, la culpabilit\u00e9, la honte, le remords, les regrets resserrent leur \u00e9tau, me pressent comme un fruit m\u00fbr afin de faire jaillir la fatigue d\u2019un tel apitoiement sur soi-m\u00eame.<\/p>\n
Le fait d\u2019avoir toujours bien voulu consid\u00e9rer l\u2019amiti\u00e9 comme une gr\u00e2ce la dispense instantan\u00e9ment des crit\u00e8res habituels de la dur\u00e9e, comme d\u2019un entretien \u00e0 mes yeux toujours co\u00fbteux. Les efforts qu\u2019il faut d\u00e9sormais produire pour entretenir les relations, faire signe notamment afin qu\u2019on ne nous oublie pas, que l\u2019on fasse comprendre \u00e0 l\u2019autre qu\u2019on ne l\u2019oublie pas non plus, ne rentrent pas dans l\u2019image que je me suis toujours fabriqu\u00e9e des gr\u00e2ces et des affinit\u00e9s. Quelque chose d\u2019imp\u00e9rieux me rappelle \u00e0 chaque instant que la gr\u00e2ce est \u00e9ph\u00e9m\u00e8re, qu\u2019elle n\u2019a pas vocation \u00e0 durer, ni m\u00eame \u00e0 nous offrir une raison d\u2019\u00eatre. La gr\u00e2ce et la violence ont ceci en commun qu\u2019elles sont sans raison. Elles surgissent, interviennent pour des raisons obscures qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir diss\u00e9quer, puis elles passent. L\u2019erreur de tout un courant New Age est de vouloir s\u2019accaparer l\u2019id\u00e9e d\u2019une dur\u00e9e. Un \u00e9veil, une illumination, un nirvana sur lequel on pourrait enfin souffler, respirer tout son saoul, et ce pour une \u00e9ternit\u00e9, est \u00e0 mon sens totalement ridicule, inepte. J\u2019y vois un prolongement du profit hors de sa sph\u00e8re habituelle. Le capitalisme \u00e9tant une pieuvre s\u2019emparant de tout, y compris de nos affects, des religions, de la spiritualit\u00e9 d\u00e9sormais. C\u2019est une inversion de valeurs comme tant se propagent aujourd\u2019hui. Et de voir qu\u2019il suffit de bien placer quelques symboles, invers\u00e9s eux aussi, de r\u00e9inventer des histoires pour frapper de plein fouet le cerveau droit de l\u2019opinion publique\u2026 L\u2019acuit\u00e9 avec laquelle il m\u2019arrive de rep\u00e9rer ces processus m\u2019\u00e9puise ou me r\u00e9volte, me r\u00e9volte et m\u2019\u00e9puise.<\/p>\n
1940 : au moment le plus sombre de la guerre, la disparition de Walter Benjamin, premi\u00e8re vraie perte qu\u2019Hitler aura fait subir \u00e0 la litt\u00e9rature allemande, dit Bertolt Brecht. La mort de ce qu\u2019on nomme un g\u00e9nie par ceux qui ne se reconnaissent pas g\u00e9n\u00e9tiquement du m\u00eame bord. L\u2019id\u00e9e d\u2019une d\u00e9ch\u00e9ance personnelle \u00e9clair\u00e9e parfois par les lueurs attribu\u00e9es aux g\u00e9nies, aux Djinns, aux anges. Une autre sorte d\u2019\u00e9blouissement dont on ne sort pas plus indemne que de l\u2019autre, d\u00fb \u00e0 l\u2019affinit\u00e9, \u00e0 l\u2019amour, \u00e0 l\u2019amiti\u00e9. Une petite voix qui ne cesse plus de nous seriner int\u00e9rieurement que nous n\u2019en sommes pas dignes, que ce n\u2019est pas pour nous d\u00e9chus\u2026 Comment donc s\u2019en sortir sinon par l\u2019effondrement, par le retournement des valeurs, par une r\u00e9volution ? Pas de soci\u00e9t\u00e9 sans classe, sans classement, sans g\u00e9nies et d\u00e9g\u00e9n\u00e9r\u00e9s, sans \u00e9lus et d\u00e9chus. L\u2019id\u00e9e d\u2019une race pure, d\u2019une race originelle, que l\u2019on attribue \u00e0 Hitler, on ne s\u2019en est pas d\u00e9barrass\u00e9 avec sa disparition. Il me semble que cette id\u00e9e est l\u00e0 de tout temps et que de temps \u00e0 autre, elle refait surface. Elle est \u00e0 nouveau l\u00e0, ici m\u00eame, dans le pays aujourd\u2019hui. Elle nous arrive de toutes parts, de l\u2019\u00e9tranger, de l\u2019inconnu, elle fait de nous des inconnus et elle nous rend plus que jamais, par cette ignorance, mall\u00e9ables \u00e0 volont\u00e9. Quelle fatigue d\u2019y voir clair ainsi, aussi profond\u00e9ment parfois que, pour m\u2019en d\u00e9barrasser, il me faille sombrer dans l\u2019idiotie crasse, r\u00e9gresser par r\u00e9flexe dans l\u2019ironie douloureuse, le calembour douteux, m\u2019\u00e9vader dans des fantasmes de dimensions parall\u00e8les, des trous de ver, dans des for\u00eats peupl\u00e9es de f\u00e9es et de lutins au chapeau vert.<\/p>", "content_text": "Il fait plus frais, ce qui rend les promenades quotidiennes plus agr\u00e9ables. Hier, nous sommes retourn\u00e9s \u00e0 Saint-Pierre-de-Boeuf avec les enfants. Nous avons relev\u00e9 dix-huit degr\u00e9s sur un barom\u00e8tre accroch\u00e9 \u00e0 une fa\u00e7ade. Eux aussi sont inquiets de la rentr\u00e9e qui approche. M. entre en sixi\u00e8me, et de plus, dans une nouvelle \u00e9cole \u00e0 Melun, o\u00f9 il ne conna\u00eet encore personne, ce qui repr\u00e9sente pour lui un grand changement, une angoisse dont il se d\u00e9fausse. Le ton exag\u00e9r\u00e9ment fort et haut de sa d\u00e9sapprobation lorsque je lui demande s\u2019il n\u2019a pas un peu peur de cette rentr\u00e9e en dit long. Pour L., pas de souci en apparence ; elle affiche un visage toujours aussi lisse face aux \u00e9v\u00e9nements, le visage d\u2019une petite fille de huit ans qui en dit d\u00e9j\u00e0 long sur la fabrication des masques. Mais quand ils jouent ensemble, se taquinent, chahutent, les masques tombent, et toute la candeur et la cruaut\u00e9 de l\u2019enfance r\u00e9apparaissent. Ainsi est la raison des saisons qui reviennent : ce qu\u2019on n\u2019a pas encore tout \u00e0 fait per\u00e7u l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re, on le percevra un peu mieux cette ann\u00e9e. Le programme de la journ\u00e9e, de ce jeudi \u2013 il faut toujours un programme \u2013 est d\u2019occuper M. en vidant quelques inutilit\u00e9s de la maison et de la remise, de les charger dans le v\u00e9hicule et de les transporter \u00e0 la d\u00e9ch\u00e8terie. J\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 repousser ce moment en fin de matin\u00e9e. En attendant, les deux enfants dorment encore \u00e0 poings ferm\u00e9s. Ensuite, les courses, la pr\u00e9paration du repas, puis le fameux temps mort en d\u00e9but d\u2019apr\u00e8s-midi, une vacance instaur\u00e9e pour toute la maisonn\u00e9e. Hier soir, je me suis empress\u00e9 de survoler Penser librement d\u2019Hannah Arendt pour m\u2019engouffrer dans son Walter Benjamin, la version am\u00e9ricaine traduite par Agn\u00e8s Oppenheimer-Faure et Patrick L\u00e9vy, Allia \u00c9ditions, 2007. Mais il y a eu des parutions ant\u00e9rieures chez Gallimard, dans Vies politiques, en 1971. Le mot \u00ab fameux \u00bb, son \u00e9tymologie, provient de Fama, la r\u00e9putation, la renomm\u00e9e. C\u2019est ce tout premier mot, Fama, avec lequel commence le Walter Benjamin d\u2019Arendt, et l\u2019observation que la gloire posthume ne tient pas tant \u00e0 un coup de d\u00e9s qu\u2019\u00e0 la reconnaissance la plus haute de la part de leurs pairs pour un homme ou une femme de leur vivant. Chance donc pour Walter Benjamin d\u2019avoir eu des amis tels que Gershom Scholem et Theodor Wiesengrund Adorno, responsables par la suite de l\u2019\u00e9dition posthume de ses \u0153uvres et correspondances. J\u2019\u00e9cris \u00ab chance \u00bb, mais la chance n\u2019a peut-\u00eatre rien \u00e0 voir avec la qualit\u00e9 des amiti\u00e9s, pas plus que la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9 posthume avec le hasard. La chance ici est ce mot fourre-tout cr\u00e9\u00e9 par le ressentiment de celui qui pense en \u00eatre exclu. Sans doute parce qu\u2019il est encore persuad\u00e9 que l\u2019amiti\u00e9 est due \u00e0 la magie, au hasard, \u00e0 la destin\u00e9e. C\u2019est sans doute un peu vrai, en partie, \u00e0 l\u2019\u00e9tape cruciale de la rencontre. L\u2019\u00e9blouissement de la rencontre, dont on regrette presque instantan\u00e9ment que son \u00e9clat diminue avec ce mauvais point de vue d\u00fb \u00e0 la familiarit\u00e9, \u00e0 l\u2019habitude, \u00e0 la paresse, \u00e0 un aveuglement finalement, dont on esp\u00e8re que l\u2019\u00e9blouissement nous extraira. L\u2019effet flash des \u0153uvres qu\u2019on ne supporte plus de voir au bout d\u2019un jour ou deux accroch\u00e9es \u00e0 un mur. La fatigue, surtout celle subie par les fatigu\u00e9s de naissance, aspire \u00e0 ce genre d\u2019\u00e9blouissement, les cr\u00e9e au besoin, puis se h\u00e2te de les d\u00e9truire comme pour mieux renforcer sa position dans la lassitude du monde. De l\u00e0, tous ces livres, ces vid\u00e9os, ces formations, ces programmes co\u00fbteux ayant pour but une m\u00e9thode infaillible pour \u00ab se faire \u00bb des amis. J\u2019ai toujours m\u00e9pris\u00e9 ce genre d\u2019information, \u00e0 mon sens trop li\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019une arnaque, \u00e0 l\u2019int\u00e9r\u00eat purement p\u00e9cuniaire de leurs instigateurs, bougnats, fouchtras et tout leur charabia. Parfois, je me suis dit toutefois que j\u2019exag\u00e9rais, que je voyais tout en noir, que peut-\u00eatre ce n\u2019\u00e9tait pas si toxique que je pouvais le penser. N\u2019est-il pas naturel, voire souhaitable, de gagner son pain en apportant aide et comp\u00e9tence aux autres ? Cependant, toujours je rebrousse chemin, je reviens \u00e0 ma premi\u00e8re impression, \u00e0 cette notion d\u2019abus, de tromperie. Il s\u2019agit l\u00e0 essentiellement d\u2019un rapport personnel \u00e0 l\u2019argent, j\u2019en suis tout \u00e0 fait conscient. Cette critique, au bout du compte, n\u2019est qu\u2019une projection \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur d\u2019un conflit d\u2019int\u00e9r\u00eat int\u00e9rieur. L\u2019habitude de penser qu\u2019on doit \u00eatre r\u00e9mun\u00e9r\u00e9 pour tout, et que le monde \u00e9tant fait \u00e0 ma propre image, les autres pensent de m\u00eame. Et qu\u2019\u00e0 partir du d\u00e9pit, de l\u2019agacement que provoque une telle prise de conscience, apr\u00e8s la chasse aux responsables possibles d\u2019un tel \u00e9tat de fait, je ne puisse encore que tomber sur moi seul comme source d\u2019erreur, comme p\u00eacheur. Et qu\u2019ensuite l\u2019ennui, la culpabilit\u00e9, la honte, le remords, les regrets resserrent leur \u00e9tau, me pressent comme un fruit m\u00fbr afin de faire jaillir la fatigue d\u2019un tel apitoiement sur soi-m\u00eame. Le fait d\u2019avoir toujours bien voulu consid\u00e9rer l\u2019amiti\u00e9 comme une gr\u00e2ce la dispense instantan\u00e9ment des crit\u00e8res habituels de la dur\u00e9e, comme d\u2019un entretien \u00e0 mes yeux toujours co\u00fbteux. Les efforts qu\u2019il faut d\u00e9sormais produire pour entretenir les relations, faire signe notamment afin qu\u2019on ne nous oublie pas, que l\u2019on fasse comprendre \u00e0 l\u2019autre qu\u2019on ne l\u2019oublie pas non plus, ne rentrent pas dans l\u2019image que je me suis toujours fabriqu\u00e9e des gr\u00e2ces et des affinit\u00e9s. Quelque chose d\u2019imp\u00e9rieux me rappelle \u00e0 chaque instant que la gr\u00e2ce est \u00e9ph\u00e9m\u00e8re, qu\u2019elle n\u2019a pas vocation \u00e0 durer, ni m\u00eame \u00e0 nous offrir une raison d\u2019\u00eatre. La gr\u00e2ce et la violence ont ceci en commun qu\u2019elles sont sans raison. Elles surgissent, interviennent pour des raisons obscures qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir diss\u00e9quer, puis elles passent. L\u2019erreur de tout un courant New Age est de vouloir s\u2019accaparer l\u2019id\u00e9e d\u2019une dur\u00e9e. Un \u00e9veil, une illumination, un nirvana sur lequel on pourrait enfin souffler, respirer tout son saoul, et ce pour une \u00e9ternit\u00e9, est \u00e0 mon sens totalement ridicule, inepte. J\u2019y vois un prolongement du profit hors de sa sph\u00e8re habituelle. Le capitalisme \u00e9tant une pieuvre s\u2019emparant de tout, y compris de nos affects, des religions, de la spiritualit\u00e9 d\u00e9sormais. C\u2019est une inversion de valeurs comme tant se propagent aujourd\u2019hui. Et de voir qu\u2019il suffit de bien placer quelques symboles, invers\u00e9s eux aussi, de r\u00e9inventer des histoires pour frapper de plein fouet le cerveau droit de l\u2019opinion publique\u2026 L\u2019acuit\u00e9 avec laquelle il m\u2019arrive de rep\u00e9rer ces processus m\u2019\u00e9puise ou me r\u00e9volte, me r\u00e9volte et m\u2019\u00e9puise. 1940 : au moment le plus sombre de la guerre, la disparition de Walter Benjamin, premi\u00e8re vraie perte qu\u2019Hitler aura fait subir \u00e0 la litt\u00e9rature allemande, dit Bertolt Brecht. La mort de ce qu\u2019on nomme un g\u00e9nie par ceux qui ne se reconnaissent pas g\u00e9n\u00e9tiquement du m\u00eame bord. L\u2019id\u00e9e d\u2019une d\u00e9ch\u00e9ance personnelle \u00e9clair\u00e9e parfois par les lueurs attribu\u00e9es aux g\u00e9nies, aux Djinns, aux anges. Une autre sorte d\u2019\u00e9blouissement dont on ne sort pas plus indemne que de l\u2019autre, d\u00fb \u00e0 l\u2019affinit\u00e9, \u00e0 l\u2019amour, \u00e0 l\u2019amiti\u00e9. Une petite voix qui ne cesse plus de nous seriner int\u00e9rieurement que nous n\u2019en sommes pas dignes, que ce n\u2019est pas pour nous d\u00e9chus\u2026 Comment donc s\u2019en sortir sinon par l\u2019effondrement, par le retournement des valeurs, par une r\u00e9volution ? Pas de soci\u00e9t\u00e9 sans classe, sans classement, sans g\u00e9nies et d\u00e9g\u00e9n\u00e9r\u00e9s, sans \u00e9lus et d\u00e9chus. L\u2019id\u00e9e d\u2019une race pure, d\u2019une race originelle, que l\u2019on attribue \u00e0 Hitler, on ne s\u2019en est pas d\u00e9barrass\u00e9 avec sa disparition. Il me semble que cette id\u00e9e est l\u00e0 de tout temps et que de temps \u00e0 autre, elle refait surface. Elle est \u00e0 nouveau l\u00e0, ici m\u00eame, dans le pays aujourd\u2019hui. Elle nous arrive de toutes parts, de l\u2019\u00e9tranger, de l\u2019inconnu, elle fait de nous des inconnus et elle nous rend plus que jamais, par cette ignorance, mall\u00e9ables \u00e0 volont\u00e9. Quelle fatigue d\u2019y voir clair ainsi, aussi profond\u00e9ment parfois que, pour m\u2019en d\u00e9barrasser, il me faille sombrer dans l\u2019idiotie crasse, r\u00e9gresser par r\u00e9flexe dans l\u2019ironie douloureuse, le calembour douteux, m\u2019\u00e9vader dans des fantasmes de dimensions parall\u00e8les, des trous de ver, dans des for\u00eats peupl\u00e9es de f\u00e9es et de lutins au chapeau vert. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/nicolas_poussin_-_bacchanale_devant_une_statue_de_pan.jpg?1748065220", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-aout-2024.html", "title": "22 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-31T07:34:25Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nIl semble que je me sois \u00e9loign\u00e9 \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture de F. en p\u00e9n\u00e9trant dans ce long texte sur la fatigue. \u00c9tranget\u00e9 de cette impression de distance. Cela para\u00eet \u00e0 la fois tr\u00e8s proche et tr\u00e8s lointain. Une immobilit\u00e9. D\u00e9j\u00e0 plus de deux ans que j\u2019ai publi\u00e9 mon premier billet sur la plateforme du T.L. J\u2019ai beaucoup de mal \u00e0 y revenir. C\u2019est presque intol\u00e9rable de relire ces premiers textes. Et pourtant, j\u2019ai l\u2019impression d\u2019y voir un peu plus clair. Encore que cette lucidit\u00e9 soit intermittente, comme ces moments d\u2019\u00e9veil dont on sait d\u00e9j\u00e0 par avance qu\u2019on ne peut y r\u00e9sider longtemps, que le but n\u2019est pas de r\u00e9sider dans la lucidit\u00e9 ou l\u2019\u00e9veil. Mais plut\u00f4t de retourner sans cesse dans la boue, dans la merde. Pourquoi ? Parce qu\u2019on ne peut pas faire autrement afin de se pardonner \u00e0 soi-m\u00eame et de pardonner au monde dans sa totalit\u00e9. Comme si le passage oblig\u00e9 \u00e9tait l\u2019\u00e9gout. Aller le plus loin possible dans le d\u00e9go\u00fbt, jusqu\u2019\u00e0 atteindre les limites humaines de l\u2019\u00e9puisement. C\u2019est placer la barre haut, c\u2019est orgueilleux, peut-\u00eatre. C\u2019est se battre \u2013 y compris contre des moulins \u00e0 vent \u2013 m\u00eame si l\u2019on sait que tout est d\u00e9j\u00e0 perdu d\u2019avance. Et n\u2019est-ce pas parce que l\u2019on est profond\u00e9ment d\u00e9\u00e7u de naissance qu\u2019on veut imaginer l\u2019esp\u00e9rance ? Une volont\u00e9 qui prend son origine dans un non-vouloir, si paradoxal que cela puisse para\u00eetre.<\/p>\n
En fait, je ne me suis peut-\u00eatre pas tant \u00e9loign\u00e9 que je le pense. J\u2019ai utilis\u00e9 le document format\u00e9 envoy\u00e9 pour r\u00e9unir ces textes \u00e9crits, cet essai sur la fatigue. \u00c9videmment, la premi\u00e8re chose qui me saute aux yeux, c\u2019est l\u2019ordre dans lequel ils apparaissent. Ainsi, je me fie \u00e0 un ordre chronologique. Il suffit pour cela d\u2019effectuer une recherche dans le back-office du site, de rechercher l\u2019\u00e9tiquette « essai sur la fatigue » et de voir la liste. Ce qui fait que j\u2019ai totalement fait l\u2019impasse sur les vingt-neuf textes \u00e9crits dans le cadre de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. \u00c0 la place, je me retrouve avec des textes \u00e9crits « en creux ». Pourtant, il y a certainement un lien entre ces deux mouvements, sauf que je ne parviens pas encore \u00e0 comprendre lequel. En attendant, le temps file, je suis toujours en dehors du groupe, je ne participe plus \u2013 ou plut\u00f4t je participe d\u2019une fa\u00e7on diff\u00e9rente de ce qui est attendu, si toutefois quelque chose est v\u00e9ritablement attendu, ce qui aussit\u00f4t \u00e9crit est sujet \u00e0 caution. Cette id\u00e9e qu\u2019on attende quelque chose de ma part n\u2019est-elle pas r\u00e9currente depuis toujours ? Et aussi ma r\u00e9volte en m\u2019opposant syst\u00e9matiquement \u00e0 toute attente. Selon l\u2019expression consacr\u00e9e, je suis toujours l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on ne m\u2019attend pas. S. r\u00e9sume bien les choses par un « tu n\u2019es jamais l\u00e0 » lorsqu\u2019elle estime que la limite est atteinte. Le sous-entendu « quand on a besoin de toi » n\u2019est-il pas assez clair ? Dans ce cas, la locution surgit compl\u00e8te : « tu n\u2019es jamais l\u00e0 quand on a besoin de toi ». Et bien s\u00fbr, la culpabilit\u00e9, la honte, la fatigue s\u2019ensuivent instantan\u00e9ment. Une r\u00e9sistance tr\u00e8s forte \u00e0 la demande, s\u2019y contraindre pour pouvoir \u00e9prouver toute la m\u00e9canique de la fatigue, l\u2019examiner encore et encore \u00e0 la loupe. L\u2019\u00e9rosion du couple tient autant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de dur\u00e9e qu\u2019\u00e0 celle de la distance. Le « pour toujours », si intenable qu\u2019il soit rationnellement, on s\u2019y accroche justement parce qu\u2019on sait, on sent qu\u2019il est intenable. De m\u00eame que le fantasme d\u2019unit\u00e9, de fusion abolissant toute singularit\u00e9 ou diff\u00e9rence, tient un r\u00f4le semblable. Le couple est aussi le lieu par excellence de l\u2019irrespect d\u2019autrui comme de soi. Tellement nous sommes pollu\u00e9s par l\u2019utile, l\u2019indispensable, l\u2019essentiel, les r\u00e8gles, les preuves, les faits, les usages, en fin de compte un cadre tentant comme il le peut de cerner un vide. Parfois, je pense que ce n\u2019est pas l\u2019affection qui maintient le couple, mais nos l\u00e2chet\u00e9s. Et nous passons l\u00e0-dessus en nous souvenant que nous avons trop pris l\u2019habitude de voir les choses en noir. On refuse d\u2019y croire, on se trouve des projets, des occupations, on donne le change. Alors que ce serait tellement plus simple d\u2019accepter le fait que m\u00eame en couple nous sommes irr\u00e9m\u00e9diablement seuls. Et, \u00e0 partir de ce constat, une autre forme de respect, qui ne soit pas uniquement de convention, petite-bourgeoise, pourrait alors prendre le relais. On se voit tant et tout le temps qu\u2019on ne se voit plus. Fantasme encore d\u2019une abolition du temps et des distances, une \u00e9ternit\u00e9 d\u2019immobilit\u00e9 que l\u2019on brise de temps \u00e0 autre en cr\u00e9ant artificiellement l\u2019\u00e9v\u00e9nement. La fatigue du couple tient au fait que celui-ci manque r\u00e9guli\u00e8rement sa cible. On croit se conna\u00eetre, on s\u2019invente. De l\u00e0 les drames et les trag\u00e9dies quand la r\u00e9alit\u00e9 ne colle plus aux r\u00eaves.<\/p>\n
N\u2019en est-il pas de m\u00eame avec toute association humaine ? S\u2019agr\u00e9ger \u00e0 un atelier d\u2019\u00e9criture, de peinture, dans quel but, pour quelles raisons, quels espoirs et quelles craintes ? La d\u00e9ception \u00e9tant la chose la plus habituelle que nous risquons de rencontrer, on s\u2019y pr\u00e9pare d\u00e9j\u00e0 en amont, bien avant d\u2019y avoir p\u00e9n\u00e9tr\u00e9. C\u2019est la fatigue li\u00e9e \u00e0 tous les reliquats d\u2019espoirs qui cherche une issue dans la d\u00e9ception. Sauf que la d\u00e9ception ne r\u00e9sout rien. On est d\u00e9\u00e7u, la belle affaire, rien de plus. Cette binarit\u00e9, quand elle parvient \u00e0 la conscience, provoque une secousse, un s\u00e9isme. On n\u2019est pas loin de se traiter d\u2019andouille en se frappant le front. Et vite ensuite de se r\u00e9fugier n\u2019importe o\u00f9, dans n\u2019importe quoi, afin d\u2019oublier l\u2019\u00e9clair aveuglant dont on vient d\u2019\u00eatre la victime. Peut-\u00eatre que la lecture, l\u2019\u00e9criture ne sont que cela finalement, des palliatifs, une nuit pour oublier l\u2019ardeur du soleil.<\/p>", "content_text": "Il semble que je me sois \u00e9loign\u00e9 \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture de F. en p\u00e9n\u00e9trant dans ce long texte sur la fatigue. \u00c9tranget\u00e9 de cette impression de distance. Cela para\u00eet \u00e0 la fois tr\u00e8s proche et tr\u00e8s lointain. Une immobilit\u00e9. D\u00e9j\u00e0 plus de deux ans que j\u2019ai publi\u00e9 mon premier billet sur la plateforme du T.L. J\u2019ai beaucoup de mal \u00e0 y revenir. C\u2019est presque intol\u00e9rable de relire ces premiers textes. Et pourtant, j\u2019ai l\u2019impression d\u2019y voir un peu plus clair. Encore que cette lucidit\u00e9 soit intermittente, comme ces moments d\u2019\u00e9veil dont on sait d\u00e9j\u00e0 par avance qu\u2019on ne peut y r\u00e9sider longtemps, que le but n\u2019est pas de r\u00e9sider dans la lucidit\u00e9 ou l\u2019\u00e9veil. Mais plut\u00f4t de retourner sans cesse dans la boue, dans la merde. Pourquoi ? Parce qu\u2019on ne peut pas faire autrement afin de se pardonner \u00e0 soi-m\u00eame et de pardonner au monde dans sa totalit\u00e9. Comme si le passage oblig\u00e9 \u00e9tait l\u2019\u00e9gout. Aller le plus loin possible dans le d\u00e9go\u00fbt, jusqu\u2019\u00e0 atteindre les limites humaines de l\u2019\u00e9puisement. C\u2019est placer la barre haut, c\u2019est orgueilleux, peut-\u00eatre. C\u2019est se battre \u2013 y compris contre des moulins \u00e0 vent \u2013 m\u00eame si l\u2019on sait que tout est d\u00e9j\u00e0 perdu d\u2019avance. Et n\u2019est-ce pas parce que l\u2019on est profond\u00e9ment d\u00e9\u00e7u de naissance qu\u2019on veut imaginer l\u2019esp\u00e9rance ? Une volont\u00e9 qui prend son origine dans un non-vouloir, si paradoxal que cela puisse para\u00eetre. En fait, je ne me suis peut-\u00eatre pas tant \u00e9loign\u00e9 que je le pense. J\u2019ai utilis\u00e9 le document format\u00e9 envoy\u00e9 pour r\u00e9unir ces textes \u00e9crits, cet essai sur la fatigue. \u00c9videmment, la premi\u00e8re chose qui me saute aux yeux, c\u2019est l\u2019ordre dans lequel ils apparaissent. Ainsi, je me fie \u00e0 un ordre chronologique. Il suffit pour cela d\u2019effectuer une recherche dans le back-office du site, de rechercher l\u2019\u00e9tiquette \u00ab essai sur la fatigue \u00bb et de voir la liste. Ce qui fait que j\u2019ai totalement fait l\u2019impasse sur les vingt-neuf textes \u00e9crits dans le cadre de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. \u00c0 la place, je me retrouve avec des textes \u00e9crits \u00ab en creux \u00bb. Pourtant, il y a certainement un lien entre ces deux mouvements, sauf que je ne parviens pas encore \u00e0 comprendre lequel. En attendant, le temps file, je suis toujours en dehors du groupe, je ne participe plus \u2013 ou plut\u00f4t je participe d\u2019une fa\u00e7on diff\u00e9rente de ce qui est attendu, si toutefois quelque chose est v\u00e9ritablement attendu, ce qui aussit\u00f4t \u00e9crit est sujet \u00e0 caution. Cette id\u00e9e qu\u2019on attende quelque chose de ma part n\u2019est-elle pas r\u00e9currente depuis toujours ? Et aussi ma r\u00e9volte en m\u2019opposant syst\u00e9matiquement \u00e0 toute attente. Selon l\u2019expression consacr\u00e9e, je suis toujours l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on ne m\u2019attend pas. S. r\u00e9sume bien les choses par un \u00ab tu n\u2019es jamais l\u00e0 \u00bb lorsqu\u2019elle estime que la limite est atteinte. Le sous-entendu \u00ab quand on a besoin de toi \u00bb n\u2019est-il pas assez clair ? Dans ce cas, la locution surgit compl\u00e8te : \u00ab tu n\u2019es jamais l\u00e0 quand on a besoin de toi \u00bb. Et bien s\u00fbr, la culpabilit\u00e9, la honte, la fatigue s\u2019ensuivent instantan\u00e9ment. Une r\u00e9sistance tr\u00e8s forte \u00e0 la demande, s\u2019y contraindre pour pouvoir \u00e9prouver toute la m\u00e9canique de la fatigue, l\u2019examiner encore et encore \u00e0 la loupe. L\u2019\u00e9rosion du couple tient autant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de dur\u00e9e qu\u2019\u00e0 celle de la distance. Le \u00ab pour toujours \u00bb, si intenable qu\u2019il soit rationnellement, on s\u2019y accroche justement parce qu\u2019on sait, on sent qu\u2019il est intenable. De m\u00eame que le fantasme d\u2019unit\u00e9, de fusion abolissant toute singularit\u00e9 ou diff\u00e9rence, tient un r\u00f4le semblable. Le couple est aussi le lieu par excellence de l\u2019irrespect d\u2019autrui comme de soi. Tellement nous sommes pollu\u00e9s par l\u2019utile, l\u2019indispensable, l\u2019essentiel, les r\u00e8gles, les preuves, les faits, les usages, en fin de compte un cadre tentant comme il le peut de cerner un vide. Parfois, je pense que ce n\u2019est pas l\u2019affection qui maintient le couple, mais nos l\u00e2chet\u00e9s. Et nous passons l\u00e0-dessus en nous souvenant que nous avons trop pris l\u2019habitude de voir les choses en noir. On refuse d\u2019y croire, on se trouve des projets, des occupations, on donne le change. Alors que ce serait tellement plus simple d\u2019accepter le fait que m\u00eame en couple nous sommes irr\u00e9m\u00e9diablement seuls. Et, \u00e0 partir de ce constat, une autre forme de respect, qui ne soit pas uniquement de convention, petite-bourgeoise, pourrait alors prendre le relais. On se voit tant et tout le temps qu\u2019on ne se voit plus. Fantasme encore d\u2019une abolition du temps et des distances, une \u00e9ternit\u00e9 d\u2019immobilit\u00e9 que l\u2019on brise de temps \u00e0 autre en cr\u00e9ant artificiellement l\u2019\u00e9v\u00e9nement. La fatigue du couple tient au fait que celui-ci manque r\u00e9guli\u00e8rement sa cible. On croit se conna\u00eetre, on s\u2019invente. De l\u00e0 les drames et les trag\u00e9dies quand la r\u00e9alit\u00e9 ne colle plus aux r\u00eaves. N\u2019en est-il pas de m\u00eame avec toute association humaine ? S\u2019agr\u00e9ger \u00e0 un atelier d\u2019\u00e9criture, de peinture, dans quel but, pour quelles raisons, quels espoirs et quelles craintes ? La d\u00e9ception \u00e9tant la chose la plus habituelle que nous risquons de rencontrer, on s\u2019y pr\u00e9pare d\u00e9j\u00e0 en amont, bien avant d\u2019y avoir p\u00e9n\u00e9tr\u00e9. C\u2019est la fatigue li\u00e9e \u00e0 tous les reliquats d\u2019espoirs qui cherche une issue dans la d\u00e9ception. Sauf que la d\u00e9ception ne r\u00e9sout rien. On est d\u00e9\u00e7u, la belle affaire, rien de plus. Cette binarit\u00e9, quand elle parvient \u00e0 la conscience, provoque une secousse, un s\u00e9isme. On n\u2019est pas loin de se traiter d\u2019andouille en se frappant le front. Et vite ensuite de se r\u00e9fugier n\u2019importe o\u00f9, dans n\u2019importe quoi, afin d\u2019oublier l\u2019\u00e9clair aveuglant dont on vient d\u2019\u00eatre la victime. 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<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>Lecture de Penser librement d\u2019Hannah Arendt cette nuit et matin, notamment l\u2019essai sur Nathalie Sarraute et travail, l\u2019oeuvre, l\u2019action. Ce qui me ram\u00e8ne \u00e0 la lecture tr\u00e8s ancienne de Dostoievsky- notamment \u00e0 partir d\u2019un livre de Ren\u00e9 Girard ( peut-\u00eatre critique dans un souterrain ) et bien s\u00fbr de Kafka, le Journal puis, sans encha\u00eenement \u00e0 2019, \u00e0 la pand\u00e9mie de Covid. Le fait est que je commence vraiment \u00e0 reprendre l\u2019\u00e9criture quotidienne r\u00e9guli\u00e8rement \u00e0 partir de ce moment-(octobre 2019 ?) Le r\u00e9sultat sera la publication de Propos sur la peinture, un ensemble de textes mis bout \u00e0 bout r\u00e9dig\u00e9s sur peinture chamanique entre 2018 et 2019. Ouvrage mal fagot\u00e9, qu\u2019il faudrait reprendre et am\u00e9liorer ou bien compl\u00e8tement oublier. L\u2019isolement social obligeant \u00e0 « faire » absolument quelque chose de soi pour ne pas sombrer. Il y a aussi eu les vid\u00e9os sur la cha\u00eene YouTube, plusieurs fois par semaine parfois. Une sorte de f\u00e9brilit\u00e9, d\u2019euphorie. Surtout lors du tout premier confinement. D\u00e8s le second, la lassitude, l\u2019angoisse, notamment li\u00e9e au fonctionnement de l\u2019atelier, aux charges, me tombent dessus. Au troisi\u00e8me confinement, j\u2019ai arr\u00eat\u00e9 de publier des vid\u00e9os, me suis retir\u00e9 des r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n
Je ne me souviens pas de ce que je lisais durant ces divers confinements. Il faudrait revenir dans les textes de 2019, rechercher les divers auteurs auxquels je fais r\u00e9f\u00e9rence, je ne me souviens pas d\u2019avoir cit\u00e9 Arendt, pas plus que Sarraute. Peut-\u00eatre que j\u2019avais aussi \u00e9cart\u00e9 toute lecture \u00e0 certains moments. Volont\u00e9 farouche, renforc\u00e9e, de penser par soi-m\u00eame, et c\u2019est aussi \u00e0 partir de l\u00e0 que s\u2019est le mieux exprim\u00e9e ma capacit\u00e9 \u00e0 douter. Douter de toute v\u00e9rit\u00e9 sur quoi s\u2019appuyer afin de conserver \u00e0 ses propres yeux une illusion d\u2019importance notamment.<\/p>\n
La nuit, il m\u2019arrive d\u2019assister \u00e0 des cataclysmes au cours desquels je suis emport\u00e9 comme un f\u00e9tu de paille. \u00c0 ces instants, je n\u2019offre pas vraiment de r\u00e9sistance, me laisse emporter et c\u2019est presque un soulagement, une lib\u00e9ration. La m\u00eame importance qu\u2019un brin d\u2019herbe, l\u2019\u00e9prouver physiquement, ou d\u2019un cachalot, mammouth, fourmi, la m\u00eame, comme c\u2019est apaisant. Au centre de l\u2019effroi, \u00e9prouver soudain cet apaisement est proche d\u2019une gr\u00e2ce. Encore que je r\u00e9invente un peu en l\u2019\u00e9crivant, il s\u2019agit bien plus d\u2019une sensation qu\u2019on \u00e9prouve le matin au r\u00e9veil. Celle de n\u2019avoir pas plus ni moins d\u2019importance que n\u2019importe quelle cr\u00e9ature ou chose. D\u2019une certaine fa\u00e7on, d\u00e9couvrir ou sentir que l\u2019on est tout \u00e0 fait \u00e0 sa place, qu\u2019il ne peut y en avoir une autre, au sein m\u00eame des catastrophes. La fatigue y est s\u00fbrement pour quelque chose. Avec celle-ci, l\u2019examen de sa propre id\u00e9e d\u2019importance se relativise. On d\u00e9couvre qu\u2019on n\u2019est pas tenu de supporter ce poids, qu\u2019on peut baisser la garde, atteindre une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, comme une apesanteur. C\u2019est une erreur cependant de penser qu\u2019on peut r\u00e9sider longtemps dans cet \u00e9tat, de s\u2019y r\u00e9fugier, d\u2019en faire une forteresse ou une sin\u00e9cure. Rien ne dure que le changement d\u2019\u00e9tat, le d\u00e9filement des images, des pens\u00e9es, des r\u00eaves ; l\u2019infini tire son origine de ce changement. L\u2019enfant le sait de mani\u00e8re naturelle, il ne sert pas la main quand on lui donne, il ne veut pas saisir, il n\u2019en comprend pas l\u2019utilit\u00e9, la raison ; il n\u2019exerce pas de pression, sa main glisse de l\u2019autre main, d\u2019une main \u00e0 l\u2019autre, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Il en est de m\u00eame du regard des nouveaux-n\u00e9s et des animaux, \u00e0 la fois candide et sage, il ne se fixe jamais bien longtemps dans un autre regard.<\/p>\n
F. parle souvent de creusement. \u00c9crire et creuser, creuser et \u00e9crire. De mon point de vue, souvent l\u2019impression de ne pas creuser suffisamment, de rester trop \u00e0 la surface, dans une superficialit\u00e9. Il en ressort des sensations d\u00e9sagr\u00e9ables, li\u00e9es \u00e0 toute une partie de ma scolarit\u00e9, avec les notations en rouge dans la marge. Le fameux « peut mieux faire ». Ou encore « \u00e9l\u00e8ve moyen, ne travaille pas suffisamment, dissip\u00e9 ». Possible qu\u2019\u00e0 un moment, fatigu\u00e9 d\u2019entendre ce jugement, je me sois mis \u00e0 creuser sans le savoir, et surtout \u00e0 creuser ce que nul ne d\u00e9sire qu\u2019on creuse. Tous ces ressorts ignor\u00e9s, ceux qu\u2019on ne veut surtout pas voir : l\u2019avidit\u00e9, la concupiscence, l\u2019ambition, la vanit\u00e9, le pouvoir, la vuln\u00e9rabilit\u00e9 des espoirs, l\u2019orgueil li\u00e9 \u00e0 la d\u00e9sillusion. Ce que j\u2019en ai fait, un trou immense, mais je ne me suis pas jet\u00e9 compl\u00e8tement dedans, suis rest\u00e9 sur le c\u00f4t\u00e9 \u00e0 contempler le remblai, hypnotis\u00e9, sid\u00e9r\u00e9 par la t\u00e2che effectu\u00e9e.<\/p>\n
La fatigue provient aussi de voir toute la capacit\u00e9 mal utilis\u00e9e, ou qu\u2019on n\u2019utilise pas. La fatigue vient du fait de se heurter toujours au m\u00eame mur, que l\u2019on pourrait facilement confondre avec celui des Lamentations. Mais il me semble que j\u2019ai d\u00e9pass\u00e9 le cap de me lamenter depuis un bon moment. Celui qui est derri\u00e8re ce « je », il ne se lamente plus, ils liront cela et ils ne le comprendront pas bien s\u00fbr. Ils diront que la fatigue l\u2019a terrass\u00e9, qu\u2019il n\u2019a pas su ou voulu remonter la pente, qu\u2019il ne sait pas rebondir. Ils diront tout ce qu\u2019ils disent dans ces cas-l\u00e0 bien s\u00fbr et qui les fonde. Et certainement je continue \u00e0 creuser \u00e0 ma fa\u00e7on sans trop les entendre, ils sont comme un bruit de fond n\u00e9cessaire.<\/p>\n
L\u2019\u00e9puisement m\u00e8ne probablement \u00e0 une forme de contemplation. Peut-\u00eatre que toute vie active trouve sa finalit\u00e9 dans la contemplation. Ce qui n\u2019est \u00e9videmment pas toujours le cas. On peut vivre une vie active et en mourir tout simplement, comme on peut exercer des travaux subalternes, seulement alimentaires, et se m\u00e9priser soi-m\u00eame de n\u2019avoir rien produit d\u2019autre pour la communaut\u00e9 qui la modifie voire l\u2019am\u00e9liore. Et ainsi passer loin de l\u2019\u00e9tape contemplative. Ou fausser cette contemplation en l\u2019ent\u00e2chant de ressentiment, ne plus contempler qu\u2019un d\u00e9sastre personnel. Ce qui n\u2019est pas loin de la d\u00e9finition de l\u2019ennui selon Alberto Moravia : une relation fig\u00e9e avec le monde sans comprendre que le monde est ici soi-m\u00eame.<\/p>\n
Dans l\u2019autre sens il para\u00eet impensable qu\u2019on puisse vivre uniquement dans un \u00e9tat contemplatif. Ce serait contreproductif. Il semble int\u00e9ressant de poser le concept de fatigue comme interm\u00e9diaire entre la vita activa et la vita contemplativa. La fatigue permet de gommer toute distinction de t\u00e2ches, d\u2019en r\u00e9duire leur singularit\u00e9, leur vilainie ou leur noblesse, peu \u00e0 peu- et ce quelque soient leurs diff\u00e9rences , leurs hi\u00e9rarchies ou leurs formes- cette illusion qu\u2019il peut y y avoir des activit\u00e9s plus nobles que d\u2019autres, plus profitables, int\u00e9ressantes etc. la fatigue le gomme. Par la fatigue du monde, du si\u00e8cle on peut ainsi p\u00e9n\u00e9trer dans une forme de d\u00e9go\u00fbt proche de la contemplation, bien loin de l\u2019\u00e9baubissement. Le d\u00e9go\u00fbt permet ce genre de consid\u00e9ration au sens \u00e9tymologique du terme. Voir le pot aux roses plus que l\u2019ensemble des constellations. Et on peut parvenir \u00e0 cette consid\u00e9ration sans en \u00eatre sid\u00e9r\u00e9, tout d\u00e9pend du degr\u00e9 de lassitude atteint, de ce qu\u2019elle nous fait perdre d\u2019\u00e9go\u00efsme, d\u2019\u00e9gocentrisme, de vanit\u00e9, d\u2019illusion. Il faudrait encore de nombreux paragraphes pour tenter d\u2019\u00e9lucider- si tant est que ce soit \u00e0 la fois possible sinon n\u00e9cessaire, les diverses qualit\u00e9s de contemplation ; au m\u00eame titre que les divers qualit\u00e9s de fatigue. Au final ce n\u2019est que coup d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, \u00e7a ne sert pas \u00e0 grand chose, c\u2019est inutile, d\u2019autres s\u2019en sont probablement charg\u00e9 et mieux que je ne peux le faire. La fatigue m\u00e8ne \u00e0 la non pr\u00e9f\u00e9rence, \u00e0 une forme de d\u00e9tachement qui n\u2019est pas pour autant de l\u2019indiff\u00e9rence v\u00e9ritable . La fatigue nous \u00e9jecte d\u2019une fr\u00e9quence, nous transporte vers une autre, rien d\u2019exceptionnel vraiment de le savoir, c\u2019est m\u00eame parfaitement compl\u00e8tement inutile de disserter sur ce sujet, bien trop fatiguant.<\/p>\n
Encore une hypoth\u00e8se. La paresse du c\u00f4lon qui n\u2019en peut plus de conserver les d\u00e9tritus d\u2019une vie de b\u00e2ton de chaise. On croit qu\u2019on est tout esprit, on se trompe, les intestins ont aussi leur coup de mou. Ce que l\u2019on absorbe et dig\u00e8re mal reste coinc\u00e9 dans les parois, diverticules et diverticulites ; pas \u00e9tonnant que la merde nous monte au ciboulot \u00e0 ce train-l\u00e0, la merde et la fatigue \u00e9videmment. Un peu de gingembre dans un verre d\u2019eau bouillante, touiller, ajouter un peu de citron (jaune ou vert, c\u2019est sans importance) et boire le matin avant le caf\u00e9. En quelques jours, si la fatigue ne dispara\u00eet pas avec ce traitement, regardez votre bulletin de naissance, calculez votre \u00e2ge ; la magie a aussi ses limites, ses lassitudes.<\/p>\n
2h54. le 21 ao\u00fbt. Les petits reviennent aujourd\u2019hui. S va les chercher au train de 14h \u00e0 Lyon Pardieu. Ils restent une semaine. Le programme est d\u00e9j\u00e0 fait pour les occuper, qu\u2019ils ne s\u2019ennuient pas trop. Cette peur de S. qu\u2019ils s\u2019ennuient n\u2019est pas la mienne. Au contraire il faut s\u2019ennuyer surtout enfant, c\u2019est mon avis, prendre d\u00e8s le plus jeune \u00e2ge ce taureau par les cornes et apprendre \u00e0 sauter par-dessus, \u00e0 s\u2019en amuser.<\/p>\n
Fatigue d\u2019une certaine vision du travail, qui se pr\u00e9sente souvent comme une forme de torture. Torture que l\u2019on s\u2019inglige \u00e0 soi-m\u00eame d\u2019abord pour pouvoir subvenir \u00e0 ses besoins essentiels. Il faut apprendre \u00e0 gagner sa vie ainsi, si possible sans se singulariser du groupe, respecter autant qu\u2019on le peut qu\u2019on le supporte cet h\u00e9ritage constituer de mots d\u2019ordre. Rentrer dans le rang, se faire discret, , que rien ne d\u00e9passe. Ne pas se faire remarquer. Rester modeste. Ce qui finit chez certaines natures \u00e0 produire une r\u00eaverie n\u00e9gative. On fomente des projets que l\u2019on reporte toujours \u00e0 plus tard, quand ce sera le bon moment. Ensuite on reporte ce moment id\u00e9al en fin de carri\u00e8re, quand on sera en retraite. Or souvent quand arrive cette fameuse retraite, on se rend compte de la v\u00e9ritable nature de ces r\u00eaves, ils ne sont pr\u00e9sent qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9tat de ruines, d\u2019une impossibilit\u00e9 ou impuissance mise \u00e0 jour. On regrette de n\u2019avoir pas \u00e9t\u00e9 capable de plus, de s\u2019\u00eatre soumis \u00e0 l\u2019ordre des contingences sans rechigner autrement que classiquement, en ronchonnant mais en courbant l\u2019\u00e9chine ce faisant.<\/p>\n
Bien s\u00fbr si l\u2019on construit un foyer, une famille, il est aussi dans l\u2019ordre des choses de s\u2019en trouver plus ou moins satisfait. D\u2019y puiser la raison principale d\u2019un tel oubli de soi. Esp\u00e9rer s\u2019en contenter. Tout d\u00e9pend aussi de ce que l\u2019on a investi comme quantit\u00e9 de frustrations, d\u2019esp\u00e9rances dans la perp\u00e9tuation de l\u2019esp\u00e8ce. La d\u00e9ception ici encore nous en apprend sur ces esp\u00e9rances, comme autant de gants retourn\u00e9s de notre propre paresse, impossibilit\u00e9, impuissance. Beaucoup de vieillards aigris, voil\u00e0 ce que produit cette soci\u00e9t\u00e9 qui promet monts et merveilles via des r\u00e9clames, des mondes virtuels, des jeux vid\u00e9os ou olympiques. La fatigue se mue en r\u00e9crimination, en col\u00e8re, voire en haine. La haine de l\u2019autre n\u2019est rien d\u2019autre que de la haine de soi que produit le fait de s\u2019\u00eatre laiss\u00e9 berner depuis la communale jusqu\u2019\u00e0 l\u2019EHPAD. Si l\u2019on veut trouver un rem\u00e8de \u00e0 la maladie d\u2019Alzheimer, peut-\u00eatre qu\u2019il faut commencer par saisir ce mouvement impos\u00e9 par toute une soci\u00e9t\u00e9 et dont la seule issue est de se r\u00e9fugier dans l\u2019oubli.<\/p>\n
Constate que c\u2019est un v\u00e9ritable roman-fleuve, sans doute ce flot provenant de l\u2019euphorie d\u2019avoir trouv\u00e9 un sujet. Et ainsi je m\u2019en prends \u00e0 ce sujet comme un patron \u00e0 son ouvrier, le pressant comme un citron. Honte \u00e0 moi, une fois de plus. Et bien s\u00fbr fatigue en retour, une telle fatigue que je n\u2019arrive pas \u00e0 dormir. Pourtant, m\u00eame si les trois quarts de ce qui s\u2019\u00e9crit ne vaut pas grand chose au regard de la litt\u00e9rature- telle que je porte au nues, quelque chose me dit qu\u2019il faut en passer par l\u00e0, ne pas encore me r\u00e9fugier derri\u00e8re le pr\u00e9texte que ce texte ne serait qu\u2019un vulgaire brouillon sans int\u00e9r\u00eat, par exemple. Ce sont souvent des pens\u00e9es r\u00e9currentes masquant de plus en plus mal d\u00e9sormais ce renoncement \u00e0 obtenir confiance en soi. D\u2019une certaine mani\u00e8re la confiance est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0- sinon je n\u2019oserais rien publier sur ce blog. Et la confiance signifie surtout peu importe que ce soit bien ou mal, litt\u00e9raire ou pas. La fatigue de se r\u00e9fugier dans ce manque de confiance, dans ce sabotage permanent, est-elle l\u00e0 \u00e0 l\u2019origine ou est-elle un produit de ce m\u00e9canisme. Bien difficile de le discerner. Autant que de savoir qui en premier de la poule ou de l\u2019oeuf. Ce que je creuse au bout du compte dans le texte d\u2019aujourd\u2019hui il me semble que c\u2019 est aussi une id\u00e9e toute faite de candeur, de na\u00efvet\u00e9- ces id\u00e9es toutes faites qui, en g\u00e9n\u00e9ral, font rebrousser chemin parce qu\u2019elles ont tant l\u2019air de clich\u00e9s, de choses d\u00e9j\u00e0 vues et revues, du d\u00e9sagr\u00e9able en fait.<\/p>\n
Hannah Arendt dans son essai le travail, l\u2019oeuvre, l\u2019action \u00e9tablit un distinguo entre travail et oeuvre. Le travail appartenant au lien intrins\u00e8que homme-nature, n\u00e9cessaire biologiquement, et dont le cadre se borne \u00e0 la r\u00e9p\u00e9tition, \u00e0 l\u2019aspect \u00e9minemment cyclique. « Le travail produit des biens de consommation et travailler et consommer ne sont que les deux stades du cycle \u00e9ternel de la vie biologique. Ces deux stades du processus vital se suivent si \u00e9troitement qu\u2019ils constituent en somme un seul et m\u00eame mouvement : \u00e0 peine termin\u00e9, il faut le recommencer du d\u00e9but. Le travail, contrairement \u00e0 toutes les autres activit\u00e9s humaines, est plac\u00e9 sous le signe de la n\u00e9cessit\u00e9, la « n\u00e9cessit\u00e9 de subsister » dont parlait Locke, ou « l\u2019\u00e9ternelle n\u00e9cessit\u00e9 impos\u00e9e par la nature » dont parlait Marx. En cons\u00e9quence, le but r\u00e9el de la r\u00e9volution chez Marx n\u2019est pas simplement l\u2019\u00e9mancipation des classes travailleuses ou laborieuses, c\u2019est l\u2019\u00e9mancipation de l\u2019homme du travail. Car « le r\u00e8gne de la libert\u00e9 commence seulement \u00e0 partir du moment o\u00f9 cesse le travail dict\u00e9 par la n\u00e9cessit\u00e9 [\u2026] ( Karl Marx, Capital, III, fragment : « En mati\u00e8re de conclusion », traduit par M. Jacob, M. Subel, S. Voute, in \u0152uvres, t. II : \u00c9conomie, Paris, Gallimard, coll. « Biblioth\u00e8que de la Pl\u00e9iade », 1968, p. 1487.)<\/p>\n
Le fait de persister \u00e0 \u00e9crire de si longs textes tient plus d\u2019une forme d\u2019euphorie li\u00e9 \u00e0 un imaginaire du travail plus qu\u2019\u00e0 un imaginaire de l\u2019Oeuvre. L\u2019abondance associ\u00e9e \u00e0 cette id\u00e9e de travail puise sa source directement dans l\u2019abondance de la nature. La nature est g\u00e9n\u00e9reuse par d\u00e9finition puisque qu\u2019elle incarne le flot, le cours des choses dont on ne sait ni o\u00f9 il prend sa source ni o\u00f9 il s\u2019ach\u00e8ve. Le travail per\u00e7u de cette fa\u00e7on se rapproche d\u2019un fleuve. Ce qui soudain vient se heurter \u00e0 cette pens\u00e9e est le mot « carri\u00e8re », faire carri\u00e8re. Il me para\u00eet soudain saugrenu d\u2019associer le mot carri\u00e8re et le mot oeuvre. « L\u2019\u0153uvre de nos mains, distingu\u00e9e du travail de notre corps, fabrique l\u2019infinie vari\u00e9t\u00e9 de choses dont la somme totale constitue l\u2019artifice humain, le monde dans lequel nous vivons. Ce ne sont pas des denr\u00e9es destin\u00e9es \u00e0 la consommation, mais des objets dont l\u2019usage ordinaire ne provoque pas la disparition. Ils donnent au monde la stabilit\u00e9 et la solidit\u00e9 sans lesquelles il ne serait pas assez fiable pour h\u00e9berger cette cr\u00e9ature instable et mortelle qu\u2019est l\u2019homme » \u00e9crit encore Arendt. Autrement dit, une paire de chaussures n\u2019est pas une baguette de pain. Si je ne m\u2019en sers pas, si je n\u2019en fais pas usage, elle ne s\u2019use pas. Le but se tient dans l\u2019id\u00e9e d\u2019une dur\u00e9e. N\u2019est-ce pas la m\u00eame chose pour un texte, un livre, un tableau, une symphonie. De toute \u00e9vidence la dur\u00e9e de l\u2019oeuvre quelle qu\u2019elle soit ne peut rivaliser avec l\u2019infini, l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Mais une baguette de pain se fabrique pour \u00eatre consomm\u00e9e le jour m\u00eame, elle n\u2019a pas m\u00eame le temps d\u2019entrer dans l\u2019usage qu\u2019elle n\u2019existe d\u00e9j\u00e0 plus.<\/p>", "content_text": " {{{Penser librement, confinements, paix au sein des catastrophes, creuser, action et contemplation, nettoyer son colon, le taureau ennui, une cause possible de la maladie d\u2019Alhzeimer, travail et abondance}}} Lecture de Penser librement d\u2019Hannah Arendt cette nuit et matin, notamment l\u2019essai sur Nathalie Sarraute et travail, l\u2019oeuvre, l\u2019action. Ce qui me ram\u00e8ne \u00e0 la lecture tr\u00e8s ancienne de Dostoievsky- notamment \u00e0 partir d\u2019un livre de Ren\u00e9 Girard ( peut-\u00eatre critique dans un souterrain ) et bien s\u00fbr de Kafka, le Journal puis, sans encha\u00eenement \u00e0 2019, \u00e0 la pand\u00e9mie de Covid. Le fait est que je commence vraiment \u00e0 reprendre l\u2019\u00e9criture quotidienne r\u00e9guli\u00e8rement \u00e0 partir de ce moment-(octobre 2019 ?) Le r\u00e9sultat sera la publication de Propos sur la peinture, un ensemble de textes mis bout \u00e0 bout r\u00e9dig\u00e9s sur peinture chamanique entre 2018 et 2019. Ouvrage mal fagot\u00e9, qu\u2019il faudrait reprendre et am\u00e9liorer ou bien compl\u00e8tement oublier. L\u2019isolement social obligeant \u00e0 \u00ab faire \u00bb absolument quelque chose de soi pour ne pas sombrer. Il y a aussi eu les vid\u00e9os sur la cha\u00eene YouTube, plusieurs fois par semaine parfois. Une sorte de f\u00e9brilit\u00e9, d\u2019euphorie. Surtout lors du tout premier confinement. D\u00e8s le second, la lassitude, l\u2019angoisse, notamment li\u00e9e au fonctionnement de l\u2019atelier, aux charges, me tombent dessus. Au troisi\u00e8me confinement, j\u2019ai arr\u00eat\u00e9 de publier des vid\u00e9os, me suis retir\u00e9 des r\u00e9seaux sociaux. Je ne me souviens pas de ce que je lisais durant ces divers confinements. Il faudrait revenir dans les textes de 2019, rechercher les divers auteurs auxquels je fais r\u00e9f\u00e9rence, je ne me souviens pas d\u2019avoir cit\u00e9 Arendt, pas plus que Sarraute. Peut-\u00eatre que j\u2019avais aussi \u00e9cart\u00e9 toute lecture \u00e0 certains moments. Volont\u00e9 farouche, renforc\u00e9e, de penser par soi-m\u00eame, et c\u2019est aussi \u00e0 partir de l\u00e0 que s\u2019est le mieux exprim\u00e9e ma capacit\u00e9 \u00e0 douter. Douter de toute v\u00e9rit\u00e9 sur quoi s\u2019appuyer afin de conserver \u00e0 ses propres yeux une illusion d\u2019importance notamment. La nuit, il m\u2019arrive d\u2019assister \u00e0 des cataclysmes au cours desquels je suis emport\u00e9 comme un f\u00e9tu de paille. \u00c0 ces instants, je n\u2019offre pas vraiment de r\u00e9sistance, me laisse emporter et c\u2019est presque un soulagement, une lib\u00e9ration. La m\u00eame importance qu\u2019un brin d\u2019herbe, l\u2019\u00e9prouver physiquement, ou d\u2019un cachalot, mammouth, fourmi, la m\u00eame, comme c\u2019est apaisant. Au centre de l\u2019effroi, \u00e9prouver soudain cet apaisement est proche d\u2019une gr\u00e2ce. Encore que je r\u00e9invente un peu en l\u2019\u00e9crivant, il s\u2019agit bien plus d\u2019une sensation qu\u2019on \u00e9prouve le matin au r\u00e9veil. Celle de n\u2019avoir pas plus ni moins d\u2019importance que n\u2019importe quelle cr\u00e9ature ou chose. D\u2019une certaine fa\u00e7on, d\u00e9couvrir ou sentir que l\u2019on est tout \u00e0 fait \u00e0 sa place, qu\u2019il ne peut y en avoir une autre, au sein m\u00eame des catastrophes. La fatigue y est s\u00fbrement pour quelque chose. Avec celle-ci, l\u2019examen de sa propre id\u00e9e d\u2019importance se relativise. On d\u00e9couvre qu\u2019on n\u2019est pas tenu de supporter ce poids, qu\u2019on peut baisser la garde, atteindre une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, comme une apesanteur. C\u2019est une erreur cependant de penser qu\u2019on peut r\u00e9sider longtemps dans cet \u00e9tat, de s\u2019y r\u00e9fugier, d\u2019en faire une forteresse ou une sin\u00e9cure. Rien ne dure que le changement d\u2019\u00e9tat, le d\u00e9filement des images, des pens\u00e9es, des r\u00eaves ; l\u2019infini tire son origine de ce changement. L\u2019enfant le sait de mani\u00e8re naturelle, il ne sert pas la main quand on lui donne, il ne veut pas saisir, il n\u2019en comprend pas l\u2019utilit\u00e9, la raison ; il n\u2019exerce pas de pression, sa main glisse de l\u2019autre main, d\u2019une main \u00e0 l\u2019autre, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Il en est de m\u00eame du regard des nouveaux-n\u00e9s et des animaux, \u00e0 la fois candide et sage, il ne se fixe jamais bien longtemps dans un autre regard. F. parle souvent de creusement. \u00c9crire et creuser, creuser et \u00e9crire. De mon point de vue, souvent l\u2019impression de ne pas creuser suffisamment, de rester trop \u00e0 la surface, dans une superficialit\u00e9. Il en ressort des sensations d\u00e9sagr\u00e9ables, li\u00e9es \u00e0 toute une partie de ma scolarit\u00e9, avec les notations en rouge dans la marge. Le fameux \u00ab peut mieux faire \u00bb. Ou encore \u00ab \u00e9l\u00e8ve moyen, ne travaille pas suffisamment, dissip\u00e9 \u00bb. Possible qu\u2019\u00e0 un moment, fatigu\u00e9 d\u2019entendre ce jugement, je me sois mis \u00e0 creuser sans le savoir, et surtout \u00e0 creuser ce que nul ne d\u00e9sire qu\u2019on creuse. Tous ces ressorts ignor\u00e9s, ceux qu\u2019on ne veut surtout pas voir : l\u2019avidit\u00e9, la concupiscence, l\u2019ambition, la vanit\u00e9, le pouvoir, la vuln\u00e9rabilit\u00e9 des espoirs, l\u2019orgueil li\u00e9 \u00e0 la d\u00e9sillusion. Ce que j\u2019en ai fait, un trou immense, mais je ne me suis pas jet\u00e9 compl\u00e8tement dedans, suis rest\u00e9 sur le c\u00f4t\u00e9 \u00e0 contempler le remblai, hypnotis\u00e9, sid\u00e9r\u00e9 par la t\u00e2che effectu\u00e9e. La fatigue provient aussi de voir toute la capacit\u00e9 mal utilis\u00e9e, ou qu\u2019on n\u2019utilise pas. La fatigue vient du fait de se heurter toujours au m\u00eame mur, que l\u2019on pourrait facilement confondre avec celui des Lamentations. Mais il me semble que j\u2019ai d\u00e9pass\u00e9 le cap de me lamenter depuis un bon moment. Celui qui est derri\u00e8re ce \u00ab je \u00bb, il ne se lamente plus, ils liront cela et ils ne le comprendront pas bien s\u00fbr. Ils diront que la fatigue l\u2019a terrass\u00e9, qu\u2019il n\u2019a pas su ou voulu remonter la pente, qu\u2019il ne sait pas rebondir. Ils diront tout ce qu\u2019ils disent dans ces cas-l\u00e0 bien s\u00fbr et qui les fonde. Et certainement je continue \u00e0 creuser \u00e0 ma fa\u00e7on sans trop les entendre, ils sont comme un bruit de fond n\u00e9cessaire. L\u2019\u00e9puisement m\u00e8ne probablement \u00e0 une forme de contemplation. Peut-\u00eatre que toute vie active trouve sa finalit\u00e9 dans la contemplation. Ce qui n\u2019est \u00e9videmment pas toujours le cas. On peut vivre une vie active et en mourir tout simplement, comme on peut exercer des travaux subalternes, seulement alimentaires, et se m\u00e9priser soi-m\u00eame de n\u2019avoir rien produit d\u2019autre pour la communaut\u00e9 qui la modifie voire l\u2019am\u00e9liore. Et ainsi passer loin de l\u2019\u00e9tape contemplative. Ou fausser cette contemplation en l\u2019ent\u00e2chant de ressentiment, ne plus contempler qu\u2019un d\u00e9sastre personnel. Ce qui n\u2019est pas loin de la d\u00e9finition de l\u2019ennui selon Alberto Moravia: une relation fig\u00e9e avec le monde sans comprendre que le monde est ici soi-m\u00eame. Dans l\u2019autre sens il para\u00eet impensable qu\u2019on puisse vivre uniquement dans un \u00e9tat contemplatif. Ce serait contreproductif. Il semble int\u00e9ressant de poser le concept de fatigue comme interm\u00e9diaire entre la vita activa et la vita contemplativa. La fatigue permet de gommer toute distinction de t\u00e2ches, d\u2019en r\u00e9duire leur singularit\u00e9, leur vilainie ou leur noblesse, peu \u00e0 peu- et ce quelque soient leurs diff\u00e9rences , leurs hi\u00e9rarchies ou leurs formes- cette illusion qu\u2019il peut y y avoir des activit\u00e9s plus nobles que d\u2019autres, plus profitables, int\u00e9ressantes etc. la fatigue le gomme. Par la fatigue du monde, du si\u00e8cle on peut ainsi p\u00e9n\u00e9trer dans une forme de d\u00e9go\u00fbt proche de la contemplation, bien loin de l\u2019\u00e9baubissement. Le d\u00e9go\u00fbt permet ce genre de consid\u00e9ration au sens \u00e9tymologique du terme. Voir le pot aux roses plus que l\u2019ensemble des constellations. Et on peut parvenir \u00e0 cette consid\u00e9ration sans en \u00eatre sid\u00e9r\u00e9, tout d\u00e9pend du degr\u00e9 de lassitude atteint, de ce qu\u2019elle nous fait perdre d\u2019\u00e9go\u00efsme, d\u2019\u00e9gocentrisme, de vanit\u00e9, d\u2019illusion. Il faudrait encore de nombreux paragraphes pour tenter d\u2019\u00e9lucider- si tant est que ce soit \u00e0 la fois possible sinon n\u00e9cessaire, les diverses qualit\u00e9s de contemplation; au m\u00eame titre que les divers qualit\u00e9s de fatigue. Au final ce n\u2019est que coup d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, \u00e7a ne sert pas \u00e0 grand chose, c\u2019est inutile, d\u2019autres s\u2019en sont probablement charg\u00e9 et mieux que je ne peux le faire. La fatigue m\u00e8ne \u00e0 la non pr\u00e9f\u00e9rence, \u00e0 une forme de d\u00e9tachement qui n\u2019est pas pour autant de l\u2019indiff\u00e9rence v\u00e9ritable . La fatigue nous \u00e9jecte d\u2019une fr\u00e9quence, nous transporte vers une autre, rien d\u2019exceptionnel vraiment de le savoir, c\u2019est m\u00eame parfaitement compl\u00e8tement inutile de disserter sur ce sujet, bien trop fatiguant. Encore une hypoth\u00e8se. La paresse du c\u00f4lon qui n\u2019en peut plus de conserver les d\u00e9tritus d\u2019une vie de b\u00e2ton de chaise. On croit qu\u2019on est tout esprit, on se trompe, les intestins ont aussi leur coup de mou. Ce que l\u2019on absorbe et dig\u00e8re mal reste coinc\u00e9 dans les parois, diverticules et diverticulites ; pas \u00e9tonnant que la merde nous monte au ciboulot \u00e0 ce train-l\u00e0, la merde et la fatigue \u00e9videmment. Un peu de gingembre dans un verre d\u2019eau bouillante, touiller, ajouter un peu de citron (jaune ou vert, c\u2019est sans importance) et boire le matin avant le caf\u00e9. En quelques jours, si la fatigue ne dispara\u00eet pas avec ce traitement, regardez votre bulletin de naissance, calculez votre \u00e2ge ; la magie a aussi ses limites, ses lassitudes. 2h54. le 21 ao\u00fbt. Les petits reviennent aujourd\u2019hui. S va les chercher au train de 14h \u00e0 Lyon Pardieu. Ils restent une semaine. Le programme est d\u00e9j\u00e0 fait pour les occuper, qu\u2019ils ne s\u2019ennuient pas trop. Cette peur de S. qu\u2019ils s\u2019ennuient n\u2019est pas la mienne. Au contraire il faut s\u2019ennuyer surtout enfant, c\u2019est mon avis, prendre d\u00e8s le plus jeune \u00e2ge ce taureau par les cornes et apprendre \u00e0 sauter par-dessus, \u00e0 s\u2019en amuser. Fatigue d\u2019une certaine vision du travail, qui se pr\u00e9sente souvent comme une forme de torture. Torture que l\u2019on s\u2019inglige \u00e0 soi-m\u00eame d\u2019abord pour pouvoir subvenir \u00e0 ses besoins essentiels. Il faut apprendre \u00e0 gagner sa vie ainsi, si possible sans se singulariser du groupe, respecter autant qu\u2019on le peut qu\u2019on le supporte cet h\u00e9ritage constituer de mots d\u2019ordre. Rentrer dans le rang, se faire discret, , que rien ne d\u00e9passe. Ne pas se faire remarquer. Rester modeste. Ce qui finit chez certaines natures \u00e0 produire une r\u00eaverie n\u00e9gative. On fomente des projets que l\u2019on reporte toujours \u00e0 plus tard, quand ce sera le bon moment. Ensuite on reporte ce moment id\u00e9al en fin de carri\u00e8re, quand on sera en retraite. Or souvent quand arrive cette fameuse retraite, on se rend compte de la v\u00e9ritable nature de ces r\u00eaves, ils ne sont pr\u00e9sent qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9tat de ruines, d\u2019une impossibilit\u00e9 ou impuissance mise \u00e0 jour. On regrette de n\u2019avoir pas \u00e9t\u00e9 capable de plus, de s\u2019\u00eatre soumis \u00e0 l\u2019ordre des contingences sans rechigner autrement que classiquement, en ronchonnant mais en courbant l\u2019\u00e9chine ce faisant. Bien s\u00fbr si l\u2019on construit un foyer, une famille, il est aussi dans l\u2019ordre des choses de s\u2019en trouver plus ou moins satisfait. D\u2019y puiser la raison principale d\u2019un tel oubli de soi. Esp\u00e9rer s\u2019en contenter. Tout d\u00e9pend aussi de ce que l\u2019on a investi comme quantit\u00e9 de frustrations, d\u2019esp\u00e9rances dans la perp\u00e9tuation de l\u2019esp\u00e8ce. La d\u00e9ception ici encore nous en apprend sur ces esp\u00e9rances, comme autant de gants retourn\u00e9s de notre propre paresse, impossibilit\u00e9, impuissance. Beaucoup de vieillards aigris, voil\u00e0 ce que produit cette soci\u00e9t\u00e9 qui promet monts et merveilles via des r\u00e9clames, des mondes virtuels, des jeux vid\u00e9os ou olympiques. La fatigue se mue en r\u00e9crimination, en col\u00e8re, voire en haine. La haine de l\u2019autre n\u2019est rien d\u2019autre que de la haine de soi que produit le fait de s\u2019\u00eatre laiss\u00e9 berner depuis la communale jusqu\u2019\u00e0 l\u2019EHPAD. Si l\u2019on veut trouver un rem\u00e8de \u00e0 la maladie d\u2019Alzheimer, peut-\u00eatre qu\u2019il faut commencer par saisir ce mouvement impos\u00e9 par toute une soci\u00e9t\u00e9 et dont la seule issue est de se r\u00e9fugier dans l\u2019oubli. Constate que c\u2019est un v\u00e9ritable roman-fleuve, sans doute ce flot provenant de l\u2019euphorie d\u2019avoir trouv\u00e9 un sujet. Et ainsi je m\u2019en prends \u00e0 ce sujet comme un patron \u00e0 son ouvrier, le pressant comme un citron. Honte \u00e0 moi, une fois de plus. Et bien s\u00fbr fatigue en retour, une telle fatigue que je n\u2019arrive pas \u00e0 dormir. Pourtant, m\u00eame si les trois quarts de ce qui s\u2019\u00e9crit ne vaut pas grand chose au regard de la litt\u00e9rature- telle que je porte au nues, quelque chose me dit qu\u2019il faut en passer par l\u00e0, ne pas encore me r\u00e9fugier derri\u00e8re le pr\u00e9texte que ce texte ne serait qu\u2019un vulgaire brouillon sans int\u00e9r\u00eat, par exemple. Ce sont souvent des pens\u00e9es r\u00e9currentes masquant de plus en plus mal d\u00e9sormais ce renoncement \u00e0 obtenir confiance en soi. D\u2019une certaine mani\u00e8re la confiance est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0- sinon je n\u2019oserais rien publier sur ce blog. Et la confiance signifie surtout peu importe que ce soit bien ou mal, litt\u00e9raire ou pas. La fatigue de se r\u00e9fugier dans ce manque de confiance, dans ce sabotage permanent, est-elle l\u00e0 \u00e0 l\u2019origine ou est-elle un produit de ce m\u00e9canisme. Bien difficile de le discerner. Autant que de savoir qui en premier de la poule ou de l\u2019oeuf. Ce que je creuse au bout du compte dans le texte d\u2019aujourd\u2019hui il me semble que c\u2019 est aussi une id\u00e9e toute faite de candeur, de na\u00efvet\u00e9- ces id\u00e9es toutes faites qui, en g\u00e9n\u00e9ral, font rebrousser chemin parce qu\u2019elles ont tant l\u2019air de clich\u00e9s, de choses d\u00e9j\u00e0 vues et revues, du d\u00e9sagr\u00e9able en fait. Hannah Arendt dans son essai le travail, l\u2019oeuvre, l\u2019action \u00e9tablit un distinguo entre travail et oeuvre. Le travail appartenant au lien intrins\u00e8que homme-nature, n\u00e9cessaire biologiquement, et dont le cadre se borne \u00e0 la r\u00e9p\u00e9tition, \u00e0 l\u2019aspect \u00e9minemment cyclique. \u00ab Le travail produit des biens de consommation et travailler et consommer ne sont que les deux stades du cycle \u00e9ternel de la vie biologique. Ces deux stades du processus vital se suivent si \u00e9troitement qu\u2019ils constituent en somme un seul et m\u00eame mouvement : \u00e0 peine termin\u00e9, il faut le recommencer du d\u00e9but. Le travail, contrairement \u00e0 toutes les autres activit\u00e9s humaines, est plac\u00e9 sous le signe de la n\u00e9cessit\u00e9, la \u00ab n\u00e9cessit\u00e9 de subsister \u00bb dont parlait Locke, ou \u00ab l\u2019\u00e9ternelle n\u00e9cessit\u00e9 impos\u00e9e par la nature \u00bb dont parlait Marx. En cons\u00e9quence, le but r\u00e9el de la r\u00e9volution chez Marx n\u2019est pas simplement l\u2019\u00e9mancipation des classes travailleuses ou laborieuses, c\u2019est l\u2019\u00e9mancipation de l\u2019homme du travail. Car \u00ab le r\u00e8gne de la libert\u00e9 commence seulement \u00e0 partir du moment o\u00f9 cesse le travail dict\u00e9 par la n\u00e9cessit\u00e9 [\u2026] ( Karl Marx, Capital, III, fragment : \u00ab En mati\u00e8re de conclusion \u00bb, traduit par M. Jacob, M. Subel, S. Voute, in \u0152uvres, t. II : \u00c9conomie, Paris, Gallimard, coll. \u00ab Biblioth\u00e8que de la Pl\u00e9iade \u00bb, 1968, p. 1487.) Le fait de persister \u00e0 \u00e9crire de si longs textes tient plus d\u2019une forme d\u2019euphorie li\u00e9 \u00e0 un imaginaire du travail plus qu\u2019\u00e0 un imaginaire de l\u2019Oeuvre. L\u2019abondance associ\u00e9e \u00e0 cette id\u00e9e de travail puise sa source directement dans l\u2019abondance de la nature. La nature est g\u00e9n\u00e9reuse par d\u00e9finition puisque qu\u2019elle incarne le flot, le cours des choses dont on ne sait ni o\u00f9 il prend sa source ni o\u00f9 il s\u2019ach\u00e8ve. Le travail per\u00e7u de cette fa\u00e7on se rapproche d\u2019un fleuve. Ce qui soudain vient se heurter \u00e0 cette pens\u00e9e est le mot \u00ab carri\u00e8re \u00bb, faire carri\u00e8re. Il me para\u00eet soudain saugrenu d\u2019associer le mot carri\u00e8re et le mot oeuvre. \u00ab L\u2019\u0153uvre de nos mains, distingu\u00e9e du travail de notre corps, fabrique l\u2019infinie vari\u00e9t\u00e9 de choses dont la somme totale constitue l\u2019artifice humain, le monde dans lequel nous vivons. Ce ne sont pas des denr\u00e9es destin\u00e9es \u00e0 la consommation, mais des objets dont l\u2019usage ordinaire ne provoque pas la disparition. Ils donnent au monde la stabilit\u00e9 et la solidit\u00e9 sans lesquelles il ne serait pas assez fiable pour h\u00e9berger cette cr\u00e9ature instable et mortelle qu\u2019est l\u2019homme \u00bb \u00e9crit encore Arendt. Autrement dit, une paire de chaussures n\u2019est pas une baguette de pain. Si je ne m\u2019en sers pas, si je n\u2019en fais pas usage, elle ne s\u2019use pas. Le but se tient dans l\u2019id\u00e9e d\u2019une dur\u00e9e. N\u2019est-ce pas la m\u00eame chose pour un texte, un livre, un tableau, une symphonie. De toute \u00e9vidence la dur\u00e9e de l\u2019oeuvre quelle qu\u2019elle soit ne peut rivaliser avec l\u2019infini, l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Mais une baguette de pain se fabrique pour \u00eatre consomm\u00e9e le jour m\u00eame, elle n\u2019a pas m\u00eame le temps d\u2019entrer dans l\u2019usage qu\u2019elle n\u2019existe d\u00e9j\u00e0 plus.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/fresque-cnossos.jpg?1748065094", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/20-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/20-aout-2024.html", "title": "20 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-21T08:51:32Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nJ\u2019essaie d\u2019avoir de la suite dans les id\u00e9es, mais ce cr\u00e2ne, ce n\u2019est pas le Ritz. Plut\u00f4t un taudis. Une piaule d\u2019ado en bordel. Le fait est que c\u2019est un d\u00e9sastre. Le fait est que la douleur de tomber de haut d\u00e9pend de la hauteur o\u00f9 tu crois te situer. Le fait est que, toi, te tenant \u00e0 la hauteur des p\u00e2querettes, \u00e7a ne peut jamais faire bien mal. Sauf si tu es un insecte, un \u00eatre insignifiant qui fait un faux pas et d\u00e9gringole d\u2019une feuille de laurier. M\u00eame quand ta carapace en prend un bon coup, se f\u00eale ou \u00e9clate. Terre, voil\u00e0 c\u2019est le mot, te voici \u00e0 terre, le choc de la r\u00e9alit\u00e9 encore une fois. Combien de fois te retrouves-tu \u00e0 terre sans jamais vouloir l\u2019admettre, combien de fois encore le faudra-t-il ? C\u2019est cette question, ce doute, qui t\u2019aide \u00e0 te relever. Tu ne connais pas la limite de la lassitude de choir. Peut-\u00eatre que tu es un genre d\u2019Auguste, ton r\u00f4le est de te casser la figure dans la sciure, comme pour dire quelque chose de tout \u00e0 fait s\u00e9rieux aux gens ici assis sur les gradins. Souriez. Nous sommes en enfer, c\u2019est vrai, mais pas de quoi en faire tout un plat. Tombez, relevez-vous, recommencez. Vous verrez, ce n\u2019est pas loin d\u2019\u00eatre un sport. Pas de jeux olympiques pour les clowns, pour les losers professionnels. Et ma foi, tant mieux, quelle horreur que ces jeux, insupportable. Mettons que je mette un b\u00e9mol : c\u2019est encore trop fort l\u2019horreur, l\u2019insupportable, bien trop exag\u00e9r\u00e9\u2026 quelle fatigue ! \u00c7a va mille fois mieux.<\/p>\n
La rentr\u00e9e approche \u00e0 pas de loup. Pas retrouv\u00e9 mon uniforme de petit chaperon rouge. Ma chandelle est morte, plus de plume pour \u00e9crire un mot, il n\u2019y a plus qu\u2019un clavier et cette fatigue qui semble \u00eatre en b\u00e9ton. Et bien s\u00fbr, l\u2019illusion des rituels reprend racine : faire les courses, faire la bouffe, le m\u00e9nage, recoudre un bouton, faire une machine, balayer l\u2019atelier, r\u00e9curer, ranger. Dans le fond, la m\u00eame impossibilit\u00e9 se reforme comme une nuit, celle de ne pas avoir le temps comme on a la plus belle fille du lyc\u00e9e, pour en jouir ou on ne sait quoi, tout son temps pour \u00e9crire ou lire, pour tenter d\u2019 \u00e9lucider quelque chose. \u00c0 chaque fois que l\u2019on croit s\u2019en approcher, jeu de l\u2019oie, quatre cases en arri\u00e8re, la force de l\u2019ordinaire nous d\u00e9gomme, l\u2019abjection ici-bas r\u00e8gne en m\u00e8re maquerelle. Toute r\u00e9sistance amplifie la difficult\u00e9, les \u00e9pines des barbel\u00e9s p\u00e9n\u00e8trent d\u2019autant plus loin dans les chairs, la lucidit\u00e9 devient la plus grande g\u00eane. La banalit\u00e9 du mal est toujours l\u00e0, \u00e0 l\u2019\u0153uvre. Il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 regarder autour de soi et rester bras ballants souvent, impuissant. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de gueuler, \u00e0 rien de rien. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de faire mille pages non plus sur le sujet. \u00c7a n\u2019int\u00e9resse personne. Les \u0153ill\u00e8res collent aux pupilles via les affiches publicitaires.<\/p>\n
Mais rien que pour soi d\u00e9j\u00e0, effectuer ce nettoyage en profondeur, retrouver tous ces sentiers, traquer les fumets de la fatigue, \u00e7a vaut sans doute le coup. Me revient le terme employ\u00e9 par Carlos Castaneda, appris d\u2019un vieil Indien Hopi : r\u00e9capituler pour d\u00e9nouer les n\u0153uds o\u00f9 se trouve bloqu\u00e9e l\u2019\u00e9nergie. Car il est possible qu\u2019il s\u2019agisse de d\u00e9coincer quelque chose dans le temps, une lassitude qui s\u2019accumule ainsi par strates ann\u00e9e apr\u00e8s ann\u00e9e, une sorte d\u2019hygi\u00e8ne.<\/p>\n
Revenir au premier contact avec la fatigue demande des efforts et pas s\u00fbr qu\u2019ils proviennent de la m\u00e9moire. Plut\u00f4t tenter de ralentir le d\u00e9filement des images peu \u00e0 peu, replanter un d\u00e9cor, chercher des d\u00e9tails, dans le langage essentiellement, car il me semble que le premier sens qu\u2019enfant je cultivais, d\u00e9veloppais, est celui de l\u2019ou\u00efe.<\/p>\n
L\u2019horloge qui sonne dans une pi\u00e8ce de la maison ses cinq coups, puis le quart et la demie. Un coq qui s\u2019\u00e9gosille. Encore qu\u2019ici une confusion s\u2019installe, car pas de coq dans le 15e arrondissement de cette ville. \u00c0 la place, des sons d\u2019objets m\u00e9talliques dans un plat m\u00e9tallique. Premi\u00e8re op\u00e9ration chirurgicale, une histoire de testicules qui ne sortent pas comme il se doit. M\u00eame \u00e0 la naissance, apr\u00e8s l\u2019empressement de sortir plus vite que tout le monde d\u2019un ventre maternel, il faut qu\u2019un obstacle soudain se dresse : pas de couilles, comme un cheval qui refuse l\u2019obstacle et d\u00e9sar\u00e7onne son cavalier. La m\u00e9decine rem\u00e9die bien \u00e0 ce genre de fain\u00e9antise. \u00c7a y est, c\u2019est un gar\u00e7on. D\u00e9ception de la m\u00e8re qui voulait une fille. C\u2019est pas faute d\u2019avoir tent\u00e9, premier \u00e9chec, on ne se souvient pas \u00e0 quel point il est cuisant, ni si d\u00e9j\u00e0 apr\u00e8s l\u2019effort de na\u00eetre, de survivre \u00e0 l\u2019engouement, \u00e0 la h\u00e2te d\u2019exister, tout \u00e7a ne m\u2019a pas mis \u00e0 plat derechef.<\/p>\n
Trop autobiographique, d\u00e9cid\u00e9ment, je ne sais toujours pas faire autrement. M\u00eame si en pr\u00e9ambule j\u2019essaie de dire que tout est de l\u2019imagination, cette sensation d\u2019impudeur persiste.<\/p>\n
Repense \u00e0 ces spectacles, ces affiches, c\u00e9r\u00e9monies d\u2019ouverture, de fermeture des Jeux Olympiques. Quelle fatigue de voir \u00e0 quel point la mise en sc\u00e8ne d\u2019une d\u00e9cadence programm\u00e9e est \u00e9vidente. Ridicule, toute cette symbolique satanique, et surtout aucun rapport avec ce qu\u2019est cens\u00e9 \u00eatre cet \u00e9v\u00e9nement. Tout cela se r\u00e9duit \u00e0 du pain, des jeux, et du d\u00e9lire donc. Du cynisme. Du foutage de gueule. Sympt\u00f4me d\u2019un ennui profond, d\u2019une fatigue \u00e0 maintenir un cadre d\u00e9mocratique ou r\u00e9publicain, fantasme de monarchie toute-puissante, voire divinit\u00e9 insecto\u00efde peinte en plaqu\u00e9 or pour \u00e9voquer l\u2019ange d\u00e9chu, le rebelle. En fait, ce petit homme et sa cour, obs\u00e9d\u00e9 par le faste de Versailles mais n\u2019arrive pas encore \u00e0 sa hauteur, n\u2019a pas encore saign\u00e9 suffisamment la France, les contribuables, r\u00e9sultat beaucoup moins chouette, et m\u00eame path\u00e9tique vraiment. Il faut vraiment \u00eatre lobotomis\u00e9 pour ne pas sentir que \u00e7a pue la merde au royaume du Danemark.<\/p>\n
Il donne son opinion l\u2019\u00e9reint\u00e9, comme c\u2019est rare. Peut-\u00eatre est-il temps de la donner un peu ton opinion. Peut-\u00eatre que donner son opinion pose le bonhomme. Peut-\u00eatre qu\u2019on n\u2019existe vraiment dans le monde qu\u2019\u00e0 partir de ce fait : donner son opinion. De l\u00e0, ensuite, \u00e0 se faire bombarder nuit et jour par des sondages d\u2019opinion pour renforcer la farce. Mais l\u00e0, ce n\u2019est pas vraiment une opinion, c\u2019est bien plus un cri de fatigue.<\/p>\n
La mort d\u2019A.D., apprise hier, me laisse assez indiff\u00e9rent. \u00c0 moins que ce ne soit plut\u00f4t tout le battage m\u00e9diatique autour de la mort d\u2019A.D. Ces charognards. Finalement, l\u2019absence de pudeur des m\u00e9dias n\u2019est pas si \u00e9loign\u00e9e de ce que je pense \u00eatre la mienne, seule diff\u00e9rence : je ne gagne pas d\u2019argent avec. Il est question d\u00e9j\u00e0 d\u2019hommage national, on n\u2019est plus \u00e0 \u00e7a pr\u00e8s. Le spectacle continue, show must go on. Mais comment en est-on arriv\u00e9 l\u00e0, \u00e0 un tel point de lassitude, ne pas vouloir voir que tout \u00e7a n\u2019est que du spectacle, que derri\u00e8re les masques, les postures, il n\u2019y a que du vide. La dictature est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 sous forme d\u2019une d\u00e9mocratie illib\u00e9rale. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on s\u2019assoit sur le suffrage universel, les institutions, on ne s\u2019appuie que sur des r\u00e8gles que l\u2019on d\u00e9tourne selon le caprice du moment.<\/p>\n
Nouvelle panique en vue avec le monkeypox, la variole du singe- nouvelle peste bubonique \u00e0 l\u2019horizon-et d\u00e9j\u00e0, sans que les m\u00e9dias l\u2019\u00e9voquent, des mesures sont prises pour resserrer l\u2019\u00e9tau sanitaire en pr\u00e9vision d\u2019une future pand\u00e9mie. Com\u00e9die des campagnes de vaccination \u00e0 pr\u00e9voir. Mais on ne m\u2019y reprendra pas deux fois, la derni\u00e8re injection re\u00e7ue m\u2019a d\u00e9zingu\u00e9, j\u2019ai mal aux pieds et aux jambes depuis. Fatigue de la servitude, volontaire ou pas. Peut-\u00eatre qu\u2019un sursaut parfois, comme se r\u00e9veiller, r\u00e9tablit les canaux, d\u00e9bloque l\u2019\u00e9nergie, redonne la p\u00eache.<\/p>", "content_text": "J\u2019essaie d\u2019avoir de la suite dans les id\u00e9es, mais ce cr\u00e2ne, ce n\u2019est pas le Ritz. Plut\u00f4t un taudis. Une piaule d\u2019ado en bordel. Le fait est que c\u2019est un d\u00e9sastre. Le fait est que la douleur de tomber de haut d\u00e9pend de la hauteur o\u00f9 tu crois te situer. Le fait est que, toi, te tenant \u00e0 la hauteur des p\u00e2querettes, \u00e7a ne peut jamais faire bien mal. Sauf si tu es un insecte, un \u00eatre insignifiant qui fait un faux pas et d\u00e9gringole d\u2019une feuille de laurier. M\u00eame quand ta carapace en prend un bon coup, se f\u00eale ou \u00e9clate. Terre, voil\u00e0 c\u2019est le mot, te voici \u00e0 terre, le choc de la r\u00e9alit\u00e9 encore une fois. Combien de fois te retrouves-tu \u00e0 terre sans jamais vouloir l\u2019admettre, combien de fois encore le faudra-t-il ? C\u2019est cette question, ce doute, qui t\u2019aide \u00e0 te relever. Tu ne connais pas la limite de la lassitude de choir. Peut-\u00eatre que tu es un genre d\u2019Auguste, ton r\u00f4le est de te casser la figure dans la sciure, comme pour dire quelque chose de tout \u00e0 fait s\u00e9rieux aux gens ici assis sur les gradins. Souriez. Nous sommes en enfer, c\u2019est vrai, mais pas de quoi en faire tout un plat. Tombez, relevez-vous, recommencez. Vous verrez, ce n\u2019est pas loin d\u2019\u00eatre un sport. Pas de jeux olympiques pour les clowns, pour les losers professionnels. Et ma foi, tant mieux, quelle horreur que ces jeux, insupportable. Mettons que je mette un b\u00e9mol : c\u2019est encore trop fort l\u2019horreur, l\u2019insupportable, bien trop exag\u00e9r\u00e9\u2026 quelle fatigue ! \u00c7a va mille fois mieux. La rentr\u00e9e approche \u00e0 pas de loup. Pas retrouv\u00e9 mon uniforme de petit chaperon rouge. Ma chandelle est morte, plus de plume pour \u00e9crire un mot, il n\u2019y a plus qu\u2019un clavier et cette fatigue qui semble \u00eatre en b\u00e9ton. Et bien s\u00fbr, l\u2019illusion des rituels reprend racine : faire les courses, faire la bouffe, le m\u00e9nage, recoudre un bouton, faire une machine, balayer l\u2019atelier, r\u00e9curer, ranger. Dans le fond, la m\u00eame impossibilit\u00e9 se reforme comme une nuit, celle de ne pas avoir le temps comme on a la plus belle fille du lyc\u00e9e, pour en jouir ou on ne sait quoi, tout son temps pour \u00e9crire ou lire, pour tenter d\u2019 \u00e9lucider quelque chose. \u00c0 chaque fois que l\u2019on croit s\u2019en approcher, jeu de l\u2019oie, quatre cases en arri\u00e8re, la force de l\u2019ordinaire nous d\u00e9gomme, l\u2019abjection ici-bas r\u00e8gne en m\u00e8re maquerelle. Toute r\u00e9sistance amplifie la difficult\u00e9, les \u00e9pines des barbel\u00e9s p\u00e9n\u00e8trent d\u2019autant plus loin dans les chairs, la lucidit\u00e9 devient la plus grande g\u00eane. La banalit\u00e9 du mal est toujours l\u00e0, \u00e0 l\u2019\u0153uvre. Il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 regarder autour de soi et rester bras ballants souvent, impuissant. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de gueuler, \u00e0 rien de rien. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de faire mille pages non plus sur le sujet. \u00c7a n\u2019int\u00e9resse personne. Les \u0153ill\u00e8res collent aux pupilles via les affiches publicitaires. Mais rien que pour soi d\u00e9j\u00e0, effectuer ce nettoyage en profondeur, retrouver tous ces sentiers, traquer les fumets de la fatigue, \u00e7a vaut sans doute le coup. Me revient le terme employ\u00e9 par Carlos Castaneda, appris d\u2019un vieil Indien Hopi : r\u00e9capituler pour d\u00e9nouer les n\u0153uds o\u00f9 se trouve bloqu\u00e9e l\u2019\u00e9nergie. Car il est possible qu\u2019il s\u2019agisse de d\u00e9coincer quelque chose dans le temps, une lassitude qui s\u2019accumule ainsi par strates ann\u00e9e apr\u00e8s ann\u00e9e, une sorte d\u2019hygi\u00e8ne. Revenir au premier contact avec la fatigue demande des efforts et pas s\u00fbr qu\u2019ils proviennent de la m\u00e9moire. Plut\u00f4t tenter de ralentir le d\u00e9filement des images peu \u00e0 peu, replanter un d\u00e9cor, chercher des d\u00e9tails, dans le langage essentiellement, car il me semble que le premier sens qu\u2019enfant je cultivais, d\u00e9veloppais, est celui de l\u2019ou\u00efe. L\u2019horloge qui sonne dans une pi\u00e8ce de la maison ses cinq coups, puis le quart et la demie. Un coq qui s\u2019\u00e9gosille. Encore qu\u2019ici une confusion s\u2019installe, car pas de coq dans le 15e arrondissement de cette ville. \u00c0 la place, des sons d\u2019objets m\u00e9talliques dans un plat m\u00e9tallique. Premi\u00e8re op\u00e9ration chirurgicale, une histoire de testicules qui ne sortent pas comme il se doit. M\u00eame \u00e0 la naissance, apr\u00e8s l\u2019empressement de sortir plus vite que tout le monde d\u2019un ventre maternel, il faut qu\u2019un obstacle soudain se dresse : pas de couilles, comme un cheval qui refuse l\u2019obstacle et d\u00e9sar\u00e7onne son cavalier. La m\u00e9decine rem\u00e9die bien \u00e0 ce genre de fain\u00e9antise. \u00c7a y est, c\u2019est un gar\u00e7on. D\u00e9ception de la m\u00e8re qui voulait une fille. C\u2019est pas faute d\u2019avoir tent\u00e9, premier \u00e9chec, on ne se souvient pas \u00e0 quel point il est cuisant, ni si d\u00e9j\u00e0 apr\u00e8s l\u2019effort de na\u00eetre, de survivre \u00e0 l\u2019engouement, \u00e0 la h\u00e2te d\u2019exister, tout \u00e7a ne m\u2019a pas mis \u00e0 plat derechef. Trop autobiographique, d\u00e9cid\u00e9ment, je ne sais toujours pas faire autrement. M\u00eame si en pr\u00e9ambule j\u2019essaie de dire que tout est de l\u2019imagination, cette sensation d\u2019impudeur persiste. Repense \u00e0 ces spectacles, ces affiches, c\u00e9r\u00e9monies d\u2019ouverture, de fermeture des Jeux Olympiques. Quelle fatigue de voir \u00e0 quel point la mise en sc\u00e8ne d\u2019une d\u00e9cadence programm\u00e9e est \u00e9vidente. Ridicule, toute cette symbolique satanique, et surtout aucun rapport avec ce qu\u2019est cens\u00e9 \u00eatre cet \u00e9v\u00e9nement. Tout cela se r\u00e9duit \u00e0 du pain, des jeux, et du d\u00e9lire donc. Du cynisme. Du foutage de gueule. Sympt\u00f4me d\u2019un ennui profond, d\u2019une fatigue \u00e0 maintenir un cadre d\u00e9mocratique ou r\u00e9publicain, fantasme de monarchie toute-puissante, voire divinit\u00e9 insecto\u00efde peinte en plaqu\u00e9 or pour \u00e9voquer l\u2019ange d\u00e9chu, le rebelle. En fait, ce petit homme et sa cour, obs\u00e9d\u00e9 par le faste de Versailles mais n\u2019arrive pas encore \u00e0 sa hauteur, n\u2019a pas encore saign\u00e9 suffisamment la France, les contribuables, r\u00e9sultat beaucoup moins chouette, et m\u00eame path\u00e9tique vraiment. Il faut vraiment \u00eatre lobotomis\u00e9 pour ne pas sentir que \u00e7a pue la merde au royaume du Danemark. Il donne son opinion l\u2019\u00e9reint\u00e9, comme c\u2019est rare. Peut-\u00eatre est-il temps de la donner un peu ton opinion. Peut-\u00eatre que donner son opinion pose le bonhomme. Peut-\u00eatre qu\u2019on n\u2019existe vraiment dans le monde qu\u2019\u00e0 partir de ce fait : donner son opinion. De l\u00e0, ensuite, \u00e0 se faire bombarder nuit et jour par des sondages d\u2019opinion pour renforcer la farce. Mais l\u00e0, ce n\u2019est pas vraiment une opinion, c\u2019est bien plus un cri de fatigue. La mort d\u2019A.D., apprise hier, me laisse assez indiff\u00e9rent. \u00c0 moins que ce ne soit plut\u00f4t tout le battage m\u00e9diatique autour de la mort d\u2019A.D. Ces charognards. Finalement, l\u2019absence de pudeur des m\u00e9dias n\u2019est pas si \u00e9loign\u00e9e de ce que je pense \u00eatre la mienne, seule diff\u00e9rence : je ne gagne pas d\u2019argent avec. Il est question d\u00e9j\u00e0 d\u2019hommage national, on n\u2019est plus \u00e0 \u00e7a pr\u00e8s. Le spectacle continue, show must go on. Mais comment en est-on arriv\u00e9 l\u00e0, \u00e0 un tel point de lassitude, ne pas vouloir voir que tout \u00e7a n\u2019est que du spectacle, que derri\u00e8re les masques, les postures, il n\u2019y a que du vide. La dictature est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 sous forme d\u2019une d\u00e9mocratie illib\u00e9rale. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on s\u2019assoit sur le suffrage universel, les institutions, on ne s\u2019appuie que sur des r\u00e8gles que l\u2019on d\u00e9tourne selon le caprice du moment. Nouvelle panique en vue avec le monkeypox, la variole du singe- nouvelle peste bubonique \u00e0 l\u2019horizon-et d\u00e9j\u00e0, sans que les m\u00e9dias l\u2019\u00e9voquent, des mesures sont prises pour resserrer l\u2019\u00e9tau sanitaire en pr\u00e9vision d\u2019une future pand\u00e9mie. Com\u00e9die des campagnes de vaccination \u00e0 pr\u00e9voir. Mais on ne m\u2019y reprendra pas deux fois, la derni\u00e8re injection re\u00e7ue m\u2019a d\u00e9zingu\u00e9, j\u2019ai mal aux pieds et aux jambes depuis. Fatigue de la servitude, volontaire ou pas. Peut-\u00eatre qu\u2019un sursaut parfois, comme se r\u00e9veiller, r\u00e9tablit les canaux, d\u00e9bloque l\u2019\u00e9nergie, redonne la p\u00eache. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/chenille-ravageur-rosier-1500x893-1.jpg?1748065173", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/19-aout-2024.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/19-aout-2024.html", "title": "19 ao\u00fbt 2024", "date_published": "2024-08-21T08:49:40Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nPrologue, protocole, en guise d\u2019introduction<\/strong> Elle para\u00eet \u00eatre l\u00e0 depuis le d\u00e9but. Peut-\u00eatre, si j\u2019essaie d\u2019\u00eatre juste, c\u2019est-\u00e0-dire plisse un peu les yeux pour gommer le superflu, ne vois \u00e0 cet instant que tableaux, images, peintures qui d\u00e9filent. Un mouvement ininterrompu. Peut-\u00eatre aussi un nuage d\u2019encre comme en projettent les s\u00e8ches, les pieuvres. Il faudrait ralentir ce mouvement, trouver des interstices, s\u2019y infiltrer. Voir ce que \u00e7a cache.<\/p>\n Premi\u00e8re observation : il semble que ce qui cr\u00e9e l\u2019unit\u00e9, la coh\u00e9rence, c\u2019est d\u2019abord la honte, beaucoup de hontes, assez de hontes. Tellement que, pour remplacer la rapidit\u00e9 et la profusion avec lesquelles elles surgissent et s\u2019\u00e9vanouissent, un seul terme peut aider : la fatigue. Encore qu\u2019ici, \u00e0 ce point de d\u00e9part, le doute na\u00eet ; hasardeux d\u2019emprunter un tel raccourci, d\u2019associer honte et fatigue. Le doute fait partie du mouvement aussi. Le doute, puis tout de suite la honte, c\u2019est ce qui ressort quand il s\u2019agit de compiler les textes r\u00e9dig\u00e9s lors de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture anthologie propos\u00e9 par F. En relisant, le rouge me monte au front et, ce faisant, m\u2019indique une b\u00e9ance personnelle. C\u2019est si \u00e9c\u0153urant que tente de combler la b\u00e9ance par le mot fatigue. C\u2019est exactement comme \u00e7a que \u00e7a se passe : soudain fatigu\u00e9, \u00e7a me fatigue. Alors on se couche. Pas la peine d\u2019aller plus loin. On devient invisible sur les radars. Disparition totale.<\/p>\n Puis je pars en vacances, quelques jours, et, bien s\u00fbr, j\u2019essaie d\u2019oublier cette d\u00e9faite. Mais pas si simple. Le contournement est peut-\u00eatre une solution. J\u2019\u00e9vite les autoroutes, emprunte les routes d\u00e9partementales, et durant le trajet ne cesse de ruminer les raisons plausibles de cet \u00e9chec. Beaucoup de culpabilit\u00e9, comme si j\u2019avais commis le pire des p\u00e9ch\u00e9s, celui d\u2019abandonner. (L\u2019\u00e9tymologie de p\u00e9ch\u00e9, c\u2019est \u00e7a, disent les Grecs \u2013 exactement \u2013 l\u2019\u00e9chec, manquer sa cible, surtout celui de ne pas r\u00e9ussir \u00e0 cr\u00e9er quelque chose de personnel, ce pour quoi on semble fait, qui nous permette d\u2019apporter une petite pierre \u00e0 l\u2019\u00e9difice g\u00e9n\u00e9ral du monde.) Voil\u00e0 pour la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019\u00e9crire, la honte ou la culpabilit\u00e9 \u00e9reintante, un boulet qui te transforme en bagnard. Un Cayenne personnel. Comment s\u2019y prendre ensuite sans que \u00e7a ne soit artificiel ? J\u2019ai tellement peur que \u00e7a le soit toujours. C\u2019est que j\u2019ai acquis une sorte de seconde nature dans le fait de me leurrer tout seul. De m\u2019inventer des personnages, des postures. Ne m\u2019en rends m\u00eame plus compte tant cette seconde peau colle \u00e0 l\u2019originale. Le d\u00e9go\u00fbt aussi est un \u00e9l\u00e9ment cl\u00e9, ne pas l\u2019oublier. Est-ce que c\u2019est le d\u00e9go\u00fbt du monde, de soi ? La question taraude, torture, cr\u00e8ve. \u00c7a doit faire aussi partie de la n\u00e9cessit\u00e9 de crever cet abc\u00e8s. Sans savoir si, apr\u00e8s avoir coup\u00e9 les branches donnant ce qu\u2019on pense \u00eatre de si mauvais fruits, l\u2019arbre y survivra. Mais qu\u2019importe, contournons ; qu\u2019y a-t-il \u00e0 perdre ? De cela aussi, une immense lassitude, cette question du gain et de la perte, insupportable. Bien s\u00fbr, rien \u00e0 voir avec une r\u00e9sistance v\u00e9ritable, ici pas besoin d\u2019\u00eatre un Jean Moulin, de poursuivre jusqu\u2019\u00e0 la mort en serrant les dents, d\u2019autant qu\u2019ici nul autre \u00e0 d\u00e9noncer que soi-m\u00eame, alors allons-y.<\/p>\n Le protocole, le premier texte, le pr\u00e9ambule, l\u2019hypoth\u00e8se est l\u00e0 : \u00e9crire un texte chaque jour dans lequel tu pars de ce qui vient, n\u2019importe quelle pens\u00e9e, r\u00eave, image, pour aboutir \u00e0 l\u2019id\u00e9e de cette fatigue. Ensuite, \u00e0 la fin du voyage, des vacances, tu fais le point et selon l\u2019expression consacr\u00e9e :Tu verras bien<\/p>",
"content_text": "{{Prologue, protocole, en guise d\u2019introduction}} Ce n\u2019est pas Saint-Tropez. Difficile aujourd\u2019hui d\u2019imaginer ce qu\u2019il a pu y avoir d\u2019autre \u2013 un fantasme de sin\u00e9cure \u2013 avant la fatigue. Difficile d\u2019imaginer la mer. Difficile d\u2019imaginer quelque chose \u00e0 la place de la fatigue, et surtout de nommer autre chose en ce lieu qu\u2019elle occupe d\u00e9sormais. Elle para\u00eet \u00eatre l\u00e0 depuis le d\u00e9but. Peut-\u00eatre, si j\u2019essaie d\u2019\u00eatre juste, c\u2019est-\u00e0-dire plisse un peu les yeux pour gommer le superflu, ne vois \u00e0 cet instant que tableaux, images, peintures qui d\u00e9filent. Un mouvement ininterrompu. Peut-\u00eatre aussi un nuage d\u2019encre comme en projettent les s\u00e8ches, les pieuvres. Il faudrait ralentir ce mouvement, trouver des interstices, s\u2019y infiltrer. Voir ce que \u00e7a cache. Premi\u00e8re observation : il semble que ce qui cr\u00e9e l\u2019unit\u00e9, la coh\u00e9rence, c\u2019est d\u2019abord la honte, beaucoup de hontes, assez de hontes. Tellement que, pour remplacer la rapidit\u00e9 et la profusion avec lesquelles elles surgissent et s\u2019\u00e9vanouissent, un seul terme peut aider : la fatigue. Encore qu\u2019ici, \u00e0 ce point de d\u00e9part, le doute na\u00eet ; hasardeux d\u2019emprunter un tel raccourci, d\u2019associer honte et fatigue. Le doute fait partie du mouvement aussi. Le doute, puis tout de suite la honte, c\u2019est ce qui ressort quand il s\u2019agit de compiler les textes r\u00e9dig\u00e9s lors de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture anthologie propos\u00e9 par F. En relisant, le rouge me monte au front et, ce faisant, m\u2019indique une b\u00e9ance personnelle. C\u2019est si \u00e9c\u0153urant que tente de combler la b\u00e9ance par le mot fatigue. C\u2019est exactement comme \u00e7a que \u00e7a se passe : soudain fatigu\u00e9, \u00e7a me fatigue. Alors on se couche. Pas la peine d\u2019aller plus loin. On devient invisible sur les radars. Disparition totale. Puis je pars en vacances, quelques jours, et, bien s\u00fbr, j\u2019essaie d\u2019oublier cette d\u00e9faite. Mais pas si simple. Le contournement est peut-\u00eatre une solution. J\u2019\u00e9vite les autoroutes, emprunte les routes d\u00e9partementales, et durant le trajet ne cesse de ruminer les raisons plausibles de cet \u00e9chec. Beaucoup de culpabilit\u00e9, comme si j\u2019avais commis le pire des p\u00e9ch\u00e9s, celui d\u2019abandonner. (L\u2019\u00e9tymologie de p\u00e9ch\u00e9, c\u2019est \u00e7a, disent les Grecs \u2013 exactement \u2013 l\u2019\u00e9chec, manquer sa cible, surtout celui de ne pas r\u00e9ussir \u00e0 cr\u00e9er quelque chose de personnel, ce pour quoi on semble fait, qui nous permette d\u2019apporter une petite pierre \u00e0 l\u2019\u00e9difice g\u00e9n\u00e9ral du monde.) Voil\u00e0 pour la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019\u00e9crire, la honte ou la culpabilit\u00e9 \u00e9reintante, un boulet qui te transforme en bagnard. Un Cayenne personnel. Comment s\u2019y prendre ensuite sans que \u00e7a ne soit artificiel ? J\u2019ai tellement peur que \u00e7a le soit toujours. C\u2019est que j\u2019ai acquis une sorte de seconde nature dans le fait de me leurrer tout seul. De m\u2019inventer des personnages, des postures. Ne m\u2019en rends m\u00eame plus compte tant cette seconde peau colle \u00e0 l\u2019originale. Le d\u00e9go\u00fbt aussi est un \u00e9l\u00e9ment cl\u00e9, ne pas l\u2019oublier. Est-ce que c\u2019est le d\u00e9go\u00fbt du monde, de soi ? La question taraude, torture, cr\u00e8ve. \u00c7a doit faire aussi partie de la n\u00e9cessit\u00e9 de crever cet abc\u00e8s. Sans savoir si, apr\u00e8s avoir coup\u00e9 les branches donnant ce qu\u2019on pense \u00eatre de si mauvais fruits, l\u2019arbre y survivra. Mais qu\u2019importe, contournons ; qu\u2019y a-t-il \u00e0 perdre ? De cela aussi, une immense lassitude, cette question du gain et de la perte, insupportable. Bien s\u00fbr, rien \u00e0 voir avec une r\u00e9sistance v\u00e9ritable, ici pas besoin d\u2019\u00eatre un Jean Moulin, de poursuivre jusqu\u2019\u00e0 la mort en serrant les dents, d\u2019autant qu\u2019ici nul autre \u00e0 d\u00e9noncer que soi-m\u00eame, alors allons-y. Le protocole, le premier texte, le pr\u00e9ambule, l\u2019hypoth\u00e8se est l\u00e0 : \u00e9crire un texte chaque jour dans lequel tu pars de ce qui vient, n\u2019importe quelle pens\u00e9e, r\u00eave, image, pour aboutir \u00e0 l\u2019id\u00e9e de cette fatigue. Ensuite, \u00e0 la fin du voyage, des vacances, tu fais le point et selon l\u2019expression consacr\u00e9e :Tu verras bien ",
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"date_published": "2024-08-21T08:46:55Z",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Depuis Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu\u2019\u00e0 chez nous, en passant par les petites routes, il faut compter environ dix heures de route. En fait un peu plus si l\u2019on s\u2019arr\u00e8te, mettons douze. Sommes partis de notre champ \u00e0 huit heures et arriv\u00e9s vers vingt-trois heures . Les derniers virages dans la nuit, pour rejoindre Bourg l\u2019Argental et ensuite la vall\u00e9e, la fum\u00e9e blanche des usines se d\u00e9coupant sur le ciel sombre, le retour au bercail, la sensation d\u2019\u00e9puisement total ; \u00e7a ne vient pas que de la route. C\u2019est quelque chose qui guette, qui ne cesse de guetter, puis qui au moment o\u00f9 l\u2019on s\u2019y attend le moins, vous saute dessus. Fatigue et d\u00e9prime. On comprend que les falaises l\u00e2chent, qu\u2019elles perdent des pans entiers dans l\u2019oc\u00e9an, la mer. A un moment, il y a toujours ce moment- les falaises n\u2019en peuvent plus de se contenir. La fatigue, un autre nom pour l\u2019entropie, l\u2019usure naturelle du monde d\u00fbe au temps qui passe, dont on sait, on sent qu\u2019il ne se rattrape pas.<\/p>\n Toujours eu cette sensation de ne pas \u00eatre abouti, achev\u00e9, fini et pour me l\u2019expliquer, me justifier , toujours la r\u00e9f\u00e9rence au fait d\u2019\u00eatre n\u00e9 pr\u00e9matur\u00e9. C\u2019est tout \u00e0 fait ridicule bien s\u00fbr. Pour la plupart des gens que je connais, \u00e7a l\u2019est. Et je suis tent\u00e9 de me rassurer aussi en pensant que c\u2019est tout \u00e0 fait ridicule. Sauf que \u00e7a ne me rassure pas, \u00e7a m\u2019\u00e9reinte. Ce qui m\u2019\u00e9reinte surtout c\u2019est de faire semblant d\u2019adopter ce raisonnement. Alors qu\u2019au fond, des forces obscures ne cessent de chuchoter que ce n\u2019est pas tant ridicule que \u00e7a. Il y a toujours cette friction entre ce que pense tout le monde et ce que je pense en premier spontan\u00e9ment, qui semble ne rien devoir au jour mais bien plus \u00e0 la nuit, au chaos, \u00e0 la folie- ce que le monde nomme la folie. Mais qu\u2019un fou en traite un autre de fou n\u2019est-ce pas aussi ridicule, fatiguant, \u00e9puisant, surtout de tourner en rond ainsi.<\/p>\n Je n\u2019arrive pas \u00e0 \u00e9crire de fiction, m\u00eame avec la meilleure volont\u00e9 du monde. Parce que la d\u00e9finition de ce qu\u2019est une fiction n\u2019est pas claire. Ainsi, partir du r\u00e9el, par exemple de ce que l\u2019on veut nous faire passer pour du r\u00e9el, article dans le journal , un fait divers- pose d\u00e9j\u00e0 probl\u00e8me par la fa\u00e7on dont je le lis, comment on me le raconte, comment j\u2019en comprends la raison, la motivation, les ressorts. Aussi loin que je puisse me souvenir, ce hiatus a toujours \u00e9xist\u00e9. Il y a toujours une rupture, une h\u00e9sitation, un trouble, entre ce que l\u2019on me raconte, ce que je veux bien en comprendre, ce que j\u2019en pense ensuite. Avec au final cette sensation d\u2019inach\u00e8vement, cette culpabilit\u00e9 de n\u2019\u00eatre pas certain d\u2019avoir tout compris. Ce qui produit \u00e0 la fois agacement, r\u00e9volte, portes ouvertes enfonc\u00e9es, r\u00e9gression dans des col\u00e8res enfantines, tr\u00e9pignements, mauvaise foi, idiotie, et enfin je tombe de tout mon long, abattu, le monde m\u2019a eu \u2013 c\u2019est l\u2019id\u00e9e- je suis n\u00e9 ainsi pour \u00eatre abattu. Et tout ce que je peux vouloir d\u2019autre n\u2019y change rien, parfois j\u2019explique \u00e7a par cette sorte de croyance nordique en un destin funeste. Ensuite je r\u00e9fl\u00e9chis, je temporise, apr\u00e8s une nuit de sommeil, les choses ne s\u2019annoncent pas si terribles qu\u2019on ne puisse les modifier, c\u2019est l\u2019illusion du jour et sa kyrielle d\u2019espoirs. La lucidit\u00e9 s\u2019\u00e9carte, laisse la place aux croyances ordinaires, l\u2019effort est quasi naturel de maintenir ensemble tous les morceaux en apparence. On ne se rend pas compte comment cette impression de naturel nous cr\u00e8ve.<\/p>\n Sur la route, pendant que S. conduit, je somnole en \u00e9coutant un entretien de Nathalie Quintane datant de 2009 et que partage F. Ce que j\u2019en retiens, sa notion d\u2019abjection, si proche du mot ordinaire.<\/p>",
"content_text": "Depuis Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu\u2019\u00e0 chez nous, en passant par les petites routes, il faut compter environ dix heures de route. En fait un peu plus si l\u2019on s\u2019arr\u00e8te, mettons douze. Sommes partis de notre champ \u00e0 huit heures et arriv\u00e9s vers vingt-trois heures . Les derniers virages dans la nuit, pour rejoindre Bourg l\u2019Argental et ensuite la vall\u00e9e, la fum\u00e9e blanche des usines se d\u00e9coupant sur le ciel sombre, le retour au bercail, la sensation d\u2019\u00e9puisement total; \u00e7a ne vient pas que de la route. C\u2019est quelque chose qui guette, qui ne cesse de guetter, puis qui au moment o\u00f9 l\u2019on s\u2019y attend le moins, vous saute dessus. Fatigue et d\u00e9prime. On comprend que les falaises l\u00e2chent, qu\u2019elles perdent des pans entiers dans l\u2019oc\u00e9an, la mer. A un moment, il y a toujours ce moment- les falaises n\u2019en peuvent plus de se contenir. La fatigue, un autre nom pour l\u2019entropie, l\u2019usure naturelle du monde d\u00fbe au temps qui passe, dont on sait, on sent qu\u2019il ne se rattrape pas. Toujours eu cette sensation de ne pas \u00eatre abouti, achev\u00e9, fini et pour me l\u2019expliquer, me justifier , toujours la r\u00e9f\u00e9rence au fait d\u2019\u00eatre n\u00e9 pr\u00e9matur\u00e9. C\u2019est tout \u00e0 fait ridicule bien s\u00fbr. Pour la plupart des gens que je connais, \u00e7a l\u2019est. Et je suis tent\u00e9 de me rassurer aussi en pensant que c\u2019est tout \u00e0 fait ridicule. Sauf que \u00e7a ne me rassure pas, \u00e7a m\u2019\u00e9reinte. Ce qui m\u2019\u00e9reinte surtout c\u2019est de faire semblant d\u2019adopter ce raisonnement. Alors qu\u2019au fond, des forces obscures ne cessent de chuchoter que ce n\u2019est pas tant ridicule que \u00e7a. Il y a toujours cette friction entre ce que pense tout le monde et ce que je pense en premier spontan\u00e9ment, qui semble ne rien devoir au jour mais bien plus \u00e0 la nuit, au chaos, \u00e0 la folie- ce que le monde nomme la folie. Mais qu\u2019un fou en traite un autre de fou n\u2019est-ce pas aussi ridicule, fatiguant, \u00e9puisant, surtout de tourner en rond ainsi. Je n\u2019arrive pas \u00e0 \u00e9crire de fiction, m\u00eame avec la meilleure volont\u00e9 du monde. Parce que la d\u00e9finition de ce qu\u2019est une fiction n\u2019est pas claire. Ainsi, partir du r\u00e9el, par exemple de ce que l\u2019on veut nous faire passer pour du r\u00e9el, article dans le journal , un fait divers- pose d\u00e9j\u00e0 probl\u00e8me par la fa\u00e7on dont je le lis, comment on me le raconte, comment j\u2019en comprends la raison, la motivation, les ressorts. Aussi loin que je puisse me souvenir, ce hiatus a toujours \u00e9xist\u00e9. Il y a toujours une rupture, une h\u00e9sitation, un trouble, entre ce que l\u2019on me raconte, ce que je veux bien en comprendre, ce que j\u2019en pense ensuite. Avec au final cette sensation d\u2019inach\u00e8vement, cette culpabilit\u00e9 de n\u2019\u00eatre pas certain d\u2019avoir tout compris. Ce qui produit \u00e0 la fois agacement, r\u00e9volte, portes ouvertes enfonc\u00e9es, r\u00e9gression dans des col\u00e8res enfantines, tr\u00e9pignements, mauvaise foi, idiotie, et enfin je tombe de tout mon long, abattu, le monde m\u2019a eu \u2013 c\u2019est l\u2019id\u00e9e- je suis n\u00e9 ainsi pour \u00eatre abattu. Et tout ce que je peux vouloir d\u2019autre n\u2019y change rien, parfois j\u2019explique \u00e7a par cette sorte de croyance nordique en un destin funeste. Ensuite je r\u00e9fl\u00e9chis, je temporise, apr\u00e8s une nuit de sommeil, les choses ne s\u2019annoncent pas si terribles qu\u2019on ne puisse les modifier, c\u2019est l\u2019illusion du jour et sa kyrielle d\u2019espoirs. La lucidit\u00e9 s\u2019\u00e9carte, laisse la place aux croyances ordinaires, l\u2019effort est quasi naturel de maintenir ensemble tous les morceaux en apparence. On ne se rend pas compte comment cette impression de naturel nous cr\u00e8ve. Sur la route, pendant que S. conduit, je somnole en \u00e9coutant un entretien de Nathalie Quintane datant de 2009 et que partage F. Ce que j\u2019en retiens, sa notion d\u2019abjection, si proche du mot ordinaire.",
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"title": "17 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:44:54Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " 22h30. La fatigue du voyage n\u2019est pas la m\u00eame selon que l\u2019on conna\u00eet ou non la destination. J\u2019imagine qu\u2019un p\u00e8lerin de Saint-Jacques devait se faire bien des id\u00e9es, des fantasmes, et que la d\u00e9ception \u00e9tait relativement vite oubli\u00e9e en pesant dans la balance toutes les p\u00e9rip\u00e9ties, drames, trag\u00e9dies, pour y parvenir. Avec le GPS, on inscrit le nom d\u2019une destination : San Sebasti\u00e1n par exemple, et on y est en \u00e0 peine quelques heures. La technologie nous aura d\u00e9rob\u00e9 ce que finissait par trouver le p\u00e8lerin apr\u00e8s la d\u00e9ception. On n\u2019est m\u00eame plus d\u00e9\u00e7u puisqu\u2019on n\u2019a pas eu le temps de fantasmer, d\u2019esp\u00e9rer. Nous avons test\u00e9 les pintxos dans un restaurant japonais. Nous ne nous sommes rendu compte de la b\u00e9vue qu\u2019au moment de payer l\u2019addition. On s\u2019en est tenu les c\u00f4tes, c\u2019\u00e9tait la compensation. Puis on a inscrit ensuite Saint-Jean-Pied-de-Port sur le GPS et on est reparti par la nationale pour essayer de ralentir l\u2019arriv\u00e9e de l\u2019automne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019on a d\u00e9gust\u00e9 nos meilleures tapas. Ambiance de f\u00eate, ici on porte au cou des foulards jaunes. Comme nous avons entendu que la f\u00eate allait durer toute la nuit, on a d\u00e9camp\u00e9 du camping municipal attenant \u00e0 une ar\u00e8ne de pelote basque. On a trouv\u00e9 un champ mis \u00e0 disposition par la commune pour les indigents, il y a des sanitaires, grand luxe.<\/p>\n Depuis la lecture de D\u00e9partementales de F. me suis surpris \u00e0 lire des faits divers, occupation in\u00e9dite. Ainsi hier tombe sur un article de Ouest-France, r\u00e9gion Is\u00e8re :<\/p>\n Un homme et une femme tous les deux \u00e2g\u00e9s de 81 ans et membres de l\u2019association Ultime libert\u00e9, pr\u00f4nant le droit au suicide assist\u00e9, ont \u00e9t\u00e9 plac\u00e9s en garde \u00e0 vue \u00e0 Grenoble (Is\u00e8re), a annonc\u00e9 le parquet jeudi 15 ao\u00fbt 2024. Les militants sont soup\u00e7onn\u00e9s d\u2019« exercice ill\u00e9gal de la profession de pharmacien » et de « propagande en faveur de produits pr\u00e9conis\u00e9s comme moyens d\u2019aide au suicide », a pr\u00e9cis\u00e9 la justice (l\u2019AFP)<\/p>\n Il y a de quoi faire.<\/p>\n Titre en gras : Grenoble. Deux militants pour le suicide assist\u00e9 suspect\u00e9s d\u2019avoir donn\u00e9 des m\u00e9dicaments \u00e0 une femme<\/p>\n chapeau : Un homme a alert\u00e9 la police mercredi 14 ao\u00fbt 2024, affirmant que deux octog\u00e9naires avaient tent\u00e9 de tuer une femme \u00e2g\u00e9e de 91 ans en lui fournissant des m\u00e9dicaments. Les deux suspects ont \u00e9t\u00e9 arr\u00eat\u00e9s et plac\u00e9s en garde \u00e0 vue.<\/p>\n Voici un point de d\u00e9part. De quoi s\u2019aventurer. Bien entendu ne s\u2019agit pas d\u2019imiter F. Plut\u00f4t de s\u2019interroger sur son protocole. Difficile de ne pas donner une opinion personnelle. Qu\u2019on leur foute la paix serait la moindre des choses- c\u2019est ce qui me vient spontan\u00e9ment. Ensuite possible de s\u2019interroger sur leurs relations. Est-ce un couple par exemple mari et femme de 81 ans, deux potes qui adh\u00e8rent ainsi que leur pr\u00e9tendue victime \u00e0 l\u2019association. Ensuite bien d\u2019autres questions d\u00e9coulent des pr\u00e9c\u00e9dentes. Peut-\u00eatre que ce jour l\u00e0 la chaleur leur devenant de plus en plus p\u00e9nible\u2026 Peut-\u00eatre que la nonag\u00e9naire avait \u00e9t\u00e9, l\u2019\u00e9tait-elle toujours la ma\u00eetresse d\u2019un des deux militants. Comment planifie t\u2019on cette aide au suicide assist\u00e9. Un document \u00e9crit peut-il prouver la bonne foi, y a t\u2019il r\u00e9mun\u00e9ration \u2026 s\u2019agit-il de quelque op\u00e9ration v\u00e9nale, une affaire auhentiquement sordide avec vol des bijoux de famille, TV \u00e9cran plasma, cafeti\u00e8re L\u2019Or Barista, collection de capsules de bi\u00e8re \u00e0 la clef\u2026 Dans quel d\u00e9cor la sc\u00e8ne, quartier r\u00e9sidentiel ou HLM\u2026 En plus Henri Brulard le dit Grenoble est une ville d\u00e9testable. Peut-\u00eatre que rien n\u2019a chang\u00e9 depuis Sthendal, peut-\u00eatre que la soci\u00e9t\u00e9 actuelle y est aussi un peu pour quelque chose si on d\u00e9sire mourir si jeune. Sans parler des mouroirs mis en place pour ignorer la vieillesse et la mort, l\u2019obsession rentable d\u2019une eternelle jeunesse taillable et corv\u00e9able \u00e0 l\u2019infini nous bouchant la vue sur ces r\u00e9alit\u00e9s l\u00e0.<\/p>",
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"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Lu le manuscrit de D\u00e9partementales (vie de province) envoy\u00e9 par F. Pas question de donner un avis ; me concernant, ma lanterne s\u2019est \u00e9clair\u00e9e un peu plus sur la notion de protocole. \u00c9crire \u00e0 partir de faits divers, se r\u00e9approprier l\u2019\u00e9v\u00e9nement avec des mots \u00e0 soi sans l\u00e2cher ou se laisser d\u00e9border par l\u2019intime, quelle discipline \u00e7a requiert. Calaferte avait fait quelque chose du genre ; lui disait : « que les faits bruts, pas d\u2019affect ». Truman Capote avait \u00e9crit De sang-froid, le seul d\u2019ailleurs de lui que je n\u2019ai pas lu. Il est quatre heures du matin, c\u2019est la premi\u00e8re chose qui me vient, ces petits textes de F. comme de petites bombes \u00e0 retardement. Petits par la taille, mais\u2026 non, j\u2019ai dit que je ne donne pas d\u2019avis.<\/p>\n Lu aussi quelques billets sur des blogs. Quelle importance de savoir ce que j\u2019en pense. Impression qu\u2019on creuse ensemble, que cette t\u00e2che requiert d\u00e9j\u00e0 suffisamment de force, d\u2019\u00e9nergie, pour ne pas avoir \u00e0 en ajouter. Oui, c\u2019est un r\u00e9seau social, WordPress, c\u2019est exact, moins tapageur cependant que les autres, certainement. La raison vient en premier lieu de notre mati\u00e8re \u00e0 chacun et chacune, p\u00e9trie de silence dans le silence. C\u2019est un autre type de bruit, disons \u00e7a, voil\u00e0.<\/p>\n J\u2019aper\u00e7ois des changements de braquet chez les uns et les autres, des c\u00f4tes qui demandent effort et retrait, des pentes sur lesquelles on file sans plus tenir le guidon, pouss\u00e9 par une \u00e9trange euphorie, et ce m\u00eame voire surtout au plus profond de d\u00e9primes carabin\u00e9es. Mais qui suis-je pour en parler, en juger ? Personne, qu\u2019un \u0153il qui s\u2019entrouvre \u00e0 peine qu\u2019il se referme d\u00e9j\u00e0, refabriquant \u00e0 partir de ces quelques bribes une r\u00e9alit\u00e9, ma r\u00e9alit\u00e9 \u2013 toujours subjective \u2013 malgr\u00e9 la fatigue de ces efforts \u00e0 fournir. Est-ce que bloguer c\u2019est p\u00eacher, dans tous les sens du mot p\u00e9cher qui est aussi accessoirement une traduction de \u00e9chec en grec, \u00e9chec de ne pas parvenir \u00e0 sa v\u00e9ritable expression personnelle et \u00e0 pr\u00e9server la relation qui lui revient avec le reste de l\u2019univers.<\/p>\n Parfois, impression de crever quelques instants une surface, comme une baleine remonte pour venir respirer, souffler avant d\u2019y retourner. Une r\u00e9alit\u00e9 encore plus terrifiante se fait jour \u00e0 coup de flashs, d\u2019\u00e9clairs. Une parano\u00efa sans doute. Ma parano\u00efa. En tout cas, le mensonge \u00e0 cet instant est tout \u00e0 fait \u00e9vident. Limpide. Il procure la sensation d\u00e9sagr\u00e9able, presque intol\u00e9rable, d\u2019une simulation \u00e0 tr\u00e8s grande \u00e9chelle. Une entourloupe encore jamais vue de m\u00e9moire d\u2019homme. La survie alors doit tout \u00e0 l\u2019art de la navigation, car un seul faux pas ( on le sent encore plus quand on tra\u00eene la patte) , nous jetterait aussit\u00f4t dans les ab\u00eemes du doute. Un doute insondable cette fois.<\/p>\n \u00c9trangement, nous n\u2019avons pas profit\u00e9 de cette journ\u00e9e suppl\u00e9mentaire offerte en compensation. Suis rest\u00e9 allong\u00e9 \u00e0 lire presque toute la journ\u00e9e ou \u00e0 somnoler. S. a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 le pont, les mots fl\u00e9ch\u00e9s, le soleil. Une l\u00e9g\u00e8re tension vers 15 h, puis apr\u00e8s 18 h, et donc sommes partis marcher nos deux heures quotidiennes. D\u00e9j\u00e0, on peut sentir dans l\u2019air les premiers indices de l\u2019automne ; les jours raccourcissent, et il fait m\u00eame frais la nuit, c\u2019est ce qui m\u2019a r\u00e9veill\u00e9.<\/p>",
"content_text": "Lu le manuscrit de D\u00e9partementales (vie de province) envoy\u00e9 par F. Pas question de donner un avis ; me concernant, ma lanterne s\u2019est \u00e9clair\u00e9e un peu plus sur la notion de protocole. \u00c9crire \u00e0 partir de faits divers, se r\u00e9approprier l\u2019\u00e9v\u00e9nement avec des mots \u00e0 soi sans l\u00e2cher ou se laisser d\u00e9border par l\u2019intime, quelle discipline \u00e7a requiert. Calaferte avait fait quelque chose du genre ; lui disait : \u00ab que les faits bruts, pas d\u2019affect \u00bb. Truman Capote avait \u00e9crit De sang-froid, le seul d\u2019ailleurs de lui que je n\u2019ai pas lu. Il est quatre heures du matin, c\u2019est la premi\u00e8re chose qui me vient, ces petits textes de F. comme de petites bombes \u00e0 retardement. Petits par la taille, mais\u2026 non, j\u2019ai dit que je ne donne pas d\u2019avis. Lu aussi quelques billets sur des blogs. Quelle importance de savoir ce que j\u2019en pense. Impression qu\u2019on creuse ensemble, que cette t\u00e2che requiert d\u00e9j\u00e0 suffisamment de force, d\u2019\u00e9nergie, pour ne pas avoir \u00e0 en ajouter. Oui, c\u2019est un r\u00e9seau social, WordPress, c\u2019est exact, moins tapageur cependant que les autres, certainement. La raison vient en premier lieu de notre mati\u00e8re \u00e0 chacun et chacune, p\u00e9trie de silence dans le silence. C\u2019est un autre type de bruit, disons \u00e7a, voil\u00e0. J\u2019aper\u00e7ois des changements de braquet chez les uns et les autres, des c\u00f4tes qui demandent effort et retrait, des pentes sur lesquelles on file sans plus tenir le guidon, pouss\u00e9 par une \u00e9trange euphorie, et ce m\u00eame voire surtout au plus profond de d\u00e9primes carabin\u00e9es. Mais qui suis-je pour en parler, en juger ? Personne, qu\u2019un \u0153il qui s\u2019entrouvre \u00e0 peine qu\u2019il se referme d\u00e9j\u00e0, refabriquant \u00e0 partir de ces quelques bribes une r\u00e9alit\u00e9, ma r\u00e9alit\u00e9 \u2013 toujours subjective \u2013 malgr\u00e9 la fatigue de ces efforts \u00e0 fournir. Est-ce que bloguer c\u2019est p\u00eacher, dans tous les sens du mot p\u00e9cher qui est aussi accessoirement une traduction de \u00e9chec en grec, \u00e9chec de ne pas parvenir \u00e0 sa v\u00e9ritable expression personnelle et \u00e0 pr\u00e9server la relation qui lui revient avec le reste de l\u2019univers. Parfois, impression de crever quelques instants une surface, comme une baleine remonte pour venir respirer, souffler avant d\u2019y retourner. Une r\u00e9alit\u00e9 encore plus terrifiante se fait jour \u00e0 coup de flashs, d\u2019\u00e9clairs. Une parano\u00efa sans doute. Ma parano\u00efa. En tout cas, le mensonge \u00e0 cet instant est tout \u00e0 fait \u00e9vident. Limpide. Il procure la sensation d\u00e9sagr\u00e9able, presque intol\u00e9rable, d\u2019une simulation \u00e0 tr\u00e8s grande \u00e9chelle. Une entourloupe encore jamais vue de m\u00e9moire d\u2019homme. La survie alors doit tout \u00e0 l\u2019art de la navigation, car un seul faux pas ( on le sent encore plus quand on tra\u00eene la patte) , nous jetterait aussit\u00f4t dans les ab\u00eemes du doute. Un doute insondable cette fois. \u00c9trangement, nous n\u2019avons pas profit\u00e9 de cette journ\u00e9e suppl\u00e9mentaire offerte en compensation. Suis rest\u00e9 allong\u00e9 \u00e0 lire presque toute la journ\u00e9e ou \u00e0 somnoler. S. a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 le pont, les mots fl\u00e9ch\u00e9s, le soleil. Une l\u00e9g\u00e8re tension vers 15 h, puis apr\u00e8s 18 h, et donc sommes partis marcher nos deux heures quotidiennes. D\u00e9j\u00e0, on peut sentir dans l\u2019air les premiers indices de l\u2019automne ; les jours raccourcissent, et il fait m\u00eame frais la nuit, c\u2019est ce qui m\u2019a r\u00e9veill\u00e9.",
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"tags": ["Essai sur la fatigue"]
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"title": "15 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:40:25Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Malafama, le nom du bateau. S. me le traduit par “mauvaise humeur”. Surtout s\u2019il pleut, ajoute-t-elle. En tout cas, je viens de finir le 347 et d\u00e9j\u00e0 envie de commencer le 348, comme si la dose n\u2019\u00e9tait pas suffisante, qu\u2019il fallait encore creuser un peu plus, quoi, un canal carpien. Et puis, au hasard, je lis : “avoir du caract\u00e8re ne signifie pas avoir mauvais caract\u00e8re”, et je repense \u00e0 mon p\u00e8re. Avoir du caract\u00e8re, pour beaucoup de sa g\u00e9n\u00e9ration, aura signifi\u00e9 cela. Puis, par capillarit\u00e9, \u00e0 leur production, leurs rejetons. Souffrir silencieusement toute l\u2019absurdit\u00e9 de ce monde demande autre chose que de la hargne ou de la mauvaise humeur, il faut ce qu\u2019on appelle des nerfs. Ainsi, ces promenades journali\u00e8res sont-elles un calvaire, mais au cours desquelles on peut merveilleusement comprendre la notion d\u2019humeur, bonne ou mauvaise, selon l\u2019\u00e9tat d\u2019une vo\u00fbte plantaire, des os, des muscles et des tendons. Toutes ces choses dont on ne tient pas compte lorsqu\u2019on est jeune et insouciant. La douleur, la fatigue qui vient de leur r\u00e9p\u00e9tition, de ces fatigues ou douleurs, de leur omnipr\u00e9sence, d\u2019une peur naturelle de se sentir vieillir, ou d\u2019une autre insidieuse \u00e9manant du d\u00e9ni, tout \u00e7a \u00e9rode le masque des apparences, y compris de fa\u00e7on autor\u00e9flexive, surtout de mani\u00e8re narcissique, de ce qu\u2019on croit ou avoir cru \u00eatre. Le caract\u00e8re semble li\u00e9 par h\u00e9ritage au fait qu\u2019il puisse exister une bonne et une mauvaise fa\u00e7on d\u2019aborder, d\u2019affronter la douleur comme la fatigue. Et, r\u00e9manence, les expressions qui accompagnent cette volont\u00e9 ou non-volont\u00e9 : du nerf, du cran, serre les dents — tant et tant qu\u2019on finit par ne plus en avoir, de dents, sans bien s\u2019en souvenir, savoir, reconna\u00eetre l\u2019ancienne utilit\u00e9. Quelque chose se vide pour laisser place \u00e0 quelque chose d\u2019autre. Ces deux objets restent ind\u00e9finissables un temps, comme sur la cr\u00eate d\u2019une vague, dans une immobilit\u00e9 tremblante et chancelante, l\u2019ultime d\u2019une vague d\u2019\u00e9puisement physique ou nerveux. On sait qu\u2019on ne peut s\u2019attacher \u00e0 la mauvaise humeur seule pour continuer.<\/p>\n Le propri\u00e9taire du bateau nous invite \u00e0 partir plus t\u00f4t que pr\u00e9vu, car il avait oubli\u00e9 une maintenance. Soit il nous rembourse l\u2019\u00e9quivalent de la journ\u00e9e, soit il fera un geste \u00e9quivalent si on revient. Nous faisons semblant de ne pas comprendre, nous r\u00e9fugiant derri\u00e8re la barri\u00e8re des langues, et proposons de rester une nuit de plus en contrepartie ; nous irons nous promener durant la r\u00e9paration. Sans trop d\u2019espoir, car nous avons bien saisi le sens du message. En ce qui me concerne, aucun dommage \u00e0 partir plus vite, le temps maussade aidant et le fait que le nom du bateau me fait \u00e9crire sur l\u2019humeur, le caract\u00e8re. Je suis d\u00e9j\u00e0 rembours\u00e9.<\/p>\n Six heures. Nous avons droit \u00e0 une nuit de plus en compensation du temps allou\u00e9 \u00e0 la maintenance. C\u2019est normal : j\u2019ai trouv\u00e9 la raison pour laquelle nous avions atterri l\u00e0. Preuve \u00e0 l\u2019appui, ce texte. Rien d\u2019extraordinaire en fait, c\u2019en est tellement fatiguant.<\/p>",
"content_text": "Malafama, le nom du bateau. S. me le traduit par \u201cmauvaise humeur\u201d. Surtout s\u2019il pleut, ajoute-t-elle. En tout cas, je viens de finir le 347 et d\u00e9j\u00e0 envie de commencer le 348, comme si la dose n\u2019\u00e9tait pas suffisante, qu\u2019il fallait encore creuser un peu plus, quoi, un canal carpien. Et puis, au hasard, je lis : \u201cavoir du caract\u00e8re ne signifie pas avoir mauvais caract\u00e8re\u201d, et je repense \u00e0 mon p\u00e8re. Avoir du caract\u00e8re, pour beaucoup de sa g\u00e9n\u00e9ration, aura signifi\u00e9 cela. Puis, par capillarit\u00e9, \u00e0 leur production, leurs rejetons. Souffrir silencieusement toute l\u2019absurdit\u00e9 de ce monde demande autre chose que de la hargne ou de la mauvaise humeur, il faut ce qu\u2019on appelle des nerfs. Ainsi, ces promenades journali\u00e8res sont-elles un calvaire, mais au cours desquelles on peut merveilleusement comprendre la notion d\u2019humeur, bonne ou mauvaise, selon l\u2019\u00e9tat d\u2019une vo\u00fbte plantaire, des os, des muscles et des tendons. Toutes ces choses dont on ne tient pas compte lorsqu\u2019on est jeune et insouciant. La douleur, la fatigue qui vient de leur r\u00e9p\u00e9tition, de ces fatigues ou douleurs, de leur omnipr\u00e9sence, d\u2019une peur naturelle de se sentir vieillir, ou d\u2019une autre insidieuse \u00e9manant du d\u00e9ni, tout \u00e7a \u00e9rode le masque des apparences, y compris de fa\u00e7on autor\u00e9flexive, surtout de mani\u00e8re narcissique, de ce qu\u2019on croit ou avoir cru \u00eatre. Le caract\u00e8re semble li\u00e9 par h\u00e9ritage au fait qu\u2019il puisse exister une bonne et une mauvaise fa\u00e7on d\u2019aborder, d\u2019affronter la douleur comme la fatigue. Et, r\u00e9manence, les expressions qui accompagnent cette volont\u00e9 ou non-volont\u00e9 : du nerf, du cran, serre les dents \u2014 tant et tant qu\u2019on finit par ne plus en avoir, de dents, sans bien s\u2019en souvenir, savoir, reconna\u00eetre l\u2019ancienne utilit\u00e9. Quelque chose se vide pour laisser place \u00e0 quelque chose d\u2019autre. Ces deux objets restent ind\u00e9finissables un temps, comme sur la cr\u00eate d\u2019une vague, dans une immobilit\u00e9 tremblante et chancelante, l\u2019ultime d\u2019une vague d\u2019\u00e9puisement physique ou nerveux. On sait qu\u2019on ne peut s\u2019attacher \u00e0 la mauvaise humeur seule pour continuer. Le propri\u00e9taire du bateau nous invite \u00e0 partir plus t\u00f4t que pr\u00e9vu, car il avait oubli\u00e9 une maintenance. Soit il nous rembourse l\u2019\u00e9quivalent de la journ\u00e9e, soit il fera un geste \u00e9quivalent si on revient. Nous faisons semblant de ne pas comprendre, nous r\u00e9fugiant derri\u00e8re la barri\u00e8re des langues, et proposons de rester une nuit de plus en contrepartie ; nous irons nous promener durant la r\u00e9paration. Sans trop d\u2019espoir, car nous avons bien saisi le sens du message. En ce qui me concerne, aucun dommage \u00e0 partir plus vite, le temps maussade aidant et le fait que le nom du bateau me fait \u00e9crire sur l\u2019humeur, le caract\u00e8re. Je suis d\u00e9j\u00e0 rembours\u00e9. Six heures. Nous avons droit \u00e0 une nuit de plus en compensation du temps allou\u00e9 \u00e0 la maintenance. C\u2019est normal : j\u2019ai trouv\u00e9 la raison pour laquelle nous avions atterri l\u00e0. Preuve \u00e0 l\u2019appui, ce texte. Rien d\u2019extraordinaire en fait, c\u2019en est tellement fatiguant. ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-aout-2024.html",
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"title": "14 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:38:04Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \u00c9crire c\u2019est prendre le pouvoir. Ce qui fait d\u00e9ja une bonne raison pour ne pas \u00eatre proph\u00e8te en son pays, en sa famille. Les familles n\u2019aiment pas les autobiographies. Les archives d\u00e9partementales pas bien non plus. Un texte digne de ce nom doit pouvoir survivre au minimum cinquante ans en milieu hostile. Mourrez, attendez cinquante ans, repassez nous voir disent les archives d\u00e9partementales.<\/p>\n Quelle chance de ne pas vouloir \u00e9crire une autobiographie ; en serais fatigu\u00e9 d\u2019avance. Et puis rien \u00e0 revendiquer, pas d\u2019avis si durable qu\u2019il survive \u00e0 une journ\u00e9e, pas de compte \u00e0 r\u00e8gler, pas de b\u00e9n\u00e9diction lorgn\u00e9e, qu\u2019on me reconnaisse, c\u2019est d\u00e9ja fait, mon bulletin de naissance le dit, qu\u2019on m\u2019aime serait risible, alors quoi, pas un seul ressort \u00e0 compresser ni d\u00e9tendre, rien ne me pousse vers l\u2019autobiographie. L\u2019autofiction serait plus appropri\u00e9e, toute la difficult\u00e9 cependant qu\u2019on la confonde avec de l\u2019\u00e9gotisme n\u2019est pas mince.<\/p>\n La fatigue due aussi aux boites aux \u00e9tiquettes, cette r\u00e9duction des os que le mort faute de tout se doit d\u2019effectuer seul, jusqu\u2019au scrupule, la poussi\u00e8re, l\u2019oubli.<\/p>\n Hier nous discutons de vacances pass\u00e9es, stupeur de n\u2019en trouver aucun souvenir. Seulement de vagues impressions comme lorsqu\u2019on se r\u00e9veille. Alors que tu as une m\u00e9moire d\u2019\u00e9l\u00e9phant la plupart du temps me dit S. Pareil pour le sens de l\u2019orientation ajoute t\u2019elle, je te trouve de plus en plus perdu. Dr\u00f4le d\u2019effet. J\u2019y repense en \u00e9crivant ce matin. La vraie raison qui me pousse \u00e0 \u00e9crire est peut-\u00eatre du m\u00eame ordre que celle du Petit Poucet. Vouloir retrouver le chemin de la maison. Puis une fois d\u00e9couvert le pot aux roses, le fantasme, la chim\u00e8re, c\u2019est qu\u2019on en aura pris l\u2019habitude, l\u2019usage et plus d\u2019autre motivation que celle-ci. Donc \u00e7a commence par un d\u00e9sir de ne pas vouloir se perdre, ou de perdre des \u00eatres, des objets, des pens\u00e9es, des r\u00eaveries, puis les voir disparaitre, se voir disparaitre en \u00e9crivant justement.<\/p>\n Nous allons au Guggenheim aujourdhui. Est-ce possible de plisser les yeux, gommer tout le superflu, percevoir l\u2019essentiel. Mais fatigu\u00e9 aussi \u00e9norm\u00e9ment par l\u2019id\u00e9e qu\u2019il puisse exister un essentiel, \u00e0 part aller ensemble visiter un mus\u00e9e quel qu\u2019il soit.<\/p>\n 19h. Il pleut. L\u2019eau s\u2019est engouffr\u00e9e par une lucarne que nous avons oubli\u00e9 de fermer. Une bonne heure pour tout \u00e9coper \u00e9ponger hier soir. Repas frugal puis au lit.<\/p>\n ce matin r\u00e9veil \u00e0 cinq heure, il faudrait dire quelque chose de la ville de Bilbao, du Guggenheim, puis je me souviens que n\u2019ecris pas une autobiographie, pas plus qu\u2019un guide touristique. Peux dire tout de m\u00eame que bien appr\u00e9ci\u00e9 Yoshitomo Nara, le jambon, le vin blanc verdeto. Pour le reste, et sp\u00e9cialement Martha Jungwirth, il faudra y revenir. Et notamment sur la r\u00e9flexion Das ist Scheise, c\u2019est de la merde, de la part d\u2019un quincag\u00e9naire teuton traversant le lieu d\u2019exposition.<\/p>\n ah oui voil\u00e0 \u00e7a revient, les deux verbes vaciller et chanceler, au bout de cette longue journ\u00e9e de marche, apr\u00e8s \u00e9coper \u00e9ponger les voici enfin. l\u2019art contemporain propose de vaciller chanceler assez r\u00e9guli\u00e8rement, signe sans doute d\u2019une grande fatigue de notre humanit\u00e9, on chancelle se tenant en funambule entre un c\u2019est de la merde et un c\u2019est g\u00e9nial<\/p>",
"content_text": "\u00c9crire c\u2019est prendre le pouvoir. Ce qui fait d\u00e9ja une bonne raison pour ne pas \u00eatre proph\u00e8te en son pays, en sa famille. Les familles n\u2019aiment pas les autobiographies. Les archives d\u00e9partementales pas bien non plus. Un texte digne de ce nom doit pouvoir survivre au minimum cinquante ans en milieu hostile. Mourrez, attendez cinquante ans, repassez nous voir disent les archives d\u00e9partementales. Quelle chance de ne pas vouloir \u00e9crire une autobiographie; en serais fatigu\u00e9 d\u2019avance. Et puis rien \u00e0 revendiquer, pas d\u2019avis si durable qu\u2019il survive \u00e0 une journ\u00e9e, pas de compte \u00e0 r\u00e8gler, pas de b\u00e9n\u00e9diction lorgn\u00e9e, qu\u2019on me reconnaisse, c\u2019est d\u00e9ja fait, mon bulletin de naissance le dit, qu\u2019on m\u2019aime serait risible, alors quoi, pas un seul ressort \u00e0 compresser ni d\u00e9tendre, rien ne me pousse vers l\u2019autobiographie. L\u2019autofiction serait plus appropri\u00e9e, toute la difficult\u00e9 cependant qu\u2019on la confonde avec de l\u2019\u00e9gotisme n\u2019est pas mince. La fatigue due aussi aux boites aux \u00e9tiquettes, cette r\u00e9duction des os que le mort faute de tout se doit d\u2019effectuer seul, jusqu\u2019au scrupule, la poussi\u00e8re, l\u2019oubli. Hier nous discutons de vacances pass\u00e9es, stupeur de n\u2019en trouver aucun souvenir. Seulement de vagues impressions comme lorsqu\u2019on se r\u00e9veille. Alors que tu as une m\u00e9moire d\u2019\u00e9l\u00e9phant la plupart du temps me dit S. Pareil pour le sens de l\u2019orientation ajoute t\u2019elle, je te trouve de plus en plus perdu. Dr\u00f4le d\u2019effet. J\u2019y repense en \u00e9crivant ce matin. La vraie raison qui me pousse \u00e0 \u00e9crire est peut-\u00eatre du m\u00eame ordre que celle du Petit Poucet. Vouloir retrouver le chemin de la maison. Puis une fois d\u00e9couvert le pot aux roses, le fantasme, la chim\u00e8re, c\u2019est qu\u2019on en aura pris l\u2019habitude, l\u2019usage et plus d\u2019autre motivation que celle-ci. Donc \u00e7a commence par un d\u00e9sir de ne pas vouloir se perdre, ou de perdre des \u00eatres, des objets, des pens\u00e9es, des r\u00eaveries, puis les voir disparaitre, se voir disparaitre en \u00e9crivant justement. Nous allons au Guggenheim aujourdhui. Est-ce possible de plisser les yeux, gommer tout le superflu, percevoir l\u2019essentiel. Mais fatigu\u00e9 aussi \u00e9norm\u00e9ment par l\u2019id\u00e9e qu\u2019il puisse exister un essentiel, \u00e0 part aller ensemble visiter un mus\u00e9e quel qu\u2019il soit. 19h. Il pleut. L\u2019eau s\u2019est engouffr\u00e9e par une lucarne que nous avons oubli\u00e9 de fermer. Une bonne heure pour tout \u00e9coper \u00e9ponger hier soir. Repas frugal puis au lit. ce matin r\u00e9veil \u00e0 cinq heure, il faudrait dire quelque chose de la ville de Bilbao, du Guggenheim, puis je me souviens que n\u2019ecris pas une autobiographie, pas plus qu\u2019un guide touristique. Peux dire tout de m\u00eame que bien appr\u00e9ci\u00e9 Yoshitomo Nara, le jambon, le vin blanc verdeto. Pour le reste, et sp\u00e9cialement Martha Jungwirth, il faudra y revenir. Et notamment sur la r\u00e9flexion Das ist Scheise, c\u2019est de la merde, de la part d\u2019un quincag\u00e9naire teuton traversant le lieu d\u2019exposition. ah oui voil\u00e0 \u00e7a revient, les deux verbes vaciller et chanceler, au bout de cette longue journ\u00e9e de marche, apr\u00e8s \u00e9coper \u00e9ponger les voici enfin. l\u2019art contemporain propose de vaciller chanceler assez r\u00e9guli\u00e8rement, signe sans doute d\u2019une grande fatigue de notre humanit\u00e9, on chancelle se tenant en funambule entre un c\u2019est de la merde et un c\u2019est g\u00e9nial",
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"title": "13 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:36:27Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " On ne prend pas l\u2019autoroute, on est fatigu\u00e9 d\u2019engraisser Vinci et autres, surtout que c\u2019est d\u00e9j\u00e0 pay\u00e9 et sur plusieurs g\u00e9n\u00e9rations, grassement. Nous, on prend les petites routes. C\u2019est plus long, plus tranquille. Six heures au lieu de quatre, pas grave. On le sait d\u2019avance qu\u2019il ne fait pas beau, d\u00e8s Bayonne on le sait, le pare-brise et les essuie-glaces le savent.<\/p>\n Arriv\u00e9e dans le port de Getxo vers 13 h. « Vous trouverez les cl\u00e9s du bateau au bar des skippers », dit le message. Merci Google Translate. Puis le gars arrive et nous explique tous les boutons. Il est press\u00e9, on comprend en gros qu\u2019il se d\u00e9p\u00eache parce qu\u2019il est press\u00e9, un bon gars soit dit en passant, en tout cas pas du tout collant, au poil. Ce qui fait que vers 14 h 30, on joue les skippers. Piqu\u00e9 un roupillon illico, position chien de fusil en grimpant sur le toit, il y faisait frais, petite brise, petit roulis rappelant de lointains souvenirs de f\u0153tus, si \u00e7a se peut.<\/p>\n Puis grande marche \u00e0 nouveau, sans souffrance la vie ne vaudrait pas tripette. O\u00f9 donc est ce foutu super mercado ? Bref, on a doubl\u00e9 le temps pr\u00e9vu par le GPS. On a escalad\u00e9 une montagne tandis que toute une foule nous croisait, descendant. Les hommes portent ici des v\u00eatements de femmes et m\u00eame se maquillent. Remarqu\u00e9 aussi que tous portent un petit foulard vichy, mais couleur gris bleu, autour du cou, sans doute un signe de ralliement. La premi\u00e8re heure d\u2019ascension s\u2019est plut\u00f4t bien pass\u00e9e, une souffrance correcte, pas de paroxysme. Mais au bout de deux heures, impression de marcher sur des moignons. J\u2019avais vu des femmes se tra\u00eener \u00e0 genoux vers un saint quelconque, \u00e0 Guimar\u00e3es, Portugal, j\u2019en suis d\u00e9sormais, sauf que pas de saint au bout, juste le bateau de Popeye. J\u2019\u00e9cris ces quelques lignes sans conviction. \u00c9crire \u00e0 la sauvette en voyage ne permet pas de palabrer.<\/p>\n R\u00e9veil \u00e0 4 h 26, je relis, bof. Dr\u00f4le que quand je le fais, c\u2019est toujours avec au d\u00e9part cette petite euphorie, puis quand je relis, bof. La relecture est fatigante. Pire : d\u00e9cevante, d\u00e9courageante, \u00e9coeurante. De la merde. \u00c0 moins que ce soit une autobiographie, l\u00e0 pas de risque, elles sont toutes bonnes sinon excellentes, le lecteur fabriquant tous les romans \u00e0 partir de\u2026 Ce n\u2019est pas de moi, c\u2019est de Philippe Lejeune, expert en autobiographies.<\/p>\n L\u2019id\u00e9e d\u2019en rajouter, que ce n\u2019est pas assez, jamais suffisant, provient d\u2019une carence de tout \u00e0 l\u2019origine — en couveuse — jamais r\u00e9gl\u00e9e. On a beau faire jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9r\u00e9mitisme le plus loin qu\u2019on peut, les je\u00fbnes, les privations, l\u2019abstinence la plus grotesque, rien n\u2019y fait ni n\u2019y fera. Apr\u00e8s avoir commis tout l\u2019inverse dans l\u2019exc\u00e8s, rien n\u2019y fait, n\u2019y a fait, ni ne fera. Seul le vivre, ou accessoirement le mourir, sont des vecteurs, jamais une destination, une maison. \u00c0 la fin, \u00e9puis\u00e9, c\u2019est la d\u00e9testation de tout en bloc, en vrac, et de soi surtout. On se met \u00e0 comparer les torchons et les serviettes : o\u00f9 donc ai-je fichu mes mouchoirs or, ni, car. Puis on retourne s\u2019allonger sur un traitement de texte, un canap\u00e9, l\u2019herbe verte des sempiternelles hypoth\u00e8ses que tout aurait pu se passer autrement si\u2026 L\u2019\u00e9reintant autrement si<\/p>",
"content_text": "On ne prend pas l\u2019autoroute, on est fatigu\u00e9 d\u2019engraisser Vinci et autres, surtout que c\u2019est d\u00e9j\u00e0 pay\u00e9 et sur plusieurs g\u00e9n\u00e9rations, grassement. Nous, on prend les petites routes. C\u2019est plus long, plus tranquille. Six heures au lieu de quatre, pas grave. On le sait d\u2019avance qu\u2019il ne fait pas beau, d\u00e8s Bayonne on le sait, le pare-brise et les essuie-glaces le savent. Arriv\u00e9e dans le port de Getxo vers 13 h. \u00ab Vous trouverez les cl\u00e9s du bateau au bar des skippers \u00bb, dit le message. Merci Google Translate. Puis le gars arrive et nous explique tous les boutons. Il est press\u00e9, on comprend en gros qu\u2019il se d\u00e9p\u00eache parce qu\u2019il est press\u00e9, un bon gars soit dit en passant, en tout cas pas du tout collant, au poil. Ce qui fait que vers 14 h 30, on joue les skippers. Piqu\u00e9 un roupillon illico, position chien de fusil en grimpant sur le toit, il y faisait frais, petite brise, petit roulis rappelant de lointains souvenirs de f\u0153tus, si \u00e7a se peut. Puis grande marche \u00e0 nouveau, sans souffrance la vie ne vaudrait pas tripette. O\u00f9 donc est ce foutu super mercado ? Bref, on a doubl\u00e9 le temps pr\u00e9vu par le GPS. On a escalad\u00e9 une montagne tandis que toute une foule nous croisait, descendant. Les hommes portent ici des v\u00eatements de femmes et m\u00eame se maquillent. Remarqu\u00e9 aussi que tous portent un petit foulard vichy, mais couleur gris bleu, autour du cou, sans doute un signe de ralliement. La premi\u00e8re heure d\u2019ascension s\u2019est plut\u00f4t bien pass\u00e9e, une souffrance correcte, pas de paroxysme. Mais au bout de deux heures, impression de marcher sur des moignons. J\u2019avais vu des femmes se tra\u00eener \u00e0 genoux vers un saint quelconque, \u00e0 Guimar\u00e3es, Portugal, j\u2019en suis d\u00e9sormais, sauf que pas de saint au bout, juste le bateau de Popeye. J\u2019\u00e9cris ces quelques lignes sans conviction. \u00c9crire \u00e0 la sauvette en voyage ne permet pas de palabrer. R\u00e9veil \u00e0 4 h 26, je relis, bof. Dr\u00f4le que quand je le fais, c\u2019est toujours avec au d\u00e9part cette petite euphorie, puis quand je relis, bof. La relecture est fatigante. Pire : d\u00e9cevante, d\u00e9courageante, \u00e9coeurante. De la merde. \u00c0 moins que ce soit une autobiographie, l\u00e0 pas de risque, elles sont toutes bonnes sinon excellentes, le lecteur fabriquant tous les romans \u00e0 partir de\u2026 Ce n\u2019est pas de moi, c\u2019est de Philippe Lejeune, expert en autobiographies. L\u2019id\u00e9e d\u2019en rajouter, que ce n\u2019est pas assez, jamais suffisant, provient d\u2019une carence de tout \u00e0 l\u2019origine \u2014 en couveuse \u2014 jamais r\u00e9gl\u00e9e. On a beau faire jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9r\u00e9mitisme le plus loin qu\u2019on peut, les je\u00fbnes, les privations, l\u2019abstinence la plus grotesque, rien n\u2019y fait ni n\u2019y fera. Apr\u00e8s avoir commis tout l\u2019inverse dans l\u2019exc\u00e8s, rien n\u2019y fait, n\u2019y a fait, ni ne fera. Seul le vivre, ou accessoirement le mourir, sont des vecteurs, jamais une destination, une maison. \u00c0 la fin, \u00e9puis\u00e9, c\u2019est la d\u00e9testation de tout en bloc, en vrac, et de soi surtout. On se met \u00e0 comparer les torchons et les serviettes : o\u00f9 donc ai-je fichu mes mouchoirs or, ni, car. Puis on retourne s\u2019allonger sur un traitement de texte, un canap\u00e9, l\u2019herbe verte des sempiternelles hypoth\u00e8ses que tout aurait pu se passer autrement si\u2026 L\u2019\u00e9reintant autrement si",
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"title": "12 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:34:02Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Au 39 avenue Bertrand Bar\u00e8re — juriste, politicien sachant habilement barrer sa carri\u00e8re en se barrant au bon moment, 1024 interventions lors de la Convention, rendu c\u00e9l\u00e8bre par ses Carmagnoles, sans pr\u00e9cision s\u2019il s\u2019agit de vestes, de chansons, ou de charrettes pouss\u00e9es vers la guillotine — puis \u00e9vasion vers l\u2019Empire. La Force, son c\u00f4t\u00e9 sombre, ou la force l\u2019ayant quitt\u00e9 ou la foi, l\u2019int\u00e9r\u00eat toujours primant, il fait bien 39 degr\u00e9s. Mais il y a la clim. Ne pas utiliser celle de la chambre, c\u2019est \u00e9crit en rouge sur cr\u00e8me, seul document d\u2019accueil. Mais peu nous chaut, ce n\u2019est pas un ch\u00e2teau, juste un appart. Une \u00e9tape.On laissera les portes ouvertes en grand. N\u2019en mourrons pas. Lever du bon pied, vers 5 h, fais les cent pas en qu\u00eate d\u2019un caf\u00e9. Ici tr\u00f4ne une super cafeti\u00e8re de marque L\u2019Or Barista, mais que des capsules de th\u00e9.<\/p>\n Donc, un verre d\u2019eau glac\u00e9e \u00e0 la place, et visite de la terrasse, charmante., m\u2019assois, \u00e9cris, jouissant de me livrer en toute impunit\u00e9 au vice. Puis nous marchons, il est \u00e0 cette heure sept heures, pour trouver une boulangerie, un jus. Ce qui nous m\u00e8ne aux halles Brauhauban . Une plaque indique que riche industriel, aurait fait cadeau du terrain et de la construction de l\u2019\u00e9difice \u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle. On reconna\u00eet encore (un peu, car tr\u00e8s r\u00e9nov\u00e9) le style Eiffel, avec ses poutres m\u00e9talliques et ses verri\u00e8res. Les croissants sont mous comme de la chique. Si tu avais bien voulu attendre huit heures, mais tu es toujours si impatient\u2026 Pour adoucir, j\u2019offre mon petit g\u00e2teau servi avec mon double expresso. Bien tent\u00e9, la discussion d\u00e9rive vers le programme de la journ\u00e9e. Il faut faire quelque chose, m\u00eame le dimanche. Ce sera le mus\u00e9e Massey. Mais cet apr\u00e8s-midi, fl\u00e2nons, paressons, au moins jusqu\u2019\u00e0 10 h. Tu as vu, on a de la chance, il y a m\u00eame l\u2019Intermarch\u00e9 d\u2019ouvert.<\/p>\n En dig\u00e9rant mon croissant mou, des pens\u00e9es me viennent sur l\u2019\u00e9poque actuelle. Hier soir, arrivant, cette sensation \u00e9trange d\u2019une ville fant\u00f4me : personne dans les rues, presque aucun trafic, et puis la place de Verdun (qui se situe tout au bout de l\u2019avenue Bar\u00e8re). Aper\u00e7u de ces commerces de bouche en vogue : tacos et tapas, sans oublier les sempiternelles pizzerias. Mais o\u00f9 donc aller pour ne serait-ce que lire sur un menu “poule & porc de Bigorre” ? Pas ici en tout cas. Ce n\u2019est m\u00eame pas pour en manger, je ne m\u2019attache qu\u2019\u00e0 la verdure, aux salades, mais m\u00eame \u00e7a, s\u2019il n\u2019y a pas dedans un je-ne-sais-quoi de japonisant, des ingr\u00e9dients exotiques, \u00e7a ne va pas. Ce qui fait que le go\u00fbt d\u2019hier n\u2019est plus du go\u00fbt d\u2019aujourd\u2019hui, m\u00eame dans l\u2019\u00e9tendue d\u2019une vie, dr\u00f4le de myst\u00e8re. C\u2019est comme pour dire que le monde, le temps lui-m\u00eame, subissent ce genre de fatigues : de la langue, du palais, des yeux et de l\u2019ou\u00efe. Il leur faut toujours en changer, parfois en bien, souvent en pis. L\u2019imp\u00e9rialisme am\u00e9ricain, avec sa fast-food, nous d\u00e9glingue peu \u00e0 peu l\u2019app\u00e9tit pour le Bigorre, et pas seulement. On finira par la pilule au go\u00fbt unique, comme la pens\u00e9e unique, l\u2019odeur unique, le spectacle unique, la position unique pour faire l\u2019amour. Plus de vie priv\u00e9e, y en a-t-il m\u00eame jamais eu vraiment ? Il faut tant que tout se sache, se d\u00e9crypte, se classe, s\u2019enregistre\u2026 ce tout qui ne durera qu\u2019un d\u00e9jeuner de soleil dans l\u2019histoire g\u00e9n\u00e9rale du silex et des com\u00e8tes.<\/p>\n M\u00eame gros doute soudain sur la culture, on s\u2019y aggrippe tant que \u00e7a en devient suspect. Et pourtant comme j\u2019aimerais ne faire que cela de mes journ\u00e9es, de mes nuits, lire et \u00e9crire, \u00e9crire et lire. Fl\u00e2ner encore, r\u00eavasser, lire et \u00e9crire \u00e0 partir de ces r\u00eaveries de ces fl\u00e2neries. Si n\u2019etais oblig\u00e9 de traverser autant d\u2019\u00e2neries d\u2019\u00e9puisantes noirceurs encore pour y parvenir. Clin d\u2019oeil du monde invisible, ce petit arbre orang\u00e9 mis en lumi\u00e8re, et cette sensation qu\u2019on y retrouve comme \u00e0 la reconnaissance d\u2019 un visage<\/p>",
"content_text": "Au 39 avenue Bertrand Bar\u00e8re \u2014 juriste, politicien sachant habilement barrer sa carri\u00e8re en se barrant au bon moment, 1024 interventions lors de la Convention, rendu c\u00e9l\u00e8bre par ses Carmagnoles, sans pr\u00e9cision s\u2019il s\u2019agit de vestes, de chansons, ou de charrettes pouss\u00e9es vers la guillotine \u2014 puis \u00e9vasion vers l\u2019Empire. La Force, son c\u00f4t\u00e9 sombre, ou la force l\u2019ayant quitt\u00e9 ou la foi, l\u2019int\u00e9r\u00eat toujours primant, il fait bien 39 degr\u00e9s. Mais il y a la clim. Ne pas utiliser celle de la chambre, c\u2019est \u00e9crit en rouge sur cr\u00e8me, seul document d\u2019accueil. Mais peu nous chaut, ce n\u2019est pas un ch\u00e2teau, juste un appart. Une \u00e9tape.On laissera les portes ouvertes en grand. N\u2019en mourrons pas. Lever du bon pied, vers 5 h, fais les cent pas en qu\u00eate d\u2019un caf\u00e9. Ici tr\u00f4ne une super cafeti\u00e8re de marque L\u2019Or Barista, mais que des capsules de th\u00e9. Donc, un verre d\u2019eau glac\u00e9e \u00e0 la place, et visite de la terrasse, charmante., m\u2019assois, \u00e9cris, jouissant de me livrer en toute impunit\u00e9 au vice. Puis nous marchons, il est \u00e0 cette heure sept heures, pour trouver une boulangerie, un jus. Ce qui nous m\u00e8ne aux halles Brauhauban . Une plaque indique que riche industriel, aurait fait cadeau du terrain et de la construction de l\u2019\u00e9difice \u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle. On reconna\u00eet encore (un peu, car tr\u00e8s r\u00e9nov\u00e9) le style Eiffel, avec ses poutres m\u00e9talliques et ses verri\u00e8res. Les croissants sont mous comme de la chique. Si tu avais bien voulu attendre huit heures, mais tu es toujours si impatient\u2026 Pour adoucir, j\u2019offre mon petit g\u00e2teau servi avec mon double expresso. Bien tent\u00e9, la discussion d\u00e9rive vers le programme de la journ\u00e9e. Il faut faire quelque chose, m\u00eame le dimanche. Ce sera le mus\u00e9e Massey. Mais cet apr\u00e8s-midi, fl\u00e2nons, paressons, au moins jusqu\u2019\u00e0 10 h. Tu as vu, on a de la chance, il y a m\u00eame l\u2019Intermarch\u00e9 d\u2019ouvert. En dig\u00e9rant mon croissant mou, des pens\u00e9es me viennent sur l\u2019\u00e9poque actuelle. Hier soir, arrivant, cette sensation \u00e9trange d\u2019une ville fant\u00f4me : personne dans les rues, presque aucun trafic, et puis la place de Verdun (qui se situe tout au bout de l\u2019avenue Bar\u00e8re). Aper\u00e7u de ces commerces de bouche en vogue : tacos et tapas, sans oublier les sempiternelles pizzerias. Mais o\u00f9 donc aller pour ne serait-ce que lire sur un menu \u201cpoule & porc de Bigorre\u201d ? Pas ici en tout cas. Ce n\u2019est m\u00eame pas pour en manger, je ne m\u2019attache qu\u2019\u00e0 la verdure, aux salades, mais m\u00eame \u00e7a, s\u2019il n\u2019y a pas dedans un je-ne-sais-quoi de japonisant, des ingr\u00e9dients exotiques, \u00e7a ne va pas. Ce qui fait que le go\u00fbt d\u2019hier n\u2019est plus du go\u00fbt d\u2019aujourd\u2019hui, m\u00eame dans l\u2019\u00e9tendue d\u2019une vie, dr\u00f4le de myst\u00e8re. C\u2019est comme pour dire que le monde, le temps lui-m\u00eame, subissent ce genre de fatigues : de la langue, du palais, des yeux et de l\u2019ou\u00efe. Il leur faut toujours en changer, parfois en bien, souvent en pis. L\u2019imp\u00e9rialisme am\u00e9ricain, avec sa fast-food, nous d\u00e9glingue peu \u00e0 peu l\u2019app\u00e9tit pour le Bigorre, et pas seulement. On finira par la pilule au go\u00fbt unique, comme la pens\u00e9e unique, l\u2019odeur unique, le spectacle unique, la position unique pour faire l\u2019amour. Plus de vie priv\u00e9e, y en a-t-il m\u00eame jamais eu vraiment ? Il faut tant que tout se sache, se d\u00e9crypte, se classe, s\u2019enregistre\u2026 ce tout qui ne durera qu\u2019un d\u00e9jeuner de soleil dans l\u2019histoire g\u00e9n\u00e9rale du silex et des com\u00e8tes. M\u00eame gros doute soudain sur la culture, on s\u2019y aggrippe tant que \u00e7a en devient suspect. Et pourtant comme j\u2019aimerais ne faire que cela de mes journ\u00e9es, de mes nuits, lire et \u00e9crire, \u00e9crire et lire. Fl\u00e2ner encore, r\u00eavasser, lire et \u00e9crire \u00e0 partir de ces r\u00eaveries de ces fl\u00e2neries. Si n\u2019etais oblig\u00e9 de traverser autant d\u2019\u00e2neries d\u2019\u00e9puisantes noirceurs encore pour y parvenir. Pas d\u00e9\u00e7u puisque je n\u2019esp\u00e8re rien quand poussant la porte du mus\u00e9e Massey la petite dame derri\u00e8re le comptoir \u00e9plor\u00e9e nous informe que niet, vous pourrez pas voir l\u2019exposition d\u2019Antonio Saura ( prononcer \u00e7a aura, en roulant l\u00e9g\u00e8rement le r ) et comme pas envie de voir des hussards v\u00eatus de pieds en cape sans oublier leurs grosses toques de toqu\u00e9s du sabre, on ressort. Profitons pour visiter le grand parc peupl\u00e9 de paons. On y d\u00e9couvre des essences aussi fabuleuses qu\u2019insolites avec des f\u00fbts d\u00e9mesur\u00e9es ( notamment un magnolia gigantesque ) et des \u00e9corces jamais vues jusque l\u00e0. Un bien beau parc avec une statue de Jules Laforgue, n\u00e9 \u00e0 Tarbes. Et puis des ann\u00e9es vraiment que pas gout\u00e9 une glace caramel beurre sal\u00e9, ( artisanale le mot est pr\u00e9cis\u00e9 ) ce qui cl\u00f4ture agr\u00e9ablement la ballade. Reste de la journ\u00e9e pass\u00e9 \u00e0 relire autobiographie des objets, et dr\u00f4le comme marchant mieux lis mieux, enfin, plus fluide. Demain nous partirons de bonne heure, la valise d\u00e9j\u00e0 boucl\u00e9e pr\u00e8s de l\u2019entr\u00e9e. La m\u00e9t\u00e9o annonce des nuages, un temps gris sur Bilbao, \u00e7a tombe bien car fatigu\u00e9 de tout ce ciel bleu et soleil. Clin d\u2019oeil du monde invisible, ce petit arbre orang\u00e9 mis en lumi\u00e8re, et cette sensation qu\u2019on y retrouve comme \u00e0 la reconnaissance d\u2019 un visage ",
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"title": "11 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:26:28Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Co\u00fbte que co\u00fbte, tout co\u00fbte chez les tontons Macoute, pas \u00e0 pas, Frank Zappa, chaque pas compte. Lever du jour. 6 h p\u00e9tantes. La petite musique du travail, invariable, path\u00e9tique, ici et l\u00e0 : clefs, portes, contact, moteur, action. Non, \u00e7a ne va pas, tu dors debout Coco, refais-la moi, avec le sourire cette fois. Ricanement des mouettes. On est all\u00e9s \u00e0 la mer, hier, comme la vache au taureau. Elle n\u2019\u00e9tait pas froide, ou si l\u2019on en avait la sensation, c\u2019est qu\u2019on \u00e9tait bien chaud, trop chaud, George Bernard Shaw. C\u2019est fou comme ici \u00e0 S\u00e8te, fais risette, le jour se l\u00e8ve vite, bleu-bite, connais-tu cet apocope de bitau mon fr\u00e8rot. 1840 encore et toujours dans les parages d\u00e9cid\u00e9ment, tout converge, Serge. Moins march\u00e9, nous nous sommes rendus, sans r\u00e9sistance, au Miam et aux Halles, qu\u2019en dire Candy, que je n\u2019ai encore pas pu manger d\u2019hu\u00eetre tellement sept fois tout le monde en reprenait, pas de table accueillante, coelacanthe. Parlons du Miam, \u00e9vitons de baver. Pas bien appr\u00e9ci\u00e9, toute cette nostalgie du dernier \u00e9tage m\u2019a bien d\u00e9go\u00fbt\u00e9. \u00c9coeurant. Soldats de plomb, vieille vaisselle, vieux ustensiles, bo\u00eetes en pagaille, tout \u00e7a en gros du si\u00e8cle pass\u00e9, comme le temps passe vite, sybarite.<\/p>\n Suis r\u00e9ticent, r\u00e9calcitrant, la fatigue m\u2019emp\u00eache de disperser l\u2019\u00e9nergie, par exemple en \u00e9loges fun\u00e8bres ou autres. Parfois me le dis en douce, oh la pauvre vieille, oh le pauvre vieux, mais c\u2019est comme bien des choses, ne partage pas ces admirations concernant le miroir de l\u2019armoire \u00e0 glace m\u00eame cass\u00e9 Cassy, et bien que le d\u00e9lai de sept ans soit largement p\u00e9rim\u00e9, me dis toujours persiste \u00e0 voir de biais, \u00e0 ne plus\u2026 et ainsi ni r\u00e9trospectivement pas plus que r\u00e9flexivement. L\u2019affaire est pli\u00e9e, bien rang\u00e9e, impeccable, sur l\u2019\u00e9tag\u00e8re de l\u2019armoire \u2013 toutes et tous dans le m\u00eame sac, moi itou, moi surtout, moi avant tout ; et si par bol l\u2019engeance a pu avoir parfois son p\u2019tit quart d\u2019heure de gloire, non non non ! mais trop de sottises, regarde, encore, encore plus pr\u00e8s, plisse les yeux, beaucoup trop de sottises. Qu\u2019on meure ou qu\u2019on vive ne change pas grand-chose. L\u2019esp\u00e8ce ahurie, holoturie tant pis si c\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a s\u2019\u00e9crit, celle qui se targue de penser, je pense j\u2019essuie, pense comme un pied oui, pas plus loin que le bout de son int\u00e9r\u00eat, autrement dit, comme moi. Moi, Moi, Moi\u2026<\/p>\n Mais quand je surprends tout ce qui se dit, s\u2019\u00e9crit sur un mort, alors l\u00e0 salet\u00e9 d\u2019Horla zut, chair de poule. Le pompon \u00e9tant spontan\u00e9ment atteint quand il s\u2019agit d\u2019un mort connu, une ex-c\u00e9l\u00e9brit\u00e9. La concurrence joue des coudes, \u00e0 qui mieux mieux. Alors que si l\u2019on prenait le temps d\u2019interroger les proches, de fouiller dans le pass\u00e9, tout serait bien loin d\u2019\u00eatre aussi noble que le proclament les folliculaires, les speakers et speakerines, Jacqueline Langeais quoi , Yves Mourousi.<\/p>\n Grande, immense fatigue de cette r\u00e9p\u00e9tition sous le soleil \u2013 celle des n\u00e9crologies, comme des ovations, des m\u00e9dailles, m\u00e9daillons, des satisfecit, noli me tangere, emballez-moi donc tout \u00e7a, oui, et ce poisson crev\u00e9 dans ces feuilles de choux, en toute actualit\u00e9, et surtout l\u2019oubli, n\u2019oublions pas l\u2019oubli, et de rafra\u00eechir le pr\u00e9sent, si caniculaire en ce moment.<\/p>\n Sinon, au total, sommes arriv\u00e9 \u00e0 Tarbes, \u00e7a ressemble \u00e0 Pau, il y fait tout aussi chaud.<\/p>",
"content_text": "Co\u00fbte que co\u00fbte, tout co\u00fbte chez les tontons Macoute, pas \u00e0 pas, Frank Zappa, chaque pas compte. Lever du jour. 6 h p\u00e9tantes. La petite musique du travail, invariable, path\u00e9tique, ici et l\u00e0 : clefs, portes, contact, moteur, action. Non, \u00e7a ne va pas, tu dors debout Coco, refais-la moi, avec le sourire cette fois. Ricanement des mouettes. On est all\u00e9s \u00e0 la mer, hier, comme la vache au taureau. Elle n\u2019\u00e9tait pas froide, ou si l\u2019on en avait la sensation, c\u2019est qu\u2019on \u00e9tait bien chaud, trop chaud, George Bernard Shaw. C\u2019est fou comme ici \u00e0 S\u00e8te, fais risette, le jour se l\u00e8ve vite, bleu-bite, connais-tu cet apocope de bitau mon fr\u00e8rot. 1840 encore et toujours dans les parages d\u00e9cid\u00e9ment, tout converge, Serge. Moins march\u00e9, nous nous sommes rendus, sans r\u00e9sistance, au Miam et aux Halles, qu\u2019en dire Candy, que je n\u2019ai encore pas pu manger d\u2019hu\u00eetre tellement sept fois tout le monde en reprenait, pas de table accueillante, coelacanthe. Parlons du Miam, \u00e9vitons de baver. Pas bien appr\u00e9ci\u00e9, toute cette nostalgie du dernier \u00e9tage m\u2019a bien d\u00e9go\u00fbt\u00e9. \u00c9coeurant. Soldats de plomb, vieille vaisselle, vieux ustensiles, bo\u00eetes en pagaille, tout \u00e7a en gros du si\u00e8cle pass\u00e9, comme le temps passe vite, sybarite. Suis r\u00e9ticent, r\u00e9calcitrant, la fatigue m\u2019emp\u00eache de disperser l\u2019\u00e9nergie, par exemple en \u00e9loges fun\u00e8bres ou autres. Parfois me le dis en douce, oh la pauvre vieille, oh le pauvre vieux, mais c\u2019est comme bien des choses, ne partage pas ces admirations concernant le miroir de l\u2019armoire \u00e0 glace m\u00eame cass\u00e9 Cassy, et bien que le d\u00e9lai de sept ans soit largement p\u00e9rim\u00e9, me dis toujours persiste \u00e0 voir de biais, \u00e0 ne plus\u2026 et ainsi ni r\u00e9trospectivement pas plus que r\u00e9flexivement. L\u2019affaire est pli\u00e9e, bien rang\u00e9e, impeccable, sur l\u2019\u00e9tag\u00e8re de l\u2019armoire \u2013 toutes et tous dans le m\u00eame sac, moi itou, moi surtout, moi avant tout ; et si par bol l\u2019engeance a pu avoir parfois son p\u2019tit quart d\u2019heure de gloire, non non non ! mais trop de sottises, regarde, encore, encore plus pr\u00e8s, plisse les yeux, beaucoup trop de sottises. Qu\u2019on meure ou qu\u2019on vive ne change pas grand-chose. L\u2019esp\u00e8ce ahurie, holoturie tant pis si c\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a s\u2019\u00e9crit, celle qui se targue de penser, je pense j\u2019essuie, pense comme un pied oui, pas plus loin que le bout de son int\u00e9r\u00eat, autrement dit, comme moi. Moi, Moi, Moi\u2026 Mais quand je surprends tout ce qui se dit, s\u2019\u00e9crit sur un mort, alors l\u00e0 salet\u00e9 d\u2019Horla zut, chair de poule. Le pompon \u00e9tant spontan\u00e9ment atteint quand il s\u2019agit d\u2019un mort connu, une ex-c\u00e9l\u00e9brit\u00e9. La concurrence joue des coudes, \u00e0 qui mieux mieux. Alors que si l\u2019on prenait le temps d\u2019interroger les proches, de fouiller dans le pass\u00e9, tout serait bien loin d\u2019\u00eatre aussi noble que le proclament les folliculaires, les speakers et speakerines, Jacqueline Langeais quoi , Yves Mourousi. Grande, immense fatigue de cette r\u00e9p\u00e9tition sous le soleil \u2013 celle des n\u00e9crologies, comme des ovations, des m\u00e9dailles, m\u00e9daillons, des satisfecit, noli me tangere, emballez-moi donc tout \u00e7a, oui, et ce poisson crev\u00e9 dans ces feuilles de choux, en toute actualit\u00e9, et surtout l\u2019oubli, n\u2019oublions pas l\u2019oubli, et de rafra\u00eechir le pr\u00e9sent, si caniculaire en ce moment. Sinon, au total, sommes arriv\u00e9 \u00e0 Tarbes, \u00e7a ressemble \u00e0 Pau, il y fait tout aussi chaud. ",
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"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Un peu de tenue. J\u2019essaie. En marchant, en boitillant, par les quais et les rues. Depuis le parking public du Mas-Coullet (anciennement Cayenne Sud) vers la rue Mario Roustan. Pourquoi S. a-t-elle tant besoin d\u2019une si grosse valise ? Les GPS, comme souvent, hallucinent, indiquant un coup vers la gauche, non, vers la droite. Fureurs. C\u2019est un ancien d\u00e9put\u00e9, Mario ou Marius ; il vaut mieux faire une pause. La chaleur ou l\u2019agacement proche de l\u2019incandescence se fait sentir. Connu pour avoir promulgu\u00e9 la loi sur la mutation par paire chez les fonctionnaires. Bon, encore un effort, \u00e7a monte l\u00e9g\u00e8rement. Bient\u00f4t au 45, pourvu qu\u2019on ne soit pas tout en haut, mais peu de risque ici de trouver sept niveaux.<\/p>\n Relu ce matin quelques pages d\u2019Autobiographie des objets de F.B. Oblig\u00e9 de relire certaines phrases plusieurs fois. Comme si une relation se cr\u00e9ait entre la marche douloureuse et la lecture, une opacit\u00e9. Juste \u00e0 droite du 45, aper\u00e7u des peintures tr\u00e8s moches au premier regard : grises, boueuses, sans contraste. La jeune femme \u00e9tait en train d\u2019arranger sa vitrine, avec de petites pierres et des panneaux de bois que plus tard je compris qu\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 peints en Gr\u00e8ce, tr\u00e8s moches aussi. Puis N., la jeune femme en question, nous invite \u00e0 entrer et je me perds en f\u00e9licitations sur l\u2019aspect brut de ses cr\u00e9ations. Je fais mon prof. Quel est donc le vrai et le faux entre ce qui surgit dans l\u2019esprit et ce qui sort de la bouche en toute spontan\u00e9it\u00e9 ? C\u2019est \u00e0 croire\u2026 ni l\u2019un ni l\u2019autre, certainement.<\/p>\n Visite de Bouzigues, \u00e9tang de Thau. Longue marche mais bien tenue, moins claudiquant. J\u2019aurais pu prendre des hu\u00eetres s\u2019il y avait eu des moules-frites, mais comme non, nous sommes repartis vers S\u00e8te sans d\u00e9jeuner.<\/p>\n Descendre enfin depuis la Croix Saint-Clair, par le chemin du p\u00e8lerin, un v\u00e9ritable calvaire. J\u2019ai serr\u00e9 les dents, n\u2019en pensais pas moins. La chapelle tout en haut, visit\u00e9e, ne date que de 1870, mais les peintures, les fresques, sont dans un tel \u00e9tat de d\u00e9labrement, \u00e7a serre le c\u0153ur. Et penser aussi \u00e0 la « va-vite », celle de De Vinci, proc\u00e9d\u00e9 r\u00e9volutionnaire qui fit long feu quelques ann\u00e9es apr\u00e8s. Alors qu\u2019une fresque, comme un livre, au d\u00e9part, n\u2019est-ce pas fait pour durer des si\u00e8cles, au minimum ?<\/p>\n Pour passer le temps, r\u00e9\u00e9cout\u00e9 un podcast sur Beckett en descendant toutes ces marches dans la douleur. \u00c9trange surtout la sensation d\u00e9sagr\u00e9able que distillent les diverses biographies, \u00e0 vous d\u00e9go\u00fbter des biographies totalement, si ce n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 accompli, bien profond\u00e9ment dans l\u2019inconscient.<\/p>",
"content_text": "Un peu de tenue. J\u2019essaie. En marchant, en boitillant, par les quais et les rues. Depuis le parking public du Mas-Coullet (anciennement Cayenne Sud) vers la rue Mario Roustan. Pourquoi S. a-t-elle tant besoin d\u2019une si grosse valise ? Les GPS, comme souvent, hallucinent, indiquant un coup vers la gauche, non, vers la droite. Fureurs. C\u2019est un ancien d\u00e9put\u00e9, Mario ou Marius ; il vaut mieux faire une pause. La chaleur ou l\u2019agacement proche de l\u2019incandescence se fait sentir. Connu pour avoir promulgu\u00e9 la loi sur la mutation par paire chez les fonctionnaires. Bon, encore un effort, \u00e7a monte l\u00e9g\u00e8rement. Bient\u00f4t au 45, pourvu qu\u2019on ne soit pas tout en haut, mais peu de risque ici de trouver sept niveaux. Relu ce matin quelques pages d\u2019Autobiographie des objets de F.B. Oblig\u00e9 de relire certaines phrases plusieurs fois. Comme si une relation se cr\u00e9ait entre la marche douloureuse et la lecture, une opacit\u00e9. Juste \u00e0 droite du 45, aper\u00e7u des peintures tr\u00e8s moches au premier regard : grises, boueuses, sans contraste. La jeune femme \u00e9tait en train d\u2019arranger sa vitrine, avec de petites pierres et des panneaux de bois que plus tard je compris qu\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 peints en Gr\u00e8ce, tr\u00e8s moches aussi. Puis N., la jeune femme en question, nous invite \u00e0 entrer et je me perds en f\u00e9licitations sur l\u2019aspect brut de ses cr\u00e9ations. Je fais mon prof. Quel est donc le vrai et le faux entre ce qui surgit dans l\u2019esprit et ce qui sort de la bouche en toute spontan\u00e9it\u00e9 ? C\u2019est \u00e0 croire\u2026 ni l\u2019un ni l\u2019autre, certainement. Visite de Bouzigues, \u00e9tang de Thau. Longue marche mais bien tenue, moins claudiquant. J\u2019aurais pu prendre des hu\u00eetres s\u2019il y avait eu des moules-frites, mais comme non, nous sommes repartis vers S\u00e8te sans d\u00e9jeuner. Descendre enfin depuis la Croix Saint-Clair, par le chemin du p\u00e8lerin, un v\u00e9ritable calvaire. J\u2019ai serr\u00e9 les dents, n\u2019en pensais pas moins. La chapelle tout en haut, visit\u00e9e, ne date que de 1870, mais les peintures, les fresques, sont dans un tel \u00e9tat de d\u00e9labrement, \u00e7a serre le c\u0153ur. Et penser aussi \u00e0 la \u00ab va-vite \u00bb, celle de De Vinci, proc\u00e9d\u00e9 r\u00e9volutionnaire qui fit long feu quelques ann\u00e9es apr\u00e8s. Alors qu\u2019une fresque, comme un livre, au d\u00e9part, n\u2019est-ce pas fait pour durer des si\u00e8cles, au minimum ? Pour passer le temps, r\u00e9\u00e9cout\u00e9 un podcast sur Beckett en descendant toutes ces marches dans la douleur. \u00c9trange surtout la sensation d\u00e9sagr\u00e9able que distillent les diverses biographies, \u00e0 vous d\u00e9go\u00fbter des biographies totalement, si ce n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 accompli, bien profond\u00e9ment dans l\u2019inconscient.",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/9-aout-2024.html",
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"title": "9 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:19:00Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Lecture de l\u2019Apollinaire de Daniel Oster. « Ce nom qu\u2019on lui a donn\u00e9, il le ressent comme On ne parle pas assez de la fatigue quasi imm\u00e9diate d\u2019avoir \u00e0 porter un nom dans quoi on ne se reconna\u00eet pas. Aussit\u00f4t la pens\u00e9e du mot affubl\u00e9 surgit. Et, avant la notion d\u2019agrafe de fibule celle d\u2019une fable, une affabulation, un mensonge. La fatigue de ce mensonge, de tout ce qu\u2019implique la convention sociale, le fait d\u2019avoir \u00e0 porter un nom que l\u2019on ne s\u2019est pas choisi soi-m\u00eame ou encore un nom donn\u00e9 quasiment par la force des choses, le hasard, m\u00eame si le hasard fait bien la plupart des choses.<\/p>\n Quel verbe convient, recevoir, h\u00e9riter, \u00eatre affubl\u00e9, nomm\u00e9, c\u2019est un poids contre quoi on ne fait pas pi\u00e8ce consciemment, c\u2019est plut\u00f4t une sensation, un l\u00e9ger malaise, un vertige, qui nous entra\u00eene vers la ch\u00fbte.<\/p>\n Comment ne pas \u00eatre un fant\u00f4me si d\u00e9j\u00e0 l\u2019\u00e9reintement na\u00eet d\u2019un patronyme \u00e0 porter.<\/p>\n Le probl\u00e8me est de taille se familiariser avec le son qui nous d\u00e9signe. D\u00e9chirante la d\u00e9chirure d\u2019un son d\u2019un cri, se scinde en deux, la m\u00e8re, l\u2019enfant. Se vider d\u2019un c\u00f4t\u00e9, remplir un espace de l\u2019autre, la b\u00e9ance se propageant des deux c\u00f4t\u00e9s de l\u2019infini. Vite un nom pour la combler. Combler comme boucher, combler comme rendre heureuse, heureux. Chou blanc car la b\u00e9ance ne se comble pas ainsi, l\u2019extase dont on ne sait si elle provient du plaisir ou du d\u00e9plaisir reste une \u00e9nigme log\u00e9e dans chaque portail, chaque squelette, chaque chair. Reste la preuve, l\u2019acte civil, le bulletin de naissance, le livret de famille, preuve d\u2019amour ou de haine qu\u2019importe, preuve ne valant qu\u2019au regard d\u2019un monde dont la pr\u00e9occupation principale est de combler les d\u00e9combres, de colmater les fuites, les \u00e9garements, d\u2019\u00eatre un monde d\u00e9cid\u00e9 par une poign\u00e9e imposant sa r\u00e8gle au plus grand nombre.<\/p>\n C\u2019est par la fatigue, l\u2019\u00e9reintement, que voici les rivages de l\u2019insupportable, les sommets du pire, et les envisageant enfin qu\u2019ils nous en d\u00e9livrent, voici donc l\u2019alchimie. La fatigue trouvant ainsi \u00e0 terme -sans doute, sans doute possible, sans qu\u2019il ne r\u00e9side plus le moindre doute, la plus solide de ses raisons ou de ses causes.<\/p>\n J\u2019ai pens\u00e9 que je pourrais faire un livre assez honn\u00eate de tous les fragments \u00e9crits \u00e0 propos du seul prologue de ll\u2019atelier anthologie. C\u2019est comme dans cette histoire, cet homme qui s\u2019en va pour r\u00e9citer le Notre P\u00e8re et qui s\u2019arr\u00e8te soudain pour m\u00e9diter sur le mot notre et p\u00e8re, qui ne peut se rendre plus loin avant d\u2019avoir r\u00e9solu l\u2019\u00e9nigme du commencement, du balbutiement, d\u2019une pri\u00e8re. Po\u00e9tique, sans doute un peu trop. La po\u00e9sie n\u2019est pas requise, elle ne fait pas s\u00e9rieux. S\u2019enfoncer dans les livres sur la trace du Roi, par la phrase, le son des mots, recouvrer ainsi non pas un nom digne de ce Non, mais ce fant\u00f4me bien plus pr\u00e9sent soudain que toute pr\u00e9sence tout autre corps palpable ou chair. Une familiart\u00e9 peu \u00e0 peu quand on p\u00e9n\u00e8tre l\u2019\u00e9nigme \u00e0 t\u00e2tons qu\u2019on s\u2019y enfonce ensuite, d\u00e9couvrant un lieu, un espace, un habitat, un foyer. Pierre Michon, l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re encore me paraissait si artificiel, mais c\u2019\u00e9tait sans compter l\u2019exploration de ses phrases dans lesquels je m\u2019engage \u00e0 nouveau comme si toute une ann\u00e9e de solitude acharn\u00e9e m\u2019avait d\u00e9barasser d\u2019entraves, d\u2019un moi g\u00eanant, ce moi affubl\u00e9 du nom de l\u2019\u00e9tat civil.<\/p>",
"content_text": "Lecture de l\u2019Apollinaire de Daniel Oster. \u00ab Ce nom qu\u2019on lui a donn\u00e9, il le ressent comme un NON. Ne se reconna\u00eet pas dans ce trac\u00e9 \u00e9trange qui le d\u00e9signe tout \u00e0 fait. S\u2019\u00e9prouve comment restant \u00e0 faire. N\u2019accepte pas les caract\u00e8res acquis, codes de l\u2019h\u00e9r\u00e9dit\u00e9, empreinte familiale, griffe sociale : tout cela qui ne comble pas sa b\u00e9ance. L\u2019\u00e9crivain est toujours le pr\u00e9matur\u00e9 par excellence, celui qui vient au monde par d\u00e9faut, gros d\u2019un manqe inconciliable avec la pseudopl\u00e9nitude de l\u2019establishment qui dit j\u2019existe avant de ( pour ne pas ) se poser la question QUI SUIS-JE ? \u00bb On ne parle pas assez de la fatigue quasi imm\u00e9diate d\u2019avoir \u00e0 porter un nom dans quoi on ne se reconna\u00eet pas. Aussit\u00f4t la pens\u00e9e du mot affubl\u00e9 surgit. Et, avant la notion d\u2019agrafe de fibule celle d\u2019une fable, une affabulation, un mensonge. La fatigue de ce mensonge, de tout ce qu\u2019implique la convention sociale, le fait d\u2019avoir \u00e0 porter un nom que l\u2019on ne s\u2019est pas choisi soi-m\u00eame ou encore un nom donn\u00e9 quasiment par la force des choses, le hasard, m\u00eame si le hasard fait bien la plupart des choses. Quel verbe convient, recevoir, h\u00e9riter, \u00eatre affubl\u00e9, nomm\u00e9, c\u2019est un poids contre quoi on ne fait pas pi\u00e8ce consciemment, c\u2019est plut\u00f4t une sensation, un l\u00e9ger malaise, un vertige, qui nous entra\u00eene vers la ch\u00fbte. Comment ne pas \u00eatre un fant\u00f4me si d\u00e9j\u00e0 l\u2019\u00e9reintement na\u00eet d\u2019un patronyme \u00e0 porter. Le probl\u00e8me est de taille se familiariser avec le son qui nous d\u00e9signe. D\u00e9chirante la d\u00e9chirure d\u2019un son d\u2019un cri, se scinde en deux, la m\u00e8re, l\u2019enfant. Se vider d\u2019un c\u00f4t\u00e9, remplir un espace de l\u2019autre, la b\u00e9ance se propageant des deux c\u00f4t\u00e9s de l\u2019infini. Vite un nom pour la combler. Combler comme boucher, combler comme rendre heureuse, heureux. Chou blanc car la b\u00e9ance ne se comble pas ainsi, l\u2019extase dont on ne sait si elle provient du plaisir ou du d\u00e9plaisir reste une \u00e9nigme log\u00e9e dans chaque portail, chaque squelette, chaque chair. Reste la preuve, l\u2019acte civil, le bulletin de naissance, le livret de famille, preuve d\u2019amour ou de haine qu\u2019importe, preuve ne valant qu\u2019au regard d\u2019un monde dont la pr\u00e9occupation principale est de combler les d\u00e9combres, de colmater les fuites, les \u00e9garements, d\u2019\u00eatre un monde d\u00e9cid\u00e9 par une poign\u00e9e imposant sa r\u00e8gle au plus grand nombre. C\u2019est par la fatigue, l\u2019\u00e9reintement, que voici les rivages de l\u2019insupportable, les sommets du pire, et les envisageant enfin qu\u2019ils nous en d\u00e9livrent, voici donc l\u2019alchimie. La fatigue trouvant ainsi \u00e0 terme -sans doute, sans doute possible, sans qu\u2019il ne r\u00e9side plus le moindre doute, la plus solide de ses raisons ou de ses causes. J\u2019ai pens\u00e9 que je pourrais faire un livre assez honn\u00eate de tous les fragments \u00e9crits \u00e0 propos du seul prologue de ll\u2019atelier anthologie. C\u2019est comme dans cette histoire, cet homme qui s\u2019en va pour r\u00e9citer le Notre P\u00e8re et qui s\u2019arr\u00e8te soudain pour m\u00e9diter sur le mot notre et p\u00e8re, qui ne peut se rendre plus loin avant d\u2019avoir r\u00e9solu l\u2019\u00e9nigme du commencement, du balbutiement, d\u2019une pri\u00e8re. Po\u00e9tique, sans doute un peu trop. La po\u00e9sie n\u2019est pas requise, elle ne fait pas s\u00e9rieux. S\u2019enfoncer dans les livres sur la trace du Roi, par la phrase, le son des mots, recouvrer ainsi non pas un nom digne de ce Non, mais ce fant\u00f4me bien plus pr\u00e9sent soudain que toute pr\u00e9sence tout autre corps palpable ou chair. Une familiart\u00e9 peu \u00e0 peu quand on p\u00e9n\u00e8tre l\u2019\u00e9nigme \u00e0 t\u00e2tons qu\u2019on s\u2019y enfonce ensuite, d\u00e9couvrant un lieu, un espace, un habitat, un foyer. Pierre Michon, l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re encore me paraissait si artificiel, mais c\u2019\u00e9tait sans compter l\u2019exploration de ses phrases dans lesquels je m\u2019engage \u00e0 nouveau comme si toute une ann\u00e9e de solitude acharn\u00e9e m\u2019avait d\u00e9barasser d\u2019entraves, d\u2019un moi g\u00eanant, ce moi affubl\u00e9 du nom de l\u2019\u00e9tat civil.",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/8-aout-2024.html",
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"title": "8 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:18:44Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je reprends le cours du journal au jour le jour. Ce qui, en l\u2019\u00e9crivant, n\u2019a pas de sens, je m\u2019en rends compte. D\u2019abord parce que cela n\u2019a sans doute rien \u00e0 voir avec un journal. Ensuite parce que je n\u2019ai pas envie de m\u2019interroger sur ce que c\u2019est, ce que \u00e7a pourrait \u00eatre. Il y a encore un effondrement apr\u00e8s plusieurs autres. Comme ce jeu de poup\u00e9es russes. En arrosant les plantes, je reste fascin\u00e9 par un surgissement de jeunes pousses d\u2019une couleur prune au sommet du rosier, celui qui nous a offert ces magnifiques fleurs jaunes cette semaine.<\/p>\n J\u2019arrosais donc tout en pensant certainement \u00e0 ma vie, puis le flux s\u2019est brusquement interrompu devant ces toutes petites pousses, cet effort de la plante \u00e0 se perp\u00e9tuer. Je dis effort, mais ce n\u2019en est probablement pas un. Peut-\u00eatre n\u2019y a-t-il m\u00eame pas une sensation, un mot qui pourrait d\u00e9crire cette production de nouveaut\u00e9s, du point de vue de ce rosier. Dans une immanence, la plante se perp\u00e9tue, se dilate ou se contracte, se dess\u00e8che et meurt ; cette id\u00e9e de la mort et de la renaissance, encore une fois, m\u2019appartient.<\/p>\n J\u2019aimerais m\u2019en d\u00e9faire. \u00catre une plante parfois, un arbre, \u00e7a m\u2019aurait \u00e9norm\u00e9ment plu. Mais je n\u2019ai pas choisi cela ; \u00e0 l\u2019origine, j\u2019ai voulu exp\u00e9rimenter l\u2019\u00eatre humain. Pas d\u00e9\u00e7u. Enfin si, souvent, mais cette d\u00e9ception appartient \u00e0 l\u2019humain, pas \u00e0 cette chose capable de choisir en quoi elle d\u00e9sire s\u2019aventurer. Sans doute, voici ce \u00e0 quoi je pense sit\u00f4t l\u2019ayant \u00e9crit, ai-je parfois honte de ce genre de phrase, de propos, de r\u00eaverie, de pens\u00e9e, et les tais, n\u2019en parle jamais.<\/p>\n Sans doute cette honte s\u2019accompagne-t-elle, na\u00eet-elle d\u2019une fatigue \u2013 toujours la m\u00eame, ai-je la sensation \u2013 de constater \u00e0 quel point le monde de mes contemporains semble herm\u00e9tique \u00e0 de telles pens\u00e9es. C\u2019est une fatigue devenue famili\u00e8re avec le temps, une r\u00e9currence, autant que ces gens que l\u2019on a l\u2019habitude de croiser dans la rue d\u2019une ville, toujours les m\u00eames \u00e9trangement quand on emprunte le m\u00eame trajet, quand on s\u2019aper\u00e7oit des rythmes, des rituels, des habitudes qui font tenir ensemble la ville, les gens, la rue, les magasins devant quoi l\u2019on passe \u2013 non sans \u00e9prouver l\u2019espoir ou l\u2019inqui\u00e9tude que tout puisse d\u2019une seconde \u00e0 l\u2019autre changer, ne plus \u00eatre pareil, se m\u00e9tamorphoser \u2013 sans que rien justement ne change.<\/p>\n Et cet \u00e9tonnement qui nous traverse comme une sensation fuyante, tellement subtile, que rien n\u2019a chang\u00e9, que tout pourrait se maintenir ainsi autant qu\u2019on le veut, ou pas. Et pourquoi voudrions-nous que quoi que ce soit se m\u00e9tamorphose, que quoi que ce soit ne change pas ? Est-ce vraiment un d\u00e9sir nous appartenant ? Car il appara\u00eet soudain que c\u2019est le d\u00e9sir seul le plus important et peu importe nos choix, les siens, le cheminement dans lequel nous le conduisons, l\u2019accompagnons, changement ou fixit\u00e9, tout lui va dirait-on.<\/p>\n Et comme tout lui va, le sentant, nous voici soudain en marge de celui-ci, spectateur ou badaud. Et il semblerait alors que s\u2019explique quasiment tout ce que nous nommons la nature ainsi ; aussi bien la pierre, l\u2019arbre, les animaux et les hommes, des fr\u00e9quences visibles o\u00f9 s\u2019est arr\u00eat\u00e9 pour on ne sait quel motif, le d\u00e9sir. Et l\u2019on n\u2019imagine m\u00eame pas qu\u2019il puisse y avoir des fr\u00e9quences auxquelles nos yeux, nos sens, n\u2019ont pas acc\u00e8s, pas plus qu\u2019\u00e0 la nature fondamentale de ce d\u00e9sir.<\/p>\n Enfant, il me semble qu\u2019on est d\u2019autant plus proche de ce d\u00e9sir qu\u2019on ne sache l\u2019exprimer. Plus nous p\u00e9n\u00e9trons ensuite dans le labyrinthe du langage, dans le monde ne se r\u00e9duisant plus qu\u2019\u00e0 des concepts, des sentiments balis\u00e9s, des choses, plus nous nous \u00e9loignons de ce d\u00e9sir brut et celui-ci s\u2019entoure d\u2019une violence, enfin d\u2019une sensation douloureuse quand on y songe encore. La douleur provenant d\u2019une s\u00e9paration en train, en ce moment m\u00eame o\u00f9 l\u2019on se souvient, de na\u00eetre \u00e0 nouveau, de se r\u00e9p\u00e9ter infiniment, et nous revivons aussi la fin, la mort de s\u2019en d\u00e9couvrir \u00e0 terme s\u00e9par\u00e9.<\/p>\n Hier nous avons appris avec une grande tristesse la disparition de S. C\u2019est F. qui nous a envoy\u00e9 un SMS pour nous l\u2019apprendre. Voici ce monde. On entend une notification, on touche l\u2019\u00e9cran du smartphone de l\u2019index, on compose un code, l\u2019\u00e9cran de veille servant aussi de gardien s\u2019\u00e9vanouit et la mort s\u2019affiche dans un laconisme effrayant, un nombre limit\u00e9 de caract\u00e8res. L\u2019occasion de v\u00e9rifier encore \u00e0 quel point un \u00e9v\u00e9nement si r\u00e9el, voire m\u00eame l\u2019\u00e9v\u00e9nement le plus r\u00e9el de tous, notre mort ou celle d\u2019un proche, traverse l\u2019espace devant nos yeux \u00e9bahis sans que nous n\u2019ayons acc\u00e8s \u00e0 sa solidit\u00e9, sans qu\u2019elle ne soit presque aussit\u00f4t rang\u00e9e dans la cat\u00e9gorie des faits divers qui nous assaillent de toute part, et que nous d\u00e9sirions nous en pr\u00e9server surtout de la m\u00eame fa\u00e7on que nous avons appris \u00e0 nous prot\u00e9ger de l\u2019information en g\u00e9n\u00e9ral, en la banalisant aussit\u00f4t, en nous engouffrant dans le r\u00e9flexe du zapping, comme s\u2019il suffisait d\u2019appuyer sur le bouton d\u2019une t\u00e9l\u00e9commande imaginaire d\u00e9sormais pour surfer \u2013 c\u2019est le terme ad\u00e9quat \u2013 sur la vague constituant l\u2019ensemble des \u00e9v\u00e9nements de nos vies.<\/p>\n Avec au final une sensation de m\u00e9diocrit\u00e9 qui serait l\u2019unique r\u00e9sidu d\u2019une bonne conscience rong\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 son trognon. Car ce qui nous emp\u00eache \u00e0 cet instant de penser \u00e0 D., le compagnon de S., et non seulement d\u2019y penser mais d\u2019empoigner le t\u00e9l\u00e9phone, de composer son num\u00e9ro, de lui dire de vive voix « j\u2019ai appris la nouvelle, nous sommes de tout c\u0153ur avec toi », nous ne le savons pas. Une g\u00eane, ce sentiment qui surgit presque imm\u00e9diatement comme pr\u00e9texte nous attire, nous nous enfon\u00e7ons \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de cette g\u00eane comme en qu\u00eate d\u2019une habitude confortable dont rien, absolument rien, ne saurait \u00e0 cet instant pr\u00e9cis pouvoir nous d\u00e9loger. Et c\u2019est de nouveau la honte, cette d\u00e9couverte de ce manque d\u2019\u00e9lan, de naturel, d\u2019empathie, de communion, qui nous transporte \u00e0 nouveau vers la fatigue, ce lieu qui s\u2019approche de l\u2019id\u00e9e m\u00eame de n\u00e9ant, o\u00f9 le d\u00e9sir, quel qu\u2019il soit, nous a abandonn\u00e9.<\/p>",
"content_text": "Je reprends le cours du journal au jour le jour. Ce qui, en l\u2019\u00e9crivant, n\u2019a pas de sens, je m\u2019en rends compte. D\u2019abord parce que cela n\u2019a sans doute rien \u00e0 voir avec un journal. Ensuite parce que je n\u2019ai pas envie de m\u2019interroger sur ce que c\u2019est, ce que \u00e7a pourrait \u00eatre. Il y a encore un effondrement apr\u00e8s plusieurs autres. Comme ce jeu de poup\u00e9es russes. En arrosant les plantes, je reste fascin\u00e9 par un surgissement de jeunes pousses d\u2019une couleur prune au sommet du rosier, celui qui nous a offert ces magnifiques fleurs jaunes cette semaine. J\u2019arrosais donc tout en pensant certainement \u00e0 ma vie, puis le flux s\u2019est brusquement interrompu devant ces toutes petites pousses, cet effort de la plante \u00e0 se perp\u00e9tuer. Je dis effort, mais ce n\u2019en est probablement pas un. Peut-\u00eatre n\u2019y a-t-il m\u00eame pas une sensation, un mot qui pourrait d\u00e9crire cette production de nouveaut\u00e9s, du point de vue de ce rosier. Dans une immanence, la plante se perp\u00e9tue, se dilate ou se contracte, se dess\u00e8che et meurt ; cette id\u00e9e de la mort et de la renaissance, encore une fois, m\u2019appartient. J\u2019aimerais m\u2019en d\u00e9faire. \u00catre une plante parfois, un arbre, \u00e7a m\u2019aurait \u00e9norm\u00e9ment plu. Mais je n\u2019ai pas choisi cela ; \u00e0 l\u2019origine, j\u2019ai voulu exp\u00e9rimenter l\u2019\u00eatre humain. Pas d\u00e9\u00e7u. Enfin si, souvent, mais cette d\u00e9ception appartient \u00e0 l\u2019humain, pas \u00e0 cette chose capable de choisir en quoi elle d\u00e9sire s\u2019aventurer. Sans doute, voici ce \u00e0 quoi je pense sit\u00f4t l\u2019ayant \u00e9crit, ai-je parfois honte de ce genre de phrase, de propos, de r\u00eaverie, de pens\u00e9e, et les tais, n\u2019en parle jamais. Sans doute cette honte s\u2019accompagne-t-elle, na\u00eet-elle d\u2019une fatigue \u2013 toujours la m\u00eame, ai-je la sensation \u2013 de constater \u00e0 quel point le monde de mes contemporains semble herm\u00e9tique \u00e0 de telles pens\u00e9es. C\u2019est une fatigue devenue famili\u00e8re avec le temps, une r\u00e9currence, autant que ces gens que l\u2019on a l\u2019habitude de croiser dans la rue d\u2019une ville, toujours les m\u00eames \u00e9trangement quand on emprunte le m\u00eame trajet, quand on s\u2019aper\u00e7oit des rythmes, des rituels, des habitudes qui font tenir ensemble la ville, les gens, la rue, les magasins devant quoi l\u2019on passe \u2013 non sans \u00e9prouver l\u2019espoir ou l\u2019inqui\u00e9tude que tout puisse d\u2019une seconde \u00e0 l\u2019autre changer, ne plus \u00eatre pareil, se m\u00e9tamorphoser \u2013 sans que rien justement ne change. Et cet \u00e9tonnement qui nous traverse comme une sensation fuyante, tellement subtile, que rien n\u2019a chang\u00e9, que tout pourrait se maintenir ainsi autant qu\u2019on le veut, ou pas. Et pourquoi voudrions-nous que quoi que ce soit se m\u00e9tamorphose, que quoi que ce soit ne change pas ? Est-ce vraiment un d\u00e9sir nous appartenant ? Car il appara\u00eet soudain que c\u2019est le d\u00e9sir seul le plus important et peu importe nos choix, les siens, le cheminement dans lequel nous le conduisons, l\u2019accompagnons, changement ou fixit\u00e9, tout lui va dirait-on. Et comme tout lui va, le sentant, nous voici soudain en marge de celui-ci, spectateur ou badaud. Et il semblerait alors que s\u2019explique quasiment tout ce que nous nommons la nature ainsi ; aussi bien la pierre, l\u2019arbre, les animaux et les hommes, des fr\u00e9quences visibles o\u00f9 s\u2019est arr\u00eat\u00e9 pour on ne sait quel motif, le d\u00e9sir. Et l\u2019on n\u2019imagine m\u00eame pas qu\u2019il puisse y avoir des fr\u00e9quences auxquelles nos yeux, nos sens, n\u2019ont pas acc\u00e8s, pas plus qu\u2019\u00e0 la nature fondamentale de ce d\u00e9sir. Enfant, il me semble qu\u2019on est d\u2019autant plus proche de ce d\u00e9sir qu\u2019on ne sache l\u2019exprimer. Plus nous p\u00e9n\u00e9trons ensuite dans le labyrinthe du langage, dans le monde ne se r\u00e9duisant plus qu\u2019\u00e0 des concepts, des sentiments balis\u00e9s, des choses, plus nous nous \u00e9loignons de ce d\u00e9sir brut et celui-ci s\u2019entoure d\u2019une violence, enfin d\u2019une sensation douloureuse quand on y songe encore. La douleur provenant d\u2019une s\u00e9paration en train, en ce moment m\u00eame o\u00f9 l\u2019on se souvient, de na\u00eetre \u00e0 nouveau, de se r\u00e9p\u00e9ter infiniment, et nous revivons aussi la fin, la mort de s\u2019en d\u00e9couvrir \u00e0 terme s\u00e9par\u00e9. Hier nous avons appris avec une grande tristesse la disparition de S. C\u2019est F. qui nous a envoy\u00e9 un SMS pour nous l\u2019apprendre. Voici ce monde. On entend une notification, on touche l\u2019\u00e9cran du smartphone de l\u2019index, on compose un code, l\u2019\u00e9cran de veille servant aussi de gardien s\u2019\u00e9vanouit et la mort s\u2019affiche dans un laconisme effrayant, un nombre limit\u00e9 de caract\u00e8res. L\u2019occasion de v\u00e9rifier encore \u00e0 quel point un \u00e9v\u00e9nement si r\u00e9el, voire m\u00eame l\u2019\u00e9v\u00e9nement le plus r\u00e9el de tous, notre mort ou celle d\u2019un proche, traverse l\u2019espace devant nos yeux \u00e9bahis sans que nous n\u2019ayons acc\u00e8s \u00e0 sa solidit\u00e9, sans qu\u2019elle ne soit presque aussit\u00f4t rang\u00e9e dans la cat\u00e9gorie des faits divers qui nous assaillent de toute part, et que nous d\u00e9sirions nous en pr\u00e9server surtout de la m\u00eame fa\u00e7on que nous avons appris \u00e0 nous prot\u00e9ger de l\u2019information en g\u00e9n\u00e9ral, en la banalisant aussit\u00f4t, en nous engouffrant dans le r\u00e9flexe du zapping, comme s\u2019il suffisait d\u2019appuyer sur le bouton d\u2019une t\u00e9l\u00e9commande imaginaire d\u00e9sormais pour surfer \u2013 c\u2019est le terme ad\u00e9quat \u2013 sur la vague constituant l\u2019ensemble des \u00e9v\u00e9nements de nos vies. Avec au final une sensation de m\u00e9diocrit\u00e9 qui serait l\u2019unique r\u00e9sidu d\u2019une bonne conscience rong\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 son trognon. Car ce qui nous emp\u00eache \u00e0 cet instant de penser \u00e0 D., le compagnon de S., et non seulement d\u2019y penser mais d\u2019empoigner le t\u00e9l\u00e9phone, de composer son num\u00e9ro, de lui dire de vive voix \u00ab j\u2019ai appris la nouvelle, nous sommes de tout c\u0153ur avec toi \u00bb, nous ne le savons pas. Une g\u00eane, ce sentiment qui surgit presque imm\u00e9diatement comme pr\u00e9texte nous attire, nous nous enfon\u00e7ons \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de cette g\u00eane comme en qu\u00eate d\u2019une habitude confortable dont rien, absolument rien, ne saurait \u00e0 cet instant pr\u00e9cis pouvoir nous d\u00e9loger. Et c\u2019est de nouveau la honte, cette d\u00e9couverte de ce manque d\u2019\u00e9lan, de naturel, d\u2019empathie, de communion, qui nous transporte \u00e0 nouveau vers la fatigue, ce lieu qui s\u2019approche de l\u2019id\u00e9e m\u00eame de n\u00e9ant, o\u00f9 le d\u00e9sir, quel qu\u2019il soit, nous a abandonn\u00e9. ",
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"tags": ["Essai sur la fatigue"]
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-aout-2024.html",
"url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-aout-2024.html",
"title": "7 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:16:47Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Bient\u00f4t 365 jours, dans vingt-cinq jours, une petite r\u00e9volution parmi tant d\u2019autres. En toute discr\u00e9tion. Durant toute cette ann\u00e9e, je n\u2019ai pas cherch\u00e9 \u00e0 me lier, \u00e0 partager, \u00e0 \u00e9changer. J\u2019ai \u00e9crit jour apr\u00e8s jour ici et parfois aussi dans le blog du TL, n\u2019ai pas fait de commentaires, n\u2019ai pas r\u00e9pondu la plupart du temps \u00e0 ceux re\u00e7us, sauf par mail, et tout \u00e0 fait ponctuellement. Je me suis enfoui tr\u00e8s profond\u00e9ment vers quelque chose que je ne peux plus nommer « moi ». \u00c7a d\u00e9passe la fronti\u00e8re exigu\u00eb de cela, le soi, le \u00e7a, tous ces petits mots qu\u2019on a l\u2019habitude d\u2019user jusqu\u2019\u00e0 la corde, pour un rien. Qu\u2019est-ce qui se modifie alors dans cette descente ? Pas moi, pas \u00e7a, l\u2019\u00e9criture seule.<\/p>\n En revenant en arri\u00e8re sur ce dernier atelier « anthologie », ce qui est \u00e9tonnant, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle la proposition de d\u00e9part s\u2019efface pour ne plus laisser que les textes. En revenant en arri\u00e8re, en r\u00e9\u00e9crivant les premi\u00e8res propositions, j\u2019ai un mal de chien \u00e0 me souvenir, m\u00eame en revisionnant la vid\u00e9o, en relisant les documents d\u2019appui. C\u2019est perturbant. Comme si la m\u00e9moire ne suivait pas, ou plut\u00f4t suivait un cheminement parall\u00e8le. Ces propositions sont des impacts sur le r\u00e9el, celui de l\u2019instant o\u00f9 l\u2019on s\u2019y trouve confront\u00e9, puis les ondes s\u2019agrandissent, se dissipent et il ne reste que fort peu sinon rien de cette sensation pourtant d\u2019apparence si r\u00e9elle qu\u2019on \u00e9prouvait \u00e0 cet instant de la rencontre. C\u2019est m\u00eame pire que \u00e7a, \u00e0 la relecture, on s\u2019arcboute pour ne pas revivre le m\u00eame instant, on \u00e9prouve la n\u00e9cessit\u00e9 de ne pas entrer dans une r\u00e9p\u00e9tition, de chercher une autre issue.<\/p>\n Ici, toute la difficult\u00e9 encore une fois \u00e0 se relire, \u00e0 se trouver confront\u00e9 \u00e0 l\u2019insupportable, \u00e0 une notion o\u00f9 l\u2019\u00e9tranget\u00e9 et la familiarit\u00e9 se confondent avec l\u2019insoutenable. Car pass\u00e9e la na\u00efvet\u00e9 de l\u2019autoflagellation, du manque d\u2019affection envers soi ou les autres, la pr\u00e9sence est l\u00e0, ind\u00e9niable. Une phrase qui cherche son \u00e9quilibre avant de devenir texte, un brouillon o\u00f9 tout se trouve jet\u00e9 p\u00eale-m\u00eale, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019audace d\u2019avoir jet\u00e9 p\u00eale-m\u00eale nous aura \u00e9puis\u00e9s. D\u00e9j\u00e0, on pensera tenir quelque chose en \u00e9valuant ainsi la fatigue que ce brouillon aura produite. Or ici, la fatigue ne sert qu\u2019\u00e0 se rassurer, \u00e0 rester sur un seuil. On sent tout \u00e0 fait bien avec la r\u00e9p\u00e9tition qu\u2019elle n\u2019est qu\u2019un pr\u00e9texte, un r\u00e9flexe. Sauf que l\u2019amour manque, on se fatigue d\u2019autant plus que cette absence devient de plus en plus tangible. Et il ne suffit pas d\u2019empiler les mantras, les mots d\u2019ordre, pas plus que les remords, les regrets. Dans cette voie si commune, tant de fois emprunt\u00e9e \u2013 les pri\u00e8res \u2013 pas plus. Non, quelque chose de plus proche encore, un arbre mort, sec \u00e0 c\u0153ur, proche d\u2019\u00eatre r\u00e9duit en poudre, cette image-l\u00e0. Et soudain, le contact d\u2019un oiseau sur une branche et tout repart. Je veux dire c\u2019est d\u2019un autre amour qu\u2019il est question, une autre aspiration, que seul le presque rien peut produire, et qui rend soudain toute manifestation autre que ce presque rien imm\u00e9diatement ostentatoire, fausse, ha\u00efssable.<\/p>\n Et bien entendu, rien de tout cela ne saurait exister \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de soi avant d\u2019exister d\u2019abord en soi. Deux qu\u00eates se confondent donc \u00e0 la fin : l\u2019amour et l\u2019humilit\u00e9, et qu\u2019on ne peut r\u00e9aliser qu\u2019en suivant des sentiers haineux, d\u00e9sesp\u00e9rants, vaniteux, jusqu\u2019\u00e0 les \u00e9puiser enti\u00e8rement. Tant qu\u2019il y a de la fatigue, c\u2019est le signe que l\u2019\u00e9puisement n\u2019est pas encore totalement atteint, le d\u00e9sert n\u2019est pas travers\u00e9, la for\u00eat reste touffue. S\u2019il n\u2019y a au bout la joie, une respiration profonde, le sentiment du libre, c\u2019est qu\u2019on n\u2019a pas encore atteint le but. Bien s\u00fbr, encore faut-il accepter l\u2019enfance toujours vive, refuser l\u2019image fausse de l\u2019adulte, celle-l\u00e0 m\u00eame que l\u2019enfant d\u2019hier aura extraite de sa propre incompr\u00e9hension, de sa douleur, de son d\u00e9sespoir pour \u00eatre en mesure de survivre \u00e0 celles-ci.<\/p>\n « J\u2019ai cherch\u00e9, » dit l\u2019homme fatigu\u00e9, « moi je trouve, » dit l\u2019enfance retrouv\u00e9e. Au-del\u00e0 de \u00e7a, le monde reste ce qu\u2019il est : effroi et merveille en perp\u00e9tuelles m\u00e9tamorphoses. J\u2019en suis comme je n\u2019en suis pas, particule b\u00e9n\u00e9ficiant des qualit\u00e9s des ondes, appara\u00eetre ou dispara\u00eetre selon l\u2019observateur. Il y a bien un observateur, parfois c\u2019est moi, parfois c\u2019est toi, il, nous, vous, ils. Tout le monde et personne se confondent dans observer et ne rien voir. Sans doute parce que nous confondons. Parce que la confusion est tout ce qu\u2019il nous reste de notre d\u00e9sir d\u2019unit\u00e9, comme la fatigue est le r\u00e9sidu de toutes nos joies r\u00eav\u00e9es. Plisse les yeux, gomme les d\u00e9tails, le superflu, trouve l\u2019\u00e9quilibre. Le leitmotiv. La structure. Le corps. Fatigu\u00e9s, les yeux mi-clos du corps ne construisent pas un corps, ils le trouvent en r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n L\u2019expression le roi est mort vive le roi exprime la double nature du corps du roi, terrestre et souveraine. Cette expression date de 1515 lors de l\u2019enterrement de Louis XII. Pierre Michon a \u00e9crit un essai portant comme titre « le corps du roi », inspir\u00e9 d\u2019une \u00e9tude sur Beckett et qui consise en une m\u00e9ditation sur une photographie de celui-ci. D\u2019autres textes suivent sur Flaubert, Faulkner, Dante, Shakespeare, Hugo, et d\u00e9bouchent sur la th\u00e9orie du double corps du roi : d\u2019une part l\u2019\u00e9crivain id\u00e9al et comme intemporel, d\u2019autre part le corps tel qu\u2019il appara\u00eet. En un mot, il s\u2019agit de mettre en avant « l\u2019id\u00e9e que les \u00e9crivains appartiennent, au-del\u00e0 du temps terrestre, \u00e0 un m\u00eame corps : celui de la litt\u00e9rature. Cette id\u00e9e est, dans le m\u00eame temps, contest\u00e9e » Rien \u00e0 voir avec ce que nous offre le pouvoir politique aujourd\u2019hui o\u00f9 la devise serait plut\u00f4t apr\u00e8s moi le d\u00e9luge.<\/p>\n Donc en un seul et m\u00eame temps cette observation , l\u2019extraordinaire de voir toute la putr\u00e9faction la d\u00e9composition \u00e0 l\u2019oeuvre d\u2019un corps terrestre ou politique ou social et de percevoir via la lecture et l\u2019\u00e9criture un autre corps se survivant \u00e0 lui-m\u00eame, une continuit\u00e9 presque un horizon, un infini produit par l\u2019accumulation successive des fatigues.<\/p>\n Dans sa m\u00e9ditation sur la photographie de Samuel Beckett, P.M \u00e9voque le fameux noli me tangere ( Ne me touche pas \u2013 Phrase que pronon\u00e7a le Christ ( curieux qu\u2019elle soit transmut\u00e9e en latin) \u00e0 Marie-Madeleine lors de la R\u00e9surrection)<\/p>\n Lu dans Corps du roi de P.M ce passage sur les boiteux « Les boiteux, les bancals, les banban, scandent souvent de leur rythme sommaire les \u0153uvres parfaites, l\u2019Achab de Melville, le Long John Silver de Stevenson, la m\u00e8re du narrateur de Mort \u00e0 cr\u00e9dit. Il me semble qu\u2019il y a aussi une patte folle dans La Recherche, peut-\u00eatre Charlus. On entend ce rythme risible, mais qui serre le c\u0153ur, on l\u2019entend \u00e9nonc\u00e9 en phrases parfaites, on l\u2019entend bousiller en douce la phrase parfaite : dans les vaticinations d\u2019Achab, dans les grands imparfaits de Flaubert, les grands ternaires, la ronflette o\u00f9 le style tourne comme sur un tour, on entend soudain cette castagnette \u00e0 deux temps qui est un bout de chair humaine greff\u00e9 sur du bois mort. On \u00e9clate de rire.<\/p>\n Le pas du banban scande Madame Bovary. Dans ce pas le style fuit, le corps appara\u00eet.« <\/p>\n Illustration : Repr\u00e9sentation d\u2019Othon II dans une mandorle, miniature de l\u2019\u00e9cole de Reichenau, Aix-la-Chapelle, vers 975. Cette miniature de l\u2019\u00c9vangile est comment\u00e9e par Kantorowicz dans Les Deux Corps du roi, chap. III, \u00a72 « Le frontispice des \u00e9vangiles d\u2019Aix-la-Chapelle ».<\/p>",
"content_text": "Bient\u00f4t 365 jours, dans vingt-cinq jours, une petite r\u00e9volution parmi tant d\u2019autres. En toute discr\u00e9tion. Durant toute cette ann\u00e9e, je n\u2019ai pas cherch\u00e9 \u00e0 me lier, \u00e0 partager, \u00e0 \u00e9changer. J\u2019ai \u00e9crit jour apr\u00e8s jour ici et parfois aussi dans le blog du TL, n\u2019ai pas fait de commentaires, n\u2019ai pas r\u00e9pondu la plupart du temps \u00e0 ceux re\u00e7us, sauf par mail, et tout \u00e0 fait ponctuellement. Je me suis enfoui tr\u00e8s profond\u00e9ment vers quelque chose que je ne peux plus nommer \u00ab moi \u00bb. \u00c7a d\u00e9passe la fronti\u00e8re exigu\u00eb de cela, le soi, le \u00e7a, tous ces petits mots qu\u2019on a l\u2019habitude d\u2019user jusqu\u2019\u00e0 la corde, pour un rien. Qu\u2019est-ce qui se modifie alors dans cette descente ? Pas moi, pas \u00e7a, l\u2019\u00e9criture seule. En revenant en arri\u00e8re sur ce dernier atelier \u00ab anthologie \u00bb, ce qui est \u00e9tonnant, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle la proposition de d\u00e9part s\u2019efface pour ne plus laisser que les textes. En revenant en arri\u00e8re, en r\u00e9\u00e9crivant les premi\u00e8res propositions, j\u2019ai un mal de chien \u00e0 me souvenir, m\u00eame en revisionnant la vid\u00e9o, en relisant les documents d\u2019appui. C\u2019est perturbant. Comme si la m\u00e9moire ne suivait pas, ou plut\u00f4t suivait un cheminement parall\u00e8le. Ces propositions sont des impacts sur le r\u00e9el, celui de l\u2019instant o\u00f9 l\u2019on s\u2019y trouve confront\u00e9, puis les ondes s\u2019agrandissent, se dissipent et il ne reste que fort peu sinon rien de cette sensation pourtant d\u2019apparence si r\u00e9elle qu\u2019on \u00e9prouvait \u00e0 cet instant de la rencontre. C\u2019est m\u00eame pire que \u00e7a, \u00e0 la relecture, on s\u2019arcboute pour ne pas revivre le m\u00eame instant, on \u00e9prouve la n\u00e9cessit\u00e9 de ne pas entrer dans une r\u00e9p\u00e9tition, de chercher une autre issue. Ici, toute la difficult\u00e9 encore une fois \u00e0 se relire, \u00e0 se trouver confront\u00e9 \u00e0 l\u2019insupportable, \u00e0 une notion o\u00f9 l\u2019\u00e9tranget\u00e9 et la familiarit\u00e9 se confondent avec l\u2019insoutenable. Car pass\u00e9e la na\u00efvet\u00e9 de l\u2019autoflagellation, du manque d\u2019affection envers soi ou les autres, la pr\u00e9sence est l\u00e0, ind\u00e9niable. Une phrase qui cherche son \u00e9quilibre avant de devenir texte, un brouillon o\u00f9 tout se trouve jet\u00e9 p\u00eale-m\u00eale, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019audace d\u2019avoir jet\u00e9 p\u00eale-m\u00eale nous aura \u00e9puis\u00e9s. D\u00e9j\u00e0, on pensera tenir quelque chose en \u00e9valuant ainsi la fatigue que ce brouillon aura produite. Or ici, la fatigue ne sert qu\u2019\u00e0 se rassurer, \u00e0 rester sur un seuil. On sent tout \u00e0 fait bien avec la r\u00e9p\u00e9tition qu\u2019elle n\u2019est qu\u2019un pr\u00e9texte, un r\u00e9flexe. Sauf que l\u2019amour manque, on se fatigue d\u2019autant plus que cette absence devient de plus en plus tangible. Et il ne suffit pas d\u2019empiler les mantras, les mots d\u2019ordre, pas plus que les remords, les regrets. Dans cette voie si commune, tant de fois emprunt\u00e9e \u2013 les pri\u00e8res \u2013 pas plus. Non, quelque chose de plus proche encore, un arbre mort, sec \u00e0 c\u0153ur, proche d\u2019\u00eatre r\u00e9duit en poudre, cette image-l\u00e0. Et soudain, le contact d\u2019un oiseau sur une branche et tout repart. Je veux dire c\u2019est d\u2019un autre amour qu\u2019il est question, une autre aspiration, que seul le presque rien peut produire, et qui rend soudain toute manifestation autre que ce presque rien imm\u00e9diatement ostentatoire, fausse, ha\u00efssable. Et bien entendu, rien de tout cela ne saurait exister \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de soi avant d\u2019exister d\u2019abord en soi. Deux qu\u00eates se confondent donc \u00e0 la fin : l\u2019amour et l\u2019humilit\u00e9, et qu\u2019on ne peut r\u00e9aliser qu\u2019en suivant des sentiers haineux, d\u00e9sesp\u00e9rants, vaniteux, jusqu\u2019\u00e0 les \u00e9puiser enti\u00e8rement. Tant qu\u2019il y a de la fatigue, c\u2019est le signe que l\u2019\u00e9puisement n\u2019est pas encore totalement atteint, le d\u00e9sert n\u2019est pas travers\u00e9, la for\u00eat reste touffue. S\u2019il n\u2019y a au bout la joie, une respiration profonde, le sentiment du libre, c\u2019est qu\u2019on n\u2019a pas encore atteint le but. Bien s\u00fbr, encore faut-il accepter l\u2019enfance toujours vive, refuser l\u2019image fausse de l\u2019adulte, celle-l\u00e0 m\u00eame que l\u2019enfant d\u2019hier aura extraite de sa propre incompr\u00e9hension, de sa douleur, de son d\u00e9sespoir pour \u00eatre en mesure de survivre \u00e0 celles-ci. \u00ab J\u2019ai cherch\u00e9, \u00bb dit l\u2019homme fatigu\u00e9, \u00ab moi je trouve, \u00bb dit l\u2019enfance retrouv\u00e9e. Au-del\u00e0 de \u00e7a, le monde reste ce qu\u2019il est : effroi et merveille en perp\u00e9tuelles m\u00e9tamorphoses. J\u2019en suis comme je n\u2019en suis pas, particule b\u00e9n\u00e9ficiant des qualit\u00e9s des ondes, appara\u00eetre ou dispara\u00eetre selon l\u2019observateur. Il y a bien un observateur, parfois c\u2019est moi, parfois c\u2019est toi, il, nous, vous, ils. Tout le monde et personne se confondent dans observer et ne rien voir. Sans doute parce que nous confondons. Parce que la confusion est tout ce qu\u2019il nous reste de notre d\u00e9sir d\u2019unit\u00e9, comme la fatigue est le r\u00e9sidu de toutes nos joies r\u00eav\u00e9es. Plisse les yeux, gomme les d\u00e9tails, le superflu, trouve l\u2019\u00e9quilibre. Le leitmotiv. La structure. Le corps. Fatigu\u00e9s, les yeux mi-clos du corps ne construisent pas un corps, ils le trouvent en r\u00e9alit\u00e9. L\u2019expression le roi est mort vive le roi exprime la double nature du corps du roi, terrestre et souveraine. Cette expression date de 1515 lors de l\u2019enterrement de Louis XII. Pierre Michon a \u00e9crit un essai portant comme titre \u00ab le corps du roi \u00bb, inspir\u00e9 d\u2019une \u00e9tude sur Beckett et qui consise en une m\u00e9ditation sur une photographie de celui-ci. D\u2019autres textes suivent sur Flaubert, Faulkner, Dante, Shakespeare, Hugo, et d\u00e9bouchent sur la th\u00e9orie du double corps du roi : d\u2019une part l\u2019\u00e9crivain id\u00e9al et comme intemporel, d\u2019autre part le corps tel qu\u2019il appara\u00eet. En un mot, il s\u2019agit de mettre en avant \u00ab l\u2019id\u00e9e que les \u00e9crivains appartiennent, au-del\u00e0 du temps terrestre, \u00e0 un m\u00eame corps : celui de la litt\u00e9rature. Cette id\u00e9e est, dans le m\u00eame temps, contest\u00e9e \u00bb Rien \u00e0 voir avec ce que nous offre le pouvoir politique aujourd\u2019hui o\u00f9 la devise serait plut\u00f4t apr\u00e8s moi le d\u00e9luge. Donc en un seul et m\u00eame temps cette observation , l\u2019extraordinaire de voir toute la putr\u00e9faction la d\u00e9composition \u00e0 l\u2019oeuvre d\u2019un corps terrestre ou politique ou social et de percevoir via la lecture et l\u2019\u00e9criture un autre corps se survivant \u00e0 lui-m\u00eame, une continuit\u00e9 presque un horizon, un infini produit par l\u2019accumulation successive des fatigues. Dans sa m\u00e9ditation sur la photographie de Samuel Beckett, P.M \u00e9voque le fameux noli me tangere ( Ne me touche pas \u2013 Phrase que pronon\u00e7a le Christ ( curieux qu\u2019elle soit transmut\u00e9e en latin) \u00e0 Marie-Madeleine lors de la R\u00e9surrection) Lu dans Corps du roi de P.M ce passage sur les boiteux \u00ab Les boiteux, les bancals, les banban, scandent souvent de leur rythme sommaire les \u0153uvres parfaites, l\u2019Achab de Melville, le Long John Silver de Stevenson, la m\u00e8re du narrateur de Mort \u00e0 cr\u00e9dit. Il me semble qu\u2019il y a aussi une patte folle dans La Recherche, peut-\u00eatre Charlus. On entend ce rythme risible, mais qui serre le c\u0153ur, on l\u2019entend \u00e9nonc\u00e9 en phrases parfaites, on l\u2019entend bousiller en douce la phrase parfaite : dans les vaticinations d\u2019Achab, dans les grands imparfaits de Flaubert, les grands ternaires, la ronflette o\u00f9 le style tourne comme sur un tour, on entend soudain cette castagnette \u00e0 deux temps qui est un bout de chair humaine greff\u00e9 sur du bois mort. On \u00e9clate de rire. Le pas du banban scande Madame Bovary. Dans ce pas le style fuit, le corps appara\u00eet.\u00ab Illustration : Repr\u00e9sentation d\u2019Othon II dans une mandorle, miniature de l\u2019\u00e9cole de Reichenau, Aix-la-Chapelle, vers 975. Cette miniature de l\u2019\u00c9vangile est comment\u00e9e par Kantorowicz dans Les Deux Corps du roi, chap. III, \u00a72 \u00ab Le frontispice des \u00e9vangiles d\u2019Aix-la-Chapelle \u00bb.",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/6-aout-2024.html",
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"title": "6 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-21T08:14:22Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je suis un corps, un corps qui m\u2019habite autant que je l\u2019habite. Il n\u2019y a pas de fronti\u00e8re entre ce corps tangible et l\u2019illusion de ce « je » qui croit l\u2019habiter. Nous ne faisons qu\u2019un, mais savons-nous r\u00e9ellement ce que nous sommes ? Mon corps est lourd, pesant, pataud, chaque mouvement une \u00e9preuve. Parfois, une nostalgie sourde m\u2019envahit, rappelant un temps o\u00f9 ce corps \u00e9tait plus l\u00e9ger, moins douloureux. Une nostalgie apparemment vaine, ne servant qu\u2019\u00e0 des comparaisons inutiles. Puis-je vraiment m\u2019\u00e9vader du corps pr\u00e9sent pour m\u2019abandonner au fantasme d\u2019un corps ancien ? Ce n\u2019est plus le m\u00eame corps, cela ne signifie rien. Pourtant, le fantasme et la nostalgie persistent. Dans ce souvenir imaginaire, c\u2019est lui qui envahit tout le pr\u00e9sent, tentant d\u2019effacer une difficult\u00e9 passag\u00e8re, tel un baume apaisant. Elle se l\u00e8ve, sans craindre le ridicule, et me montre comment d\u00e9tendre les fascias. Il faut joindre les mains, se contorsionner, et cela est cens\u00e9 soulager. J\u2019h\u00e9site entre le rire, r\u00e9flexe pavlovien, et les larmes, signe de mon incapacit\u00e9 \u00e0 m\u2019unifier. Depuis, je la surveille d\u2019un \u0153il, craignant qu\u2019elle ne se l\u00e8ve \u00e0 tout moment, fasse un geste \u00e9trange, bouleversant toute ma conception du monde, m\u2019enfermant entre le rire et les sanglots, tel un insecte \u00e9pingl\u00e9 sous verre. Je doutais de ses motivations. J\u2019aurais pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 qu\u2019elles soient claires, limpides, qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019un acte gratuit, mais je ne crois plus \u00e0 la gratuit\u00e9 des actes. Elle me donnait pour recevoir en retour, et cette id\u00e9e m\u2019a obs\u00e9d\u00e9 tout l\u2019apr\u00e8s-midi. Que pouvais-je bien lui offrir en \u00e9change ? Puis, je me suis rappel\u00e9 qu\u2019elle \u00e9tait l\u00e0 pour un stage de peinture, qu\u2019elle m\u2019avait pay\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but de la s\u00e9ance. Je n\u2019aime pas recevoir de l\u2019argent au d\u00e9but, cela me donne l\u2019impression qu\u2019on se d\u00e9barrasse d\u2019un fardeau. Je pr\u00e9f\u00e8re \u00eatre pay\u00e9 \u00e0 la fin, presque sur le seuil, comme un dernier \u00e9change. L\u2019argent sert probablement \u00e0 cela : je te paie et nous sommes quittes. Mais payer d\u2019avance me semble suspect : je te donne de l\u2019argent, \u00e0 toi de jouer maintenant. Et que penser si elle se l\u00e8ve pour me montrer comment d\u00e9tendre mes fascias ? Elle en aurait pour son argent, non ? Je suis toujours \u00e9tonn\u00e9 de voir des gens croire que je sais quelque chose en peinture, une croyance d\u00e9sormais bien ancr\u00e9e. Plus je les vois y adh\u00e9rer, par un \u00e9trange ph\u00e9nom\u00e8ne de vases communicants, moins j\u2019ai la sensation de savoir quoique ce soit. C\u2019est peut-\u00eatre pour cela que j\u2019\u00e9choue toujours \u00e0 atteindre mes objectifs. \u00c9chouer ouvre une porte dans l\u2019illusion, le r\u00eave ou le cauchemar, une porte par laquelle je peux m\u2019\u00e9vader. Mais qui s\u2019\u00e9vade, je l\u2019ignore. Cette image du ressort me hante, un ressort que l\u2019on compresse sans fin, attendant qu\u2019il se d\u00e9tende enfin pour m\u2019exp\u00e9dier hors champ.<\/p>\n [Ajout du 2 ao\u00fbt, 6:16]<\/p>\n L\u2019utilisation de l\u2019intelligence artificielle pour cr\u00e9er des images, au final, grande d\u00e9ception, mais dont on peut tout de m\u00eame se f\u00e9liciter tant il fut facile de songer qu\u2019une machine puisse, d\u2019une simple commande, faire les choses \u00e0 notre place, aussi humainement, c\u2019est-\u00e0-dire avec toute la maladresse, l\u2019imperfection qui nous caract\u00e9risent justement. Ce qui ici est risible, c\u2019est cet espoir surtout qu\u2019on puisse se d\u00e9barrasser de cette maladresse, de ces imperfections aussi facilement, c\u2019est-\u00e0-dire sans en avoir pris la v\u00e9ritable mesure, celle de notre humanit\u00e9, ou de ce qu\u2019il en reste. Ce que l\u2019on peut voir, c\u2019est \u00e0 quel point il existe d\u00e9sormais une uniformit\u00e9 de ces images artificielles. Elles ont toutes ceci en commun de se ressembler, c\u2019est bien cela qui saute aux yeux, leur aspect artificiel, pour ne pas dire superficiel. Mais pas beaucoup de diff\u00e9rence avec tout le reste, c\u2019est-\u00e0-dire il suffit d\u2019ouvrir les r\u00e9seaux sociaux, de lire les fils d\u2019actualit\u00e9, on verra que les m\u00eames nouvelles, les m\u00eames pens\u00e9es, se propagent exactement avec autant de superficialit\u00e9, dans une uniformit\u00e9 algorithmique, math\u00e9matique ext\u00e9nuante. Ce qui fait surgir presque aussit\u00f4t au bout de cette s\u00e9rie de pens\u00e9es l\u2019image d\u2019un personnage \u00e9trange venant du plus profond du folklore, une sorte de chaman clown portant un \u00e9trange costume bigarr\u00e9, un \u00eatre dont la fonction est de r\u00e9activer l\u2019insolite dans ce monde qui ne tient que par une croyance \u00e0 l\u2019uniformit\u00e9, \u00e0 la norme, au standard.<\/p>\n [Me vient encore quelque chose \u00e0 l\u2019esprit. Jusqu\u2019ici, je relis les textes \u00e0 venir, mais il ne me vient pas \u00e0 l\u2019esprit de vouloir r\u00e9intervenir sur les textes d\u00e9j\u00e0 publi\u00e9s. Encore que ce ne soit pas totalement vrai. Par exemple, j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 \u00e0 partir des articles de mes deux blogs un \u00e9norme fichier texte qui les compile. Sauf que je ne sais rien faire encore de cette \u00e9normit\u00e9. Parfois, il m\u2019arrive de l\u2019ouvrir, de relire, et les bras m\u2019en tombent ; je suis face \u00e0 un objet insolite, comme si je n\u2019en \u00e9tais pas l\u2019auteur, quelque chose qui m\u2019est au final totalement \u00e9tranger, et je me dis alors, de quel droit t\u2019approprierais-tu cela et, pire encore, de quel droit le modifierais-tu, le corrigerais-tu ? C\u2019est aussi une forme de fatigue de comprendre que ce que nous pensons faire en toute conscience au moment o\u00f9 nous le faisons, s\u2019\u00e9loigne de nous, devient \u00e0 ce point \u00e9tranger quelques semaines, mois, ann\u00e9es plus tard. Cette fatigue provient du fait que nous r\u00eaverions de maintenir une sorte de coh\u00e9rence, d\u2019unit\u00e9 vis-\u00e0-vis de nous-m\u00eame, que cette unit\u00e9 ou coh\u00e9rence, nous en avons \u00e0 l\u2019origine une sorte d\u2019a priori, une image mentale r\u00eav\u00e9e et que celle qui surgit au final, \u00e0 la relecture, n\u2019a rien \u00e0 voir avec ce que nous en esp\u00e9rions. Mais sommes-nous si clairs avec nos esp\u00e9rances ? Est-ce que ce sont vraiment les n\u00f4tres ou bien ne sont-ce que des clich\u00e9s, des mots d\u2019ordre, des injonctions provenant d\u2019un ext\u00e9rieur ?<\/p>",
"content_text": "Je suis un corps, un corps qui m\u2019habite autant que je l\u2019habite. Il n\u2019y a pas de fronti\u00e8re entre ce corps tangible et l\u2019illusion de ce \u00ab je \u00bb qui croit l\u2019habiter. Nous ne faisons qu\u2019un, mais savons-nous r\u00e9ellement ce que nous sommes ? Mon corps est lourd, pesant, pataud, chaque mouvement une \u00e9preuve. Parfois, une nostalgie sourde m\u2019envahit, rappelant un temps o\u00f9 ce corps \u00e9tait plus l\u00e9ger, moins douloureux. Une nostalgie apparemment vaine, ne servant qu\u2019\u00e0 des comparaisons inutiles. Puis-je vraiment m\u2019\u00e9vader du corps pr\u00e9sent pour m\u2019abandonner au fantasme d\u2019un corps ancien ? Ce n\u2019est plus le m\u00eame corps, cela ne signifie rien. Pourtant, le fantasme et la nostalgie persistent. Dans ce souvenir imaginaire, c\u2019est lui qui envahit tout le pr\u00e9sent, tentant d\u2019effacer une difficult\u00e9 passag\u00e8re, tel un baume apaisant. Elle se l\u00e8ve, sans craindre le ridicule, et me montre comment d\u00e9tendre les fascias. Il faut joindre les mains, se contorsionner, et cela est cens\u00e9 soulager. J\u2019h\u00e9site entre le rire, r\u00e9flexe pavlovien, et les larmes, signe de mon incapacit\u00e9 \u00e0 m\u2019unifier. Depuis, je la surveille d\u2019un \u0153il, craignant qu\u2019elle ne se l\u00e8ve \u00e0 tout moment, fasse un geste \u00e9trange, bouleversant toute ma conception du monde, m\u2019enfermant entre le rire et les sanglots, tel un insecte \u00e9pingl\u00e9 sous verre. Je doutais de ses motivations. J\u2019aurais pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 qu\u2019elles soient claires, limpides, qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019un acte gratuit, mais je ne crois plus \u00e0 la gratuit\u00e9 des actes. Elle me donnait pour recevoir en retour, et cette id\u00e9e m\u2019a obs\u00e9d\u00e9 tout l\u2019apr\u00e8s-midi. Que pouvais-je bien lui offrir en \u00e9change ? Puis, je me suis rappel\u00e9 qu\u2019elle \u00e9tait l\u00e0 pour un stage de peinture, qu\u2019elle m\u2019avait pay\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but de la s\u00e9ance. Je n\u2019aime pas recevoir de l\u2019argent au d\u00e9but, cela me donne l\u2019impression qu\u2019on se d\u00e9barrasse d\u2019un fardeau. Je pr\u00e9f\u00e8re \u00eatre pay\u00e9 \u00e0 la fin, presque sur le seuil, comme un dernier \u00e9change. L\u2019argent sert probablement \u00e0 cela : je te paie et nous sommes quittes. Mais payer d\u2019avance me semble suspect : je te donne de l\u2019argent, \u00e0 toi de jouer maintenant. Et que penser si elle se l\u00e8ve pour me montrer comment d\u00e9tendre mes fascias ? Elle en aurait pour son argent, non ? Je suis toujours \u00e9tonn\u00e9 de voir des gens croire que je sais quelque chose en peinture, une croyance d\u00e9sormais bien ancr\u00e9e. Plus je les vois y adh\u00e9rer, par un \u00e9trange ph\u00e9nom\u00e8ne de vases communicants, moins j\u2019ai la sensation de savoir quoique ce soit. C\u2019est peut-\u00eatre pour cela que j\u2019\u00e9choue toujours \u00e0 atteindre mes objectifs. \u00c9chouer ouvre une porte dans l\u2019illusion, le r\u00eave ou le cauchemar, une porte par laquelle je peux m\u2019\u00e9vader. Mais qui s\u2019\u00e9vade, je l\u2019ignore. Cette image du ressort me hante, un ressort que l\u2019on compresse sans fin, attendant qu\u2019il se d\u00e9tende enfin pour m\u2019exp\u00e9dier hors champ. [Ajout du 2 ao\u00fbt, 6:16] L\u2019utilisation de l\u2019intelligence artificielle pour cr\u00e9er des images, au final, grande d\u00e9ception, mais dont on peut tout de m\u00eame se f\u00e9liciter tant il fut facile de songer qu\u2019une machine puisse, d\u2019une simple commande, faire les choses \u00e0 notre place, aussi humainement, c\u2019est-\u00e0-dire avec toute la maladresse, l\u2019imperfection qui nous caract\u00e9risent justement. Ce qui ici est risible, c\u2019est cet espoir surtout qu\u2019on puisse se d\u00e9barrasser de cette maladresse, de ces imperfections aussi facilement, c\u2019est-\u00e0-dire sans en avoir pris la v\u00e9ritable mesure, celle de notre humanit\u00e9, ou de ce qu\u2019il en reste. Ce que l\u2019on peut voir, c\u2019est \u00e0 quel point il existe d\u00e9sormais une uniformit\u00e9 de ces images artificielles. Elles ont toutes ceci en commun de se ressembler, c\u2019est bien cela qui saute aux yeux, leur aspect artificiel, pour ne pas dire superficiel. Mais pas beaucoup de diff\u00e9rence avec tout le reste, c\u2019est-\u00e0-dire il suffit d\u2019ouvrir les r\u00e9seaux sociaux, de lire les fils d\u2019actualit\u00e9, on verra que les m\u00eames nouvelles, les m\u00eames pens\u00e9es, se propagent exactement avec autant de superficialit\u00e9, dans une uniformit\u00e9 algorithmique, math\u00e9matique ext\u00e9nuante. Ce qui fait surgir presque aussit\u00f4t au bout de cette s\u00e9rie de pens\u00e9es l\u2019image d\u2019un personnage \u00e9trange venant du plus profond du folklore, une sorte de chaman clown portant un \u00e9trange costume bigarr\u00e9, un \u00eatre dont la fonction est de r\u00e9activer l\u2019insolite dans ce monde qui ne tient que par une croyance \u00e0 l\u2019uniformit\u00e9, \u00e0 la norme, au standard. [Me vient encore quelque chose \u00e0 l\u2019esprit. Jusqu\u2019ici, je relis les textes \u00e0 venir, mais il ne me vient pas \u00e0 l\u2019esprit de vouloir r\u00e9intervenir sur les textes d\u00e9j\u00e0 publi\u00e9s. Encore que ce ne soit pas totalement vrai. Par exemple, j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 \u00e0 partir des articles de mes deux blogs un \u00e9norme fichier texte qui les compile. Sauf que je ne sais rien faire encore de cette \u00e9normit\u00e9. Parfois, il m\u2019arrive de l\u2019ouvrir, de relire, et les bras m\u2019en tombent ; je suis face \u00e0 un objet insolite, comme si je n\u2019en \u00e9tais pas l\u2019auteur, quelque chose qui m\u2019est au final totalement \u00e9tranger, et je me dis alors, de quel droit t\u2019approprierais-tu cela et, pire encore, de quel droit le modifierais-tu, le corrigerais-tu ? C\u2019est aussi une forme de fatigue de comprendre que ce que nous pensons faire en toute conscience au moment o\u00f9 nous le faisons, s\u2019\u00e9loigne de nous, devient \u00e0 ce point \u00e9tranger quelques semaines, mois, ann\u00e9es plus tard. Cette fatigue provient du fait que nous r\u00eaverions de maintenir une sorte de coh\u00e9rence, d\u2019unit\u00e9 vis-\u00e0-vis de nous-m\u00eame, que cette unit\u00e9 ou coh\u00e9rence, nous en avons \u00e0 l\u2019origine une sorte d\u2019a priori, une image mentale r\u00eav\u00e9e et que celle qui surgit au final, \u00e0 la relecture, n\u2019a rien \u00e0 voir avec ce que nous en esp\u00e9rions. Mais sommes-nous si clairs avec nos esp\u00e9rances ? Est-ce que ce sont vraiment les n\u00f4tres ou bien ne sont-ce que des clich\u00e9s, des mots d\u2019ordre, des injonctions provenant d\u2019un ext\u00e9rieur ? ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/5-aout-2024.html",
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"title": "5 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-05T08:16:43Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \u2026Souvent, le mercredi soir, lorsque je rentre fourbu \u00e0 la maison, je n\u2019allume pas le plafonnier de la cuisine. Je pr\u00e9f\u00e8re traverser la pi\u00e8ce pour parvenir jusqu\u2019au piano et appuyer sur le bouton de l\u2019\u00e9clairage de la hotte. \u00c0 cet instant pr\u00e9cis, une sensation de bien-\u00eatre m\u2019envahit. Cette lumi\u00e8re, tombant doucement sur les fourneaux, semble bien plus chaleureuse que celle du plafonnier. Peut-on \u00e0 bon droit nommer chaleureuse une lumi\u00e8re ? Si elle est nomm\u00e9e ainsi, c\u2019est qu\u2019elle en \u00e9voque d\u2019autres, en d\u2019autres temps. Aussi loin que je puisse me rappeler, je n\u2019ai jamais eu de go\u00fbt pour les \u00e9clairages trop crus, trop violents. Je leur ai toujours pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 ce que l\u2019on nomme les \u00e9clairages tamis\u00e9s. Une petite lampe pos\u00e9e dans un coin de pi\u00e8ce, install\u00e9e sur un gu\u00e9ridon ou une commode, et tout de suite, on peut se croire dans une intimit\u00e9 avec soi-m\u00eame et les lieux. J\u2019aurais certainement appr\u00e9ci\u00e9 vivre \u00e0 une \u00e9poque sans \u00e9lectricit\u00e9, toute emplie de p\u00e9nombre avec des \u00eelots de lumi\u00e8re rassurants. Je l\u2019ai fait d\u2019ailleurs. Parfois, il m\u2019arrive de me dire que je n\u2019en ai pas suffisamment profit\u00e9. Je n\u2019ai pris aucune note de ces moments si particuliers qui pr\u00e9parent l\u2019\u00e9criture, lorsque l\u2019agitation du monde et de la famille reflue pour laisser place \u00e0 une forme d\u2019inqui\u00e9tude, la seule v\u00e9ritable qui\u00e9tude que je connaisse. \u00c0 ces moments, l\u2019attention flotte et se pose sur les lumi\u00e8res, sur une ambiance, sans vraiment rien distinguer ou analyser. On se sent glisser peu \u00e0 peu, entra\u00een\u00e9 vers un non-lieu regroupant toute une foule de lieux dans lesquels on a v\u00e9cu, en r\u00eave, probablement autant qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9. En outre n\u2019est-il pas pertinent de penser que l\u2019on regarde tout cela et soi-m\u00eame \u00e0 travers un prisme. Je ne savais pas du tout comment aborder la proposition d\u2019\u00e9criture de ce jour. Je reviens tout juste de Lyon o\u00f9 j\u2019ai assist\u00e9 \u00e0 un spectacle de chansons \u00e0 texte dans l\u2019amphith\u00e9\u00e2tre des Trois Gaules. Ce fut une bien \u00e9trange soir\u00e9e, un spectacle en plein air, en premier lieu parce que nous nous appr\u00eations \u00e0 essuyer la pluie qui n\u2019est finalement pas venue. En voyant les amis chanter, je ne les reconnaissais plus. Leur son si bien pos\u00e9 et sans micro m\u2019\u00e9tonne encore. Ainsi, on conna\u00eet les gens depuis des ann\u00e9es et il suffit d\u2019une sorte d\u2019entre-deux atmosph\u00e9rique pour les red\u00e9couvrir dans une \u00e9claircie. L\u2019orgue de Barbarie d\u00e9bitait sa musique de jazz et eux chantaient, clamaient, d\u00e9clamaient, et nous, spectateurs, battions tr\u00e8s sinc\u00e8rement des mains. Cela me fait penser \u00e0 ces c\u00e9r\u00e9monies o\u00f9 les danseurs s\u2019affublent de costumes et de masques, incarnent un personnage mythique et, au bout du compte, le deviennent. Ils le deviennent parce qu\u2019\u00e0 cet instant pr\u00e9cis, nous ne disposons d\u2019aucune preuve tangible pour nous assurer qu\u2019ils ne le sont pas. La lumi\u00e8re d\u00e9clina doucement, d\u2019autres lueurs artificielles prirent le relais, le spectacle battait son plein quand un ange tendit une plume \u00e0 un de mes amis qui semblait passer par l\u00e0 par hasard. « Si tu trouves quelqu\u2019un qui croit \u00e0 ton histoire, alors le monde entier ne sera plus jamais triste », disait le texte, et aussi bien s\u00fbr si l\u2019on accepte le fait qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019une plume d\u2019ange. J\u2019avais pr\u00eat\u00e9 mon sweat \u00e0 P qui \u00e9tait venue ici bras nus. Je l\u2019ai vue repartir seule un peu plus tard, elle avait une bonne avance, peut-\u00eatre deux ou trois cents m\u00e8tres et, en la voyant marcher dans les rues en pente, elle ne se r\u00e9duirait bient\u00f4t plus qu\u2019\u00e0 une petite t\u00e2che claire, sautillante, et j\u2019ai eu comme un flash, une poup\u00e9e caboss\u00e9e, presque d\u00e9sarticul\u00e9e. Le bleu de la nuit l\u2019avala vers la rue Sainte-Catherine, tandis que nous obliquions vers les quais. Le fleuve flamboyait, Fourvi\u00e8re, ocre, blanche, dor\u00e9e, en imposait sur la colline de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rive. Des types passaient avec des bagnoles hors de prix toutes vitres ouvertes musique \u00e0 fond, agressifs. Au volant, j\u2019ai mis les \u00e9couteurs pour ne rien louper de la proposition.d\u2019\u00e9criture de ce jour. Je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019\u00e9change machinalement des messages avec les autres automobilistes. Pleins phares, feux de croisement, pleins phares, certains jouent le jeu, d\u2019autres non. J\u2019ai ouvert la porte-fen\u00eatre qui donne sur la cour, je cherche la chatte. Il a d\u00fb bien pleuvoir car le carrelage est bien mouill\u00e9. Pas de chatte. J\u2019ai \u00e9teint la lumi\u00e8re de la hotte, j\u2019ai attendu que mes yeux s\u2019habituent \u00e0 l\u2019obscurit\u00e9 puis je suis mont\u00e9. Je suis rest\u00e9 assis sur mon fauteuil quelques instants. La maison \u00e9tait silencieuse. J\u2019ai encore attendu un peu pour voir si je n\u2019entendais pas la chatte miauler dans la cour ou sur un toit. Comme il ne se passait rien, j\u2019ai appuy\u00e9 sur la touche Entr\u00e9e du clavier, l\u2019\u00e9cran de connexion est apparu avec son fond sombre, j\u2019ai entr\u00e9 mon mot de passe et la luminosit\u00e9 de l\u2019\u00e9cran m\u2019a jailli au visage comme quand on sort du ventre de sa m\u00e8re, cette solitude-l\u00e0\u2026<\/p>\n \u2026le mercredi soir on rentrait fourbu. Les autres jours aussi mais on aurait pu lui faire avouer sans difficult\u00e9 qu\u2019aucun n\u2019\u00e9tait de taille avec le mercredi soir. Le mercredi soir \u00e9tait un gros diamant brut. Il fallait se dire pour se sentir de taille, que l\u2019on \u00e9tait suffisamment fort, il fallait ajouter souvent les mots grand, invincible, en pleine possession de la totalit\u00e9 de ses moyens, sinon \u00e7a n\u2019aurait jamais pu suffire. On se serait effrit\u00e9, on n\u2019aurait pas tenu, le mercredi soir aurait tr\u00e8s bien pu nous laisser sur le carreau, nous an\u00e9antir, il suffisait d\u2019y penser le jeudi, \u00e0 rebours, ou bien le mardi d\u2019avance pour que l\u2019on sente tous les pores de l\u2019\u00e9piderme fr\u00e9mir. Les pores de l\u2019\u00e9piderme sont tr\u00e9s r\u00e9actifs \u00e0 l\u2019imagination, comme au souvenir.<\/p>\n \u2026Il aurait voulu certainement dire » quelque chose de cette fatigue inou\u00efe s\u2019il n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9 fourbu. Il se serait dit \u00e0 lui m\u00eame de nombreuses choses pour lutter contre cette puissante fatigue. Il aurait fait comme sh\u00e9razade face au sultan, il se serait racont\u00e9 pas mal de petites histoires \u00e0 dormir debout pour pas que la fatigue l\u2019annule, le biffe, le balance \u00e0 la d\u00e9charge, le pi\u00e9tine, l\u2019\u00e9touffe, le tue. Il r\u00e9sistait assez bien les autres jours, le mardi un peu moins en pr\u00e9vision du lendemain, et le surlendemain en raison des terreurs de la veille.<\/p>\n \u2026 Il se demandait si cette maison \u00e9tait \u00e0 lui, il en poss\u00e9dait une clef mais \u00e7a ne voulait rien dire. On pouvait tout \u00e0 fait avoir une clef et avec cette clef ouvrir une porte, rien ne stipulait qu\u2019au del\u00e0 de cette porte on pouvait \u00eatre tranquille, s\u2019imaginer des p\u00e9nates, \u00eatre enfin tranquille. Enfin on lui avait fourni une clef et aussi l\u2019illusion d\u2019un chez soi. Presque tous jours de la semaine il pouvait s\u2019en donner \u00e0 coeur joie, seule la fatigue du mercredi soir le faisait douter.<\/p>\n ..il se racontait des histoires pour ne pas p\u00e9n\u00e9trer de plain-pied dans l\u2019effroi ou la d\u00e9sesp\u00e9rance. Ce soir l\u00e0 il aurait assist\u00e9 \u00e0 un spectacle, ce n\u2019\u00e9tait pas un mercredi soir, c\u2019est ce dont il se souvenait soudain en traversant la cuisine dans l\u2019obscurit\u00e9.<\/p>\n On aurait pu dire quelque chose du spectacle pour passer le temps, passer un cap, temporiser un peu. Mais on s\u2019\u00e9tait abstenu. On s\u2019\u00e9tait contraint. Bien que fatigu\u00e9 il restait encore en soi un peu de ce c\u00f4t\u00e9 bravache. Tu es un bonhomme ou quoi ?<\/p>\n \u2026la musique de l\u2019orgue de Barbarie continuait \u00e0 jouer dans son sang, mais il ne dansait pas pour autant. Il s\u2019accrocha un instant \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019une tranche de jambon qui le l\u00e2cha sans crier gare.<\/p>\n \u2026 il ne voulait pas trop rapidement c\u00e9der \u00e0 la fatigue, d\u2019accord on \u00e9tait mercredi soi, d\u2019accord c\u2019\u00e9tait le pli qu\u2019il avait pris, il en \u00e9tait froiss\u00e9 un peu de s\u2019en apercevoir. A quel point on subit les habitudes que l\u2019on s\u2019invente, a quel point la bave sort des babines sit\u00f4t prononc\u00e9 le mot tranche, le mot jambon, \u00e0 grand flot quand c\u2019est toute la locution.<\/p>\n Il r\u00e9solu d\u2019attraper un tabouret et de s\u2019assoir pour observer sa fatigue, laissant la porte du frigo close, il tenta m\u00eame de changer la chronologie de la semaine, apr\u00e8s tout on aurait tr\u00e8s bien pu \u00eatre dimanche soir. \u00e7a changerait quoi.<\/p>\n \u2026 les autres habitants ne l\u2019accepteraient pas. Ils insisteraient. Le mercredi n\u2019est pas un dimanche. Les autres habitants avaient des r\u00e8gles strictes. C\u2019\u00e9tait comme \u00e7a, on avait du mal \u00e0 imaginer qu\u2019on puisse les changer.<\/p>\n C\u2019\u00e9tait aussi difficile de penser qu\u2019on puisse changer les r\u00e8gles ici que d\u2019imaginer que les riches paient plus d\u2019imp\u00f4ts pour une meilleure justice sociale. C\u2019\u00e9tait difficile mais si on voulait se laisser une petite chance que les choses changent, il fallait s\u2019asseoir pos\u00e9ment sur ce tabouret. Et ne pas lacher la fatigue du mercredi soir de l\u2019oeil.<\/p>\n \u2026 Que les grandes entreprises versent 25 % de leurs revenus \u00e0 la collectivit\u00e9 \u00e9tait-ce si saugrenu tout autant. On pouvait rester encore un peu assit l\u00e0 en pleine fatigue \u00e0 se le demander. Et \u00e0 peser le pour et le contre sur tous les mensonges que l\u2019on n\u2019avait cess\u00e9 de nous raconter sur le sujet.<\/p>\n \u2026 s\u2019ils partent, on les fera payer pareil. Vous savez les am\u00e9ricains, s\u2019ils sont n\u00e9s aux Am\u00e9riques, et qu\u2019ils partent une semaine apr\u00e8s, c\u2019est toute leur vie qu\u2019ils paient le fait d\u2019\u00eatre am\u00e9ricains au fisc am\u00e9ricain.<\/p>\n \u2026 et l\u2019on cherchait \u00e0 r\u00e9siter, sp\u00e9cialement le mercredi soir, c\u2019\u00e9tait une sorte de jeu, comme d\u2019autres vont le soir au th\u00e9\u00e2tre au cin\u00e9ma, au bordel, se pendre, on pouvait passer le reste de la soir\u00e9e le cul sur ce tabouret, \u00e0 se demander, \u00e0 r\u00e9sister. Jusqu\u2019au moment ou non on ne pouvait plus rien faire, plus rien dire. Jusqu\u2019au moment o\u00f9 l\u2019on se disait demain est un autre jour, il faut aller se coucher.<\/p>",
"content_text": "\u2026Souvent, le mercredi soir, lorsque je rentre fourbu \u00e0 la maison, je n\u2019allume pas le plafonnier de la cuisine. Je pr\u00e9f\u00e8re traverser la pi\u00e8ce pour parvenir jusqu\u2019au piano et appuyer sur le bouton de l\u2019\u00e9clairage de la hotte. \u00c0 cet instant pr\u00e9cis, une sensation de bien-\u00eatre m\u2019envahit. Cette lumi\u00e8re, tombant doucement sur les fourneaux, semble bien plus chaleureuse que celle du plafonnier. Peut-on \u00e0 bon droit nommer chaleureuse une lumi\u00e8re ? Si elle est nomm\u00e9e ainsi, c\u2019est qu\u2019elle en \u00e9voque d\u2019autres, en d\u2019autres temps. Aussi loin que je puisse me rappeler, je n\u2019ai jamais eu de go\u00fbt pour les \u00e9clairages trop crus, trop violents. Je leur ai toujours pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 ce que l\u2019on nomme les \u00e9clairages tamis\u00e9s. Une petite lampe pos\u00e9e dans un coin de pi\u00e8ce, install\u00e9e sur un gu\u00e9ridon ou une commode, et tout de suite, on peut se croire dans une intimit\u00e9 avec soi-m\u00eame et les lieux. J\u2019aurais certainement appr\u00e9ci\u00e9 vivre \u00e0 une \u00e9poque sans \u00e9lectricit\u00e9, toute emplie de p\u00e9nombre avec des \u00eelots de lumi\u00e8re rassurants. Je l\u2019ai fait d\u2019ailleurs. Parfois, il m\u2019arrive de me dire que je n\u2019en ai pas suffisamment profit\u00e9. Je n\u2019ai pris aucune note de ces moments si particuliers qui pr\u00e9parent l\u2019\u00e9criture, lorsque l\u2019agitation du monde et de la famille reflue pour laisser place \u00e0 une forme d\u2019inqui\u00e9tude, la seule v\u00e9ritable qui\u00e9tude que je connaisse. \u00c0 ces moments, l\u2019attention flotte et se pose sur les lumi\u00e8res, sur une ambiance, sans vraiment rien distinguer ou analyser. On se sent glisser peu \u00e0 peu, entra\u00een\u00e9 vers un non-lieu regroupant toute une foule de lieux dans lesquels on a v\u00e9cu, en r\u00eave, probablement autant qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9. En outre n\u2019est-il pas pertinent de penser que l\u2019on regarde tout cela et soi-m\u00eame \u00e0 travers un prisme. Je ne savais pas du tout comment aborder la proposition d\u2019\u00e9criture de ce jour. Je reviens tout juste de Lyon o\u00f9 j\u2019ai assist\u00e9 \u00e0 un spectacle de chansons \u00e0 texte dans l\u2019amphith\u00e9\u00e2tre des Trois Gaules. Ce fut une bien \u00e9trange soir\u00e9e, un spectacle en plein air, en premier lieu parce que nous nous appr\u00eations \u00e0 essuyer la pluie qui n\u2019est finalement pas venue. En voyant les amis chanter, je ne les reconnaissais plus. Leur son si bien pos\u00e9 et sans micro m\u2019\u00e9tonne encore. Ainsi, on conna\u00eet les gens depuis des ann\u00e9es et il suffit d\u2019une sorte d\u2019entre-deux atmosph\u00e9rique pour les red\u00e9couvrir dans une \u00e9claircie. L\u2019orgue de Barbarie d\u00e9bitait sa musique de jazz et eux chantaient, clamaient, d\u00e9clamaient, et nous, spectateurs, battions tr\u00e8s sinc\u00e8rement des mains. Cela me fait penser \u00e0 ces c\u00e9r\u00e9monies o\u00f9 les danseurs s\u2019affublent de costumes et de masques, incarnent un personnage mythique et, au bout du compte, le deviennent. Ils le deviennent parce qu\u2019\u00e0 cet instant pr\u00e9cis, nous ne disposons d\u2019aucune preuve tangible pour nous assurer qu\u2019ils ne le sont pas. La lumi\u00e8re d\u00e9clina doucement, d\u2019autres lueurs artificielles prirent le relais, le spectacle battait son plein quand un ange tendit une plume \u00e0 un de mes amis qui semblait passer par l\u00e0 par hasard. \u00ab Si tu trouves quelqu\u2019un qui croit \u00e0 ton histoire, alors le monde entier ne sera plus jamais triste \u00bb, disait le texte, et aussi bien s\u00fbr si l\u2019on accepte le fait qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019une plume d\u2019ange. J\u2019avais pr\u00eat\u00e9 mon sweat \u00e0 P qui \u00e9tait venue ici bras nus. Je l\u2019ai vue repartir seule un peu plus tard, elle avait une bonne avance, peut-\u00eatre deux ou trois cents m\u00e8tres et, en la voyant marcher dans les rues en pente, elle ne se r\u00e9duirait bient\u00f4t plus qu\u2019\u00e0 une petite t\u00e2che claire, sautillante, et j\u2019ai eu comme un flash, une poup\u00e9e caboss\u00e9e, presque d\u00e9sarticul\u00e9e. Le bleu de la nuit l\u2019avala vers la rue Sainte-Catherine, tandis que nous obliquions vers les quais. Le fleuve flamboyait, Fourvi\u00e8re, ocre, blanche, dor\u00e9e, en imposait sur la colline de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rive. Des types passaient avec des bagnoles hors de prix toutes vitres ouvertes musique \u00e0 fond, agressifs. Au volant, j\u2019ai mis les \u00e9couteurs pour ne rien louper de la proposition.d\u2019\u00e9criture de ce jour. Je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019\u00e9change machinalement des messages avec les autres automobilistes. Pleins phares, feux de croisement, pleins phares, certains jouent le jeu, d\u2019autres non. J\u2019ai ouvert la porte-fen\u00eatre qui donne sur la cour, je cherche la chatte. Il a d\u00fb bien pleuvoir car le carrelage est bien mouill\u00e9. Pas de chatte. J\u2019ai \u00e9teint la lumi\u00e8re de la hotte, j\u2019ai attendu que mes yeux s\u2019habituent \u00e0 l\u2019obscurit\u00e9 puis je suis mont\u00e9. Je suis rest\u00e9 assis sur mon fauteuil quelques instants. La maison \u00e9tait silencieuse. J\u2019ai encore attendu un peu pour voir si je n\u2019entendais pas la chatte miauler dans la cour ou sur un toit. Comme il ne se passait rien, j\u2019ai appuy\u00e9 sur la touche Entr\u00e9e du clavier, l\u2019\u00e9cran de connexion est apparu avec son fond sombre, j\u2019ai entr\u00e9 mon mot de passe et la luminosit\u00e9 de l\u2019\u00e9cran m\u2019a jailli au visage comme quand on sort du ventre de sa m\u00e8re, cette solitude-l\u00e0\u2026 \u2026le mercredi soir on rentrait fourbu. Les autres jours aussi mais on aurait pu lui faire avouer sans difficult\u00e9 qu\u2019aucun n\u2019\u00e9tait de taille avec le mercredi soir. Le mercredi soir \u00e9tait un gros diamant brut. Il fallait se dire pour se sentir de taille, que l\u2019on \u00e9tait suffisamment fort, il fallait ajouter souvent les mots grand, invincible, en pleine possession de la totalit\u00e9 de ses moyens, sinon \u00e7a n\u2019aurait jamais pu suffire. On se serait effrit\u00e9, on n\u2019aurait pas tenu, le mercredi soir aurait tr\u00e8s bien pu nous laisser sur le carreau, nous an\u00e9antir, il suffisait d\u2019y penser le jeudi, \u00e0 rebours, ou bien le mardi d\u2019avance pour que l\u2019on sente tous les pores de l\u2019\u00e9piderme fr\u00e9mir. Les pores de l\u2019\u00e9piderme sont tr\u00e9s r\u00e9actifs \u00e0 l\u2019imagination, comme au souvenir. \u2026Il aurait voulu certainement dire\u00bb quelque chose de cette fatigue inou\u00efe s\u2019il n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9 fourbu. Il se serait dit \u00e0 lui m\u00eame de nombreuses choses pour lutter contre cette puissante fatigue. Il aurait fait comme sh\u00e9razade face au sultan, il se serait racont\u00e9 pas mal de petites histoires \u00e0 dormir debout pour pas que la fatigue l\u2019annule, le biffe, le balance \u00e0 la d\u00e9charge, le pi\u00e9tine, l\u2019\u00e9touffe, le tue. Il r\u00e9sistait assez bien les autres jours, le mardi un peu moins en pr\u00e9vision du lendemain, et le surlendemain en raison des terreurs de la veille. \u2026 Il se demandait si cette maison \u00e9tait \u00e0 lui, il en poss\u00e9dait une clef mais \u00e7a ne voulait rien dire. On pouvait tout \u00e0 fait avoir une clef et avec cette clef ouvrir une porte, rien ne stipulait qu\u2019au del\u00e0 de cette porte on pouvait \u00eatre tranquille, s\u2019imaginer des p\u00e9nates, \u00eatre enfin tranquille. Enfin on lui avait fourni une clef et aussi l\u2019illusion d\u2019un chez soi. Presque tous jours de la semaine il pouvait s\u2019en donner \u00e0 coeur joie, seule la fatigue du mercredi soir le faisait douter. ..il se racontait des histoires pour ne pas p\u00e9n\u00e9trer de plain-pied dans l\u2019effroi ou la d\u00e9sesp\u00e9rance. Ce soir l\u00e0 il aurait assist\u00e9 \u00e0 un spectacle, ce n\u2019\u00e9tait pas un mercredi soir, c\u2019est ce dont il se souvenait soudain en traversant la cuisine dans l\u2019obscurit\u00e9. On aurait pu dire quelque chose du spectacle pour passer le temps, passer un cap, temporiser un peu. Mais on s\u2019\u00e9tait abstenu. On s\u2019\u00e9tait contraint. Bien que fatigu\u00e9 il restait encore en soi un peu de ce c\u00f4t\u00e9 bravache. Tu es un bonhomme ou quoi ? \u2026la musique de l\u2019orgue de Barbarie continuait \u00e0 jouer dans son sang, mais il ne dansait pas pour autant. Il s\u2019accrocha un instant \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019une tranche de jambon qui le l\u00e2cha sans crier gare. \u2026 il ne voulait pas trop rapidement c\u00e9der \u00e0 la fatigue, d\u2019accord on \u00e9tait mercredi soi, d\u2019accord c\u2019\u00e9tait le pli qu\u2019il avait pris, il en \u00e9tait froiss\u00e9 un peu de s\u2019en apercevoir. A quel point on subit les habitudes que l\u2019on s\u2019invente, a quel point la bave sort des babines sit\u00f4t prononc\u00e9 le mot tranche, le mot jambon, \u00e0 grand flot quand c\u2019est toute la locution. Il r\u00e9solu d\u2019attraper un tabouret et de s\u2019assoir pour observer sa fatigue, laissant la porte du frigo close, il tenta m\u00eame de changer la chronologie de la semaine, apr\u00e8s tout on aurait tr\u00e8s bien pu \u00eatre dimanche soir. \u00e7a changerait quoi. \u2026 les autres habitants ne l\u2019accepteraient pas. Ils insisteraient. Le mercredi n\u2019est pas un dimanche. Les autres habitants avaient des r\u00e8gles strictes. C\u2019\u00e9tait comme \u00e7a, on avait du mal \u00e0 imaginer qu\u2019on puisse les changer. C\u2019\u00e9tait aussi difficile de penser qu\u2019on puisse changer les r\u00e8gles ici que d\u2019imaginer que les riches paient plus d\u2019imp\u00f4ts pour une meilleure justice sociale. C\u2019\u00e9tait difficile mais si on voulait se laisser une petite chance que les choses changent, il fallait s\u2019asseoir pos\u00e9ment sur ce tabouret. Et ne pas lacher la fatigue du mercredi soir de l\u2019oeil. \u2026 Que les grandes entreprises versent 25 % de leurs revenus \u00e0 la collectivit\u00e9 \u00e9tait-ce si saugrenu tout autant. On pouvait rester encore un peu assit l\u00e0 en pleine fatigue \u00e0 se le demander. Et \u00e0 peser le pour et le contre sur tous les mensonges que l\u2019on n\u2019avait cess\u00e9 de nous raconter sur le sujet. \u2026 s\u2019ils partent, on les fera payer pareil. Vous savez les am\u00e9ricains, s\u2019ils sont n\u00e9s aux Am\u00e9riques, et qu\u2019ils partent une semaine apr\u00e8s, c\u2019est toute leur vie qu\u2019ils paient le fait d\u2019\u00eatre am\u00e9ricains au fisc am\u00e9ricain. \u2026 et l\u2019on cherchait \u00e0 r\u00e9siter, sp\u00e9cialement le mercredi soir, c\u2019\u00e9tait une sorte de jeu, comme d\u2019autres vont le soir au th\u00e9\u00e2tre au cin\u00e9ma, au bordel, se pendre, on pouvait passer le reste de la soir\u00e9e le cul sur ce tabouret, \u00e0 se demander, \u00e0 r\u00e9sister. Jusqu\u2019au moment ou non on ne pouvait plus rien faire, plus rien dire. Jusqu\u2019au moment o\u00f9 l\u2019on se disait demain est un autre jour, il faut aller se coucher.",
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"title": "04 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-05T08:07:26Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Chaque jour un petit \u00e9branlement, quelque chose s\u2019\u00e9rode. Au d\u00e9but on accueille la nouvelle avec chagrin, on cherche \u00e0 s\u2019accrocher. Fabrique de la nostalgie. On s\u2019embourbe. Une distance se creuse. Un \u00e9cart. Cela peut prendre un certain temps avant qu\u2019on ne change de point de vue. Est-ce du temps perdu ? Y a t\u2019il vraiment du temps \u00e0 perdre, du temps \u00e0 gagner ?Le grand effroi provoqu\u00e9 par la nouvelle que le saint-homme put-\u00eatre dans le m\u00eame temps un satyre pourrait bien avoir quelque chose de risible.Ce rire l\u00e0 est terrible, il appartient encore \u00e0 l\u2019\u00e9cart. Et en m\u00eame temps sans l\u2019\u00e9cart comment voir ?Ceux qui manipulent la pens\u00e9e ont tout avantage de nos tristesses, de nos d\u00e9couragements, mais il ne peuvent rien contre ce rire. Ce rire dans lequel nous perdons toutes nos illusions comme nos chaines.<\/p>\n Le 31 juillet je relis \u00e7a, comment le raccrocher \u00e0 la fatigue, \u00e0 la continuit\u00e9 de cette fatigue, au flux incessant de toute fatigue. C\u2019est que le sentiment de culpabilit\u00e9, de honte, de regret, de remord, encore bien pr\u00e9sent m\u2019emp\u00e8che. Un sentiment m\u2019emp\u00e8che toujours. Peut-\u00eatre est-ce une cause possible de vouloir rester sans coeur. En m\u00eame temps qu\u2019on ne le peut. On voudrait d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et de l\u2019autre \u00e7a r\u00e9siste. Il y a donc bien une ou plusieurs formes antagonistes ici, une figure. Une gueule cass\u00e9e. Ce qui me ram\u00e8ne en 14. A la fr\u00e9quentation de tous ces vieillards qui vivent autour de moi, partis cette ann\u00e9e l\u00e0 fleur au fusil. Les boches feraient pas long feu, on reviendrait vite, \u00e0 temps pour les r\u00e9coltes. Dans quel \u00e9tat ils sont revenus, il fallait voir, et encore \u00e0 mon \u00e2ge je ne voyais pas tout, seulement l\u2019absence de bras, de jambes, les difficult\u00e9s respiratoires, la fatigue \u00e9crite en lettres grasses sur leurs visages. Ils en avaient eu pour leur fatigue. Ils avaient \u00e9puis\u00e9 les vieux concepts de vaillance d\u2019h\u00e9ro\u00efsme, d\u2019endurance, de r\u00e9p\u00e9tition, ils en \u00e9taient revenus secs comme des coups de trique, d\u00e9ssech\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 la moelle, avec des regards vitreux. Ce qui n\u2019a pas emp\u00each\u00e9 que quelques vingt-ans apr\u00e8s \u00e7a recommence, ainsi la der des der n\u2019aura pas \u00e9t\u00e9 la derni\u00e8re, il leur en fallait toujours d\u2019autres, toujours plus, et c\u2019est encore loin de se terminer au jour d\u2019aujourd\u2019hui. Quelle honte pour l\u2019humanit\u00e9. Ce sont des guerres que l\u2019on devrait r\u00e9soudre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur qui sont ainsi projet\u00e9 vers l\u2019ext\u00e9rieur. A cause de la fatigue, c\u2019est forc\u00e9ment encore elle la responsable, \u00e7a se voit maintenant comme un nez au milieu de la figure. La fatigue du capitalisme quand il n\u2019a plus d\u2019autre issue que la guerre. Parce qu\u2019il se refuse \u00e0 toute autre possibilit\u00e9, il sent qu\u2019il risque de trop y perdre, de ne plus se reconna\u00eetre. En revanche la r\u00e9p\u00e9tition fait qu\u2019on les reconna\u00eet bien ceux qui tirent les ficelles, on les voit avec une \u00e9blouissante clart\u00e9. Sauf que je me suis entra\u00een\u00e9 de longue date, je sais voir le soleil en face sans \u00eatre perturb\u00e9, sans me laisser intimider, sans me soumettre.<\/p>\n Tu essaies de te donner un peu de coeur \u00e0 l\u2019ouvrage mais dans le fond est-ce que tu y crois vraiment, n\u2019as tu pas d\u00e9j\u00e0 d\u00e9passer les bornes de ta fatigue, tu essaies encore de te d\u00e9battre dans quelque chose, regardez tout le remblai que j\u2019en sors, regardez-moi \u00e7a, comme j\u2019ai creus\u00e9 profond la terre, comme j\u2019en ai une paire, comme\u2026<\/p>\n C\u2019est possible, tu as peut-\u00eatre raison, j\u2019ai peut-\u00eatre encore besoin d\u2019une bougie de pr\u00e9chauffe, je suis du genre diesel, finalement il faut bien que je l\u2019admette. j\u2019aurais cette tendance tr\u00e8s 19 \u00e8me \u00e0 tenter de flanquer des pellet\u00e9es de charbon dans la chaudi\u00e8re, de faire chauffer la locomotive. Alors que l\u2019\u00e8re du feu est r\u00e9volue l\u2019ardeur est r\u00e9volue. Nous voici parvenus dans d\u2019autres fatigues, dans l\u2019\u00e8re du bug, du fps, de la ram, la fatigue li\u00e9e \u00e0 l\u2019obsolescence des cdroms et des ordinateurs, autre mani\u00e8re de classer les fatigues, si tu n\u2019es pas riches tu n\u2019as pas assez de puissance de calcul, pas assez de m\u00e9moire vive, pas de Mac, pas de keyboard gamer. Tu es encore en retrait par rapport \u00e0 cette modernit\u00e9 de la fatigue, celle aussi des fils d\u2019actualit\u00e9 des reseaux sociaux. Tu t\u2019es laiss\u00e9 entra\u00eener par le mouvement c\u2019est vrai, mais jusqu\u2019\u00e0 un certain point, est-ce l\u2019\u00e2ge, une certaine forme de sagesse, de lucidit\u00e9, la fatigue qui t\u2019a fait te d\u00e9connecter de ce monde si fatiguant \u00e0 force de bavardages, \u00e0 force d\u2019\u00eatre r\u00e9solument virtuel et factice.<\/p>\n Est-ce que parfois tu ne regrettes pas un peu de participer au mouvement g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n Oui cela m\u2019arrive, comme il m\u2019arrive aussi parfois d\u2019avoir envie de fumer encore une cigarette ; Mais je me suis invent\u00e9 une strat\u00e9gie pour lutter contre cette hypnose de l\u2019envie. Le mot TAXE surgit presque aussit\u00f4t et le d\u00e9go\u00fbt qui l\u2019accompagne.<\/p>\n Il faudrait encore ralentir. Je le sens, \u00e7a va encore bien trop vite. Peut-\u00eatre que le fait de relire chaque phrase, d\u2019\u00e9tudier les mots de chaque phrase et d\u2019attendre un peu avant la suivante, pourrait m\u2019aider, s\u2019enfoncer dans ce lieu encore plus que repr\u00e9sente la phrase o\u00f9 son recoin, le mot. D\u2019o\u00f9 une compr\u00e9hension plus claire de ce dont ne cesse de parler F. Comment une fiction peut d\u00e9passer la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 force de pr\u00e9cision, de d\u00e9tails, non pas pour d\u00e9crire mais pour submerger quelque chose en soi, chez le lecteur, pour lui faire toucher du doigt toute l\u2019ambiguit\u00e9 qui ne cesse de r\u00e9sider entre la chose en soi, la chose vue depuis le dehors, depuis le dedans, et au bout du compte sa disparition presque quasi totale \u00e0 la fin. Comme lorsqu\u2019on on pense avoir aper\u00e7u un \u00e9clair dans le lointain, la nuit, alors qu\u2019au dessus de soi, aucun nuage n\u2019est visible.<\/p>\n 2 aout 5:51. Je relis et il faut encore que j\u2019en rajoute. Pour aller jusqu\u2019au bout d\u2019un autre genre de fatigue, la fatigue du don. Je me souviens, d\u00e9j\u00e0 enfant, ce n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 jamais assez, m\u00eame apr\u00e8s avoir donn\u00e9 ma chemise, je crois que la pens\u00e9e de donner ma peau, ma chair, mes os continuait \u00e0 me hanter ainsi que cet obstacle, l\u2019impossibilit\u00e9 de le faire, comme si ce n\u2019\u00e9tait jamais assez, jamais suffisant, comme un d\u00e9faut d\u2019accomodement de ce que signifient vraiment les mots \u00e9change, valeur, prix \u00e0 payer, marchandise, amiti\u00e9, amour. Comme si tout \u00e9tait finalement d\u00e9j\u00e0 per\u00e7u comme marchandise, tr\u00e8s t\u00f4t, pr\u00e9cocement. Si j\u2019avais pu alors me d\u00e9barrasser de moi dans le prix d\u2019un \u00e9change, si j\u2019en avais eu la moindre possibilit\u00e9, je n\u2019aurais alors pas h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 le faire. En contrepartie qu\u2019on m\u2019aime un tout petit peu, pas grand chose, une parole vraie, que je sentirais au moment o\u00f9 elle serait prononc\u00e9e indubitable, irr\u00e9vocable, ou un geste. Or tout n\u2019\u00e9tait jamais empreint que de fausset\u00e9, quelque chose m\u2019en avertissait presque simultan\u00e9ment, malgr\u00e9 tout mon d\u00e9sir, tout mon allant, toute ma volont\u00e9 de m\u2019illusionner, \u00e0 inventer des merveilles. L\u2019horrible, l\u2019effrayant, le d\u00e9cevant arrivait ventre \u00e0 terre dans cette simultan\u00e9it\u00e9 de l\u2019\u00e9change. Peut-\u00eatre parce que justement ce n\u2019\u00e9tait jamais autre chose que de l\u2019\u00e9change. De l\u00e0 est-il honn\u00eate de penser que, soixante ans plus tard je sois aussi cr\u00e9v\u00e9 par toute notion d\u2019\u00e9change, bien possible. Et surtout interesse toi \u00e0 la mani\u00e8re dont tu r\u00e8gle le probl\u00e8me de cette fatigue l\u00e0, par le don, par tout le d\u00e9versement d\u2019encre ( virtuel puisqu\u2019il ne s\u2019agit plus que d\u2019une sorte de bruit num\u00e9rique) chaque matin.<\/p>\n Illustration recto verso carte postale appartenant \u00e0 la famille ( 1910)<\/p>",
"content_text": " Chaque jour un petit \u00e9branlement, quelque chose s\u2019\u00e9rode. Au d\u00e9but on accueille la nouvelle avec chagrin, on cherche \u00e0 s\u2019accrocher. Fabrique de la nostalgie. On s\u2019embourbe. Une distance se creuse. Un \u00e9cart. Cela peut prendre un certain temps avant qu\u2019on ne change de point de vue. Est-ce du temps perdu ? Y a t\u2019il vraiment du temps \u00e0 perdre, du temps \u00e0 gagner ?Le grand effroi provoqu\u00e9 par la nouvelle que le saint-homme put-\u00eatre dans le m\u00eame temps un satyre pourrait bien avoir quelque chose de risible.Ce rire l\u00e0 est terrible, il appartient encore \u00e0 l\u2019\u00e9cart. Et en m\u00eame temps sans l\u2019\u00e9cart comment voir ?Ceux qui manipulent la pens\u00e9e ont tout avantage de nos tristesses, de nos d\u00e9couragements, mais il ne peuvent rien contre ce rire. Ce rire dans lequel nous perdons toutes nos illusions comme nos chaines. Le 31 juillet je relis \u00e7a, comment le raccrocher \u00e0 la fatigue, \u00e0 la continuit\u00e9 de cette fatigue, au flux incessant de toute fatigue. C\u2019est que le sentiment de culpabilit\u00e9, de honte, de regret, de remord, encore bien pr\u00e9sent m\u2019emp\u00e8che. Un sentiment m\u2019emp\u00e8che toujours. Peut-\u00eatre est-ce une cause possible de vouloir rester sans coeur. En m\u00eame temps qu\u2019on ne le peut. On voudrait d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et de l\u2019autre \u00e7a r\u00e9siste. Il y a donc bien une ou plusieurs formes antagonistes ici, une figure. Une gueule cass\u00e9e. Ce qui me ram\u00e8ne en 14. A la fr\u00e9quentation de tous ces vieillards qui vivent autour de moi, partis cette ann\u00e9e l\u00e0 fleur au fusil. Les boches feraient pas long feu, on reviendrait vite, \u00e0 temps pour les r\u00e9coltes. Dans quel \u00e9tat ils sont revenus, il fallait voir, et encore \u00e0 mon \u00e2ge je ne voyais pas tout, seulement l\u2019absence de bras, de jambes, les difficult\u00e9s respiratoires, la fatigue \u00e9crite en lettres grasses sur leurs visages. Ils en avaient eu pour leur fatigue. Ils avaient \u00e9puis\u00e9 les vieux concepts de vaillance d\u2019h\u00e9ro\u00efsme, d\u2019endurance, de r\u00e9p\u00e9tition, ils en \u00e9taient revenus secs comme des coups de trique, d\u00e9ssech\u00e9s jusqu\u2019\u00e0 la moelle, avec des regards vitreux. Ce qui n\u2019a pas emp\u00each\u00e9 que quelques vingt-ans apr\u00e8s \u00e7a recommence, ainsi la der des der n\u2019aura pas \u00e9t\u00e9 la derni\u00e8re, il leur en fallait toujours d\u2019autres, toujours plus, et c\u2019est encore loin de se terminer au jour d\u2019aujourd\u2019hui. Quelle honte pour l\u2019humanit\u00e9. Ce sont des guerres que l\u2019on devrait r\u00e9soudre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur qui sont ainsi projet\u00e9 vers l\u2019ext\u00e9rieur. A cause de la fatigue, c\u2019est forc\u00e9ment encore elle la responsable, \u00e7a se voit maintenant comme un nez au milieu de la figure. La fatigue du capitalisme quand il n\u2019a plus d\u2019autre issue que la guerre. Parce qu\u2019il se refuse \u00e0 toute autre possibilit\u00e9, il sent qu\u2019il risque de trop y perdre, de ne plus se reconna\u00eetre. En revanche la r\u00e9p\u00e9tition fait qu\u2019on les reconna\u00eet bien ceux qui tirent les ficelles, on les voit avec une \u00e9blouissante clart\u00e9. Sauf que je me suis entra\u00een\u00e9 de longue date, je sais voir le soleil en face sans \u00eatre perturb\u00e9, sans me laisser intimider, sans me soumettre. Tu essaies de te donner un peu de coeur \u00e0 l\u2019ouvrage mais dans le fond est-ce que tu y crois vraiment, n\u2019as tu pas d\u00e9j\u00e0 d\u00e9passer les bornes de ta fatigue, tu essaies encore de te d\u00e9battre dans quelque chose, regardez tout le remblai que j\u2019en sors, regardez-moi \u00e7a, comme j\u2019ai creus\u00e9 profond la terre, comme j\u2019en ai une paire, comme\u2026 C\u2019est possible, tu as peut-\u00eatre raison, j\u2019ai peut-\u00eatre encore besoin d\u2019une bougie de pr\u00e9chauffe, je suis du genre diesel, finalement il faut bien que je l\u2019admette. j\u2019aurais cette tendance tr\u00e8s 19 \u00e8me \u00e0 tenter de flanquer des pellet\u00e9es de charbon dans la chaudi\u00e8re, de faire chauffer la locomotive. Alors que l\u2019\u00e8re du feu est r\u00e9volue l\u2019ardeur est r\u00e9volue. Nous voici parvenus dans d\u2019autres fatigues, dans l\u2019\u00e8re du bug, du fps, de la ram, la fatigue li\u00e9e \u00e0 l\u2019obsolescence des cdroms et des ordinateurs, autre mani\u00e8re de classer les fatigues, si tu n\u2019es pas riches tu n\u2019as pas assez de puissance de calcul, pas assez de m\u00e9moire vive, pas de Mac, pas de keyboard gamer. Tu es encore en retrait par rapport \u00e0 cette modernit\u00e9 de la fatigue, celle aussi des fils d\u2019actualit\u00e9 des reseaux sociaux. Tu t\u2019es laiss\u00e9 entra\u00eener par le mouvement c\u2019est vrai, mais jusqu\u2019\u00e0 un certain point, est-ce l\u2019\u00e2ge, une certaine forme de sagesse, de lucidit\u00e9, la fatigue qui t\u2019a fait te d\u00e9connecter de ce monde si fatiguant \u00e0 force de bavardages, \u00e0 force d\u2019\u00eatre r\u00e9solument virtuel et factice. Est-ce que parfois tu ne regrettes pas un peu de participer au mouvement g\u00e9n\u00e9ral. Oui cela m\u2019arrive, comme il m\u2019arrive aussi parfois d\u2019avoir envie de fumer encore une cigarette; Mais je me suis invent\u00e9 une strat\u00e9gie pour lutter contre cette hypnose de l\u2019envie. Le mot TAXE surgit presque aussit\u00f4t et le d\u00e9go\u00fbt qui l\u2019accompagne. Il faudrait encore ralentir. Je le sens, \u00e7a va encore bien trop vite. Peut-\u00eatre que le fait de relire chaque phrase, d\u2019\u00e9tudier les mots de chaque phrase et d\u2019attendre un peu avant la suivante, pourrait m\u2019aider, s\u2019enfoncer dans ce lieu encore plus que repr\u00e9sente la phrase o\u00f9 son recoin, le mot. D\u2019o\u00f9 une compr\u00e9hension plus claire de ce dont ne cesse de parler F. Comment une fiction peut d\u00e9passer la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 force de pr\u00e9cision, de d\u00e9tails, non pas pour d\u00e9crire mais pour submerger quelque chose en soi, chez le lecteur, pour lui faire toucher du doigt toute l\u2019ambiguit\u00e9 qui ne cesse de r\u00e9sider entre la chose en soi, la chose vue depuis le dehors, depuis le dedans, et au bout du compte sa disparition presque quasi totale \u00e0 la fin. Comme lorsqu\u2019on on pense avoir aper\u00e7u un \u00e9clair dans le lointain, la nuit, alors qu\u2019au dessus de soi, aucun nuage n\u2019est visible. 2 aout 5:51. Je relis et il faut encore que j\u2019en rajoute. Pour aller jusqu\u2019au bout d\u2019un autre genre de fatigue, la fatigue du don. Je me souviens, d\u00e9j\u00e0 enfant, ce n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 jamais assez, m\u00eame apr\u00e8s avoir donn\u00e9 ma chemise, je crois que la pens\u00e9e de donner ma peau, ma chair, mes os continuait \u00e0 me hanter ainsi que cet obstacle, l\u2019impossibilit\u00e9 de le faire, comme si ce n\u2019\u00e9tait jamais assez, jamais suffisant, comme un d\u00e9faut d\u2019accomodement de ce que signifient vraiment les mots \u00e9change, valeur, prix \u00e0 payer, marchandise, amiti\u00e9, amour. Comme si tout \u00e9tait finalement d\u00e9j\u00e0 per\u00e7u comme marchandise, tr\u00e8s t\u00f4t, pr\u00e9cocement. Si j\u2019avais pu alors me d\u00e9barrasser de moi dans le prix d\u2019un \u00e9change, si j\u2019en avais eu la moindre possibilit\u00e9, je n\u2019aurais alors pas h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 le faire. En contrepartie qu\u2019on m\u2019aime un tout petit peu, pas grand chose, une parole vraie, que je sentirais au moment o\u00f9 elle serait prononc\u00e9e indubitable, irr\u00e9vocable, ou un geste. Or tout n\u2019\u00e9tait jamais empreint que de fausset\u00e9, quelque chose m\u2019en avertissait presque simultan\u00e9ment, malgr\u00e9 tout mon d\u00e9sir, tout mon allant, toute ma volont\u00e9 de m\u2019illusionner, \u00e0 inventer des merveilles. L\u2019horrible, l\u2019effrayant, le d\u00e9cevant arrivait ventre \u00e0 terre dans cette simultan\u00e9it\u00e9 de l\u2019\u00e9change. Peut-\u00eatre parce que justement ce n\u2019\u00e9tait jamais autre chose que de l\u2019\u00e9change. De l\u00e0 est-il honn\u00eate de penser que, soixante ans plus tard je sois aussi cr\u00e9v\u00e9 par toute notion d\u2019\u00e9change, bien possible. Et surtout interesse toi \u00e0 la mani\u00e8re dont tu r\u00e8gle le probl\u00e8me de cette fatigue l\u00e0, par le don, par tout le d\u00e9versement d\u2019encre ( virtuel puisqu\u2019il ne s\u2019agit plus que d\u2019une sorte de bruit num\u00e9rique) chaque matin. Illustration recto verso carte postale appartenant \u00e0 la famille ( 1910) ",
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"title": "03 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-05T08:02:25Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Un homme qui ne tient pas compte de la fatigue, de l\u2019exp\u00e9rience, qui chaque matin remet son ouvrage sur le m\u00e9tier, chasse son d\u00e9go\u00fbt, le d\u00e9busque et, au moment de l\u2019achever, lui fait gr\u00e2ce.<\/p>\n Un homme qui fuit toute id\u00e9e de projet. Dont l\u2019unique combat est de r\u00e9duire tout projet \u00e0 n\u00e9ant. Puis, soudain, il examine le ressort de ce combat, de cette pr\u00e9tendue n\u00e9cessit\u00e9, et croise le regard de la Gorgone. Pas de bouclier pour lui renvoyer son reflet. P\u00e9trification en statue. Il devient un roc anonyme parmi les monts alentour, une \u00eele dans un archipel.<\/p>\n Un homme qui ne veut pas avoir de projet ni de m\u00e9thode parce qu\u2019il croit \u00eatre un arbre. Parce qu\u2019il croit en la patience. Parce qu\u2019un pommier ne donne pas des poires. Parce que la vie est l\u00e0 avant lui, qu\u2019elle sera l\u00e0 apr\u00e8s lui, parce que c\u2019est la seule \u00e9vidence qu\u2019il a trouv\u00e9e.<\/p>\n Je ne me souviens plus de la date exacte \u00e0 laquelle j\u2019ai \u00e9crit \u00e7a. Avant que je ne focalise mes sens et mes pens\u00e9es sur cette fatigue, curieux de retomber dessus. \u00c7a y est, \u00e7a me revient, c\u2019est ma r\u00e9ponse \u00e0 une proposition d\u2019\u00e9criture de l\u2019atelier, mais il me semble que d\u2019avoir p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 si loin hier dans la fatigue, dans la lecture de son histoire \u00e0 travers les \u00e2ges notamment, agit sur certains crit\u00e8res habituels avec lesquels on fabrique de la proximit\u00e9 ou de la distance avec ses propres actes, ses propres pens\u00e9es. (Comme c\u2019est lourd et fatigant \u00e0 \u00e9crire cette phrase.) Comment faire en peu de mots, par \u00e9conomie, parcimonie m\u00eame, tout autant sinon mieux ? Voil\u00e0 aussi une vertu que je pourrais attribuer \u00e0 cette fatigue. En faire moins mais mieux \u2013 encore que le mieux soit l\u2019ennemi du bien, comme on me l\u2019a tant rab\u00e2ch\u00e9. Hier soir, j\u2019ai \u00e9cout\u00e9 la proposition 32, j\u2019avais pris un demi Dodormil et je me suis dit qu\u2019en \u00e9coutant F., non pas le sommeil mais une r\u00eaverie propice \u00e0 l\u2019\u00e9laboration d\u2019un texte ad\u00e9quat surgirait le lendemain. C\u2019est une m\u00e9thode. Bon, au matin pas de miracle, il faut seulement retrousser les manches et se mettre au clavier. Sauf que j\u2019ouvre mon WordPress, je me demande ce que j\u2019avais pr\u00e9vu d\u2019envoyer aux lions pour cette journ\u00e9e et je tombe sur ces trois paragraphes \u00e0 la limite du sibyllin. J\u2019en ai d\u2019abord honte, chez moi la fatigue et la honte semblent entretenir des liens tr\u00e8s intimes. Cela vient du fait que l\u2019on m\u2019a enfonc\u00e9 dans le cr\u00e2ne qu\u2019il fallait \u00e0 tout prix, et j\u2019insiste sur le « \u00e0 tout prix », \u00eatre fier de soi. Au moins sur son lit de mort, pour ne rien avoir \u00e0 regretter, partir l\u00e9ger, l\u2019\u00e2me en paix. Ce qui est troublant, c\u2019est la relation insidieusement install\u00e9e entre le prix de cette fiert\u00e9 et la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 de la satisfaction finale. Comme s\u2019il fallait \u0153uvrer, se d\u00e9mener sang et eau pour « m\u00e9riter » sa mort. Ou tout du moins une mort acceptable, d\u2019autant plus ais\u00e9ment qu\u2019elle ne le serait si on n\u2019avait pas fait tous ces efforts, montr\u00e9 de la t\u00e9nacit\u00e9 dans l\u2019effort, de l\u2019allant et de la vigueur dans la bataille, et bien entendu une mar\u00e9e de cadavres jonchant le sol, occis de notre propre main. Cela ne m\u2019a jamais \u00e9mu, ni attir\u00e9. Sauf peut-\u00eatre, comme la plupart des enfants, quelques vell\u00e9it\u00e9s de ressemblance avec Thierry la Fronde, Zorro, ou Joss Randall. Mais vite balay\u00e9es ensuite, du moins le croit-on, l\u2019esp\u00e8re-t-on. Ce qui s\u2019av\u00e9rera faux avec le temps car l\u2019\u00e9ducation subie n\u2019est pas de la cat\u00e9gorie des sous-v\u00eatements que l\u2019on change au quotidien. Dr\u00f4le que je parle de sous-v\u00eatements pour exprimer la possibilit\u00e9 de changer de point de vue sur cette \u00e9ducation. Est-ce que le fait de ne pas vouloir changer de slip rel\u00e8verait d\u2019une sorte d\u2019endurance \u00e0 subir les assauts de la salet\u00e9, \u00e0 lutter contre la fatigue occasionn\u00e9e par les diverses hontes \u00e0 combattre en secret, \u00e0 s\u2019entra\u00eener \u00e0 la pr\u00e9sence de la souillure pour ne pas se laisser entra\u00eener vers une id\u00e9e totalement odieuse de propret\u00e9 ?<\/p>\n Car des gens propres commettant des crimes en plein jour, j\u2019en vis beaucoup. J\u2019en vois encore, et ce n\u2019est pas quand je fermerai les yeux qu\u2019ils dispara\u00eetront. Ce qui ne signifie pas pour autant qu\u2019il faille avoir le cul sale pour \u00eatre un brave homme, \u00e9videmment, pas de conclusion trop h\u00e2tive.<\/p>\n Je n\u2019\u00e9lude pas compl\u00e8tement l\u2019id\u00e9e de r\u00e9pondre \u00e0 la proposition 32. Je la conserve dans un coin de ma t\u00eate ; combien de temps vais-je ainsi la conserver, puis certainement l\u2019oublier. Car c\u2019est ainsi que les choses se passent, je l\u2019ai souvent observ\u00e9 : on veut remettre \u00e0 plus tard, au lendemain, au jour suivant, et \u00e7a ne se fait au final jamais. Mais je n\u2019ai pas non plus envie de me jeter t\u00eate en avant dans la r\u00e9daction de cette proposition 32. En fait, je constate aussit\u00f4t que je veux y penser que je n\u2019ai pas d\u2019appui, que cette vid\u00e9o est tr\u00e8s bien d\u2019accord, bravo \u00e0 David Foster Wallace, bravo \u00e0 F. Mais moi, je n\u2019ai plus du tout cette acuit\u00e9 du regard, je ne dispose plus du tout du m\u00eame entrain \u00e0 faire confiance \u00e0 la m\u00e9moire, au sens du d\u00e9tail, et pas non plus tr\u00e8s fan de l\u2019ironie avec quoi le texte est \u00e9crit. Mais c\u2019est parce que j\u2019ai fait le tour en moi de l\u2019ironie, de la m\u00e9moire, de l\u2019entrain, de leur ressort. J\u2019en suis profond\u00e9ment fatigu\u00e9.<\/p>\n Prenons par exemple un quartier, lequel choisir ? Si c\u2019\u00e9tait Paris, j\u2019ai v\u00e9cu \u00e0 peu pr\u00e8s dans tous les arrondissements de cette ville, mais est-ce que j\u2019en ai v\u00e9ritablement conserv\u00e9 quoi que ce soit, ai-je \u00e0 ma disposition suffisamment de d\u00e9tails, d\u2019anecdotes, d\u2019\u00e9l\u00e9ments significatifs pour \u00e9voquer tel ou tel quartier de la ville ? Non, la v\u00e9rit\u00e9 est que non. Tout ce que j\u2019\u00e9crirais \u00e0 ce propos ne serait pas autre chose qu\u2019une fiction. La fiction me fatigue quand elle veut se faire passer pour la r\u00e9alit\u00e9, et vice versa \u00e9galement. Voil\u00e0 un centre de cette fatigue, l\u2019impossibilit\u00e9 de choisir entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction. Il en r\u00e9sulte cet \u00e9tat de sid\u00e9ration, une immobilit\u00e9, une attente toxique, mais qui \u00e0 force de s\u2019y exercer permet d\u2019une certaine fa\u00e7on de fabriquer seul un antidote, si toutefois dans la plus grande sinc\u00e9rit\u00e9 que je peux je l\u2019\u00e9cris.<\/p>\n F. dis de prendre un \u00e9v\u00e9nement significatif, une f\u00eate par exemple. Je m\u2019aper\u00e7ois soudain que je me refuse presque syst\u00e9matiquement \u00e0 participer \u00e0 ce genre d\u2019\u00e9v\u00e9nement. Puis j\u2019ai l\u2019image de la petite rue Emile Zola, \u00e0 Lyon, \u00e0 l\u2019angle de laquelle nous habitions, il y a d\u00e9sormais vingt ans d\u2019ici. De nos fen\u00eatres nous pouvions apercevoir la floraisons des magnolias en f\u00e9vrier, et derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre des Celestins. La rue des Archers en bas de chez nous n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 plus peupl\u00e9e que par des magasins des fringues. On devait faire le tour du quartier durant de longues minutes avant de pouvoir se garer. Mais ce soir l\u00e0 un 8 d\u00e9cembre de l\u2019ann\u00e9e 2003, S. et des amis avions d\u00e9cid\u00e9 de participer \u00e0 la f\u00eate des lumi\u00e8res, une institution de cette ville. J\u2019\u00e9tais l\u00e0 dans cette rue \u00e9troite, la foule \u00e9tait si dense que j\u2019avais la sensation d\u2019avoir perdu mon autonomie de mouvement, \u00e9paule contre \u00e9paule, corps \u00e0 corps, la masse grouillante de la foule m\u2019avait comme soulev\u00e9 de terre \u00e0 mon plus grand effroi, j\u2019\u00e9tais avanc\u00e9 plut\u00f4t que de d\u00e9cider de la faire par moi seul. Et cela me d\u00e9goutait, et cela me fatiguait, profond\u00e9ment, puissamment, j\u2019\u00e9tais confront\u00e9 \u00e0 une impuissance incommensurable. Du spectacle, de la f\u00eate je ne conserve gu\u00e8re que cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able. C\u2019est rat\u00e9 pour la proposition 32, pour l\u2019instant en tous cas.<\/p>\n Illustration image mise en avant, portrait d\u2019enfant retrouv\u00e9, tr\u00e8s ab\u00eem\u00e9, ce qui lui donne bien du charme, dans mon carton, mais aucune l\u00e9gende.<\/p>",
"content_text": " Un homme qui ne tient pas compte de la fatigue, de l\u2019exp\u00e9rience, qui chaque matin remet son ouvrage sur le m\u00e9tier, chasse son d\u00e9go\u00fbt, le d\u00e9busque et, au moment de l\u2019achever, lui fait gr\u00e2ce. Un homme qui fuit toute id\u00e9e de projet. Dont l\u2019unique combat est de r\u00e9duire tout projet \u00e0 n\u00e9ant. Puis, soudain, il examine le ressort de ce combat, de cette pr\u00e9tendue n\u00e9cessit\u00e9, et croise le regard de la Gorgone. Pas de bouclier pour lui renvoyer son reflet. P\u00e9trification en statue. Il devient un roc anonyme parmi les monts alentour, une \u00eele dans un archipel. Un homme qui ne veut pas avoir de projet ni de m\u00e9thode parce qu\u2019il croit \u00eatre un arbre. Parce qu\u2019il croit en la patience. Parce qu\u2019un pommier ne donne pas des poires. Parce que la vie est l\u00e0 avant lui, qu\u2019elle sera l\u00e0 apr\u00e8s lui, parce que c\u2019est la seule \u00e9vidence qu\u2019il a trouv\u00e9e. Je ne me souviens plus de la date exacte \u00e0 laquelle j\u2019ai \u00e9crit \u00e7a. Avant que je ne focalise mes sens et mes pens\u00e9es sur cette fatigue, curieux de retomber dessus. \u00c7a y est, \u00e7a me revient, c\u2019est ma r\u00e9ponse \u00e0 une proposition d\u2019\u00e9criture de l\u2019atelier, mais il me semble que d\u2019avoir p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 si loin hier dans la fatigue, dans la lecture de son histoire \u00e0 travers les \u00e2ges notamment, agit sur certains crit\u00e8res habituels avec lesquels on fabrique de la proximit\u00e9 ou de la distance avec ses propres actes, ses propres pens\u00e9es. (Comme c\u2019est lourd et fatigant \u00e0 \u00e9crire cette phrase.) Comment faire en peu de mots, par \u00e9conomie, parcimonie m\u00eame, tout autant sinon mieux ? Voil\u00e0 aussi une vertu que je pourrais attribuer \u00e0 cette fatigue. En faire moins mais mieux \u2013 encore que le mieux soit l\u2019ennemi du bien, comme on me l\u2019a tant rab\u00e2ch\u00e9. Hier soir, j\u2019ai \u00e9cout\u00e9 la proposition 32, j\u2019avais pris un demi Dodormil et je me suis dit qu\u2019en \u00e9coutant F., non pas le sommeil mais une r\u00eaverie propice \u00e0 l\u2019\u00e9laboration d\u2019un texte ad\u00e9quat surgirait le lendemain. C\u2019est une m\u00e9thode. Bon, au matin pas de miracle, il faut seulement retrousser les manches et se mettre au clavier. Sauf que j\u2019ouvre mon WordPress, je me demande ce que j\u2019avais pr\u00e9vu d\u2019envoyer aux lions pour cette journ\u00e9e et je tombe sur ces trois paragraphes \u00e0 la limite du sibyllin. J\u2019en ai d\u2019abord honte, chez moi la fatigue et la honte semblent entretenir des liens tr\u00e8s intimes. Cela vient du fait que l\u2019on m\u2019a enfonc\u00e9 dans le cr\u00e2ne qu\u2019il fallait \u00e0 tout prix, et j\u2019insiste sur le \u00ab \u00e0 tout prix \u00bb, \u00eatre fier de soi. Au moins sur son lit de mort, pour ne rien avoir \u00e0 regretter, partir l\u00e9ger, l\u2019\u00e2me en paix. Ce qui est troublant, c\u2019est la relation insidieusement install\u00e9e entre le prix de cette fiert\u00e9 et la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 de la satisfaction finale. Comme s\u2019il fallait \u0153uvrer, se d\u00e9mener sang et eau pour \u00ab m\u00e9riter \u00bb sa mort. Ou tout du moins une mort acceptable, d\u2019autant plus ais\u00e9ment qu\u2019elle ne le serait si on n\u2019avait pas fait tous ces efforts, montr\u00e9 de la t\u00e9nacit\u00e9 dans l\u2019effort, de l\u2019allant et de la vigueur dans la bataille, et bien entendu une mar\u00e9e de cadavres jonchant le sol, occis de notre propre main. Cela ne m\u2019a jamais \u00e9mu, ni attir\u00e9. Sauf peut-\u00eatre, comme la plupart des enfants, quelques vell\u00e9it\u00e9s de ressemblance avec Thierry la Fronde, Zorro, ou Joss Randall. Mais vite balay\u00e9es ensuite, du moins le croit-on, l\u2019esp\u00e8re-t-on. Ce qui s\u2019av\u00e9rera faux avec le temps car l\u2019\u00e9ducation subie n\u2019est pas de la cat\u00e9gorie des sous-v\u00eatements que l\u2019on change au quotidien. Dr\u00f4le que je parle de sous-v\u00eatements pour exprimer la possibilit\u00e9 de changer de point de vue sur cette \u00e9ducation. Est-ce que le fait de ne pas vouloir changer de slip rel\u00e8verait d\u2019une sorte d\u2019endurance \u00e0 subir les assauts de la salet\u00e9, \u00e0 lutter contre la fatigue occasionn\u00e9e par les diverses hontes \u00e0 combattre en secret, \u00e0 s\u2019entra\u00eener \u00e0 la pr\u00e9sence de la souillure pour ne pas se laisser entra\u00eener vers une id\u00e9e totalement odieuse de propret\u00e9 ? Car des gens propres commettant des crimes en plein jour, j\u2019en vis beaucoup. J\u2019en vois encore, et ce n\u2019est pas quand je fermerai les yeux qu\u2019ils dispara\u00eetront. Ce qui ne signifie pas pour autant qu\u2019il faille avoir le cul sale pour \u00eatre un brave homme, \u00e9videmment, pas de conclusion trop h\u00e2tive. Je n\u2019\u00e9lude pas compl\u00e8tement l\u2019id\u00e9e de r\u00e9pondre \u00e0 la proposition 32. Je la conserve dans un coin de ma t\u00eate ; combien de temps vais-je ainsi la conserver, puis certainement l\u2019oublier. Car c\u2019est ainsi que les choses se passent, je l\u2019ai souvent observ\u00e9 : on veut remettre \u00e0 plus tard, au lendemain, au jour suivant, et \u00e7a ne se fait au final jamais. Mais je n\u2019ai pas non plus envie de me jeter t\u00eate en avant dans la r\u00e9daction de cette proposition 32. En fait, je constate aussit\u00f4t que je veux y penser que je n\u2019ai pas d\u2019appui, que cette vid\u00e9o est tr\u00e8s bien d\u2019accord, bravo \u00e0 David Foster Wallace, bravo \u00e0 F. Mais moi, je n\u2019ai plus du tout cette acuit\u00e9 du regard, je ne dispose plus du tout du m\u00eame entrain \u00e0 faire confiance \u00e0 la m\u00e9moire, au sens du d\u00e9tail, et pas non plus tr\u00e8s fan de l\u2019ironie avec quoi le texte est \u00e9crit. Mais c\u2019est parce que j\u2019ai fait le tour en moi de l\u2019ironie, de la m\u00e9moire, de l\u2019entrain, de leur ressort. J\u2019en suis profond\u00e9ment fatigu\u00e9. Prenons par exemple un quartier, lequel choisir ? Si c\u2019\u00e9tait Paris, j\u2019ai v\u00e9cu \u00e0 peu pr\u00e8s dans tous les arrondissements de cette ville, mais est-ce que j\u2019en ai v\u00e9ritablement conserv\u00e9 quoi que ce soit, ai-je \u00e0 ma disposition suffisamment de d\u00e9tails, d\u2019anecdotes, d\u2019\u00e9l\u00e9ments significatifs pour \u00e9voquer tel ou tel quartier de la ville ? Non, la v\u00e9rit\u00e9 est que non. Tout ce que j\u2019\u00e9crirais \u00e0 ce propos ne serait pas autre chose qu\u2019une fiction. La fiction me fatigue quand elle veut se faire passer pour la r\u00e9alit\u00e9, et vice versa \u00e9galement. Voil\u00e0 un centre de cette fatigue, l\u2019impossibilit\u00e9 de choisir entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction. Il en r\u00e9sulte cet \u00e9tat de sid\u00e9ration, une immobilit\u00e9, une attente toxique, mais qui \u00e0 force de s\u2019y exercer permet d\u2019une certaine fa\u00e7on de fabriquer seul un antidote, si toutefois dans la plus grande sinc\u00e9rit\u00e9 que je peux je l\u2019\u00e9cris. F. dis de prendre un \u00e9v\u00e9nement significatif, une f\u00eate par exemple. Je m\u2019aper\u00e7ois soudain que je me refuse presque syst\u00e9matiquement \u00e0 participer \u00e0 ce genre d\u2019\u00e9v\u00e9nement. Puis j\u2019ai l\u2019image de la petite rue Emile Zola, \u00e0 Lyon, \u00e0 l\u2019angle de laquelle nous habitions, il y a d\u00e9sormais vingt ans d\u2019ici. De nos fen\u00eatres nous pouvions apercevoir la floraisons des magnolias en f\u00e9vrier, et derri\u00e8re le th\u00e9\u00e2tre des Celestins. La rue des Archers en bas de chez nous n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 plus peupl\u00e9e que par des magasins des fringues. On devait faire le tour du quartier durant de longues minutes avant de pouvoir se garer. Mais ce soir l\u00e0 un 8 d\u00e9cembre de l\u2019ann\u00e9e 2003, S. et des amis avions d\u00e9cid\u00e9 de participer \u00e0 la f\u00eate des lumi\u00e8res, une institution de cette ville. J\u2019\u00e9tais l\u00e0 dans cette rue \u00e9troite, la foule \u00e9tait si dense que j\u2019avais la sensation d\u2019avoir perdu mon autonomie de mouvement, \u00e9paule contre \u00e9paule, corps \u00e0 corps, la masse grouillante de la foule m\u2019avait comme soulev\u00e9 de terre \u00e0 mon plus grand effroi, j\u2019\u00e9tais avanc\u00e9 plut\u00f4t que de d\u00e9cider de la faire par moi seul. Et cela me d\u00e9goutait, et cela me fatiguait, profond\u00e9ment, puissamment, j\u2019\u00e9tais confront\u00e9 \u00e0 une impuissance incommensurable. Du spectacle, de la f\u00eate je ne conserve gu\u00e8re que cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able. 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"title": "2 ao\u00fbt 2024",
"date_published": "2024-08-05T07:53:33Z",
"date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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\nCe n\u2019est pas Saint-Tropez. Difficile aujourd\u2019hui d\u2019imaginer ce qu\u2019il a pu y avoir d\u2019autre \u2013 un fantasme de sin\u00e9cure \u2013 avant la fatigue. Difficile d\u2019imaginer la mer. Difficile d\u2019imaginer quelque chose \u00e0 la place de la fatigue, et surtout de nommer autre chose en ce lieu qu\u2019elle occupe d\u00e9sormais.<\/p>\n
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\nPas d\u00e9\u00e7u puisque je n\u2019esp\u00e8re rien quand poussant la porte du mus\u00e9e Massey la petite dame derri\u00e8re le comptoir \u00e9plor\u00e9e nous informe que niet, vous pourrez pas voir l\u2019exposition d\u2019Antonio Saura ( prononcer \u00e7a aura, en roulant l\u00e9g\u00e8rement le r ) et comme pas envie de voir des hussards v\u00eatus de pieds en cape sans oublier leurs grosses toques de toqu\u00e9s du sabre, on ressort. Profitons pour visiter le grand parc peupl\u00e9 de paons. On y d\u00e9couvre des essences aussi fabuleuses qu\u2019insolites avec des f\u00fbts d\u00e9mesur\u00e9es ( notamment un magnolia gigantesque ) et des \u00e9corces jamais vues jusque l\u00e0. Un bien beau parc avec une statue de Jules Laforgue, n\u00e9 \u00e0 Tarbes. Et puis des ann\u00e9es vraiment que pas gout\u00e9 une glace caramel beurre sal\u00e9, ( artisanale le mot est pr\u00e9cis\u00e9 ) ce qui cl\u00f4ture agr\u00e9ablement la ballade. Reste de la journ\u00e9e pass\u00e9 \u00e0 relire autobiographie des objets, et dr\u00f4le comme marchant mieux lis mieux, enfin, plus fluide. Demain nous partirons de bonne heure, la valise d\u00e9j\u00e0 boucl\u00e9e pr\u00e8s de l\u2019entr\u00e9e. La m\u00e9t\u00e9o annonce des nuages, un temps gris sur Bilbao, \u00e7a tombe bien car fatigu\u00e9 de tout ce ciel bleu et soleil.<\/p>\n
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\nun NON. Ne se reconna\u00eet pas dans ce trac\u00e9 \u00e9trange qui le d\u00e9signe tout \u00e0 fait. S\u2019\u00e9prouve comment restant \u00e0 faire. N\u2019accepte pas les caract\u00e8res acquis, codes de l\u2019h\u00e9r\u00e9dit\u00e9, empreinte familiale, griffe sociale : tout cela qui ne comble pas sa b\u00e9ance. L\u2019\u00e9crivain est toujours le pr\u00e9matur\u00e9 par excellence, celui qui vient au monde par d\u00e9faut, gros d\u2019un manqe inconciliable avec la pseudopl\u00e9nitude de l\u2019establishment qui dit j\u2019existe avant de ( pour ne pas ) se poser la question QUI SUIS-JE ? »<\/p>\n
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