{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/septembre-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/septembre-2019.html", "title": "Septembre 2019", "date_published": "2025-12-20T23:09:57Z", "date_modified": "2025-12-20T23:09:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
1er septembre — Bilan et silence<\/strong><\/p>\n Cette ann\u00e9e, j’ai particip\u00e9 \u00e0 une trentaine d’expositions. Le bilan est positif pour la notori\u00e9t\u00e9, mais je me demande ce que je veux vraiment : peindre, gagner ma vie, ou faire le clown ? Pour l’ann\u00e9e qui vient, moins d’expositions. Me concentrer sur ce que je veux vraiment.<\/p>\n Dernier jour d’expo dans le Pilat. Un couple arrive tard. Lui regarde longtemps avant de parler. Nous parlons de ce qui ne se voit pas, de la peinture comme passage. Soudain, ses yeux brillent : « Ce que vous appelez le silence, c’est la vie et l’amour. Le v\u00e9ritable amour est sans \u00e9motion. Comme l’univers. Il r\u00e9pond, c’est tout. » En redescendant, cette parole r\u00e9sonnait encore.<\/p>\n 3 septembre — Pakistan<\/strong><\/p>\n L’air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Je photographie des enfants maigres dans les campements. Les hommes sont partis dans les montagnes repousser l’ennemi. Dans le bazar, un jeune homme m’invite pour le th\u00e9. Sa chambre est couverte de cartes postales du monde entier. Avant la gare, un crochet : l’h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9es au napalm. Sur un lit, un homme d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie.<\/p>\n 6 septembre — Train pour Lahore<\/strong><\/p>\n Une migraine terrible. En cherchant une pharmacie, je la vois de dos : \u00e9paules fr\u00eales, nuque p\u00e2le, chignon roux. Elle venait de Birmingham, se rendait en Inde. Je lui propose de venir avec moi en train pour Lahore. Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, elle pose sa t\u00eate contre mon \u00e9paule et murmure : « C’est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. » Nous n’\u00e9tions plus deux \u00e9trangers, mais deux passagers fuyant chacun quelque chose.<\/p>\n 7 septembre — Jalousie<\/strong><\/p>\n La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture, ce sentiment m’est p\u00e9nible. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent sans y faire obstacle. Mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s de l’absence : absence de jalousie, d’orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d’\u00eatre quelqu’un pour n’\u00eatre qu’un passage.<\/p>\n 8 septembre — Cheng et l’automne<\/strong><\/p>\n Cheng trace quatre ou cinq traits \u00e0 l’encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Il vient d’atteindre la soixantaine et sait qu’il lui manque encore l’essentiel. Chaque matin, il s’enfonce dans la discipline de ces coups de pinceau pour p\u00e9n\u00e9trer dans l’espace de sa feuille blanche.<\/p>\n Je me souviens de L’Automne du patriarche<\/em>. Chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re me parle de la fin et de l’h\u00e9ritage. Dans le roman, il y a Patricio Aragon\u00e9s, le sosie du dictateur. Comme lui, j’ai mon Patricio \u00e0 mon service. En automne, cette volont\u00e9 de retraite atteint son comble.<\/p>\n 9 septembre — B\u00e9quilles<\/strong><\/p>\n Les b\u00e9quilles de S. sont d’un bleu profond. S. vit dans le pr\u00e9sent. Moi, je fais des allers-retours constants. Ces haines enfantines, ces col\u00e8res, ces mensonges — tout cela est devenu mon stock. La col\u00e8re, mon chalumeau. J’\u00e9cris ces textes au jour le jour, ma mani\u00e8re d’\u00e9couler mon stock. Une fa\u00e7on de dire adieu aux vieilles b\u00e9quilles, et de reconna\u00eetre qu’elles m’ont tenu debout.<\/p>\n 10 septembre — Bataille<\/strong><\/p>\n Quand Georges Bataille abandonne son p\u00e8re malade \u00e0 Reims pendant la guerre, il accomplit un acte qui nourrira toute son \u0153uvre. Ce que cet abandon r\u00e9v\u00e8le, c’est que nous sommes parfois pouss\u00e9s par le futur \u00e0 briser les trajectoires pr\u00e9vues. Les chamans, quand ils op\u00e8rent un nettoyage, commencent par la m\u00e9moire. Notre mission est de fonder une harmonie, pas seulement un \u00e9quilibre.<\/p>\n 11-12 septembre — Champions et guides<\/strong><\/p>\n Je me souviens de ma visite \u00e0 Thierry Lambert. Aujourd’hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu’\u00e0 trouver un miroir. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d’art sacr\u00e9. Des mots trop grands pour une simple rencontre. Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n’ai plus besoin de chamanes.<\/p>\n La v\u00e9rit\u00e9 est que la grande course, c’est le m\u00e9tro, le travail, les courses \u00e0 faire. Des routines, pas une \u00e9pop\u00e9e. Le vrai courage n’est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalit\u00e9 de sa propre vie, d’assumer la douleur qu’on cause. Et de continuer, malgr\u00e9 tout.<\/p>\n 15 septembre — Impeccabilit\u00e9<\/strong><\/p>\n Il m’a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de la culpabilit\u00e9. En chemin, j’ai fini par sympathiser avec une petite voix. Je l’ai appel\u00e9e « l’impeccabilit\u00e9 ». On ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d’ob\u00e9ir aux injonctions de la peur. Plus je me d\u00e9leste, plus j’entends clairement la petite voix. \u00catre impeccable, c’est \u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l’on entretient avec le monde.<\/p>\n 16 septembre — Van Velde<\/strong><\/p>\n Une exposition des fr\u00e8res Bram et Geer Van Velde se tenait \u00e0 Lyon. \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, je retrouve une sensation : le d\u00e9racinement. C’est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne que Bram d\u00e9veloppe sa culture artistique. Mais c’est \u00e0 Majorque qu’il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage. Ce parcours indique plusieurs choses essentielles : il faut la faim, celle de peindre. Il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore.<\/p>\n 22 septembre — Le cerveau et la solitude<\/strong><\/p>\n Notre cerveau est une entit\u00e9 \u00e9trange. Nous ne savons toujours pas si le cerveau et l’esprit sont une seule et m\u00eame chose. Si l’on observe le nombre de neurones et leurs connexions, on n’est pas loin du nombre d’\u00e9toiles dans l’univers. Pour comprendre la conscience, il faut parfois consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Consid\u00e9rer signifie litt\u00e9ralement « regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps ».<\/p>\n C’est en r\u00e9\u00e9coutant mon ami chaman Luis Ansa parler de la solitude de la femme que \u00e7a a fait tilt. Cet attrait qu’elles ont toujours exerc\u00e9 sur ma vie, c’est bien de cette solitude que tout est parti. La solitude de la femme est insondable. C’est la solitude insondable des \u00e9toiles qui n’attendaient que notre visite pour briller et se transformer en lumi\u00e8re.<\/p>\n 23 septembre — Insignifiance et rien<\/strong><\/p>\n Quand le fils dit au p\u00e8re qu’il veut \u00eatre \u00e9crivain, ce dernier hausse les \u00e9paules : « ce n’est pas un m\u00e9tier ». Il y avait eu une d\u00e9flagration silencieuse. Un sentiment d’insignifiance formidable s’empara de lui. Il s’empara du petit carnet et inscrivit la date. Sa main resta en suspens dans l’attente de l’inspiration qui ne vint pas.<\/p>\n « Tu n’es rien » — cette petite phrase a fini par prendre une place centrale. \u00c0 chaque fois c’est un ch\u00e2teau de sable qui s’effondre aval\u00e9 par la mer et le temps. Tous ces personnages invent\u00e9s ne furent que passe-temps, diversion pour \u00e9chapper au maelstr\u00f6m du rien. « Tu n’es rien » laisse percevoir un tout que je n’ai jamais voulu voir.<\/p>\n 25-26 septembre — Le peintre chaman<\/strong><\/p>\n Je rencontre un \u00e9crivain po\u00e8te peintre chaman lors d’un vernissage. En voyant ses peintures sur Facebook, je re\u00e7ois une grande secousse. Je me suis mis \u00e0 dessiner pour m’accaparer son langage, son esprit, son \u00e2me. J’ai dessin\u00e9 pendant des heures. Puis je poste sur Facebook. On me traite de copieur. Le peintre \u00e9crit : « Copier un artiste ce n’est pas bien ». Bless\u00e9 au plus profond. « Tu n’as aucun talent » — encore une fois le « tu n’es rien ». Le lendemain, je vais quand m\u00eame le voir. Nous passons ensemble un merveilleux moment.<\/p>\n La sensualit\u00e9 se tiendrait dans un entre-deux, entre grossi\u00e8ret\u00e9-vulgarit\u00e9 et sacralisation-sublimation. Cet \u00e9cart que nous inventons sans cesse entre le sublime et l’effroi nous sert d’instrument maladroit pour tenter de comprendre ce que nous avons oubli\u00e9.<\/p>\n 28 septembre — Photographie et confusion<\/strong><\/p>\n Je photographie l’\u0153uvre du grand chaman. Plus de 300 photographies. Je mesurais le cadeau qu’il m’avait offert. Dans mon esprit, il \u00e9tait le chaman qui avait plut\u00f4t bien tourn\u00e9. Quant \u00e0 moi, j’\u00e9tais le chaman vagabond, butineur, \u00e9parpill\u00e9.<\/p>\n Il est un territoire dans lequel je reviens r\u00e9guli\u00e8rement : celui de la confusion. Les tentatives de mise en ordre de ma vie sont l\u00e9gion. Ma vie enti\u00e8re est une succession d’\u00e9checs en mati\u00e8re d’ordonnancement. Cette distance qui s’installe avec le groupe me co\u00fbta une \u00e9nergie formidable et m’offrit en contrepartie une cr\u00e9ativit\u00e9 \u00e9tonnante.<\/p>\n Au Mus\u00e9e du Louvre, je tombe sur la statue du scribe. Quelque chose en moi se brisa. Je me rappelais d’un nom : Thot. Moi le jeune homme perdu, avec une ventouse pour d\u00e9boucher les toilettes dans le plus beau mus\u00e9e du monde. C’est en constatant l’\u00e9tat des toilettes que j’ai compris ce que pouvait \u00eatre le contraste, pilier \u00e9l\u00e9mentaire de toute vocation de peintre.<\/p>\n 30 septembre — D\u00e9jeuner<\/strong><\/p>\n Je suis invit\u00e9 \u00e0 d\u00e9jeuner chez Michel et Marie. Je tente de chasser les miasmes de d\u00e9pression chronique. Apr\u00e8s quelques gorg\u00e9es de vin de sureau, je me d\u00e9tends. Le grand chaman ne dit presque rien, il est heureux. Le grand chien blanc vient poser sa t\u00eate sur ma jambe. Ce moment familial m’\u00e9trille en profondeur. L’important, c’est cette bouff\u00e9e de chaleur humaine que j’ai pu accueillir \u00e0 c\u0153ur ouvert, courageusement, sans me r\u00e9fugier dans le jugement ou la pitrerie.<\/p>",
"content_text": " **1er septembre \u2014 Bilan et silence** Cette ann\u00e9e, j'ai particip\u00e9 \u00e0 une trentaine d'expositions. Le bilan est positif pour la notori\u00e9t\u00e9, mais je me demande ce que je veux vraiment : peindre, gagner ma vie, ou faire le clown ? Pour l'ann\u00e9e qui vient, moins d'expositions. Me concentrer sur ce que je veux vraiment. Dernier jour d'expo dans le Pilat. Un couple arrive tard. Lui regarde longtemps avant de parler. Nous parlons de ce qui ne se voit pas, de la peinture comme passage. Soudain, ses yeux brillent : \u00ab Ce que vous appelez le silence, c'est la vie et l'amour. Le v\u00e9ritable amour est sans \u00e9motion. Comme l'univers. Il r\u00e9pond, c'est tout. \u00bb En redescendant, cette parole r\u00e9sonnait encore. **3 septembre \u2014 Pakistan** L'air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Je photographie des enfants maigres dans les campements. Les hommes sont partis dans les montagnes repousser l'ennemi. Dans le bazar, un jeune homme m'invite pour le th\u00e9. Sa chambre est couverte de cartes postales du monde entier. Avant la gare, un crochet : l'h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9es au napalm. Sur un lit, un homme d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie. **6 septembre \u2014 Train pour Lahore** Une migraine terrible. En cherchant une pharmacie, je la vois de dos : \u00e9paules fr\u00eales, nuque p\u00e2le, chignon roux. Elle venait de Birmingham, se rendait en Inde. Je lui propose de venir avec moi en train pour Lahore. Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, elle pose sa t\u00eate contre mon \u00e9paule et murmure : \u00ab C'est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. \u00bb Nous n'\u00e9tions plus deux \u00e9trangers, mais deux passagers fuyant chacun quelque chose. **7 septembre \u2014 Jalousie** La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture, ce sentiment m'est p\u00e9nible. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent sans y faire obstacle. Mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s de l'absence : absence de jalousie, d'orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d'\u00eatre quelqu'un pour n'\u00eatre qu'un passage. **8 septembre \u2014 Cheng et l'automne** Cheng trace quatre ou cinq traits \u00e0 l'encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Il vient d'atteindre la soixantaine et sait qu'il lui manque encore l'essentiel. Chaque matin, il s'enfonce dans la discipline de ces coups de pinceau pour p\u00e9n\u00e9trer dans l'espace de sa feuille blanche. Je me souviens de *L'Automne du patriarche*. Chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re me parle de la fin et de l'h\u00e9ritage. Dans le roman, il y a Patricio Aragon\u00e9s, le sosie du dictateur. Comme lui, j'ai mon Patricio \u00e0 mon service. 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Notre mission est de fonder une harmonie, pas seulement un \u00e9quilibre. **11-12 septembre \u2014 Champions et guides** Je me souviens de ma visite \u00e0 Thierry Lambert. Aujourd'hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu'\u00e0 trouver un miroir. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d'art sacr\u00e9. Des mots trop grands pour une simple rencontre. Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n'ai plus besoin de chamanes. La v\u00e9rit\u00e9 est que la grande course, c'est le m\u00e9tro, le travail, les courses \u00e0 faire. Des routines, pas une \u00e9pop\u00e9e. Le vrai courage n'est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalit\u00e9 de sa propre vie, d'assumer la douleur qu'on cause. Et de continuer, malgr\u00e9 tout. **15 septembre \u2014 Impeccabilit\u00e9** Il m'a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de la culpabilit\u00e9. En chemin, j'ai fini par sympathiser avec une petite voix. Je l'ai appel\u00e9e \u00ab l'impeccabilit\u00e9 \u00bb. On ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d'ob\u00e9ir aux injonctions de la peur. Plus je me d\u00e9leste, plus j'entends clairement la petite voix. \u00catre impeccable, c'est \u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l'on entretient avec le monde. **16 septembre \u2014 Van Velde** Une exposition des fr\u00e8res Bram et Geer Van Velde se tenait \u00e0 Lyon. \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, je retrouve une sensation : le d\u00e9racinement. C'est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne que Bram d\u00e9veloppe sa culture artistique. Mais c'est \u00e0 Majorque qu'il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage. Ce parcours indique plusieurs choses essentielles : il faut la faim, celle de peindre. Il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore. **22 septembre \u2014 Le cerveau et la solitude** Notre cerveau est une entit\u00e9 \u00e9trange. Nous ne savons toujours pas si le cerveau et l'esprit sont une seule et m\u00eame chose. Si l'on observe le nombre de neurones et leurs connexions, on n'est pas loin du nombre d'\u00e9toiles dans l'univers. Pour comprendre la conscience, il faut parfois consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Consid\u00e9rer signifie litt\u00e9ralement \u00ab regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps \u00bb. C'est en r\u00e9\u00e9coutant mon ami chaman Luis Ansa parler de la solitude de la femme que \u00e7a a fait tilt. Cet attrait qu'elles ont toujours exerc\u00e9 sur ma vie, c'est bien de cette solitude que tout est parti. La solitude de la femme est insondable. C'est la solitude insondable des \u00e9toiles qui n'attendaient que notre visite pour briller et se transformer en lumi\u00e8re. **23 septembre \u2014 Insignifiance et rien** Quand le fils dit au p\u00e8re qu'il veut \u00eatre \u00e9crivain, ce dernier hausse les \u00e9paules : \u00ab ce n'est pas un m\u00e9tier \u00bb. Il y avait eu une d\u00e9flagration silencieuse. Un sentiment d'insignifiance formidable s'empara de lui. Il s'empara du petit carnet et inscrivit la date. Sa main resta en suspens dans l'attente de l'inspiration qui ne vint pas. \u00ab Tu n'es rien \u00bb \u2014 cette petite phrase a fini par prendre une place centrale. \u00c0 chaque fois c'est un ch\u00e2teau de sable qui s'effondre aval\u00e9 par la mer et le temps. Tous ces personnages invent\u00e9s ne furent que passe-temps, diversion pour \u00e9chapper au maelstr\u00f6m du rien. \u00ab Tu n'es rien \u00bb laisse percevoir un tout que je n'ai jamais voulu voir. **25-26 septembre \u2014 Le peintre chaman** Je rencontre un \u00e9crivain po\u00e8te peintre chaman lors d'un vernissage. En voyant ses peintures sur Facebook, je re\u00e7ois une grande secousse. Je me suis mis \u00e0 dessiner pour m'accaparer son langage, son esprit, son \u00e2me. J'ai dessin\u00e9 pendant des heures. Puis je poste sur Facebook. On me traite de copieur. Le peintre \u00e9crit : \u00ab Copier un artiste ce n'est pas bien \u00bb. Bless\u00e9 au plus profond. \u00ab Tu n'as aucun talent \u00bb \u2014 encore une fois le \u00ab tu n'es rien \u00bb. Le lendemain, je vais quand m\u00eame le voir. Nous passons ensemble un merveilleux moment. La sensualit\u00e9 se tiendrait dans un entre-deux, entre grossi\u00e8ret\u00e9-vulgarit\u00e9 et sacralisation-sublimation. 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Je me rappelais d'un nom : Thot. Moi le jeune homme perdu, avec une ventouse pour d\u00e9boucher les toilettes dans le plus beau mus\u00e9e du monde. C'est en constatant l'\u00e9tat des toilettes que j'ai compris ce que pouvait \u00eatre le contraste, pilier \u00e9l\u00e9mentaire de toute vocation de peintre. **30 septembre \u2014 D\u00e9jeuner** Je suis invit\u00e9 \u00e0 d\u00e9jeuner chez Michel et Marie. Je tente de chasser les miasmes de d\u00e9pression chronique. Apr\u00e8s quelques gorg\u00e9es de vin de sureau, je me d\u00e9tends. Le grand chaman ne dit presque rien, il est heureux. Le grand chien blanc vient poser sa t\u00eate sur ma jambe. Ce moment familial m'\u00e9trille en profondeur. L'important, c'est cette bouff\u00e9e de chaleur humaine que j'ai pu accueillir \u00e0 c\u0153ur ouvert, courageusement, sans me r\u00e9fugier dans le jugement ou la pitrerie. ",
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