{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/avril-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/avril-2019.html", "title": "Avril 2019", "date_published": "2025-12-20T22:19:15Z", "date_modified": "2025-12-20T22:19:35Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

11 avril — V\u00e9das et aborig\u00e8nes<\/strong><\/p>\n

Deux choses reviennent obstin\u00e9ment : les V\u00e9das et les peintures aborig\u00e8nes. Ce sont d’abord des syst\u00e8mes pour ne pas oublier. Les chants mis en forme deviennent un mode d’emploi du monde. Les toiles aborig\u00e8nes reprennent toujours les m\u00eames histoires d’anc\u00eatres qui marchent, se m\u00e9tamorphosent. C’est cette fonction d’aide-m\u00e9moire qui me touche : l’id\u00e9e qu’un dessin, un mot puissent emp\u00eacher que tout se d\u00e9fasse trop vite.<\/p>\n

13 avril — Le doute<\/strong><\/p>\n

Instiller le doute, c’est une technique de gouvernement au quotidien. On commence par r\u00e9p\u00e9ter que personne ne sait ce qui est vrai, qu’il y a \"des versions\". Le sol se met \u00e0 bouger, la peur remonte. La violence arrive l\u00e0, comme issue de secours. \u00c0 force de jouer avec le doute et la peur, les mots de la d\u00e9mocratie se chargent de crasse.<\/p>\n

14 avril — Highlander<\/strong><\/p>\n

Je suis Connor MacLeod, je vis depuis quatre si\u00e8cles et demi : la phrase revient avec la musique de Highlander. Il y a en chacun de nous un d\u00e9sir de l\u00e2cher le secret autour duquel on a construit notre petite l\u00e9gende. On le prot\u00e8ge \u00e0 coups de mensonges, comme un dictateur en r\u00e9duction. Le seul \"Prix\" accessible : arr\u00eater de jouer les immortels, accepter d’\u00eatre pris dans le m\u00eame destin de mortels que les autres.<\/p>\n

14 avril — L\u00e9gende d’artiste<\/strong><\/p>\n

Est-ce vraiment n\u00e9cessaire de se fabriquer une l\u00e9gende d’artiste ? On ne parle plus de Picasso comme d’un peintre, mais comme d’un personnage. J’ai pass\u00e9 des heures \u00e0 r\u00e9diger ma \"bio\". Une fois termin\u00e9, j’ai relu avec l’impression de tenir un roman arrang\u00e9. J’ai ferm\u00e9 le fichier. L’exc\u00e8s d’aveux finit par tuer la suggestion.<\/p>\n

15 avril — La porte<\/strong><\/p>\n

L’habitude s’est install\u00e9e si profond\u00e9ment que m\u00eame la porte de l’atelier ne compte plus. Ce matin, j’ai pris le temps de sentir le m\u00e9tal froid, le grincement des gonds. Cette porte, je l’ai franchie des centaines de fois sans y penser. Les rares moments o\u00f9 j’arrive \u00e0 rester avec une poign\u00e9e, une odeur de t\u00e9r\u00e9benthine sont les seuls o\u00f9 quelque chose de neuf se glisse.<\/p>\n

21 avril — Cruaut\u00e9<\/strong><\/p>\n

Il y a d’abord cette cruaut\u00e9 d’enfant qu’on rebaptise \"innocence\". Un jour, on m’a demand\u00e9 de devenir poisson apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 p\u00eacheur. Se retrouver de l’autre c\u00f4t\u00e9 de l’hame\u00e7on ne s’est pas fait sans casse. La peinture est arriv\u00e9e l\u00e0. Sur la toile, tout commence par un chaos, et c’est pr\u00e9cis\u00e9ment l\u00e0 que \u00e7a m’int\u00e9resse. Au bout du compte, il ne reste qu’un dernier adversaire \u00e0 abattre : soi-m\u00eame, dans ce qu’on a de pourri.<\/p>\n

22 avril — La mort<\/strong><\/p>\n

D’un c\u00f4t\u00e9, ce petit bonhomme debout devant la toile, de l’autre, la surface blanche qui attend. Entre les deux, il n’y a pas un \"projet\", il y a la mort. Tant que tu n’as pas vraiment compris que tu vas crever, tu peux jouer \u00e0 peindre. Ce qui pousse vraiment, c’est la trouille et l’obsession, la hantise de dispara\u00eetre sans trace.<\/p>\n

24 avril — \u00c9tranget\u00e9<\/strong><\/p>\n

Il arrive qu’une chose se pr\u00e9sente comme si on la voyait pour la premi\u00e8re fois. Une fraction de seconde qui a la densit\u00e9 d’une \u00e9ternit\u00e9 minuscule. Je ne crois pas beaucoup \u00e0 \"l’originalit\u00e9\" ; le banal n’existe que comme une mani\u00e8re de ne plus voir. L’\u00e9tranget\u00e9, \u00e0 ce moment-l\u00e0, n’est plus un choc mais une pr\u00e9sence discr\u00e8te.<\/p>\n

28 avril — Iris<\/strong><\/p>\n

J’aurais pu arracher la fleur, la croquer. \u00c0 la place, je me suis retrouv\u00e9 \u00e0 genoux dans le jardin des moines, l’appareil coll\u00e9 au visage. Pendant un instant, je ne sais plus o\u00f9 se termine la fleur et o\u00f9 je commence. Le diaphragme s’ouvre, 1\/60e de seconde. Nous sommes \u00e0 l’unisson sous la ros\u00e9e, l’iris et moi.<\/p>", "content_text": " **11 avril \u2014 V\u00e9das et aborig\u00e8nes** Deux choses reviennent obstin\u00e9ment : les V\u00e9das et les peintures aborig\u00e8nes. Ce sont d'abord des syst\u00e8mes pour ne pas oublier. Les chants mis en forme deviennent un mode d'emploi du monde. Les toiles aborig\u00e8nes reprennent toujours les m\u00eames histoires d'anc\u00eatres qui marchent, se m\u00e9tamorphosent. C'est cette fonction d'aide-m\u00e9moire qui me touche : l'id\u00e9e qu'un dessin, un mot puissent emp\u00eacher que tout se d\u00e9fasse trop vite. **13 avril \u2014 Le doute** Instiller le doute, c'est une technique de gouvernement au quotidien. On commence par r\u00e9p\u00e9ter que personne ne sait ce qui est vrai, qu'il y a \"des versions\". Le sol se met \u00e0 bouger, la peur remonte. La violence arrive l\u00e0, comme issue de secours. \u00c0 force de jouer avec le doute et la peur, les mots de la d\u00e9mocratie se chargent de crasse. **14 avril \u2014 Highlander** Je suis Connor MacLeod, je vis depuis quatre si\u00e8cles et demi : la phrase revient avec la musique de Highlander. Il y a en chacun de nous un d\u00e9sir de l\u00e2cher le secret autour duquel on a construit notre petite l\u00e9gende. On le prot\u00e8ge \u00e0 coups de mensonges, comme un dictateur en r\u00e9duction. Le seul \"Prix\" accessible : arr\u00eater de jouer les immortels, accepter d'\u00eatre pris dans le m\u00eame destin de mortels que les autres. **14 avril \u2014 L\u00e9gende d'artiste** Est-ce vraiment n\u00e9cessaire de se fabriquer une l\u00e9gende d'artiste ? On ne parle plus de Picasso comme d'un peintre, mais comme d'un personnage. J'ai pass\u00e9 des heures \u00e0 r\u00e9diger ma \"bio\". Une fois termin\u00e9, j'ai relu avec l'impression de tenir un roman arrang\u00e9. J'ai ferm\u00e9 le fichier. L'exc\u00e8s d'aveux finit par tuer la suggestion. **15 avril \u2014 La porte** L'habitude s'est install\u00e9e si profond\u00e9ment que m\u00eame la porte de l'atelier ne compte plus. Ce matin, j'ai pris le temps de sentir le m\u00e9tal froid, le grincement des gonds. Cette porte, je l'ai franchie des centaines de fois sans y penser. Les rares moments o\u00f9 j'arrive \u00e0 rester avec une poign\u00e9e, une odeur de t\u00e9r\u00e9benthine sont les seuls o\u00f9 quelque chose de neuf se glisse. **21 avril \u2014 Cruaut\u00e9** Il y a d'abord cette cruaut\u00e9 d'enfant qu'on rebaptise \"innocence\". Un jour, on m'a demand\u00e9 de devenir poisson apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 p\u00eacheur. Se retrouver de l'autre c\u00f4t\u00e9 de l'hame\u00e7on ne s'est pas fait sans casse. La peinture est arriv\u00e9e l\u00e0. Sur la toile, tout commence par un chaos, et c'est pr\u00e9cis\u00e9ment l\u00e0 que \u00e7a m'int\u00e9resse. Au bout du compte, il ne reste qu'un dernier adversaire \u00e0 abattre : soi-m\u00eame, dans ce qu'on a de pourri. **22 avril \u2014 La mort** D'un c\u00f4t\u00e9, ce petit bonhomme debout devant la toile, de l'autre, la surface blanche qui attend. Entre les deux, il n'y a pas un \"projet\", il y a la mort. Tant que tu n'as pas vraiment compris que tu vas crever, tu peux jouer \u00e0 peindre. Ce qui pousse vraiment, c'est la trouille et l'obsession, la hantise de dispara\u00eetre sans trace. **24 avril \u2014 \u00c9tranget\u00e9** Il arrive qu'une chose se pr\u00e9sente comme si on la voyait pour la premi\u00e8re fois. Une fraction de seconde qui a la densit\u00e9 d'une \u00e9ternit\u00e9 minuscule. Je ne crois pas beaucoup \u00e0 \"l'originalit\u00e9\" ; le banal n'existe que comme une mani\u00e8re de ne plus voir. L'\u00e9tranget\u00e9, \u00e0 ce moment-l\u00e0, n'est plus un choc mais une pr\u00e9sence discr\u00e8te. **28 avril \u2014 Iris** J'aurais pu arracher la fleur, la croquer. \u00c0 la place, je me suis retrouv\u00e9 \u00e0 genoux dans le jardin des moines, l'appareil coll\u00e9 au visage. Pendant un instant, je ne sais plus o\u00f9 se termine la fleur et o\u00f9 je commence. Le diaphragme s'ouvre, 1\/60e de seconde. Nous sommes \u00e0 l'unisson sous la ros\u00e9e, l'iris et moi. ", "image": "", "tags": ["Carnet mensuel r\u00e9sum\u00e9"] } ] }