{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/janvier-2019.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/janvier-2019.html", "title": "Janvier 2019", "date_published": "2025-12-20T21:40:19Z", "date_modified": "2025-12-20T21:55:58Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

5 janvier<\/strong><\/p>\n

Alors il faut attendre que \u00e7a passe. Attendre que les pens\u00e9es se fanent. Attendre que le souffle se vide et se remplisse. La contr\u00f4leuse avance : « Monsieur, votre titre de transport, s’il vous pla\u00eet ? » Le flux se coupe net. Autour, les autres passagers redeviennent visibles : rang\u00e9s, muets, \u00e0 demi endormis, en attente d’eux-m\u00eames. \u00c7a attend aussi, collectivement, sans savoir quoi. « Mais quand est-ce qu’on va nager ? » L’eau se retire toujours.<\/p>\n

7 janvier<\/strong><\/p>\n

J’ai v\u00e9cu avec une certitude \u00e9trange : on \u00e9choue. On \u00e9choue d’abord, on \u00e9choue beaucoup, et la r\u00e9ussite n’est qu’un accident fragile. Le jour o\u00f9 j’ai compris que je cherchais l’\u00e9chec autant que d’autres cherchent la r\u00e9ussite, un verrou a saut\u00e9. Dans la photographie, j’ai appris \u00e0 tirer du n\u00e9gatif un positif.<\/p>\n

8 janvier<\/strong><\/p>\n

Je m’en fiche de m’en foutre en prime. Je nage le regard perdu dans le bleu sec et froid. Tout est d\u00e9j\u00e0 fini m’a dit l’ombre d’un merle sur la branche d’olivier cet hiver.<\/p>\n

23 janvier<\/strong><\/p>\n

Rien que le vent : il prend les cimes, les tord, redescend en nappes. Je lui ai donn\u00e9 ma vie, ou peut-\u00eatre est-ce lui qui m’a pris. Le vent ne promet rien ; il passe, il insiste, il recommence. Je bats des mains encore une fois, presque contre moi-m\u00eame, et le souffle revient.<\/p>\n

26 janvier — Tuer un oiseau<\/strong><\/p>\n

L’enfant a pris un caillou, a tendu, puis a l\u00e2ch\u00e9. L’oiseau s’est couch\u00e9 sur le c\u00f4t\u00e9. Il a compris, d’un coup, qu’il avait tu\u00e9 un oiseau. « Donc le hasard peut faire \u00e7a aussi. » Ce qui lui faisait peur, ce n’\u00e9tait pas seulement l’oiseau mort, mais le fait que sa main avait agi avant lui.<\/p>\n

29 janvier<\/strong><\/p>\n

Ma belle petite-fille a dit « ahcheveux ». J’ai ouvert le frigo. « Ah je veux », j’ai compris. Ce matin, je pesais ces deux mots : achev\u00e9, inachev\u00e9. Achever, c’est aussi porter le coup de trop. Je laisse tant de toiles \u00e0 demi lev\u00e9es, non par paresse mais par refus de la mise \u00e0 mort de l’id\u00e9e.<\/p>\n

Mensonge et v\u00e9rit\u00e9<\/strong><\/p>\n

Je ne crois pas \u00e0 une v\u00e9rit\u00e9 commune o\u00f9 l’on se retrouverait tous. La v\u00e9rit\u00e9 est morcel\u00e9e, locale, li\u00e9e \u00e0 un corps. Une toile qu’on n’arrive plus \u00e0 finir, une phrase qui sonne creux. L\u00e0, quelque chose tombe. \u00c0 la fin il ne reste qu’un silence net.<\/p>\n

D\u00e9sob\u00e9ir<\/strong><\/p>\n

La d\u00e9sob\u00e9issance surgit quand une injonction me demande de renoncer \u00e0 quelque chose d’essentiel. L’artiste qui c\u00e8de \u00e0 cela peint avec la main de quelqu’un d’autre. Peindre des paysages « jolis » comme si le monde n’\u00e9tait pas en train de se durcir, c’est ajouter une couche de somnif\u00e8re \u00e0 une \u00e9poque d\u00e9j\u00e0 anesth\u00e9si\u00e9e.<\/p>", "content_text": " **5 janvier** Alors il faut attendre que \u00e7a passe. Attendre que les pens\u00e9es se fanent. Attendre que le souffle se vide et se remplisse. La contr\u00f4leuse avance : \u00ab Monsieur, votre titre de transport, s'il vous pla\u00eet ? \u00bb Le flux se coupe net. Autour, les autres passagers redeviennent visibles : rang\u00e9s, muets, \u00e0 demi endormis, en attente d'eux-m\u00eames. \u00c7a attend aussi, collectivement, sans savoir quoi. \u00ab Mais quand est-ce qu'on va nager ? \u00bb L'eau se retire toujours. **7 janvier** J'ai v\u00e9cu avec une certitude \u00e9trange : on \u00e9choue. On \u00e9choue d'abord, on \u00e9choue beaucoup, et la r\u00e9ussite n'est qu'un accident fragile. Le jour o\u00f9 j'ai compris que je cherchais l'\u00e9chec autant que d'autres cherchent la r\u00e9ussite, un verrou a saut\u00e9. Dans la photographie, j'ai appris \u00e0 tirer du n\u00e9gatif un positif. **8 janvier** Je m'en fiche de m'en foutre en prime. Je nage le regard perdu dans le bleu sec et froid. Tout est d\u00e9j\u00e0 fini m'a dit l'ombre d'un merle sur la branche d'olivier cet hiver. **23 janvier** Rien que le vent : il prend les cimes, les tord, redescend en nappes. Je lui ai donn\u00e9 ma vie, ou peut-\u00eatre est-ce lui qui m'a pris. Le vent ne promet rien ; il passe, il insiste, il recommence. Je bats des mains encore une fois, presque contre moi-m\u00eame, et le souffle revient. **26 janvier \u2014 Tuer un oiseau** L'enfant a pris un caillou, a tendu, puis a l\u00e2ch\u00e9. L'oiseau s'est couch\u00e9 sur le c\u00f4t\u00e9. Il a compris, d'un coup, qu'il avait tu\u00e9 un oiseau. \u00ab Donc le hasard peut faire \u00e7a aussi. \u00bb Ce qui lui faisait peur, ce n'\u00e9tait pas seulement l'oiseau mort, mais le fait que sa main avait agi avant lui. **29 janvier** Ma belle petite-fille a dit \u00ab ahcheveux \u00bb. J'ai ouvert le frigo. \u00ab Ah je veux \u00bb, j'ai compris. Ce matin, je pesais ces deux mots : achev\u00e9, inachev\u00e9. Achever, c'est aussi porter le coup de trop. Je laisse tant de toiles \u00e0 demi lev\u00e9es, non par paresse mais par refus de la mise \u00e0 mort de l'id\u00e9e. **Mensonge et v\u00e9rit\u00e9** Je ne crois pas \u00e0 une v\u00e9rit\u00e9 commune o\u00f9 l'on se retrouverait tous. La v\u00e9rit\u00e9 est morcel\u00e9e, locale, li\u00e9e \u00e0 un corps. Une toile qu'on n'arrive plus \u00e0 finir, une phrase qui sonne creux. L\u00e0, quelque chose tombe. \u00c0 la fin il ne reste qu'un silence net. **D\u00e9sob\u00e9ir** La d\u00e9sob\u00e9issance surgit quand une injonction me demande de renoncer \u00e0 quelque chose d'essentiel. L'artiste qui c\u00e8de \u00e0 cela peint avec la main de quelqu'un d'autre. Peindre des paysages \u00ab jolis \u00bb comme si le monde n'\u00e9tait pas en train de se durcir, c'est ajouter une couche de somnif\u00e8re \u00e0 une \u00e9poque d\u00e9j\u00e0 anesth\u00e9si\u00e9e. ", "image": "", "tags": ["Carnet mensuel r\u00e9sum\u00e9"] } ] }