{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/fevrier-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/fevrier-2019.html", "title": "f\u00e9vrier 2019", "date_published": "2025-12-20T21:54:46Z", "date_modified": "2025-12-20T21:55:38Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

1er f\u00e9vrier<\/strong><\/p>\n

Le r\u00e9veil sonne. Le corps se jette hors du lit avant m\u00eame d’avoir pens\u00e9. M\u00eames gestes, m\u00eames phrases int\u00e9rieures. Cette peur qui r\u00f4de : si je change le moindre grain, quelque chose va l\u00e2cher. Mon p\u00e8re s’\u00e9tait bard\u00e9 d’habitudes apr\u00e8s la mort de ma m\u00e8re. Chaque t\u00e2che \u00e9tait une case \u00e0 cocher. Depuis qu’il est mort, je vois la r\u00e9p\u00e9tition autrement : elle ne se termine pas, elle s’interrompt.<\/p>\n

2 f\u00e9vrier<\/strong><\/p>\n

Je sais maintenant qu’on ne vit pas d’art en traitant le d\u00e9sir des autres comme quantit\u00e9 n\u00e9gligeable. Aller piller dehors par peur de ce qu’on trouverait dedans, voil\u00e0 la tentation la plus facile \u00e0 se pardonner. Ce que j’attends est plus furtif : qu’une toile, parfois, s’arrache \u00e0 moi et cesse d’\u00eatre mon reflet.<\/p>\n

3 f\u00e9vrier — Fractales<\/strong><\/p>\n

J’ai toujours cru aux fractales parce qu’un \u00e9clat minuscule contient le reste. Cette jeune fille sicilienne que je retrouvais les soirs d’\u00e9t\u00e9 au bord de l’Oise. Son p\u00e8re : architecte sans dipl\u00f4me, Sicile, Tunisie, Marseille, un homme d’exigence et de survie. Des ann\u00e9es plus tard je retrouve cette toile que mon p\u00e8re avait laiss\u00e9e en plan, je prends un pot de gesso et je la recouvre enti\u00e8rement pour peindre autre chose dessus. C’est l\u00e0 que tout se tient : dans ce geste d’effacer pour continuer.<\/p>\n

4 f\u00e9vrier<\/strong><\/p>\n

D\u00e9sapprendre, ce n’est pas jeter : c’est revenir voir, comme si c’\u00e9tait la premi\u00e8re fois. Puis un jour au prieur\u00e9 de Salaise-sur-Sanne, deux arbres me coupent net. Pas une id\u00e9e d’arbres : eux, dans leur peau rugueuse, leur poids, leur silence. Nous sommes l\u00e0 : les arbres, moi, les voix autour, et il faudra bien apprendre \u00e0 n’en rien distraire.<\/p>\n

8 f\u00e9vrier — Avicenne<\/strong><\/p>\n

\u00c0 dix ans il conna\u00eet le Coran, \u00e0 seize il est m\u00e9decin. \u00c0 la mort de l’\u00e9mir, on l’emprisonne ; il continue d’\u00e9crire derri\u00e8re les murs, comme si l’esprit n’avait pas d’autre issue que de travailler encore. Il meurt \u00e0 cinquante-sept ans. Une vie courte, d\u00e9plac\u00e9e, surveill\u00e9e, mais tenue par une obstination de nuit.<\/p>\n

8 f\u00e9vrier — L’id\u00e9e<\/strong><\/p>\n

Qu’est-ce qui s\u00e9pare le peintre du dimanche de l’artiste ? Pas la main. La s\u00e9paration se fait du c\u00f4t\u00e9 de l’id\u00e9e — l’id\u00e9e comme besoin qui te travaille. Une id\u00e9e authentique r\u00e9pond \u00e0 un manque r\u00e9el, \u00e0 une pression qui ne te laisse pas en paix.<\/p>\n

14 f\u00e9vrier<\/strong><\/p>\n

Je suis un \u00e9corch\u00e9 vif, pas au sens noble, au sens b\u00eate et bruyant. Je dis je t’aime, je le crois, et puis un matin l’autre me regarde comme si j’avais d\u00e9sert\u00e9. Je cherche un amour sans comptabilit\u00e9, une alliance presque muette. La seule imposture c’est d’avoir cru que ma flamme suffisait au monde.<\/p>\n

15 f\u00e9vrier<\/strong><\/p>\n

Parler l\u00e9g\u00e8rement de choses graves, parler gravement de choses l\u00e9g\u00e8res : ce n’est pas un jeu de style, c’est un changement d’axe. Le cynisme n’\u00e9tait pas une intelligence sup\u00e9rieure, c’\u00e9tait un confort. C’est seulement en vieillissant que j’ai cess\u00e9 d’en \u00eatre le jouet.<\/p>\n

La sentinelle<\/strong><\/p>\n

Quand les moineaux picorent, il y a toujours un guetteur. Toute la troupe se jette sur les miettes, et un seul reste \u00e0 l’\u00e9cart, pr\u00eat \u00e0 lancer l’alerte. Je pense \u00e0 nos villes, \u00e0 la mani\u00e8re dont elles traitent leurs guetteurs forc\u00e9s. On tol\u00e8re \u00e0 peine les sans-abri, puis on leur retire les lieux o\u00f9 un corps peut se poser.<\/p>\n

La d\u00e9sob\u00e9issance<\/strong><\/p>\n

Aussi loin que je remonte, ob\u00e9ir m’a toujours paru une reddition. C’est par d\u00e9sob\u00e9issance chronique qu’on m’avait mis en pension. Le recteur nous a montr\u00e9 la carte du parc avec une ligne autour, une fronti\u00e8re. Je me souviens seulement du d\u00e9sir imm\u00e9diat d’aller voir ce qu’il y avait derri\u00e8re.<\/p>", "content_text": " **1er f\u00e9vrier** Le r\u00e9veil sonne. Le corps se jette hors du lit avant m\u00eame d'avoir pens\u00e9. M\u00eames gestes, m\u00eames phrases int\u00e9rieures. Cette peur qui r\u00f4de : si je change le moindre grain, quelque chose va l\u00e2cher. Mon p\u00e8re s'\u00e9tait bard\u00e9 d'habitudes apr\u00e8s la mort de ma m\u00e8re. Chaque t\u00e2che \u00e9tait une case \u00e0 cocher. Depuis qu'il est mort, je vois la r\u00e9p\u00e9tition autrement : elle ne se termine pas, elle s'interrompt. **2 f\u00e9vrier** Je sais maintenant qu'on ne vit pas d'art en traitant le d\u00e9sir des autres comme quantit\u00e9 n\u00e9gligeable. Aller piller dehors par peur de ce qu'on trouverait dedans, voil\u00e0 la tentation la plus facile \u00e0 se pardonner. Ce que j'attends est plus furtif : qu'une toile, parfois, s'arrache \u00e0 moi et cesse d'\u00eatre mon reflet. **3 f\u00e9vrier \u2014 Fractales** J'ai toujours cru aux fractales parce qu'un \u00e9clat minuscule contient le reste. Cette jeune fille sicilienne que je retrouvais les soirs d'\u00e9t\u00e9 au bord de l'Oise. Son p\u00e8re : architecte sans dipl\u00f4me, Sicile, Tunisie, Marseille, un homme d'exigence et de survie. Des ann\u00e9es plus tard je retrouve cette toile que mon p\u00e8re avait laiss\u00e9e en plan, je prends un pot de gesso et je la recouvre enti\u00e8rement pour peindre autre chose dessus. C'est l\u00e0 que tout se tient : dans ce geste d'effacer pour continuer. **4 f\u00e9vrier** D\u00e9sapprendre, ce n'est pas jeter : c'est revenir voir, comme si c'\u00e9tait la premi\u00e8re fois. Puis un jour au prieur\u00e9 de Salaise-sur-Sanne, deux arbres me coupent net. Pas une id\u00e9e d'arbres : eux, dans leur peau rugueuse, leur poids, leur silence. Nous sommes l\u00e0 : les arbres, moi, les voix autour, et il faudra bien apprendre \u00e0 n'en rien distraire. **8 f\u00e9vrier \u2014 Avicenne** \u00c0 dix ans il conna\u00eet le Coran, \u00e0 seize il est m\u00e9decin. \u00c0 la mort de l'\u00e9mir, on l'emprisonne ; il continue d'\u00e9crire derri\u00e8re les murs, comme si l'esprit n'avait pas d'autre issue que de travailler encore. Il meurt \u00e0 cinquante-sept ans. Une vie courte, d\u00e9plac\u00e9e, surveill\u00e9e, mais tenue par une obstination de nuit. **8 f\u00e9vrier \u2014 L'id\u00e9e** Qu'est-ce qui s\u00e9pare le peintre du dimanche de l'artiste ? Pas la main. La s\u00e9paration se fait du c\u00f4t\u00e9 de l'id\u00e9e \u2014 l'id\u00e9e comme besoin qui te travaille. Une id\u00e9e authentique r\u00e9pond \u00e0 un manque r\u00e9el, \u00e0 une pression qui ne te laisse pas en paix. **14 f\u00e9vrier** Je suis un \u00e9corch\u00e9 vif, pas au sens noble, au sens b\u00eate et bruyant. Je dis je t'aime, je le crois, et puis un matin l'autre me regarde comme si j'avais d\u00e9sert\u00e9. Je cherche un amour sans comptabilit\u00e9, une alliance presque muette. La seule imposture c'est d'avoir cru que ma flamme suffisait au monde. **15 f\u00e9vrier** Parler l\u00e9g\u00e8rement de choses graves, parler gravement de choses l\u00e9g\u00e8res : ce n'est pas un jeu de style, c'est un changement d'axe. Le cynisme n'\u00e9tait pas une intelligence sup\u00e9rieure, c'\u00e9tait un confort. C'est seulement en vieillissant que j'ai cess\u00e9 d'en \u00eatre le jouet. **La sentinelle** Quand les moineaux picorent, il y a toujours un guetteur. Toute la troupe se jette sur les miettes, et un seul reste \u00e0 l'\u00e9cart, pr\u00eat \u00e0 lancer l'alerte. Je pense \u00e0 nos villes, \u00e0 la mani\u00e8re dont elles traitent leurs guetteurs forc\u00e9s. On tol\u00e8re \u00e0 peine les sans-abri, puis on leur retire les lieux o\u00f9 un corps peut se poser. **La d\u00e9sob\u00e9issance** Aussi loin que je remonte, ob\u00e9ir m'a toujours paru une reddition. C'est par d\u00e9sob\u00e9issance chronique qu'on m'avait mis en pension. Le recteur nous a montr\u00e9 la carte du parc avec une ligne autour, une fronti\u00e8re. Je me souviens seulement du d\u00e9sir imm\u00e9diat d'aller voir ce qu'il y avait derri\u00e8re. ", "image": "", "tags": ["Carnet mensuel r\u00e9sum\u00e9"] } ] }