\n\n\n\t\t
\n<\/figure>\n<\/div>\nIl arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne — non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas.<\/p>\n
Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes.<\/p>\n
Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri — alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes.<\/p>\n
On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse.<\/p>\n
J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus.<\/p>\n
Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre.<\/p>\n
Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai.<\/p>\n
S\u2019absenter — non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence.<\/p>\n
On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre.<\/p>\n
Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir.\nIllustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet<\/p>",
"content_text": " Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne \u2014 non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas. Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri \u2014 alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes. On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre. Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai. S\u2019absenter \u2014 non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 \u2014 Patrick le discret, Willem le fracas \u2014 me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre. Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir. Illustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet ",
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"date_published": "2019-09-15T18:55:00Z",
"date_modified": "2025-08-24T23:34:34Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une « perte de temps » — \u00e9crire, peindre — me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle « la vie active ». Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e « l\u2019impeccabilit\u00e9 », en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : « Oui, c\u2019est exactement cela. » Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin — le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : « la petite voix » suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce « \u00e0 quoi bon » d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. « Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus », dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie.<\/p>",
"content_text": " En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une \u00ab perte de temps \u00bb \u2014 \u00e9crire, peindre \u2014 me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e \u00ab l\u2019impeccabilit\u00e9 \u00bb, en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : \u00ab Oui, c\u2019est exactement cela. \u00bb Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin \u2014 le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : \u00ab la petite voix \u00bb suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce \u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. \u00ab Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus \u00bb, dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie. ",
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