{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/mars-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/mars-2019.html", "title": "mars 2019", "date_published": "2025-12-20T22:12:01Z", "date_modified": "2025-12-20T22:15:04Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
1er mars — Voyages int\u00e9rieurs<\/strong><\/p>\n Je voulais voyager, mais tout \u00e9tait en place pour que \u00e7a n’arrive pas. La peinture a pris ce r\u00f4le-l\u00e0. Pas un substitut noble : une issue de secours. J’ai arr\u00eat\u00e9 de fumer. La main n’a plus ce tremblement discret qui fait croire qu’on \"cherche\" alors qu’on esquive. Le titre est venu avant le reste : \"Voyages int\u00e9rieurs\". Je n’ai aucune carte.<\/p>\n 2 mars<\/strong><\/p>\n Il a ferm\u00e9 les yeux. Il voulait que la main travaille sans l’\u0153il qui surveille. Effacer, cette fois, ce n’\u00e9tait pas corriger : c’\u00e9tait renoncer \u00e0 la sc\u00e8ne qu’il allait coller sur la toile pour se distraire du r\u00e9el.<\/p>\n 3 mars — Les chances<\/strong><\/p>\n Le bonheur, quand il d\u00e9barque avec fanfare, me tombe dessus comme une obligation. D\u00e8s que \u00e7a approche, je prends la tangente. Puis elle est apparue. Avec elle, le silence n’\u00e9tait pas un trou \u00e0 combler. Jusqu’\u00e0 Berlin. J’ai compris : je sais faire un pas, pas une distance.<\/p>\n 4 mars — Pr\u00e9vert<\/strong><\/p>\n Je n’ai jamais rencontr\u00e9 Jacques Pr\u00e9vert. Ce jour-l\u00e0, tout le monde y allait et moi je suis rest\u00e9 \u00e0 la maison avec la varicelle. Les po\u00e8tes ne sont pas des d\u00e9corations. Ils te tiennent la t\u00eate hors de l’eau \u00e0 un \u00e2ge o\u00f9 tu n’as pas encore les outils.<\/p>\n 4 mars — Silence<\/strong><\/p>\n J’ai fini par croire que le beau et le silence \u00e9taient parents. C’est l\u00e0 que je me suis perdu. Je me suis servi du ciel pour ne pas \u00e9couter. Devenir silence non pas pour dispara\u00eetre, mais pour cesser de fuir.<\/p>\n 5 mars — Arbres<\/strong><\/p>\n J’ai toujours aim\u00e9 les arbres et je n’en ai jamais dessin\u00e9 un seul. Cette absence a une pr\u00e9sence nette, comme un trou qu’on contourne. Le mot \"d\u00e9natur\u00e9\" me colle \u00e0 la peau ce matin. Nous ne sommes pas \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la nature : nous sommes dedans.<\/p>\n 6 mars<\/strong><\/p>\n Nos proches sont parfois les plus lointains. La question : est-ce que j’aime cette personne, ou est-ce que j’aime la forme qu’elle avait dans ma vie ? Si l’art doit devenir une priorit\u00e9, il faut accepter un manque.<\/p>\n 7 mars — L’impossible<\/strong><\/p>\n Il y a des fronti\u00e8res au possible qu’on nous apprend tr\u00e8s t\u00f4t. La vie d’artiste, je l’ai comprise comme \u00e7a : une entr\u00e9e par effraction. Enfant, la salle s’est d\u00e9pli\u00e9e, je voyais tout trop proche et trop loin. J’ai franchi la fronti\u00e8re. Le poids, \u00e0 force de marche, a chang\u00e9 de nature.<\/p>\n 9 mars — L’\u00e9veil<\/strong><\/p>\n J’ai longtemps cherch\u00e9 l’\u00e9veil comme on le cherche avec Castaneda. Puis il a fallu l’euro, un divorce, pour que je rencontre l’\u00e9veil. Un matin, je n’ai pas pu. Les yeux ouverts, le corps immobile, j’ai dit \u00e0 voix haute : non. L’\u00e9veil a commenc\u00e9 l\u00e0, dans ce refus nu, sans lumi\u00e8re.<\/p>\n 9 mars — Blier<\/strong><\/p>\n Une phrase de Bernard Blier me r\u00e9veille : l’id\u00e9e qu’on peut coller une fleur dans un trou du cul et appeler \u00e7a un vase. On appelle de moins en moins un chat un chat. L’entreprise fonctionne comme \u00e7a.<\/p>\n 13 mars — Back to the trees<\/strong><\/p>\n Back to the trees, criait le vieux. Nous mangeons le plastique que nous fabriquons. Il revient par la mer, par les poissons, par les moules. Nous avalons nos propres d\u00e9chets. Rien n’a chang\u00e9 depuis que nous avons quitt\u00e9 les arbres.<\/p>\n 14 mars — Le galeriste<\/strong><\/p>\n Le galeriste que j’esp\u00e8re ne commence pas par compter. Il arrive, il se tient devant les toiles, et je vois qu’il a re\u00e7u quelque chose. Pas un verdict, une secousse simple qui le d\u00e9place. Il propose un caf\u00e9. Quand \u00e7a tangue ensuite, je reviendrai \u00e0 ce moment pour mesurer ce qui tient encore.<\/p>\n 16 mars — Pollock<\/strong><\/p>\n Je pense \u00e0 Pollock par le bas, par la poussi\u00e8re. La toile est au sol, et lui tourne autour comme autour d’un feu. Il ne la domine pas : il l’habite. Ce n’est pas une image de la nature, c’est la nature remise en circuit.<\/p>\n 19 mars — Beckett<\/strong><\/p>\n Il attend dans le couloir de l’h\u00f4pital. Dans le livre, la phrase tombe : \"Quand est-ce qu’on va na\u00eetre ?\" Son p\u00e8re r\u00e9p\u00e8te : \"On est o\u00f9, l\u00e0 ?\" Une aide-soignante entre : \"S’ils continuent comme \u00e7a, on va na\u00eetre champions.\" La question revient en silence : quand est-ce qu’on va na\u00eetre.<\/p>\n 21 mars — Colomb<\/strong><\/p>\n La nuit a \u00e9t\u00e9 mauvaise. Il se voit sur un bateau. On annonce la terre. L’\u00eelot qu’il croyait \u00eatre l’avant-poste d’un continent est entour\u00e9 de mer. Il trace \"San Salvador\" en appuyant fort, comme si la pression changeait la taille de l’\u00eele.<\/p>\n 22 mars — Kamasutra<\/strong><\/p>\n Sur la porte, l’affiche : \"Kamasutra\", puis son nom. Le responsable parle de \"valoriser les artistes\", de \"visibilit\u00e9\". Pas de r\u00e9mun\u00e9ration, \"mais un beau buffet\". Le dimanche, il est au march\u00e9 entre le fromager et le charcutier. Une vieille dame ach\u00e8te un dessin, le glisse dans son sac avec ses l\u00e9gumes.<\/p>\n 26 mars — D\u00e9lesteur<\/strong><\/p>\n Ce matin, je tombe sur le post du D\u00e9lesteur : \"je vais me mettre en retrait, vous ne me verrez plus ici\". Je clique, la page met longtemps. Presque rien ne reste. \"Certains contenus ne respectent pas les r\u00e8gles de la communaut\u00e9.\" Je copie-colle un vieux texte, je l’enregistre sous \"liste_courses_03\", comme si quelqu’un allait venir fouiller.<\/p>",
"content_text": " **1er mars \u2014 Voyages int\u00e9rieurs** Je voulais voyager, mais tout \u00e9tait en place pour que \u00e7a n'arrive pas. La peinture a pris ce r\u00f4le-l\u00e0. Pas un substitut noble : une issue de secours. J'ai arr\u00eat\u00e9 de fumer. La main n'a plus ce tremblement discret qui fait croire qu'on \"cherche\" alors qu'on esquive. Le titre est venu avant le reste : \"Voyages int\u00e9rieurs\". Je n'ai aucune carte. **2 mars** Il a ferm\u00e9 les yeux. Il voulait que la main travaille sans l'\u0153il qui surveille. Effacer, cette fois, ce n'\u00e9tait pas corriger : c'\u00e9tait renoncer \u00e0 la sc\u00e8ne qu'il allait coller sur la toile pour se distraire du r\u00e9el. **3 mars \u2014 Les chances** Le bonheur, quand il d\u00e9barque avec fanfare, me tombe dessus comme une obligation. D\u00e8s que \u00e7a approche, je prends la tangente. Puis elle est apparue. Avec elle, le silence n'\u00e9tait pas un trou \u00e0 combler. Jusqu'\u00e0 Berlin. J'ai compris : je sais faire un pas, pas une distance. **4 mars \u2014 Pr\u00e9vert** Je n'ai jamais rencontr\u00e9 Jacques Pr\u00e9vert. Ce jour-l\u00e0, tout le monde y allait et moi je suis rest\u00e9 \u00e0 la maison avec la varicelle. Les po\u00e8tes ne sont pas des d\u00e9corations. Ils te tiennent la t\u00eate hors de l'eau \u00e0 un \u00e2ge o\u00f9 tu n'as pas encore les outils. **4 mars \u2014 Silence** J'ai fini par croire que le beau et le silence \u00e9taient parents. C'est l\u00e0 que je me suis perdu. Je me suis servi du ciel pour ne pas \u00e9couter. Devenir silence non pas pour dispara\u00eetre, mais pour cesser de fuir. **5 mars \u2014 Arbres** J'ai toujours aim\u00e9 les arbres et je n'en ai jamais dessin\u00e9 un seul. Cette absence a une pr\u00e9sence nette, comme un trou qu'on contourne. Le mot \"d\u00e9natur\u00e9\" me colle \u00e0 la peau ce matin. Nous ne sommes pas \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la nature : nous sommes dedans. **6 mars** Nos proches sont parfois les plus lointains. La question : est-ce que j'aime cette personne, ou est-ce que j'aime la forme qu'elle avait dans ma vie ? Si l'art doit devenir une priorit\u00e9, il faut accepter un manque. **7 mars \u2014 L'impossible** Il y a des fronti\u00e8res au possible qu'on nous apprend tr\u00e8s t\u00f4t. La vie d'artiste, je l'ai comprise comme \u00e7a : une entr\u00e9e par effraction. Enfant, la salle s'est d\u00e9pli\u00e9e, je voyais tout trop proche et trop loin. J'ai franchi la fronti\u00e8re. Le poids, \u00e0 force de marche, a chang\u00e9 de nature. **9 mars \u2014 L'\u00e9veil** J'ai longtemps cherch\u00e9 l'\u00e9veil comme on le cherche avec Castaneda. Puis il a fallu l'euro, un divorce, pour que je rencontre l'\u00e9veil. Un matin, je n'ai pas pu. Les yeux ouverts, le corps immobile, j'ai dit \u00e0 voix haute : non. L'\u00e9veil a commenc\u00e9 l\u00e0, dans ce refus nu, sans lumi\u00e8re. **9 mars \u2014 Blier** Une phrase de Bernard Blier me r\u00e9veille : l'id\u00e9e qu'on peut coller une fleur dans un trou du cul et appeler \u00e7a un vase. On appelle de moins en moins un chat un chat. L'entreprise fonctionne comme \u00e7a. **13 mars \u2014 Back to the trees** Back to the trees, criait le vieux. Nous mangeons le plastique que nous fabriquons. Il revient par la mer, par les poissons, par les moules. Nous avalons nos propres d\u00e9chets. Rien n'a chang\u00e9 depuis que nous avons quitt\u00e9 les arbres. **14 mars \u2014 Le galeriste** Le galeriste que j'esp\u00e8re ne commence pas par compter. Il arrive, il se tient devant les toiles, et je vois qu'il a re\u00e7u quelque chose. Pas un verdict, une secousse simple qui le d\u00e9place. Il propose un caf\u00e9. Quand \u00e7a tangue ensuite, je reviendrai \u00e0 ce moment pour mesurer ce qui tient encore. **16 mars \u2014 Pollock** Je pense \u00e0 Pollock par le bas, par la poussi\u00e8re. La toile est au sol, et lui tourne autour comme autour d'un feu. Il ne la domine pas : il l'habite. Ce n'est pas une image de la nature, c'est la nature remise en circuit. **19 mars \u2014 Beckett** Il attend dans le couloir de l'h\u00f4pital. Dans le livre, la phrase tombe : \"Quand est-ce qu'on va na\u00eetre ?\" Son p\u00e8re r\u00e9p\u00e8te : \"On est o\u00f9, l\u00e0 ?\" Une aide-soignante entre : \"S'ils continuent comme \u00e7a, on va na\u00eetre champions.\" La question revient en silence : quand est-ce qu'on va na\u00eetre. **21 mars \u2014 Colomb** La nuit a \u00e9t\u00e9 mauvaise. Il se voit sur un bateau. On annonce la terre. L'\u00eelot qu'il croyait \u00eatre l'avant-poste d'un continent est entour\u00e9 de mer. 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