{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/juillet-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/juillet-2019.html", "title": "Juillet 2019", "date_published": "2025-12-20T22:38:28Z", "date_modified": "2025-12-20T22:38:36Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

4 juillet — Connais-toi<\/strong><\/p>\n

Adolescent, je p\u00e9rorais sur les philosophes sans rien y comprendre. Le savoir, je l’ai cherch\u00e9 comme un pouvoir. \u00c0 la quarantaine, de nouveau seul, la phrase de Socrate m’est revenue : \"Connais-toi toi-m\u00eame.\" En moi, \u00e7a a bascul\u00e9 en \"accepte-toi toi-m\u00eame.\" J’ai compris que tant que je refusais ce que j’\u00e9tais, tout ce que je savais resterait du d\u00e9cor. Le savoir s’est mis \u00e0 sentir le pi\u00e8ge, cette mani\u00e8re \u00e9l\u00e9gante de r\u00e9p\u00e9ter les m\u00eames croyances.<\/p>\n

5 juillet — La guerre<\/strong><\/p>\n

T\u00e9l\u00e9 noir et blanc, d\u00e9but des ann\u00e9es 60 : des guerres lointaines d\u00e9filent. Au village, la guerre prend une autre forme : ragots, jalousies, phrases l\u00e2ch\u00e9es au comptoir. Hier, dans l’atelier des m\u00e9tiers d’art, un objet manque. La commissaire penche pour la maladresse enfantine, j’imagine un larcin. Aucun de nous n’a de preuve. Beaucoup de grandes guerres commencent peut-\u00eatre comme \u00e7a : un objet manquant, un doute, et deux fa\u00e7ons incompatibles de le supporter.<\/p>\n

6 juillet — Chambre<\/strong><\/p>\n

Chambre d’h\u00f4tel meubl\u00e9e au minimum. La fen\u00eatre donne sur la rue, le bruit monte sans creux. Je peine \u00e0 trouver mes rep\u00e8res. Je d\u00e9cide d’accueillir le bruit comme il vient, cet endroit comme un familier que je ne connais pas encore. Je porte l’attention sur chaque morceau du d\u00e9cor. R\u00e9p\u00e9ter l’attention pour ne pas l\u00e2cher l’intention. Un matin, tout s’aligne un peu : le vacarme ne m’attaque plus, il fait juste partie du d\u00e9cor.<\/p>\n

11 juillet — Avignon<\/strong><\/p>\n

Avignon, chaleur \u00e9crasante. Une jeune femme nous aborde pour \"Un soir chez Renoir\", promesse d’une accolade. Sur sc\u00e8ne, Zola pousse pour une peinture \u00e0 message, des tableaux qui sauvent. Renoir, Morisot r\u00e9sistent : ils parlent de lumi\u00e8re, d’instant \u00e0 saisir. Dans le noir, j’entends le refus d’\u00eatre messie. Toute l’ann\u00e9e, j’ai voulu donner une mission \u00e0 ma peinture. Eux me rappellent qu’un tableau peut se contenter de regarder le monde.<\/p>\n

11 juillet — Ressentiment<\/strong><\/p>\n

Nietzsche avait vu juste : le ressentiment est une \u00e9nergie bon march\u00e9. Il persuade chacun qu’il m\u00e9ritait mieux. L’autre devient un enfer parce qu’il renvoie notre propre laideur. On se renvoie l’image, chacun persuad\u00e9 d’avoir raison. \u00c7a ne ressemble pas \u00e0 une grande th\u00e9orie, juste \u00e0 une fa\u00e7on d’aimer sans commentaire. Tant qu’on pr\u00e9f\u00e8re \u00e9couter nos voix rancuni\u00e8res, la fin du monde peut encore patienter.<\/p>\n

12 juillet — L’arbre<\/strong><\/p>\n

\u00c0 l’entr\u00e9e du village, un arbre ne donnait ni fleurs ni fruits. Un jour, un oiseau demanda : \"Tu sais d’o\u00f9 tu viens, o\u00f9 tu vas ?\" L’arbre n’en savait rien. L’oiseau repartit. Pour la premi\u00e8re fois, l’arbre se mit \u00e0 sentir le monde : la pluie, le vent, l’eau qui montait. \u00c7a faisait mal et \u00e7a le tenait debout. Au printemps, l’oiseau revint. L’arbre ne r\u00e9pondit pas. \u00c0 la place, il se couvrit de fleurs blanches.<\/p>\n

13 juillet — H\u00e9ros<\/strong><\/p>\n

Enfant, je bricolais des holsters dans des chambres \u00e0 air pour rejouer Zorro. Ces h\u00e9ros me servaient de refuge contre la violence des adultes. En grandissant, je les ai oubli\u00e9s. C’est en regardant mes tableaux que je les ai revus : chaque toile comme un \u00e9pisode de s\u00e9rie. J’ai ri en me d\u00e9couvrant fils de ces p\u00e8res de fiction. Sans eux, je ne suis pas s\u00fbr que je serais arriv\u00e9 vivant jusqu’\u00e0 la peinture.<\/p>\n

14 juillet — R\u00e9p\u00e9tition<\/strong><\/p>\n

Nous r\u00e9agissons en pilote automatique : chercher le confort, \u00e9viter la douleur. En art, on encense la r\u00e9p\u00e9tition des motifs qui rassurent le public. Tant qu’on pense avec les cat\u00e9gories des autres — ordre \/ d\u00e9sordre, utile \/ g\u00e2chis — on rejoue le m\u00eame sc\u00e9nario. Le vrai travail commence quand on se forge ses propres d\u00e9finitions et qu’on utilise la r\u00e9p\u00e9tition comme un choix, pas comme une contrainte.<\/p>\n

21 juillet — Fin du monde<\/strong><\/p>\n

Allumer la t\u00e9l\u00e9, c’est avaler chaque soir une petite fin du monde : guerres, catastrophes, politique grotesque. \u00c0 force, on finit par croire que tout va s’\u00e9crouler. Mais cette ambiance d’apocalypse renvoie chacun \u00e0 sa propre \u00e9ch\u00e9ance. Sentir que tout est limit\u00e9 peut donner envie de vivre autrement. Reste un choix simple : se consumer devant l’\u00e9cran, ou prendre cette perspective de fin comme une invitation \u00e0 traiter la vie avec plus d’attention.<\/p>\n

7 juillet — Main tremblante<\/strong><\/p>\n

Je suis peintre. Depuis quelque temps, ma main droite tremble. Examens : rien de sp\u00e9cial. Cabinet de psy : je fais le malin, puis une voix de gosse sort. Je ne supporte pas. Je plante les s\u00e9ances. Je continue \u00e0 l’atelier, je peins des toiles lourdes, sales. Ce matin, je pense \u00e0 ce gamin. Au lieu de le renvoyer, j’ai une sorte de douceur pour lui. Je sens le gamin qui me fait signe. Je reste devant la toile, et \u00e7a suffit.<\/p>", "content_text": " **4 juillet \u2014 Connais-toi** Adolescent, je p\u00e9rorais sur les philosophes sans rien y comprendre. Le savoir, je l'ai cherch\u00e9 comme un pouvoir. \u00c0 la quarantaine, de nouveau seul, la phrase de Socrate m'est revenue : \"Connais-toi toi-m\u00eame.\" En moi, \u00e7a a bascul\u00e9 en \"accepte-toi toi-m\u00eame.\" J'ai compris que tant que je refusais ce que j'\u00e9tais, tout ce que je savais resterait du d\u00e9cor. Le savoir s'est mis \u00e0 sentir le pi\u00e8ge, cette mani\u00e8re \u00e9l\u00e9gante de r\u00e9p\u00e9ter les m\u00eames croyances. **5 juillet \u2014 La guerre** T\u00e9l\u00e9 noir et blanc, d\u00e9but des ann\u00e9es 60 : des guerres lointaines d\u00e9filent. Au village, la guerre prend une autre forme : ragots, jalousies, phrases l\u00e2ch\u00e9es au comptoir. Hier, dans l'atelier des m\u00e9tiers d'art, un objet manque. La commissaire penche pour la maladresse enfantine, j'imagine un larcin. Aucun de nous n'a de preuve. Beaucoup de grandes guerres commencent peut-\u00eatre comme \u00e7a : un objet manquant, un doute, et deux fa\u00e7ons incompatibles de le supporter. **6 juillet \u2014 Chambre** Chambre d'h\u00f4tel meubl\u00e9e au minimum. La fen\u00eatre donne sur la rue, le bruit monte sans creux. Je peine \u00e0 trouver mes rep\u00e8res. Je d\u00e9cide d'accueillir le bruit comme il vient, cet endroit comme un familier que je ne connais pas encore. Je porte l'attention sur chaque morceau du d\u00e9cor. R\u00e9p\u00e9ter l'attention pour ne pas l\u00e2cher l'intention. Un matin, tout s'aligne un peu : le vacarme ne m'attaque plus, il fait juste partie du d\u00e9cor. **11 juillet \u2014 Avignon** Avignon, chaleur \u00e9crasante. Une jeune femme nous aborde pour \"Un soir chez Renoir\", promesse d'une accolade. Sur sc\u00e8ne, Zola pousse pour une peinture \u00e0 message, des tableaux qui sauvent. Renoir, Morisot r\u00e9sistent : ils parlent de lumi\u00e8re, d'instant \u00e0 saisir. Dans le noir, j'entends le refus d'\u00eatre messie. Toute l'ann\u00e9e, j'ai voulu donner une mission \u00e0 ma peinture. Eux me rappellent qu'un tableau peut se contenter de regarder le monde. **11 juillet \u2014 Ressentiment** Nietzsche avait vu juste : le ressentiment est une \u00e9nergie bon march\u00e9. Il persuade chacun qu'il m\u00e9ritait mieux. L'autre devient un enfer parce qu'il renvoie notre propre laideur. On se renvoie l'image, chacun persuad\u00e9 d'avoir raison. \u00c7a ne ressemble pas \u00e0 une grande th\u00e9orie, juste \u00e0 une fa\u00e7on d'aimer sans commentaire. Tant qu'on pr\u00e9f\u00e8re \u00e9couter nos voix rancuni\u00e8res, la fin du monde peut encore patienter. **12 juillet \u2014 L'arbre** \u00c0 l'entr\u00e9e du village, un arbre ne donnait ni fleurs ni fruits. Un jour, un oiseau demanda : \"Tu sais d'o\u00f9 tu viens, o\u00f9 tu vas ?\" L'arbre n'en savait rien. L'oiseau repartit. Pour la premi\u00e8re fois, l'arbre se mit \u00e0 sentir le monde : la pluie, le vent, l'eau qui montait. \u00c7a faisait mal et \u00e7a le tenait debout. Au printemps, l'oiseau revint. L'arbre ne r\u00e9pondit pas. \u00c0 la place, il se couvrit de fleurs blanches. **13 juillet \u2014 H\u00e9ros** Enfant, je bricolais des holsters dans des chambres \u00e0 air pour rejouer Zorro. Ces h\u00e9ros me servaient de refuge contre la violence des adultes. En grandissant, je les ai oubli\u00e9s. C'est en regardant mes tableaux que je les ai revus : chaque toile comme un \u00e9pisode de s\u00e9rie. J'ai ri en me d\u00e9couvrant fils de ces p\u00e8res de fiction. Sans eux, je ne suis pas s\u00fbr que je serais arriv\u00e9 vivant jusqu'\u00e0 la peinture. **14 juillet \u2014 R\u00e9p\u00e9tition** Nous r\u00e9agissons en pilote automatique : chercher le confort, \u00e9viter la douleur. En art, on encense la r\u00e9p\u00e9tition des motifs qui rassurent le public. Tant qu'on pense avec les cat\u00e9gories des autres \u2014 ordre \/ d\u00e9sordre, utile \/ g\u00e2chis \u2014 on rejoue le m\u00eame sc\u00e9nario. Le vrai travail commence quand on se forge ses propres d\u00e9finitions et qu'on utilise la r\u00e9p\u00e9tition comme un choix, pas comme une contrainte. **21 juillet \u2014 Fin du monde** Allumer la t\u00e9l\u00e9, c'est avaler chaque soir une petite fin du monde : guerres, catastrophes, politique grotesque. \u00c0 force, on finit par croire que tout va s'\u00e9crouler. Mais cette ambiance d'apocalypse renvoie chacun \u00e0 sa propre \u00e9ch\u00e9ance. Sentir que tout est limit\u00e9 peut donner envie de vivre autrement. Reste un choix simple : se consumer devant l'\u00e9cran, ou prendre cette perspective de fin comme une invitation \u00e0 traiter la vie avec plus d'attention. **7 juillet \u2014 Main tremblante** Je suis peintre. Depuis quelque temps, ma main droite tremble. Examens : rien de sp\u00e9cial. Cabinet de psy : je fais le malin, puis une voix de gosse sort. Je ne supporte pas. Je plante les s\u00e9ances. Je continue \u00e0 l'atelier, je peins des toiles lourdes, sales. Ce matin, je pense \u00e0 ce gamin. Au lieu de le renvoyer, j'ai une sorte de douceur pour lui. Je sens le gamin qui me fait signe. Je reste devant la toile, et \u00e7a suffit. ", "image": "", "tags": ["Carnet mensuel r\u00e9sum\u00e9"] } ] }